7) Aurélien

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Aurélien, Ponce, le roi des fleurs, il a échoppé de nombreux surnoms au cours de ses pérégrinations. Écumant les festivals et dormant dans sa voiture, rarement posé dans un appart' avec une situation stable, souvent seul mais quelques fois accompagné. Il a vécu mille vies, ne s'en souvenant pas toujours. Il a même été prof, un an à peine, dans le sud de la France. Était-ce avant ou après avoir été barista en Espagne déjà ? Il ne se souvient plus bien. Il a rénové un van, vécu dedans six mois, le temps d'un road trip sur la côte Est. Il l'a revendu à un couple de filles qu'il a connu le temps d'une rave party, ou peut-être deux. Prix d'amis, juste de quoi se payer le billet retour et avoir une poignée de loyers de côté, le temps de trouver un taf' pour quelques mois.

Il était sur Paris depuis trois ans maintenant, par intermittence. Il a croisé celle qu'il appelle Baghera, la panthère, à une soirée dont il ne garde pas beaucoup de souvenir, si ce n'est que le lendemain il la rejoignait pour une autre. C'est là qu'il a fait la connaissance d'Horty, de Lise et de Quentin. Il avait bien sympathisé avec Lise, couché avec Quentin. Recommencé une ou deux fois. Découvert qu'il connaissait Rayenne, qui sortait avec le coloc' du meilleur pote de Quentin. Ou une histoire du genre. S'était émerveillé de la connexion, multitude d'étoiles perdues dans la Voie lactée, mais parfois regroupées par une constellation. Il était poète, ce matin.

Perdu dans des souvenirs flous, il en oublie la situation présente. Sa mémoire de la nuit passée est embrumée, et il est presque étonné en entendant le grommellement ensommeillé issu du corps partageant son lit. À tâtons, il récupère ses lunettes sur la table de chevet derrière lui. Son regard glisse sur la silhouette dénudée, qui finit par redresser vers lui une face chiffonnée, les yeux encore plein de sommeil. Un large bâillement que son vis-à-vis cache vaguement du dos de sa main, un regard un peu plus lucide, un peu plus conscient de la situation que le sien ne doit l'être. Il a le sentiment absurde que le gars en face est lié à l'Espagne, mais il n'arrive pas à dire pourquoi. Est-ce en lien avec la veille ? L'a-t-il déjà croisé à Barcelone ? Il n'en a aucune idée, le silence s'éternise un peu trop. L'inconnu lui adresse un sourire qui lui évoque une pub pour dentifrice, et malgré l'instant de flottement un peu gênant il n'a pas de regret par rapport à leurs activités de la veille. Il glisse une main sur sa joue, le long d'une barbe bien taillée, et vient lui ravir ses lèvres nonchalamment.

« Salut beau brun... J'ai peur de paraître impoli, mais tu pourrais me rappeler ton nom ? »

Ça tire un sourire un peu vague, un peu moqueur, un peu triste à PA. Leurs lèvres sont à peine espacées, leurs souffles emmêlés. Il en joue, l'embrasse à son tour avec cette paresse indolente.

« Tu as décide de m'appeler Domingo, et j'te propose que ça reste ainsi...
— L'ami d'un dimanche en Espagne, c'est ça ? Ou l'amant... Nan, je crois que c'était la première fois qu'on couchait ensemble. Mm...
— Besoin d'aide pour te, hm, rafraîchir la mémoire ? »

Une main, timide puis enhardie, s'est glissée le long de son torse. Elle a suivi une ligne de poils sombres sur le bas ventre, le long du léger creux entre des abdominaux qu'elle devine jouant sous ses doigts. L'amant du dimanche lui adresse un sourire sulfureux avant de se glisser sous les draps, et leurs gémissements étouffés dérangeront sûrement encore un peu la puritaine voisine.

Quand Aurélien y pense, en se rendant à la boulangerie au coin de la rue, un sourire joue sur ses lèvres. La petite bourge un peu trop coincée, un peu réac et homophobe sur les bords avec laquelle il partage un pallier l'énerve doucement avec ses regards emplis d'un jugement à peine caché dès qu'ils se croisent. Il ne culpabilise pas pour un sou s'il l'a dérangée, il s'en réjouit même un peu.

C'est un dimanche matin gris dans une capitale de la même couleur, l'air est humide sans être lourd, le pavé délavé par la pluie qui est tombée dans la nuit. C'est une de ses matinées presque fraîches, de celles qui signent la fin d'un été trop chaud. Il fuira peut-être l'allonger dans un pays un peu plus au sud, au-dessus ou au-dessous de la Méditerranée il n'y a pas encore réfléchi. Sifflotant presque, il ouvre la vieille et lourde porte de son immeuble.

