VI. Mad Hatter

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La foule se presse, lasse ou paniquée, dans les rames bondées du métro londonien. Les corps se bousculent, les esprits se heurtent, les voix se croisent. On croirait entendre un même écho de brouhaha se répercuter contre chaque quai, comme un même message porté par une foule unanime. Pourtant les tons sont variés et les timbres multiples ; mais compressées de la sorte, les exclamations sont indistinctes et ce n'est plus qu'un seul monstre grondant que l'on ne perçoit.

La cohue compacte me porte en son sein, et je me laisse flotter, portée par la vague dont je ne comprends pas toujours les remous. Que cri cet homme à son téléphone, qu'il a vissé sur son l'oreille sans être inquiété du mouvement général ? Que peut donc bien promettre cette femme à son fils lorsque le visage de ce dernier se fend d'un si large sourire ? Je n'en sais rien, mais je m'en moque. Ce n'est même pas la barrière de la langue qui freine mon écoute, ce ballet j'y ai déjà participé bien souvent à Toulouse, sans plus de clarté.

De toute façon, j'essaie de m'en échapper. Mes écouteurs enfoncés dans mes oreilles balancent à mon cerveau groggy les notes rythmées de la dernière musique des Once Upon A Song. J'ai beau n'y prêter que peu d'attention, mon attitude du matin ne permettant guère plus, je saurais en réciter les vers par cœur ; c'est ma chanson préférée du moment.

La voix de Merry, la chanteuse, éclate sur la cadence musicale que martèle ce groupe extraordinaire. Je n'arrive pas à considérer leur art comme de la musique ; c'est bien au-dessus, et aucun mot n'est assez fort pour le retranscrire. Toutefois, puisque je dois avoir éveillé votre curiosité avec ce morceau si particulier, je vais essayer de me prêter à l'exercice.

Les "Once Upon A Song" - abrégé en "OUAS" par les fans - sont un groupe de musique qui ne date pas d'hier mais qui a commencé à se faire connaître assez récemment. Ses membres l'ont formé alors qu'ils étaient encore au Lycée, ils sont donc très proches et leur complicité se ressent sur scène. Chacun semble indispensable à leur équilibre ; ils y occupent tous une place importante, comme des pièces de puzzle qui ne pourraient former un tout que lorsqu'elles sont assemblées.

Nous avons donc : Merry, la chanteuse extravertie aux cheveux colorés et à la voix incroyable, qui crie son énergie pour l'envoyer directement dans le cœur du public. Zack, son petit-ami il me semble, un guitariste exceptionnel qui n'a pas froid aux yeux. Angie, la bassiste, une poupée de porcelaine qui n'en a bien que l'apparence. Elian, le taciturne pianiste, qui apporte un peu de calme au chaos et qui lui confère une touche de mystère. Et pour finir, Noah, l'extravagant batteur, également auteur-compositeur et frère jumeau de Elian. Le contraste qu'ils offrent rien qu'à eux deux est saisissant et ne fait qu'ajouter encore à la particularité de ce groupe.

Plus que des musiciens hors-pairs, ce sont des amis de longue date, réunis depuis des années autour de leur passion commune et de chansons joyeuses qui donnent de l'espoir. Ils utilisent les contes de fée de notre enfance pour dépeindre le quotidien, les malheurs de chacun, les leurs aussi, avant de conclure sur un Happy End que tout peut s'arranger si on y croit. Et comble du bonheur pour moi, qui ait plus que jamais besoin de leur bonne humeur : ils sont français et chantent donc dans la langue de Molière !

Si la musique est un langage en soit, et que chacun peut percevoir le cœur de cet organisme sans même être francophone, je me sens privilégiée, au milieu de tous ces anglais, à pouvoir comprendre pleinement le sens profond de leurs morceaux. Ce n'est rien qu'une touche de magie supplémentaire, finalement, mais cela me suffit. En les écoutant, je peux me croire revenue dans le métro toulousain, je peux oublier les mots qui me heurtent sans que je ne puisse les saisir, je peux m'imaginer que c'est l'habituel brouhaha que je n'aurais qu'à tendre l'oreille pour comprendre. Parce que je ne le ferai pas, et n'aurais donc pas l'occasion de me tirer de ce petit rêve égoïste.

La petite voix mécanique de la rame n'est pas de cet avis, et n'a aucun scrupule à me sortir de ma léthargie bienheureuse. Elle me rappelle durement à la réalité, cette même réalité où je ne sais rien de l'endroit où je me trouve, où je ne parle pas comme elle, comme ceux qui m'entourent, et où je dois retrouver d'ici dix minutes des gens que je connais à peine dans un lieu dont l'adresse m'échappe encore.

