09 | une fin de seconde

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INGRID EST POSTÉE devant l'écran, agitée et occupée à rafraîchir la page. APB. Ina a parfois l'impression que sa sœur perd chaque seconde un neurone à force de stresser. Nous sommes le 8 juin 2016 et à quelques semaines du BAC. Ingrid panique en silence depuis des mois.

Puis, soudain, la révélation.

—   Putain de merde. Oh putain de merde ! Oui ! Admise en première année de médecine. Je sais pas si je dois mourir de soulagement ou pleurer de douleur.

Ina sourit. Une réaction typiquement propre d'Ingrid. Maintenant qu'elle est prise, elle va enfin pouvoir stresser pour le BAC sans la pression du post-bac.

—   C'est où ? demande Ina.

—   Lille.

—   Oh, c'est loin.

—   Tranquille, y a juste à prendre le train.

En PACES, il y a très peu de chances qu'elle revoit sa sœur souvent. Elle prendra sa chambre de toute façon.

—   Je vais appeler Hugo et Sam', oh putain qu'est-ce que j'étais nerveuse !

La blonde s'éclipse et Ina se demande ce que ça va ressembler son quotidien sans sa sœur. La présence d'Ingrid est horripilante parfois, mais bizarrement, elles ont toujours été plus ou moins proches. L'idée de la voir partir lui laisse un autre vide dans le cœur.

—   Alors ? interroge la petite sœur curieuse.

—   Hugo est en attente pour une grosse prépa parisienne et Sam' a été pris dans son deuxième choix à Lyon.

—   Tu stresses pour Hugo ?

—   Grave, admet sa sœur en se rasseyant.

Elle s'étale sur le canapé, se frotte les yeux et ressort son portable sans attendre.

—   Faut que je prévienne papa et maman.

Premier appel pour le père. Ina entend l'éclat de rire de sa sœur. Ça lui fait un certain pincement au cœur. C'est étrange. Elle l'a pardonné si vite. Peut-être parce qu'elle quitte la maison et qu'elle ne le reverra pas souvent. Mais tout de même, Ina se sent trahie dans ce silence et son mutisme.

Ensuite, elle enchaîne avec leur mère. Son ton est plus doux, plus sobre. C'est plus bref. En tout cas, Ingrid resplendit. Elle est fière d'elle.

—   Tu vas vivre où et comment ? questionne Ina en levant la tête.

—   Dans une coloc', j'avais déjà fait mes recherches. Et pour le fric, papa est d'accord pour m'aider, mais je vais bosser cet été, informe Ingrid.

D'une certaine manière, elle ne reconnaît plus sa sœur. Il n'y a plus rien de la jeune fille perdue dans sa petite tour en or qui arrivait en retard en début d'année. C'est une femme prête à l'aventure désormais.

—   Je stresse. Bon dieu !

Elle en tremble.

—   Tu te rends compte Ina ? Je pars ! C'est vraiment flippant.

—   T'as pas peur ?

—   J'sais pas. C'est juste que... c'est un premier pas dans le monde tu sais. Mon objectif c'est d'être médecin, de soigner des gens, et... d'un coup y a ce premier pas vers mon rêve. Le truc, c'est que c'est pas simple et ça me fout la mort avec toute cette légende réelle sur la PACES. Mais putain, qu'est-ce que j'ai hâte en même temps. Fin je sais pas, c'est indescriptible. C'est juste que j'ai fait un premier choix qui dicte ma vie future et il va m'emmener quelque part si je bosse pour de bon.

Ingrid a une expression nostalgique.

—   Je pense que j'ai besoin de ça pour grandir. Partir, vivre ma vie, être responsable de moi-même. Je pense que c'est nécessaire pour moi.