Remonter les étages avec son paquet de viennoiseries sous le bras, il étouffe un rire quand il la croise qui sort de son appartement. C'est elle, cette voisine trop froide, trop pincée, trop blonde. Il lui adresse un sourire et un bonjour trop poli, elle lui lance un regard énervé et une réponse un peu trop crispée.

Il rit franchement quand il entre dans l'appartement où celui qu'il prénomme Domingo l'attend assis dans la cuisine, une tasse de café à la main. Il est beau, avec sa barbe bien taillée et sa coupe de magazine, son sourire presque trop blanc. Il dépose les viennoiseries sur le plan de travail et un baiser sur ses lèvres, avant de lui ravir sa tasse et d'y plonger les siennes. Il a revêtu son jean et sa chemise — froissée — de la veille, il marche pieds nus sur le parquet qui grince. Il fait une deuxième tasse de café, peut-être encore pour lui, après tout il lui a laissé la sienne.

Ils déjeunent sans plus échanger que des banalités mais pas leurs coordonnées, se quittent avec un sourire mais sans promesse, et bientôt l'amant d'un dimanche disparaît au coin de la rue.

Il est allé courir sur les rives de Seine, arrivant un peu en retard et échevelé, ayant à peine eu le temps de passer se changer. Mais ça, Aurélien ne le sait pas.

Il est tôt, trop pour aller travailler. Pourtant, il n'a pas envie de rester chez lui, alors il ressort. Ne croise pas la voisine, s'allume une clope. Marche lentement dans les rues d'une capitale pressée, qui court sans jamais s'arrêter. Peut-être s'essouffle entre 4 et 5, avant l'aurore et les services du matin, mais après les fermetures des bars les plus tardifs. Il exhale son poison dans la pollution ambiante, goutte d'eau dans un océan goudronné. Il atteint un cyber et commande un café, son deuxième, il est tôt. Parce que dans cette capitale immense le monde est petit, c'est un homme barbu, aux cheveux longs sous son bonnet Zelda, qui l'accueille. Mais il ne le connaît pas, ou seulement de vue, pour les quelques fois où il est déjà venu. Il s'installe derrière un PC, ouvre WoW. Une heure passe, puis une deuxième. Il regarde les prix des trajets vers l'Espagne, il y retournerait bien. Ça fait presque un an qu'il bosse au McDonald's de Rivoli, il a besoin de changer d'air.

Peut-être qu'il pourrait proposer à l'amant d'un dimanche, après tout, il était espagnol non ? Ou pas, il ne se souvient plus vraiment. En ont-ils parlé la veille ? Déjà, son souvenir s'estompe, il n'a plus en tête qu'un sourire renversant et la sensation de ses mains sur lui. Des mains douées, s'il prend le temps d'y réfléchir. Il aurait dû prendre son numéro, il n'avait même pas un prénom.

Il finit par être l'heure, alors il sort et se dirige vers la rue de Rivoli. Se change, prend son poste. Les aiguilles tournent, les heures passent, rythmées par le régulier tic-tac d'une vieille horloge et les klaxons erratiques. Les heures se muent en jours, et les revoilà.

Comme si la première fois n'était qu'une répétition, même place même heure, ou un peu plus tôt sûrement. Des nuages cachent des étoiles que la pollution lumineuse rendait déjà invisibles quand il arrive au Stolly's, toujours une clope au bec. La panthère est déjà là, mais pas son urticante favorite. Antoine est là lui aussi, ça l'étonne quelque peu. Il avait rencontré l'homme il y a des années de ça, quand un été il avait été faire les vendanges bordelaises. Légèrement plus âgé, il coordonnait les saisonniers. Il était le fils des proprios, le nom du domaine lui évoquait un comté. Quelque chose qui sonnait comme Monte-Cristo, ou Montesquieu.

Ils s'étaient recroisés dans la capitale l'an passé, Antoine avait récupéré l'affaire familiale et était venu discuté d'un partenariat possible avec une chaîne de grande distribution. Et cette année ? Il ne se souvient plus précisément, mais ça fait un mois qu'il est remonté, toujours selon un motif commercial quelconque. Il pensait qu'il serait reparti. Alors, il est surpris. Mais une surprise agréable, et il rit en lui donnant l'accolade. Va commander une bière, et ne croise son regard qu'à ce moment là.

