Jour deux • m a r d i

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Jungkook doit attendre le lendemain pour pouvoir mettre à exécution la deuxième partie de son plan.
Car, les mardis, il a cours avec Taehyung.

Les deux jeunes hommes n'étudient pas les mêmes carrières mais quelques-unes de leurs options se croisent, et c'est en arrivant dans l'amphithéâtre de Sociologie à huit heures du matin qu'il se rend compte que c'est bien la première fois depuis le début de l'année qu'il ne regrette pas avoir choisi cette matière.

S'installant dans une rangée au milieu – de sorte à ce qu'il soit assez proche de l'entrée pour que Taehyung le voit en arrivant, mais assez loin du prof pour qu'ils puissent discuter ensemble pendant le cours sans être interrompus – il passe rapidement une main dans ses cheveux corbeau pour les décoiffer de la manière qu'il aime et qui, il le sait par expérience, le rend encore plus attirant – pour une raison qu'il a décidément du mal à comprendre.

Il sort ses affaires, fait semblant de relire son cours (incomplet), et observe du coin de l'œil la porte blanche de la salle, attendant le moment où la beauté de l'université fera son entrée, qui sera indubitablement suivie d'une série de « Salut, Taehyung! » et de quelques cœurs brisés rien que par le sourire poli du jeune homme.

Ce serait mentir que de dire qu'il n'est pas un peu nerveux. Il a fait une forte première impression à l'étudiant, hier, et il espère de tout son cœur que la suite du plan va se dérouler comme prévu – dans le cas contraire, il n'a pas réellement de plan B (et son plan A a déjà quelques lacunes).

D'ailleurs, en parlant du loup, une touffe indéniablement bien domptée de cheveux châtains fait son apparition dans l'amphithéâtre, et Jungkook roule presque des yeux en entendant l'habituelle cacophonie de « Bien dormi, Taehyung? », « ce pull te va très bien, Taehyung! » et « tu as changé de parfum, Taehyung?».

Le noiraud ne relève pas la tête, faisant semblant de ne rien avoir entendu à cause des écouteurs vissés dans ses oreilles percées – aucune musique n'y passe, mais ceci, personne ne s'en doute.
Les voix se transforment en chuchotements (il s'imagine que Taehyung les a salués d'un signe de main) et il croise discrètement les doigts sous la table en inspirant profondément.

C'est parti.

Un toucher suave sur son bras le fait sursauter et, lorsqu'il relève la tête, ses mots restent momentanément coincés dans sa gorge.

Wouah.

Il doit avouer qu'en effet, le pull blanc de Taehyung lui va incontestablement à merveille, mettant en valeur son épiderme tanné et tombant un peu bas sur une de ses épaules, dévoilant sa gorge désirable.

Jungkook déglutit. Concentre-toi.

Il retire ses écouteurs tandis que l'étudiant prend la parole, lui tendant un stylo qu'il ne reconnait que trop bien.

— Tiens, tu l'as fait tomber hier.

Le bijou face à lui sourit gentiment et le noiraud sent son visage chauffer – on va dire qu'il reste dans la peau de son personnage – alors qu'il incline poliment la tête afin de le remercier.

— Oh, merci beaucoup. Encore désolé pour ce qui s'est passé.

Il passe une main dans sa nuque, conscient que les muscles de ses biceps se contractent, et Taehyung hausse des épaules de manière qui se veut nonchalante. Sans se laisser le temps de se dégonfler, il enchaîne, montrant du menton la chaise à ses côtés.

— Tu veux... t'asseoir ici?

Dis oui, s'il te plait, dis oui.

L'étudiant à la beauté irréelle acquiesce – Jungkook s'attendait à devoir insister davantage, mais il ne s'en plaint pas.
Il déglutit de nouveau lorsque l'effluve doux et fruité du jeune homme vient caresser ses narines, et fait de son mieux pour se détendre malgré la présence intrusive du garçon près de lui.

Le châtain sort son cours à son tour, et il n'est pas surpris de voir à quel point ses notes sont propres et soignées. Ça le fait sourire légèrement.
Un silence ni pesant ni reposant s'abat sur eux, et Jungkook se creuse l'esprit pour relancer la conversation (il n'avait pas réellement réfléchi à cette partie du plan).

— Tu n'as pas eu de bleus à cause de la chute?

Oui, bon, il aurait pu trouver mieux, il l'avoue ; mais pour l'instant, cette chute (très malencontreuse et très inattendue) est tout ce qu'ils ont en commun, donc il en tire le maximum.

Taehyung se tourne vers lui et secoue la tête, l'expression aimable sur son visage ne le quittant jamais.

