Le cegep, c'est un nouveau départ.

C'est avec cette mentalité que je pénètre la porte de cette imposante bâtisse brune, contournant les gens agglutinés comme des sardines autour des tables dispersés pour présenter les divers clubs. Des étudiants plus âgés distribuent des brochures aux bleusailles dans l'espoir de faire du recrutement, affichant leur plus beau sourire pour attirer les curieux.

Cette école se trouve loin du secondaire que je fréquentais, donc il n'y a aucun visage connu auquel je pourrais me repérer. Je suis entouré d'étrangers, mais c'est exactement ce que je recherchais en choisissant la vie de résidence sur un territoire étranger. Il est possible de suivre un cours d'art et lettres n'importe où dans la province, mais je recherchais le changement, l'adrénaline face à l'inconnu. De plus, la diversité dans la vie scolaire est ce qui m'a charmé.

Je n'ai jamais eu la chance d'être le petit nouveau.

Malgré mon amour pour les teen movie, rien ne s'est jamais passé comme à l'écran. J'ai eu une vie sociale banale et j'ai passé cinq années à attendre le jour où ma vie prendrait la tournure d'un film. Cependant, aucun méchant n'est apparu pour me défier, je n'ai pas été piqué par une araignée qui m'a transmit des supers-pouvoirs et je n'ai pas reçu ma lettre pour Poudlard. L'élément déclencheur, il faut le provoquer si je ne veux pas rester un simple figurant pour le restant de mes jours.

Après avoir récupéré les informations nécessaires pour mon arrivée, je parcours en solitaire les tables des clubs. Il y a tellement de groupes sportifs, ce qui est loin d'être ma tasse de thé malgré mon corps naturellement musclé. Je suis chanceux d'avoir une morphologie avantageuse qui me permet de me prélasser sans engraisser. Merci à mes parents de m'avoir si bien conçu.

Sur le site web du cegep, j'ai vu l'annonce d'un ciné-club. En tant qu'amateur de divertissements, mon rêve a toujours été de rejoindre un tel endroit. Malheureusement, au secondaire, tout ce qui importait aux étudiants était le football et le volley-ball. Ceux qui n'avaient pas envie de courir après une balle était obligatoirement catégorisé dans la classe « rejet ». Le cliché du geek boutonneux à lunette, c'est pourtant démodé.

Je trouve enfin la table que je recherche. Installé à l'écart des autres, des brochures sont installés à sa surface, mais il n'y a aucune trace d'un membre prêt à me recruter. Je le cherche du regard, déçu de devoir attendre comme une poule sans tête. La patience, ce n'est pas ma vertu.

-Puis-je te proposer de rejoindre mon club, camarade?

Une main chaude se pose sur mon épaule, ce qui me fait d'abord sursauter. Je me retourne en direction de mon interlocuteur, convaincu qu'il s'agit du président du ciné-club.

Un garçon me tend une brochure lilas, un large sourire sur son visage pointu. Les cheveux roux en bataille, ce sont ses vêtements qui me laissent perplexe. Très tape à l'œil, il porte une chemise bleu poudrée par-dessus laquelle pend mollement une large veste aux couleurs de Bob Marley. Est-ce cela, la mode dans les grandes villes? Ayant vécu en campagne toute ma vie, j'ai rarement eu la chance de côtoyer des marginaux.

J'agrippe la brochure, mais mon sourire disparait en lisant le titre. Ce n'est pas pour le ciné-club, mais pour rejoindre un club écologiste. Déçu, je lui rends son papier.

-Désolé, mais j'ai déjà prévu de rejoindre le ciné-club. J'attends que l'un d'eux revienne pour m'inscrire.

Toujours souriant, l'étranger pose son attention sur la table vide.

-Je vois, répond-t-il de sa voix un peu nasale. Plus tôt, j'ai cru entendre qu'il y avait un pépin et Livai a dus retourner dans son local pour y régler quelques détails. Je ne sais pas quand il va revenir.

-Oh.

Je pince les lèvres en réfléchissant. Il sera bientôt l'heure de rejoindre les autres élèves de mon programme pour la rencontre avec notre enseignant principal. Si je ne m'inscris pas maintenant, j'ignore quand j'en aurai la chance.

-Mais si tu le désire, je peux te conduire à leur local? propose le roux. Je suis certain que Livai sera ravie de prendre ta candidature.

-Vraiment? Ce serait gentil de ta part.

-Bien sûr. Je suis toujours gentil! Au fait, moi, c'est Floch Forster. Je suis le président du club d'écologie, si tu me cherches. Il faut dire que je ne suis pas difficile à manquer.

-Moi, c'est Eren Jager.

Floch tape mon dos avant de me conduire jusqu'à un large escalier. Cette bâtisse est immense, ce qui contraste avec l'école que je fréquentais avant. Là-bas, tout le monde se connaissait. Malgré la simplicité de la décoration du cegep, je ne peux m'empêcher d'être impressionné par toutes ces portes et ces pièces. C'est au troisième étage que le roux s'arrête, posant fièrement sa main sur une porte en bois que l'écriteau présente comme le ciné-club.