Assis en fond de salle, entouré d'une tablée bruyante et riante, l'amant d'un dimanche. Il lève légèrement sa bière à sa santé, boit une gorgée et lui adresse un de ses sourires trop blancs. Et puis il détourne son regard vers son voisin, semble ne plus lui prêter attention. Ils échangent quelques paroles, il se lève. Lui est toujours au comptoir, attendant une bière qui se fait attendre, il n'a pas détourné le regard. L'autre attrape une veste, se retourne une dernière fois pour crier par dessus le charivari ambiant : « Théo, ne touche pas à ma bière ! J'reviens dans deux minutes les gars. ». Et puis il est devant lui. Ses mains enfouies dans son bomber bleu marine. Un regard un peu joueur, un peu timide. L'ombre d'un sourire qui joue sur ses lèvres. On pose une Guiness sur le comptoir ; « Je vais payer pour lui. Vous m'en mettez une deuxième ? ». Un sourire un peu trop grand, il est servi presque immédiatement.

« On sort ? »

Et ils sont dehors, leur bière à la main, se regardant dans un silence par encore gênant mais au bord du précipice. Ils ne savent pas quoi se dire, ne se connaissent pas vraiment après tout.

« Alors, tu fais quoi dans la vie ? »

C'est une question qu'on pose, habituellement, et sur laquelle la plupart des gens ont des choses à dire. Lui serait bien en peine d'y donner une réponse, mais pour l'instant il se contente d'attendre celle de son vis-à-vis.

« Je suis directeur marketing, chez Axway. C'est prenant, mais l'ambiance est vraiment sympa. T'as pu voir une partie de la team à l'intérieur d'ailleurs, on se fait un petit afterwork. C'est important pour le team building et... 'Fin, ouais. Et toi, alors ? »

Il ne le regardait pas en posant sa question, préférant contempler sa bière qu'il faisait tourner dans son verre, comme hypnotisé. Kaléidoscope ambré.

« Actuellement, rien de bien passionnant. J'bosse à McDo à mi-temps, je complète avec un service dans un bar pas loin. De l'animation pendant les vacances scolaires, et certains mercredis quand ils ont besoin, pour dépanner. J'donne des cours particuliers aussi, en maths et parfois en physique.  J'aimerais reprendre le théâtre aussi, mais... Enfin, rien de bien passionnant comme je disais. »

L'autre rit doucement, le regard pétillant, vaguement moqueur, finalement tourné vers lui.

« Eh bien, j'imagine pas ce que c'est quand c'est passionnant !
— Vous me flattez, monsieur le directeur marketing. »

Ils se contemplent, sourires aux lèvres, silence paisible, nuit tiède. Une main se glisse sur une joue, le long d'une barbe bien taillée, des lèvres se cherchent indolemment, la main vient jouer dans des cheveux coiffés gentiment longs. Sa comparse ne lâche pas sa bière, cachée derrière une nuque, poignet cassé posé sur une épaule. Le brouhaha des conversations, un vieux rock étouffé, la fumée des cigarettes. Se séparer avec un sourire, boire une gorgée, reprendre contenance, ses esprits. Fixer des étoiles invisibles, ciel sombre gâché par la pollution lumineuse.

« Dis, de quoi tu rêves ?
— On est passé aux questions existentielles ? »

Petit sourire, soupire, haussement d'épaule. Il détaillait son profil, mais finalement PA aussi se tourne vers la contemplation du ciel.

« Je ne sais pas vraiment. J'ai l'impression d'être plutôt satisfait par ma vie, mon taff', mes amis... Peut-être voyager ? Un tour du monde. Ou un défi sportif, j'aime bien courir, le vélo aussi. J'dirais ça... Et toi, alors ?
— Difficile à dire... J'ai accompli la plupart de ceux que j'avais quand j'étais petit. J'ai beaucoup voyagé, vécu dans un van, j'ai fait une tournée avec mon groupe de musique. Visité tous les pays d'Europe, vécu en Espagne, en Allemagne, en Angleterre. J'ai parcouru l'Amérique du Sud en stop, certains soirs étaient plus galère que d'autres, mais c'était génial. J'aime beaucoup les jeux vidéo, j'ai été pro sur Mario Kart, commentateur aussi. J'ai fait les plus grands festivals des cinq continents. De quoi je rêve aujourd'hui ? C'est con, mais d'une petite soirée avec tous mes potes. Ceux qui sont là depuis le collège avec lesquels on n'arrive jamais à tous se réunir, dans ma Provence natale avec un petit Ricard. »

Il avait pris un accent avignonnais sur la fin de sa phrase, et la ponctue d'un rire doux. L'autre homme l'observe, attendri. Détaille les boucles brunes qui tombent sur le front, et presque jusqu'aux lunettes rondes, à la monture fine, qui cachent une paire d'yeux oscillant entre le brun doré et le vert feuille. Hazel. Un nez droit, une barbe discrète. Un sourire rêveur, simple, beau. Il reprend une gorgée de bière, puis relance la conversation. Les sujets légers, parfois absurdes, s'enchaînent. Ils partagent une passion amatrice pour le sport, et Aurélien peut être intarissable sur l'histoire du rock. À vrai dire, il a beaucoup à dire sur beaucoup de sujets.