"Mais si, tu verra, c'est très simple !" m'avait promis Joy. "Tu sors à Oxford Circus, tu longe le boulevard puis tu tourne sur Conduit Street et tu t'arrête devant le Starbucks ; easy !". Ouais, ouais. Ben c'est pas pour rien que "easy" n'est pas français, je crois.

Il m'a fallut vingt bonnes minutes pour trouver la bonne station, la bonne ligne et la bonne rame, alors me déplacer dans les rues bondées de la capitale ? Autant me jeter dans la Tamise tout de suite, j'aurais plus de chance qu'elle me dépose au bon endroit.

Alors que je commence sérieusement à envisager cette option, je sens une main s'abattre sur mon épaule et m'extraire brutalement de la foule.

- Besoin d'un guide, mademoiselle ? sussure en français une voix douce à mon oreille, avec un fort accent britannique.

Je me retourne d'un coup sous l'effet de la surprise, avant de me détendre en reconnaissant mon interlocuteur.

- Heathcliff ! Tu m'a fait peur, je lui reproche, néanmoins soulagée.

A-t-il appris cette phrase par cœur rien que pour me la sortir aujourd'hui ? De ce que j'en sais, personne de ma classe ne parle couramment français. Gillian doit bien avoir un début de vocabulaire, je pense, sa langue natale étant également de racine latine, mais cela ne doit pas dépasser le "bonjour / au revoir / merci" qu'on peut lire dans certains bouquins.

- Tu peux me nommer par mon diminutif, tu sais, me semble-t-il comprendre au travers du tumulte qui agite la foule. Heath. Heathcliff, c'est trop formel, ça crée des écarts fort peu élégants.

- D'accord... Heath, donc. Qu'est-ce que tu fais là ?

- Je t'escorte, Milady ! Il semblerait que tu ai besoin d'aide pour te diriger en ville, fait-il avec un clin d'œil. J'ai tenté, bien vainement, d'expliquer à Gill que tu ne pouvais pas deviner où se trouve notre Starbucks; elle m'a assuré qu'il n'y aurait aucune difficulté. Elle a la fâcheuse manie d'oublier que tout le monde ne s'habitue pas aussi vite qu'elle à un changement d'horizon. Alors je suis venu voir où tes pas t'avaient mené et leur apporter mon concours !

Je souris, touchée par sa délicate intention. Je ne suis pas sûre d'avoir tout compris à sa tirade, c'est plus une interprétation personnelle des quelques mots que j'ai reconnus, mais je suis satisfaite de me rendre compte que si mon oral laisse toujours à désirer, ma compréhension de l'anglais n'est pas si catastrophique qu'il me semblait. Puis le sens de ses propos atteint pleinement mon cerveau.

- Gillian déménage souvent ?

- Eh bien, avant de venir demeurer à Londres, elle a séjourné à Venise, Berlin, Madrid et Dublin, énumère mon camarade en comptant ses doigts. Ses parents sont souvent sujets aux mutations, explique-t-il devant ma mine ahurie.

Je me sens soudain coupable. Depuis que mon père nous a apprit notre installation en Angleterre, je n'ai cessé de me plaindre et de me lamenter sur mon sort, alors qu'à côté, Gillian a essuyé quatre déménagements consécutifs sans se départir de son sourire. D'où tire-t-elle sa force et sa bonne humeur ? Il faudra que j'essaie de discuter avec elle.

- Alors ! Sommes-nous condamnés à passer la journée ici, sous les assauts répétés des délicatesses relatives et des pieds assassins, où me permet-tu te t'emmener auprès des autres ?

La voix de Heath me rappelle à l'ordre. Je hoche la tête, puis le suis au travers du dédale tordu offert par les bousculades alentours.

Une minute plus tard, nous émergeons de la station et je peux enfin souffler un bon coup. Je dois l'admettre, sans mon "guide" je n'aurais sans doute même pas réussi à remonter à la surface, je lui suis donc d'autant plus reconnaissante d'être venu me chercher.

- Merci, je lui glisse alors que nous nous engageons sur Regent Street.

- Tout le plaisir est pour moi, Milady.

Encore ce surnom. J'ai comme l'impression qu'il a quelque chose de définitif et que rien de ce que je pourrai dire à Heath à ce sujet ne l'empêchera de m'appeller ainsi. Qu'importe, il n'est pas si désagréable. Et après tout, il s'agit peut-être même d'un exemple de la culture anglaise.

