Mon visage écrasé contre l'oreiller, je soupire. Je me remue pour me débarrasser de la couette encombrante et je tends le bras pour attraper mon téléphone.
Après la révélation que je viens d'avoir avec cette fichue chouette de malheur, je ne suis pas vraiment d'humeur à retrouver Jonathan au parc. Je risquerais de lui crier dessus sans raison et je n'ai pas envie qu'il me fuie.

Mes doigts parcourent machinalement le clavier tandis que je lui envoie un SMS pour le prévenir que finalement je ne viendrai pas.
Voilà.
Une nouvelle fois encore, je fuis dès que j'ai le moindre problème. Bravo Johanna, je te descerne le prix de la fille pathétique de l'année. Avec un peu de chance je l'aurai aussi l'an prochain.

Je balance mes chaussures à l'autre bout de la chambre et je me plonge sous les draps. (Oui, je suis encore habillée. J'ai la flemme.)

« Idiote. » dit l'emmerdeuse dans ma tête.

« Je sais. » répondé-je simplement.

« Tu aurais pu profiter de cette occasion pour lui parler de tes problèmes et te rapprocher de lui, mais tu n'as même pas su saisir ta chance. »

« Ce n'est pas à toi de me donner des conseils sur ma vie sentimentale, alors je te prierais de ne pas recommencer à l'avenir. Merci. » répliqué-je, passablement agacée.

« Parfois on a besoin des conseils d'une personne extérieure. »

« Je ne veux pas t'offenser, mais en fait tu es plutôt à l'intérieur. »

« Ha. Ha. Ha. »

« Merci merci je sais que j'ai du talent. »

« Tu es désespérante surtout. »

« Wow, très belle répartie, je ne sais plus quoi dire dis donc. »

« Je change complètement de sujet, mais je n'aime pas cette chouette. » dit-elle soudainement.

« Ah? Pourquoi? Elle est de ton côté pourtant. »

« Je ne sais pas exactement quoi, mais quelque chose me dérange chez elle. »

« L'instinct? »

« J'imagine. »

« Mmh... » marmonné-je.

« Tu m'as l'air dubitative. »

« Tu dois savoir pourquoi puisque tu peux lire dans mes pensées. »

« Ce n'est pas parce que je le peux que je le fais. » explique-t-elle.

« Ah..?? »

« Je ne sais pas si t'as déjà essayé de vivre dans la tête de quelqu'un, mais c'est très fatiguant. J'ai appris à contrôler les informations qui me parviennent. Maintenant, la seule façon que j'utilise pour écouter tes pensées, c'est en "streaming" et non "en direct". Je ne vais rechercher que les pensées ou les souvenirs qui m'intéressent. »

« Niveau souvenirs le rayon doit être un peu limité, non? » ironisé-je.

« Bref, revenons-en à ma question: que penses-tu de cette fichue chouette? »

« ... Quelque part, je peux la comprendre. »

« Pourtant elle en a après toi. » réplique Johanna.

« Et toi tu ne l'apprécies pas alors qu'elle est de ton côté. »

« ... Pas faux. »

« En fait, je comprends qu'elle soit énervée contre moi. C'est vrai que du point de vue de quelqu'un qui connaît toute l'histoire, je dois être vraiment détestable. »

« Mais justement, si elle connaît toute l'histoire, pourquoi est-ce qu'elle ne nous l'explique pas? N'est-elle pas également en tort pour nous laisser dans le flou alors qu'elle sait tout? Ce qui m'a énervée surtout, c'est qu'elle t'a parlé de moi en faisant comme si je n'étais pas là, comme si la vérité derrière tout ça ne m'intéressait pas. Si elle est de mon côté, elle devrait pouvoir me comprendre non? Dans ce cas, elle devrait savoir que moi aussi j'aimerais savoir comment mon corps a pu se faire voler! Et puis d'abord, depuis quand est-ce qu'un piaf peut se permettre de nous prendre de haut? »

« Je vois. »

« Bref, ça m'énerve. Et qu'on soit bien claires, ça ne veut pas non plus dire que je suis de ton côté, hein! Rassure-toi, je te déteste toujours autant. »

« Je ne m'attendais pas à autre chose de ta part, ne t'en fais pas. » dis-je.