— Tant mieux, répond Jungkook en souriant, de ce sourire charmant qu'il réserve généralement aux grand-mères de son quartier lorsqu'elles lui offrent des fraises, ou aux vendeuses du café du coin lorsqu'il n'a pas assez d'argent pour payer sa boisson.

La beauté de l'université baisse alors légèrement le visage, brisant leur contact visuel et cachant ses joues peut-être rosées, ses cheveux délicats tombant en harmonie sur ses longs cils épais.
C'est une jolie vue.

Il s'empresse ensuite d'ouvrir son cahier pour relire son cours (le sien étant complet) et Jungkook décide d'attendre un peu avant de relancer la conversation. Une étudiante aux cheveux roux passe alors dans la rangée devant eux et le chataîn l'interpelle; elle s'arrête et lui sourit timidement lorsque leurs regards se croisent.

— Salut, Mirae. Comment va ta petite amie?

La concernée semble être prise de court et ses yeux s'ouvrent en grand pendant quelques instants.

— Oh, heu, b-beaucoup mieux, merci, répond-elle avec quelques difficultés. Sa fièvre a enfin décidé de baisser et elle récupère rapidement, c'est bon signe.

— C'est super ça, tant mieux! Tu dois être rassurée.

Elle hoche la tête.

La rousse semble hésiter à ajouter quelque chose – Jungkook le remarque puisqu'elle se balance d'un pied sur l'autre en mordillant sa lippe, semblant sujette à un dilemme intérieur.

— Merci de prendre des nouvelles, déclare-t-elle finalement, Je ne... pensais pas que tu t'en souviendrais.

Une jolie lueur brille dans ses yeux clairs – elle a l'air réellement heureuse que Taehyung se soit souvenu d'un tel détail.

— Tu avais l'air inquiète à la dernière soirée, c'est normal.

Elle lui fait un signe de main qu'il lui rend et la conversation se termine là ; l'étudiante s'empresse d'aller s'installer quelques sièges plus loin.

Jungkook a observé toute la scène d'un air presque fasciné (Taehyung se souvient-il de tout ce qui lui racontent les gens ? Ou se rappelle-t-il uniquement de certaines choses afin de faire bonne impression ? S'en préoccupe-t-il réellement ? ) ; il n'a malheureusement pas le temps de continuer à analyser son profil psychologique puisque le professeur entre dans la salle et coupe court à ses pensées – il note néanmoins ces récentes informations dans un coin de sa tête.

Le cours commence – un truc sur la migration et son impact, d'après le powerpoint affiché sur le grand écran blanc –, mais le noiraud n'y prête aucune attention. Ses yeux dévient d'eux-mêmes vers le garçon à ses côtés, observent avec une attention singulière ses mains délicates lorsqu'il prend des notes, les douces courbes de son écriture, la taille minuscule de son poignet décoré d'un simple bracelet en argent – il se surprend à penser qu'il pourrait l'entourer sans aucun problème de ses doigts.

Puis il se rend compte de ce qu'il fait et secoue discrètement la tête comme pour chasser les pensées étranges qui l'envahissent.

— Ça va? Tu te sens mal?

La voix profonde de Taehyung le fait presque sursauter et il se sent subitement un peu con, à agir aussi bizarrement en sa présence.

— Ah? Non, pas du tout, je- je chassais juste une mèche qui était tombée devant mes yeux.

Il se frappe mentalement.
Très fort.

(C'était quoi cette excuse bidon ? Réfléchis avant de parler ou tu vas tout faire foirer, idiot.)

Décidément, l'étudiant aux traits divins lui fait faire de drôle de choses – il se demande si le châtain a ce pouvoir sur tout le monde.
Ça ne l'étonnerait pas plus que ça.

Taehyung le regarde toujours, la tête légèrement penchée sur le côté (le noiraud trouve ça un peu mignon), une expression curieuse sur son visage sublime et ses lèvres roses affichant une petite moue.

— Hmm. Tu as de beaux cheveux.

Puis il reporte son attention au cours se déroulant devant lui et se remet à prendre des notes, ignorant royalement les yeux écarquillés de Jungkook qui, vraiment, ne s'attendait pas à recevoir un compliment.

Doit-il se sentir spécial parce que la beauté de l'université l'a complimenté, où fait-il cela avec les autres élèves?
C'est peut-être sa technique pour avoir tout le monde à ses pieds – faites des éloges et les gens vous aimeront.

Il déglutit et abandonne l'idée de le remercier – le châtain ne le regarde même plus, de toute façon. Alors, il se mord la lippe et fait semblant d'écouter la leçon comme son camarade, feignant du mieux qu'il peut de ne pas avoir été déstabilisé par ses propos.