À un moment, ils se sont assis sur le banc d'une table délaissée de la terrasse. Leurs épaules se touchent, PA parlent avec les mains et elles se frôlent, leurs yeux se cherchent, pétillent. Ils prennent une heure à finir leurs pintes, et quand ils rentrent PA ne retrouve pas sa bière. Aurélien rit alors que Théo, un collègue de PA, prétend n'y être pour rien. Son amant d'un dimanche lève les yeux au ciel avant de simplement récupérer la casquette qu'il avait laissé là, et puis ils ressortent dans la nuit. Sourires effrontés, effleurements gentillets, baisers volés.

Ils ne vont pas chez Aurélien cette fois. Ne se sont pas vraiment consulté à ce sujet, ont simplement commencé à marcher et presque inconsciemment, PA les a guidé jusque chez lui. Ils ont marché un moment, traversé les rues illuminées du premier arrondissement en pleine nuit, discuté sur les quais de Seine, flâné sur le pont Alexandre III. Il leur ouvre une lourde porte de bois vernie vert bouteille, pénètre dans un hall. Vole un baiser dans l'obscurité, puis tâtonne pour trouver l'interrupteur. Ils montent au cinquième en se dévorant les lèvres dans l'ascenseur, arrivant aussi essoufflés que s'ils avaient pris les escaliers.

PA s'éloigne avec un sourire mutin, déverrouille sa porte, accroche sa veste sur une patère dans l'entrée, retire ses chaussures sans défaire les lacets. Avec de grands yeux, Aurélien observe les lieux. La bouche qui s'entrouvre en un « o » muet, stupéfait. Parquet couleur de miel à bâton rompu, moulure au plafond, luminaire en fer sombre de style industriel réussissant l'exploit d'être aussi raffiné que moderne. Il retire ses chaussures, et en s'avançant vient s'enfoncer dans un tapis délicieusement épais en fourrure synthétique. L'appartement semble immense pour un homme seul sur Paris. En duplex avec le sixième et dernier étage, il donne également accès au toit terrasse où PA l'emmène sans plus lui laisser le temps d'admirer son environnement. Une première puis une seconde volée d'escaliers, et les voilà à nouveau en train de chercher les étoiles dans le ciel sombre.

Rapprocher deux transats, s'y installer. Discuter, s'embrasser, décider de partager un dernier verre, s'ouvrir une bouteille pour se retrouver bien obligés de la finir. Rire bêtement. « Ça te dérange si je fume ? », secouer la tête, s'allumer une clope, regard volé. Ils finissent inéluctablement par coucher ensemble, à une heure avancée de la nuit, mais ne remettent pas insatiablement le couvert comme lors de leur première nuit ensemble.

Au lieu de cela, ils se retrouvent encore à discuter en fixant le plafond. Leurs échanges sont de plus en plus abscons, confus, mais intarissables. Quand six heures arrivent et que les doigts de roses de l'Aurore viennent les chatouiller, leurs paupières sont lourdes et papillonnantes, mais pas closes. Ils partagent un soupir exaspéré, puis un rire fatigué, communicatif, teinté de la folie des nuits sans sommeil mais heureuses. Ils s'embrassent encore, nus, partagent une douche italienne dans une salle de bain en grès clair, puis un petit déjeuner dans la cuisine américaine. Et puis, d'autorité, PA lui prend son téléphone, lui fait déverrouiller puis y entre son contact. Envoie un message à « Domingo », puis sourit satisfait.

« Je dois y aller, mais tu m'appelles, promis ? Et puis, si ton idée de retourner en Espagne se concrétise... J'n'ai pas encore pris mes vacances cette année, alors, si jamais ça te tentait... 'Fin, sans vouloir m'imposer, évidemment, mais...

— Je te ferai signe. Promis. »

Sourires échangés, vestes enfilées, escaliers décalés, et les voilà qui s'éloignent dans les lueurs du petit jour.

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