La blonde a toujours été dans son cocon. Et là, la jeter dans l'inconnu impressionne énormément Ina. Peut-être qu'elle aura un jour ce sentiment à dix-huit ans, de recherche du renouveau, d'exaltation à l'idée de grandir. Mais Ingrid et elle sont si différentes. Il se peut très bien qu'Ina soit plutôt du genre à se braquer face au futur et rêver du passé au présent. Pour l'instant, elle ne sait pas ce que ça fait d'avoir l'âge de sa sœur aînée. Et elle ne sait pas vraiment si elle a envie de le savoir tout de suite, baignant encore dans une certaine insouciance.

—   Bon, maintenant faut que j'aille réviser. C'est pas tout ça mais y a le BAC, se rappelle Ingrid en se relevant.

Ina observe la silhouette de sa sœur. C'est comme une disparition. Au fond, elle a peur de la perdre. Mais la voir grandir, s'épanouir la rend plus que rassurée.

Elle ne lui souhaite que le meilleur.

***

MÉLISSA EST EN COUPLE. Elle s'est mise avec Théodore après un mois de flirt incessant. Ina avait oublié son existence avant de se souvenir de Mathilde, meilleure amie du garçon. La grande blonde en seconde est ingrate avec Ina, sans raison.

Et même si Mélissa a l'air épanouie avec son beau brun, Ina n'arrive pas à traîner trop longtemps avec ce groupe d'amis.

—   On fête la fin d'année demain soir chez moi, tu viens ? propose Théodore à Ina.

Il joue avec les cheveux de Mél' pendant que la brune tient la chandelle.

—   Je verrai, répond Ina.

—   Si tu veux, on peut passer et on fait un truc entre nous chez toi, propose Mél' juste après que Théodore soit parti rejoindre des potes.

Ina observe sa meilleure amie. Elle a maigri. Mais elle ne sait pas si elle doit s'inquiéter, car celle-ci mange bien à sa faim ces derniers temps. Il y a quelques mois, elle et Mél' étaient en froid. Les tensions se sont apaisées rapidement mais superficiellement. Mélissa n'a jamais voulu reparler de ça et Ina n'a pas osé aborder le sujet, par peur d'effriter leur amitié.

—   On va avoir les résultats du conseil de classe tout à l'heure. Tu stresses ?

—   Un peu, avoue Ina.

Elle a pris L. Mélissa, S.

—   Je suis fière de nous, remarque Mél'.

Ina aussi.

Elles se sourient sincèrement puis, Ina sent des mains se poser sur ses hanches. Elle se retourne et sourit face à Edgar.

—   Hey...

—   Hey, murmure-t-elle le souffle coupé.

—   J'ai encore cours, tu m'attends à la sortie ce soir ? demande-t-il en lui adressant un sourire.

Ina acquiesce. Elle est en seconde et c'est la fin de l'année. Elle est tellement tranquille qu'elle peut faire ce qu'elle veut de ses journées désormais. Les cours se terminent la semaine prochaine. Après ça, Ina sera enfin en vacances.

—   J'y vais, annonce-t-il sans oublier de lui faire un bisou sur la joue dans la cour.

Tout son corps est attendri par ce geste. Sa présence lui réchauffe toujours autant le cœur.

—   Je peux te poser une question ? demande Mélissa avec un regard malicieux.

Ina s'inquiète.

—   Oui... ?

—   Ça fait combien de temps que vous êtes ensemble ?

Ina voit le sujet arriver droit dans sa face. C'est Mél' après tout, elle peut se confier.

—   Six mois.

—   Et vous... l'avez fait ?

La brune ose à peine regarder sa meilleure amie. Elle est tellement pudique sur sa relation avec Edgar parfois que ça la dépasse.

—   Oui...

Mélissa affiche un grand sourire.

—   Quand ?

—   Y a deux semaines, avoue finalement Ina, la bouche en feu.

Ils étaient dans la chambre d'Edgar, comme d'habitude en train de se raconter leur vie. Ina, ce jour-là, était remplie d'un désir charnel très fort. C'était nouveau ces derniers temps. Elle l'a embrassé, les différentes marches ont très vite été escaladées et ils l'ont fait.