— Hé, Tae.

Sa tête se relève pourtant lorsqu'un étudiant assis la rangée devant eux se retourne sur sa chaise, un sourire bien trop prétentieux sur les lèvres pour que Jungkook puisse se retenir de le juger immédiatement.

Il ne l'aime pas.
Oh, il ne l'aime déjà pas.

Et est-ce une impression ou Taehyung s'est légèrement crispé? Néanmoins, il lui répond toujours poliment, comme à son habitude.

— Salut, Minho.

— Toi, moi, samedi, resto, ça te dit?

Le noiraud serre son stylo dans sa main d'un coup sec, si bien qu'il pense pendant un instant l'avoir cassé. Après vérification (il est intacte), il se contente de se taire et observe discrètement l'évolution de la situation qui l'embête déjà.

Mais pour qui il se prend, ce gars? Taehyung est à lui.

— Je t'ai dit que non, Minho. Mais merci, répond gentiment le jeune homme concerné, continuant à copier une phrase sur sa feuille. Quelque chose dans le ton du châtain l'informe que ce n'est probablement pas la première fois qu'il a cette discussion.

— Allez, fais pas ta prude, c'est juste un resto. J'te demande pas non plus de coucher avec moi.

Jungkook se mord furieusement la lippe pour s'empêcher de répliquer, parce que comment ose-t-il s'adresser à lui aussi vulgairement?
Du coin de l'œil, il voit son camarade s'humecter les lèvres et déposer son crayon à papier sur son cahier, près d'un schéma qu'il vient de compléter. 

— J'ai du mal à croire que ce ne soit pas ton arrière-pensée, répond Taehyung, toujours souriant, bien que son sourire paraisse un peu forcé.

Minho roule des yeux et passe une main dans ses cheveux plein de gel, pensant sûrement que ça le fait paraître classe (ce qu'il n'est définitivement pas).

T'as juste l'air con, peste amèrement le noiraud. Et tu l'es sûrement, si t'as pas compris que Taehyung en a rien à foutre de toi. Allez ouste, du balai.

— J'vais pas te mentir, tu me plais. Mais je veux juste un resto, tu peux faire ça pour moi, non?

— Minho, s'il te plait, arrête.

— Allez Tae, arrête de faire ton mec intouchable. Ça va pas te tuer de sortir avec moi, si?

— Je n'en ai pas envie, Minho.

— Putain mais sois pas chiant (il commence à s'énerver, constate le noiraud en voyant son sourire qui se voulait sympa se crisper) c'est juste une soirée.

— Je sais, mais-

— Je vais rien tenter, j'te jure, je vais te respecter et-

— Je pense qu'il t'a dit qu'il n'est pas intéressé, intervient calmement Jungkook, alors si tu veux vraiment le respecter, commence maintenant et fous-lui la paix, non?

C'était plus fort que lui.
Il n'a pas pu se retenir d'intervenir. Ce gars était clairement en train de lui casser les couilles – en plus de rendre Taehyung mal à l'aise, le pauvre avait commencé à gigoter sur sa chaise et à cacher ses mains dans les manches de son pull – alors il se devait de faire quelque chose.
Et rien que voir l'expression prétentieuse sur le visage dudit Minho être remplacée par un froncement de sourcil agacé le fait sourire intérieurement.

— T'es qui toi? rétorque-t-il d'une manière qu'il pense sûrement menaçante, mais qui n'impressionne en rien le noiraud.

— Jeon Jungkook. J'aimerais pouvoir dire « ravi de te rencontrer » mais ce n'est pas vraiment le cas.

Jungkook lui offre un sourire si faux qu'il s'en esclaffe intérieurement. Néanmoins, Minho ne semble pas apprécier de se faire ridiculiser de cette manière, et probablement encore moins devant la personne qu'il convoite, puisqu'il semble être piqué à vif. Il se penche davantage sur sa chaise afin de se rapprocher de lui, poings serrés en frustration.

— Écoute mec, je sais pas qui t'es mais clairement j'en ai rien à foutre. T'as rien à voir dans cette histoire donc viens pas chercher la merde.

Le noiraud se mord la lippe pour retenir un rire amusé – attention, le méchant chien attaque, ça fait peur. Il s'apprête à répliquer lorsqu'une main délicate se pose sur sa cuisse, et il se tourne vers Taehyung en le questionnant du regard, fixant d'abord les longs doigts posés sur son jean, puis le visage exquis de l'étudiant à ses côtés, qui lui sourit doucement.