« Bien. »

« Dis-moi... »

« Quoi? »

« Comment était ta vie avant? » demandé-je.

À ce moment, la sonnerie de la porte d'entrée retentit, diversion que Johanna tourne facilement à son avantage:
« Quelqu'un a sonné. »

« J'ai entendu, merci. Et je constate que tu en profites bien pour éviter de répondre à ma question. »

- Johanna! m'appelle ma mère. Va ouvrir s'il te plaît, ton père et moi avons les mains prises!

« Tu voudras pas me raconter ça, quand même? Ça peut être une autre fois, pas besoin que ce soit maintenant... »

« Arrête d'insister et va ouvrir. » tranche-t-elle.

Je me lève en grognant et me dirige vers l'entrée sans me presser. Et en ouvrant la porte, je tombe nez à nez sur...

- Jonathan??? m'écrié-je.

- Hey... me salue-t-il en souriant faiblement.

- Mais... Qu'est-ce que tu fais là??

- Tu m'as dit que tu ne pouvais pas venir, alors c'est moi qui suis venu.

- Tu n'aurais pas dû, vraiment...

Il penche la tête sur le côté.

- Quoi, ça te gêne de me voir? demande-t-il.

- Non non, ce n'est pas ça, c'est juste que...

- Encore un problème qui a surgi?

- ...

- Tu as deux options: soit tu me laisses entrer et on en parle, soit tu viens dehors te balader avec moi et on en parle.

- Je suis obligée de t'en parler dans les deux cas?

- Oui.

« Vas-y, idiote! » m'encourage Johanna.

« Depuis quand tu me donnes des conseils pour m'aider? »

« Joli pléonasme. Un conseil c'est justement fait pour aider, non? »

« Tu as très bien compris ce que je voulais dire. »

« Oh allez, arrête de cogiter et vas-y! Tu m'agaces à rester plantée comme un poireau ramolli du bulbe! »

Ma main attrape alors les clefs et mes jambes m'emmènent dehors contre ma volonté.
J'ai seulement le temps d'avoir le réflexe de lancer un « je sors! » à mes parents que je me retrouve déjà dehors.

« Je vois que tu t'es bien entraînée. » fais-je remarquer à Johanna.

« Moui, je dois avouer que je suis plutôt contente de moi. »

- Je préfère dehors finalement, me résigné-je devant Jonathan, tout sourire.

Il hoche la tête et nous commençons à arpenter les rues éclairées à la faible lueur jaune des lampadaires.

***

Nous nous arrêtons à un petit banc où nous décidons de nous poser.

- Alors? m'encourage-t-il.

- Je ne sais pas par où commencer.

- Par le début peut-être?

- Tu vas me prendre pour une folle.

- Ça, tu ne peux pas le savoir.

- Bon, très bien, je me lance. Comme tu le sais, je suis amnésique et aucun médecin n'a su savoir d'où ma perte de ma mémoire provenait. Mon problème en ce moment est: qui suis-je réellement? Tout découle de là. Car je suis la seule à savoir... que je ne suis pas la véritable Johanna. Que je suis quelqu'un d'autre qui n'a de commun avec Johanna que le corps. Et que le véritable esprit de Johanna tente en ce moment même de récupérer ce que je lui ai volé.

- C'est comme ça que tu le ressens?

- Non. C'est comme ça que c'est, tout simplement.

- Donc tu veux dire qu'en fait tu n'es pas Johanna, mais une autre personne dans son corps?

- ... Oui. Pour faire simple, c'est à peu près ça.

- C'est ri... Euh, inattendu.

- Tu allais dire « ridicule » pas vrai?