—   Vous... avez fait les prélis avant ?

Ina aimerait se cacher le visage. Elle est rouge écarlate.

—   Euh ouais...

—   Je suis un peu envahissante non ?

—   Non c'est juste que j'ai pas l'habitude de parler de ça.

Les mots sont difficiles à entendre pour Ina. Tout a une connotation... grossière. Pourtant, ça n'a rien de grossier. Juste d'érotique. C'est un moment de communion intense entre deux êtres, de partage et de plaisir.

—   T'as aimé ?

Difficile à dire. C'est compliqué pour Ina de décrire ce qu'elle a ressenti. Ça lui a fait très mal physiquement. C'était douloureux, peu agréable en soit et trop idéalisé. Mais, ce n'est que la facette noire et sombre de cet acte. Pour Ina, c'est surtout le moment précis où elle lui a dévoilé son corps qui restera gravé dans sa mémoire. Lui aussi a montré le sien. Plus de barrières. Plus rien.

Face à son absence de réponse, Mél' demande une ultime fois :

—   Vous étiez tous les deux consentants, rassure-moi.

—   Oh oui, bien sûr.

C'était doux comme instant quand il s'est approché de son oreille pour lui poser la question. « T'es sûre ? » avait-il susurré. « Oui » avait-elle répondu. « Et toi ? » avait-t-elle demandé juste après. Il était sûr, lui aussi.

—   Bon, j'arrête de t'embêter, je suis contente pour toi, lâche Mélissa avec un sourire bienveillant.

Ina aussi est contente au fond. Même si ça avait été douloureux, ce qu'elle retient c'est qu'elle a été heureuse d'avoir grandi avec Edgar lors de sa première fois.

***

LA SOIRÉE BAT SON PLEIN. Ina peut l'avouer, Théodore organise de bonnes soirées. Les gens s'amusent et la brune trouve même un peu de réconfort en voyant Mélissa danser avec son copain en riant.

Ina est debout sur la terrasse, en train d'attendre la réponse d'Edgar à son message. Il ne pourra pas venir ce soir. Ni Issa. Quant à Élise, elles se sont perdues de vue.

« Ina ? On peut dormir chez Théo' ce soir ? Ça te dérange pas ? » dit le message de son amie.

Mélissa a totalement zappé l'after chez Ina. Elle ne lui en veut pas, elle a l'air contente d'être là.

—   Ah c'est toi, lance une voix en débarquant sur la terrasse.

C'est Mathilde. Elle s'allume une clope et la fume devant Ina. En soirée, la brune se permet de fumer, mais tout de même, voir quelqu'un le faire devant elle lui donne envie de fumer ses roulées.

—   T'es sûre que tu t'amuses ? demande Mathilde.

Ina acquiesce. Un blanc s'installe petit à petit. Mais Ina aime bien le silence, alors elle ne dit rien pour le rompre.

—   Excuse-moi pour la dernière fois, en début d'année, j'ai pas été cool avec toi, lance soudain Mathilde.

Ina se tourne vers elle, surprise.

—   Oh. C'est pas grave, j'avais oublié.

—   C'est juste que je te trouvais hyper froide et hautaine. Du genre à mal regarder un peu tout le monde. Et avec ta sœur et ses potes en plus qui sont un peu les fraîcheurs de notre lycée pourri, je pensais que ça te montait à la tête.

Mathilde est un peu bourrée. Les mots sortent de sa bouche tellement lucidement qu'Ina comprend vite que tout ce qu'elle dit relève réellement de sa vision du monde.

—   Tu m'as très vite jugée, réplique Ina.

—   J'ai juste été désagréable vite fait, répond la blonde en riant légèrement.

Ina trouve qu'elle lui ressemble beaucoup finalement. Dans sa manière de penser, d'analyser les autres et d'agir. Même si elle ne sait pas si elle l'apprécie vraiment.

—   Il est beau ton mec, remarque Mathilde en voyant le fond d'écran d'Ina.