Quand bien même cet aspect de notre relation serait habituel, Heathcliff est singulier. Évidemment, au milieu de toute la bizarrerie de ma classe, son étrangeté est finalement la norme, mais pour moi qui suis encore une personne "normale", il reste intrigant. De nos jours, peu d'adolescents s'habillent à la mode victorienne ou emploient le soutenu et ses dérivés à l'oral. Ce garçon chapeauté est à l'image des princes charmants de conte : mystérieux et attentionné. Tout chez lui est propice à la réflexion ; ses yeux vairons qui semblent vous lire d'un seul regard, sa voix de velour aux accents de noblesse, son mini haut-de-forme à la rose qui ne semble pas le quitter. Ce gars, comme Chess, et probablement comme chacun de mes camarades, est une énigme à lui tout seul.

Comme prédit par Gillian, nous finissons par quitter le boulevard pour suivre l'angle de Conduit Street, où nous marchons encore sur quelques mètres avant que Heath ne me pousse à l'intérieur d'un café à l'allure chaleureuse.

Alors que je passe le seuil vitré, je comprends immédiatement pourquoi la classe a choisi ce Starbucks en particulier. Partout, de moelleux fauteuils entourents les petites tables en bois croulantes sous les boissons et gâteaux. Il y a peu de monde ; les discussions semblent aller bon train mais aucun bruit parasite ne vient gâcher cette ambiance calfeutrée. C'est l'endroit idéal pour se réunir après les cours.

La lumière est tamisée, la pièce paraîtrait presque sombre et étriqué du fait de sa charge en sièges ; mais cela ne fait que contribuer au charme de l'endroit. On pourrait se croire dans une taverne d'héroic fantasy, où dans le salon lambrissé d'une grand-mère affectueuse. Je m'attends presque à voir un chat se frotter contre mes jambes en ronronnant.

En tout cas, après la chaleur moite de fin d'été, la clim légère du café est des plus agréables. La "Starbucks Party" s'annonce plutôt sympa.

Une douce chaleur me dénoue l'estomac, tandis que je m'avance vers un groupe logé dans un coin de la salle. En nous entendant approcher, Chess lève les yeux et m'adresse encore son énigmatique sourire.

- Alice ! Heath ! On a faillit vous attendre. Heureusement pour vous, c'est toujours l'heure du Starbucks...

* ℑ *

Hey hey hey !

C'est tout pour aujourd'hui ! Voici donc le personnage de Heathcliff Chatterton, ou Chapelier Fou 2.0 ! Encore une fois, son nom ressemble à "Hatter", c'est de là qu'il vient.
Vouc avez certainement remarqué les "Once Upon A Song" ; il s'agit bien sûr du groupe de Merry dans "Wake Up, Sleeping Beauty !" par Crimslow ! On les retrouve ici, adultes et lancés dans la musique. Ils sont alors connus jusqu'en Angleterre. Bien plus tard dans l'histoire, il y aura un chapitre écrit en collaboration avec Crimslow, que je remercie encore d'avoir adopté l'idée. Mais vous verrez bien.
Pour info : le Starbucks évoqué dans le chapitre existe réellement. J'ai cherché un vrai Starbucks à Londres qui serait approprié pour les personnages, celui-ci est décrit comme "agréable pour les groupes". Et est situé à proximité d'un Hamleys et d'autres boutiques. J'ai vu des photos donc je pourrai même le décrire. Tout ça pour dire que dans les coulisses d'une histoire, il y a des recherches parfois improbables... J'vous raconte même pas toutes les cartes que j'ai dressées et toutes les frises chronologiques que j'ai définies pour écrire Mad Queen sans faux raccords !
Les premiers éléments d'histoire à proprement parler arrivent dans le prochain chapitre - qui ne sera donc pas consacré à un personnage, vous devrez attendre un peu pour découvrir Gill.
Dans le chapitre de demain, vous découvrirez le nouveau "Tea Time" de nos lycéens !
P.S. : pour ceux qui n'auraient pas reconnu, la dernière phrase du chapitre est un clin d'œil à une réplique de "Alice's adventures in Wonderland", soit le bouquin original : "It's always Tea Time", traduit par "C'est toujours l'heure du thé". Il s'agit originalement d'une réplique du Chapelier Fou, je crois, mais puisqu'il est ici directement concerné, j'ai changé !
MàJ : pour moi la rentrée s'est plutôt bien passée, je suis dans la classe de mes amies et les profs ont l'air plutôt cool. Et vous ? Comment s'est passée vôtre journée ?
Chapitre dédié à la grande tarée, l'alien, l'alcoolo au Champomy, la dompteuse de tigres, l'amoureuse transie !

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