-Terminus, sourit-il. Te voilà au ciné-club. J'ai accompli ma mission comme un preux chevalier.

-Ai-je l'air d'une princesse en détresse?

Il rit, amusé par ma réflexion. Bien que nos statures soient semblables, mes bras sont plus larges que les siens. Si j'étais réellement en détresse, alors nous serions deux chevaliers. D'ailleurs, c'est moi qui terrasserais le dragon.

Floch tourne les talons, prêt à m'abandonner, mais il s'arrête afin de se retourner :

-Au fait, Livai est un peu... Comment dire... colérique? Ne fait pas attention à son caractère de cochon. Il n'est pas réellement méchant. Personnellement, je l'adore, mais il vaut mieux prévenir que guérir.

C'est sur ces mots qu'il me quitte, me laissant seul devant cette porte fermée. Caractère de cochon? Mes sourcils se froncent, n'appréciant pas les gens incapables de témoigner du respect à autrui. Ayant travaillé deux ans en tant que commis dans un dépanneur les soirs, des clients désagréables, j'en ai connu et je hais côtoyer ce genre de personne. Continuer de sourire face à quelqu'un qui se plaint, c'est tout un art. Je souhaite de tout cœur que le président du club sera sympathique.

Je pose ma main sur la poignée, prêt à pénétrer dans la pièce.

-Tu cherches quelque chose?

Pour la deuxième fois de la journée, cette voix masculine me fait sursauter. Je me retourne d'un bond vers celui qui m'a parlé alors que mon cœur bat comme si je venais de me faire surprendre à commettre un crime. Pourquoi ai-je cette impression?

Un jeune homme aux longs cheveux blonds me fixe de ses grand yeux couleur de l'océan, une immense pancarte de forme humanoïde sous le bras. Le visage rond, sa peau de porcelaine rappelle celle d'une femme. De petite taille, le garçon est si mince qu'il pourrait se faire emporter par le vent. Néanmoins, ce physique frêle et délicat a ce petit quelque chose de charmant.

-Tu voulais entrer? s'enquiert-il. Cette pièce est réservée aux membres du ciné-club. 

-Je le sais. En fait, je voulais m'inscrire, mais la table du club était vide... donc me voilà.

-Vide? Ah. Livai a dus quitter son poste. Je savais que j'aurais dus le remplacer pour le recrutement, lui qui se plaint toujours que nous manquons de recrus. Allez, entre. La porte n'est pas verrouillée. J'ai trop souvent perdu les clés.

Peut-être est-ce sa voix douce, mais ce garçon me met déjà en confiance. Il dégage ce je-ne-sais quoi d'attrayant, un peu comme un chaton que l'on aimerait caresser.

-Est-ce vrai que le président du club a un caractère de cochon? m'enquis-je sans réfléchir.

Je rougis en réalisant que j'ai dis une boulette. Qui suis-je pour insulter ce mystérieux Livai? Néanmoins, le blond sourit avec amusement :

-Les gens racontent des singeries! Livai est aussi doux qu'un agneau. Un agneau atteint de la rage, mais tout de même un agneau.

Ses propos me laissent perplexe.

L'intérieur du club est une petite salle de classe. Les murs tapissés d'affiches cinématographiques ne laissent aucune place à la peinture d'origine. Il y a tous les classiques, allant de Game of Thrones aux Avengers. Des objets en liens avec les films sont dispersés sur des tablettes, dont une réplique exacte de chaque horcrux dans Harry Potter.

Le côté droit de la pièce est dédié aux animés Japonais. Sous leurs affiches, les figurines de My Hero Academia, Demon Slayer et Dragon Ball volent la vedette.

J'admire l'endroit qui ferait saliver n'importe quel cinéphile, dont moi. Je sens que ce sera mon paradis. Alors que j'essaie de tout regarder, un garçon en colère vient se placer face à mon accompagnateur, brandissant un bout de papier sous son nez.

-REGARDE ÇA, ARMIN! hurle celui que je conclus être Livai. LE CONNARD DE DIRECTEUR EST VENU ME VOIR TOUT À L'HEURE POUR ME REMETTRE ÇA! NON SEULEMENT ILS VEULENT NOUS FERMER, MAIS EN PLUS, ILS VEULENT NOUS REMPLACER PAR UN CLUB DE LECTURE! IL PARAIT QUE C'EST PLUS ÉDUCATIF!

Le dénommé Armin grimace en reculant son visage.

-Si tu colles la feuille contre mon nez, comment je suis censé regarder? grogne-t-il.

-Et à quoi bon! Tu sais de quoi ça parle, de toute façon. Ils nous donnent la première session pour leur prouver qu'on n'est pas une plaisanterie. Qu'est-ce qu'ils veulent que je fasse, moi? Je ne ponds pas de l'argent! Ils disent qu'encourager les jeunes à regarder des films, c'est une perte de temps. Le directeur ne comprend rien de rien.

Ce Livai semble au bord de la crise de nerfs, les traits déformés par la colère. Il n'a même pas remarqué ma présence, ce qui me donne la désagréable impression d'être un fantôme. Pour la première fois de ma vie, je comprends ce que peux ressentir Casper.