- Non, je...

- Je sais que tu ne me prends pas au sérieux quand je te dis ça. Mais d'un autre côté, qui le ferait? Ta réaction est la plus rationnelle je suppose.

- C'est juste que j'ai du mal à y croire. Ce n'est pas réaliste.

Ma main droite part toute seule et le gifle violemment. Je la fixe avec horreur.

« Johanna, tu vas trop loin! » la réprimandé-je.

Maintenant, ce sont mes lèvres qui se mettent à bouger sans mon accord:

- Pas réaliste? Ça ne te paraît pas assez réaliste à tes yeux?? Je peux t'assurer que pour moi rien n'est plus réel que le fait que cette fille ait pris le contrôle de MON corps pour une raison que j'ignore!

Jonathan me – où plutôt nous – fixe avec des yeux ronds.

- Et le pire dans tout ça, continue-t-elle, c'est qu'elle-même ne se souvient plus de pourquoi elle l'a fait!

« Johanna, tais-toi! » tenté-je de la raisonner.

- NON! Non, je ne me tairai pas! J'en ai marre! Je te déteste, sale usurpatrice! Je déteste cette vie qui est censée être la mienne et où je n'ai pas mon mot à dire, et je déteste cette saloperie de chouette qui se prend pour le père Fourras avec ses énigmes à la con!

- TAIS-TOI IDIOTE! je récupère le contrôle de ma bouche. Si tu veux t'exprimer t'as qu'à le faire en veilleuse, dans ma tête! C'était toi qui voulais que je lui parle, non? Alors maintenant tu assumes le fait qu'il n'ait peut-être pas la même réaction que celle que tu espérais et TU LA FERMES!

Par chance, elle se tait enfin.
Je reprends mon souffle, haletante.
Jonathan me regarde, hagard.
Évidemment, lui n'a vu qu'une schizophrène au bout du rouleau.

- Je t'avais prévenu que tu me prendrais pour une folle, lui dis-je en souriant faiblement.

Je lui tourne le dos pour qu'il ne voie pas les premières larmes couler le long de mes joues.

- Je... sa voix se brise.

- Tu sais... le coupé-je. C'est la première fois qu'elle me fait une scène comme ça. D'habitude elle n'est pas si terrible comme colocataire. Elle devait vraiment être à bout ce soir, excuse-la. En fait... C'est la première fois qu'elle prend le contrôle de ma bouche. Petit à petit elle regagne du terrain. Alors peut-être qu'un jour... Peut-être que je disparaîtrai et que la Johanna originale retrouvera l'usage de son corps. Ce jour-là... Je te demande juste d'accepter le fait que ce sera une personne complètement différente en face de toi et qu'il faudra apprendre à connaître, avec sa propre personnalité, ses qualités et ses défauts. Voilà. Et peut-être... Que ce serait mieux comme ça finalement.

Je commence à m'éloigner de lui, et ma silhouette se fond parmi les ombres.

Oui, peut-être que ce serait mieux comme ça finalement...

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Heyy!!
(Oh mon Dieu je suis en train de briser toute l'ambiance avec mon « hey » là.  XD)
Nous en somme déjà (est-ce que je peux vraiment dire déjà?) au 20ème chapitre! :D
Au début je comptais justement écrire une vingtaine de chapitres... Sauf que je suis loin d'avoir fini! XD  Je dirais que nous en sommes à peu près aux deux tiers de l'histoire, ce qui signifie qu'il y aurait plutôt une trentaine de chapitres en tout ^^
J'espère que ce n'est pas pour vous déplaire en tout cas :3
Sinon, pensez-vous que Johanna 2e du nom (lololol) va abandonner ce corps et laisser la place à Johanna l'originale?
J'attends vos avis dans les commentaires! :D
(À tous les coups y'aura encore personne qui le fera mais bon il faut bien tenter sa chance)
Sur ce, à la prochaine!
- Nalvera