— Laisse, Jungkook, ça n'en vaut pas la peine (puis il se tourne vers Minho, sans jamais retirer sa main). Écoute, je ne suis pas intéressé par ta proposition et j'aimerais bien que t'acceptes mon choix. Si tu continues à m'harceler, je vais-

— Monsieur Kim, je vous dérange peut-être?

La voix lourde du professeur résonne subitement dans l'amphithéâtre, grave et inquiétante, et les trois jeunes hommes se redressent précipitamment sur leurs sièges – Minho se retourne et s'assied correctement en quelques secondes à peine, feignant l'innocence.

Taehyung s'empresse de secouer la tête, les joues un peu rosées.

— Vous auriez peut-être l'amabilité de m'expliquer pourquoi vous faites autant de boucan depuis tout à l'heure, puisqu'on dirait que vous avez envie de parler?

Il pince les lèvres alors qu'un silence anormal remplit l'air pesant de la classe. Tous les regards sont sur lui et, même si Jungkook s'imagine qu'il en a l'habitude, il a l'air terriblement mal à l'aise. C'est compréhensible, ce professeur est réputé pour détester les bavardages et distribuer facilement des heures de colle à ceux qui dérangent de trop son cours ; de plus, la beauté de l'université est connue pour être un élève modèle – cette altercation ne colle pas à son l'image parfaite.

Et c'est peut-être ça qui le gène le plus, finalement.

Le noiraud observe Taehyung, inquiet, puis lance un regard mauvais à l'étudiant assis face à eux – celui qui a causé le problème mais qui semble bien heureux de ne pas en subir les répercussions.

— Excusez-moi, Monsieur, commence le châtain, je ne voulais pa-

Et là, c'est l'illumination. Une ampoule s'éclaire dans la tête de Jungkook, et il se souvient soudainement du chapitre d'un des nombreux livres de psychologie qu'il a lu.

C'est l'occasion idéale pour tester un certain principe.

— C'est de ma faute, intervient-il soudainement, la voix claire et posée, et le garçon au visage d'ange se tourne précipitamment vers lui, lèvres entrouvertes en surprise. Je posais une question à propos du cours et Taehyung ne faisait que m'expliquer. Je suis désolé.

— Hé bien vous n'aviez qu'à mieux écouter et suivre le cours, Monsieur Jeon. Levez la main si vous ne comprenez pas au lieu d'importuner vos camarades. Détention demain à dix-huit heures. Tâchez d'être silencieux, maintenant.

L'étudiant hoche la tête poliment alors que l'instituteur retourne à sa leçon

Le reste de l'heure se passe sans encombre : Taehyung et lui ne reparlent pas, ne voulant pas s'attirer les foudres du professeur de nouveau, mais le noiraud voit son voisin lui lancer des regards insistants. Il ne sait pas ce qu'il se passe dans la tête du châtain, mais il pourrait presque entendre ses pensées s'entrechoquer.

Ce n'est qu'après de longues et interminables minutes de cours que la sonnerie de libération retentit enfin, et il soupire de soulagement en rassemblant ses affaires. Il s'empresse de sortir de l'amphithéâtre, ne souhaitant pas se retrouver en tête à tête avec le prof, lorsqu'une main agrippe son pull pour le retenir.

C'est sans surprise qu'il se retrouve face à Taehyung et toute sa beauté – le jeune homme mordille l'intérieur de sa joue et un air si coupable se peint sur son visage qu'il a presque l'impression qu'il s'apprête à se faire plaquer.

— Pourquoi tu as fait ça? Demande-t-il à voix basse, sans aucune réelle raison pour le faire.

— Ce n'était pas à toi de te faire engueuler.

— Mais ce n'était pas à toi non plus.

Son haut blanc au col échancré tombe plus bas sur son épaule lorsqu'il commence à jouer avec l'ourlet de sa manche, et dévoile sans pudeur une de ses clavicules. Le noiraud louche dessus pendant quelques instants, se surprend même à penser que sa peau immaculée à l'air tout de même incroyablement suave.

Finalement, Jungkook hausse des épaules et sourit, d'un vrai sourire, de ceux qui montrent toutes ses dents et créent des petites rides près de ses yeux. Et à en juger par la lueur qui passe dans le regard de Taehyung, c'est un joli sourire.

— Pas grave, conclut-il simplement.

Il fait un petit signe de main jovial au joli garçon qui le lui rend plus ou moins – le pauvre a l'air réellement confus, c'en est presque comique – et lui tourne le dos pour s'éloigner, se mettant en route pour son prochain cours.

Deuxième étape : changement de plan, en cours.

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