Le président du club est encore plus petit qu'Armin, devant à peine mesurer 1m60. Ses cheveux d'ébène tombent de chaque côté de son visage blafard, contribuant à son air renfrogné. Les cernes sous ses petits yeux gris pâle sont très prononcés, signe qu'il doit mal dormir. Peut-être est-ce la cause de sa mauvaise réputation?

-Je pourrais peut-être vous aider? proposé-je sans réfléchir.

Livai me porte enfin attention. Il me dévisage comme si j'étais une indésirable apparition venue l'incommoder dans sa complainte.

-T'es qui, toi? crache-t-il. J'ai déjà dit à Armin de ne pas amener ses conquêtes ici, donc disparait. Veux-tu?

Mes joues se teignent en rouge au commentaire, choqué par cette réflexion. Conquête?

-Livai, soupire Armin. Ce n'est pas mon petit ami. C'est un garçon venu s'inscrire au club. Tu te plains toujours qu'il manque de membres, mais tu abandonne la table d'inscription. Comment veux-tu remonter le club s'il n'y a aucune première année pour reprendre le flambeau?

Le président marmonne. Son regard glacial me met mal à l'aise.

-Alors, tu veux te joindre à nous? s'enquiert-il sévèrement. Tu crois peut-être qu'on n'est qu'un petit club amusant qui regarde des films à longueur de temps?

-Ce n'est pas ça qu'on fait? s'informe Armin.

Livai pince ses lèvres, les yeux rivés vers le ciel. S'il était une bombe, il aurait déjà explosé et l'école ne serait plus qu'un tas de cendres.

-Armin, si tu n'as rien de constructif à dire, tu fermes ta gueule. OK? Bon, alors, comment tu t'appelles?

-Eren Jager, répondis-je. 

-Bien. Alors, Eren, tu es branché films, séries ou animes?

-Les trois sont agréables, mais j'ai un faible pour les animes. Actuellement, je viens de terminer Banana Fish en une seule journée et j'ai adoré.

Livai hoche sévèrement la tête.

-Habituellement, je fais passer un quizz, mais je ne suis pas d'humeur... Tu fais officiellement partie du club. La première rencontre est mercredi midi. Je veux que tu sois ici à 12h05, pas une minute de plus... Et Armin, veux-tu bien me dire ce que tu as dans les bras?

Me voilà dans le club! Bien que ce ne soit pas l'ambiance amicale que j'ai espérée, je m'en satisfais pour l'instant. Si ça se trouve, je suis arrivé dans une mauvaise journée et demain, Livai sera beaucoup moins colérique. Tout le monde peut perdre patience une fois de temps en temps, moi le premier lorsque je ne trouve pas mes vêtements le matin. Quand j'ai fait mes valises pour le déménagement, j'ai perdu un nombre incalculable de chaussettes, à croire que je les ai semés sur mon chemin comme le petit poucet.

C'est surement de la faute des nargoles.

Armin sourit au président avant de déposer son carton sur le sol. De presque deux mètres, il s'agit de l'affiche en carton de Terminator avec écrit dans une bulle : « Asta la vista Baby ».

-J'ai déniché ça sur le Marketplace pour un petit prix, annonce Armin. Je me suis dit que ça te plairait.

Le regard de Livai s'illumine.

-Si ça me plait? J'adore! Je vais aller lui trouver une place. Tu peux partir, si tu veux. Va surveiller la table d'inscription le temps que je me calme.

-Cinq sur cinq. Eren, tu n'as qu'à me suivre.

Je lui obéis en lui enjambant le pas vers la sortie, songeur. Ce n'est pas ce à quoi je m'attendais, mais ce n'est pas si terrible. Peut-être avais-je trop d'espérances?

-Livai n'est pas toujours comme ça, tu sais, commence Armin. C'est juste que tu dois le comprendre, la direction veut fermer le club, car ils disent ne plus avoir de fonds pour l'entretenir alors que ce n'est pas éducatif. Sans argent, on ne peut absolument rien faire. Ce club, c'est tout ce qu'il a. C'est son cousin qui l'a fondé, puis il a repris le flambeau. Il craint que maintenant que c'est à son tour, tout tombe à l'eau.

Le club va fermer? J'ai choisi ce cegep pour la vie sociale qui est offerte et voilà que dès ma première année, le club que je désir rejoindre par-dessus tout est au bord du gouffre. Je dois être maudit.

-Je comprends, soufflé-je. On ne peut rien faire pour le sauver?

-On? Tu te sens déjà impliqué?

-Je fais partie du club moi aussi, non? C'est en début d'année qu'il faut faire des efforts et prendre le taureau par les cornes.

-Pas faux. On s'en parlera à la réunion de demain.

Comme il est l'heure d'aller à ma réunion de programme, je quitte Armin pour rejoindre l'auditorium. Dès que je suis seul, un sourire s'étend sur mes lèvres.

Le voilà, mon élément déclencheur. Je vais sauver le ciné-club!