Edgar sourit sur la photo, les yeux océan perçants. Elle l'avait prise en secret, quand il lui racontait quelque chose sur sa journée.

—   Oh... oui, il est beau, avoue-t-elle en rougissant.

—   Il est sorti avec Pénélope non ? C'est Edgar Reybaud ?

Pourquoi est-ce que tout le monde connaît tout le monde dans ce foutu lycée ?

—   Fais gaffe alors, souffle Mathilde.

Hein ?

—   Ils partent en vacances ensemble non ? Y a ma pote Clara qui les connaît et qui part en vacs avec toute leur bande de potes. Je crois que son ex est encore un peu sur lui finalement. De meuf à meuf, je te le dis, fais gaffe à Pénélope, elle est fourbe.

Son ventre se noue et Ina l'écoute à moitié. Elle sait qu'il part en vacances avec elle et leurs potes pendant une semaine. Mais elle lui fait confiance. C'est juste que c'est vrai que ça fait peur finalement, étant donné qu'elle ne fait pas confiance à cette autre fille.

—   Je te préviens juste hein. Mais t'es pas obligée de m'écouter.

Mathilde finit sa clope et repart. Sur la terrasse, Ina reçoit le message d'Edgar. Il lui a envoyé un « Bonne nuit » avec un cœur rouge. C'est tellement cliché et banal que ça la touche.

***

INA EST RENTRÉE plus tôt, pour parler à sa sœur de ses inquiétudes. La blonde est en train de se faire un masque avec Hugo et Samuel. Leur père est sorti dîner ce soir. Ina a vite compris qu'il voyait quelqu'un.

—   Oh Ina, tu rentres tôt. T'étais pas en soirée ? demande sa sœur en l'invitant à s'asseoir sur son lit.

Dans le miroir, elle remarque que son mascara a un peu coulé. Elle pique un coton et de l'eau micellaire, puis se démaquille.

—   Si, mais j'étais un peu fatiguée.

—   On fait soirée cocooning ce soir, informe-t-elle en souriant.

Les garçons posent du vernis sur ses orteils et cette image fait rire Ina. Ils sont adorables avec sa sœur.

—   Bon, qu'est-ce qui t'amènes ?

—   Rien, je te raconterai après.

À la place, elle écoute les garçons et Ingrid se chamailler. Elle croise un instant le regard de Samuel et une certaine nostalgie la submerge. Elle a beaucoup changé depuis son crush pour lui en début d'année. Elle n'est plus la même personne au fond.

Il y a encore une certaine alchimie entre eux deux, mais Ina ne l'aime plus comme auparavant. Quand elle y repense, ça lui donne quelques vertiges. Parce que c'était fort, mais pas la même force qu'avec Edgar.

Avec Edgar, tout s'est construit, et à chaque étape, elle est de plus en plus heureuse et épanouie. Elle ne se lasse pas. Elle tombe amoureuse sans problèmes. C'est fluide, c'est vrai, c'est beau d'après elle.

Avec Samuel, tout est venu après un premier baiser. C'était rapide, étrange, brusque mais intense. Elle l'a beaucoup aimé, comme on aime pour la première fois. Et elle a beaucoup souffert, comme on souffre d'un premier cœur brisé durant l'adolescence.

—   T'as eu quoi pour tes seize ans ? demande Hugo.

Elle a eu seize ans en avril dernier. On l'a gâtée.

—   De ma famille, des places de concert et un manteau archi beau. Mélissa m'invite dans sa maison de vacances au bord de la mer cet été. Issa m'a passé une coque avec des photos fichas de nous. Et...

—   Edgar ? rappelle Ingrid.

—   Un attrape-rêves.

Ils hochent tous la tête. Samuel prend la parole :

—   Et ta seconde sinon ?

Ina ferme les yeux un instant, se remémorant tous les événements agréables et tristes de cette année. Elle a seize ans maintenant, comme dans ses rêves d'enfant.

—   Compliqué mais plutôt bien, vraiment.

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