Assis du côté passager de la Volkswagen Westfalia de Floch, je regarde par la fenêtre le chemin qui défile. Le roux a mis son CD des Beatles pour le trajet, chantonnant à voix basse les chansons qu'il semble connaitre par cœur. C'est mignon. Lorsque « Hey Jude » commence, j'essaie de l'accompagner comme je peux avec ma voix hideuse, ce qui amuse mon ami.

-Je suis vraiment heureux que tu acceptes de m'accompagner, affirme Floch. Je suis désolé de devoir faire ça juste avant la collecte de fonds... Je t'assure qu'on sera arrivé pour le début de la discothèque.

-Ça me fait plaisir. Tu as pensé à t'amener un déguisement, au moins?

-Bien sûr, pour qui tu me prends? Sauf que je ne peux pas te dire ce que c'est. C'est un secret.

-Oh, je vois. J'ai hâte de découvrir ce secret, alors.

Floch glousse en faisant pénétrer son véhicule dans une cours isolée. La petite maison verte qui s'y trouve est minimaliste et d'apparence âgée. Néanmoins, les arbres qui l'entourent crée une agréable intimité, le genre que je n'aurais pas cru retrouver si près de la ville. Ça doit être la maison de Pieck.

Mon accompagnateur éteint le moteur, fixant la bâtisse avec angoisse alors qu'il mordille sa lèvre inférieure. J'ai hâte de comprendre ce qui le met dans cet état, car son refus de tout m'expliquer m'agace. Qu'est-ce qui peux créer des frictions entre ses amis et lui? J'ai beau jongler, aucune théorie ne me semble concluante. Afin de le rassurer, j'agrippe sa main qu'il presse avec tendresse.

-Tu peux m'attendre dans la west, propose-t-il. Je vais vite-fait régler le truc et je reviens.

-Tu ne veux pas que je t'accompagne? Peut-être que je pourrais t'aider.

-Ça risque de te gêner. Promis, dès que je reviens, je t'explique tout. Ça marche?

Bien que la curiosité m'encourage à insister, je choisi de me taire et d'acquiescer, ce qui semble soulager Floch. Sans prévenir, le garçon se penche pour déposer un baiser sur ma joue, puis il quitte le véhicule pour s'aventurer dans la maison, me laissant seul et choqué. Je sens mes joues brûler alors que je touche du bout des doigts l'endroit où vient de se plaquer ses lèvres. Comment fait-il pour être aussi à l'aise? N'a-t-il jamais peur d'être repoussé?

Ce geste me rappelle le baiser qu'il m'a volé il y a plusieurs semaines, alors qu'il me ramenait à mon dortoir. Puisqu'il n'a jamais cherché à m'en reparler, j'ai classé cette marque d'affection comme une banalité de sa part et j'ai cru qu'à ses yeux, cela ne voulait rien signifier. Avais-je tort? Plus d'une fois, ce souvenir est revenu la nuit pour me tourmenter, me donnant l'irrésistible envie de tenter à nouveau cette expérience. Je ne peux le nier, Floch dégage ce je-ne-sais-quoi d'envoutant, ce que petit quelque chose qui me donne envie de le faire mien.

J'ai du mal à comprendre ses intentions à mon égard, craignant de me fourvoyer quant aux réelles raisons de cette affection. J'ai peur que pour lui, me draguer ne soit qu'un jeu pour se divertir. Pourtant, c'est cette façon d'agir qui a fini par me séduire. L'amour qui fleurit dans mon cœur depuis peu ne cesse de prendre de l'ampleur, se révélant plus coriace que cette simple envie de départ.

J'ai envie de sortir avec lui.

Quelques minutes s'écoulent avant que Floch revienne, un large sourire sur ses lèvres attirantes. Le soleil a entamé sa lente descente derrière les collines, teintant le ciel d'un magnifique orange crépusculaire. Ce spectacle lumineux me fascine depuis l'enfance. Malgré toutes les fois où j'ai assisté à ce tableau, il continue de m'émerveiller. La nature est d'une beauté qu'aucun artiste ne pourra jamais égaler et la voir ainsi me fait comprendre pourquoi des gens comme le roux font de l'écologie une raison d'être.

-Alors? m'enquis-je curieusement. Comment ça s'est passé? Tu as réglé tes problèmes?

-Ça me surprend, mais ça s'est très bien passé, répond-il fièrement. Bon, au début, Sieg n'était pas très content de me voir, mais il a vite compris que c'était important pour moi qu'on se réconcilie.

-Oh, tant mieux. Donc, tu vas me dire pourquoi vous vous étiez disputé?

-Ah, ouais. En fait, Sieg à mal digéré quand je leur ai appris vouloir faire de toi mon petit ami et que j'ai eu un coup de foudre. Tu vois, il croit que t'es un connard comme ton père... mais je t'ai défendu! Moi, je vois bien que tu es un bon gars! Aux yeux de Sieg, sortir avec son demi-frère est un acte de trahison, puisqu'avoir du sexe avec un membre de sa famille est déplacé.

Plus il parle, plus ma mâchoire tombe, car chaque mot est pire que le précédent. Petit ami, coup de foudre, connard, demi-frère... Mon cerveau semble être en ébullition alors que je tente de comprendre quel est mon lien avec ce blond barbu. Il a beau m'être familier, je suis incapable de mettre une étiquette sur son visage. D'ailleurs, est-ce le plus étonnant de ce discours insolite? Floch m'avoue avoir eu un coup de foudre pour moi et vouloir être mon petit ami. Cette déclaration d'amour est tellement confuse que je ne parviens même pas à m'en réjouir.

-Rassure-moi, tu avais compris que Sieg est ton demi-frère? s'inquiète Floch. Lui, il t'a tout de suite reconnu. À moins qu'il se trompe? Se serait bête d'avoir fait tout ce cirque pour un simple malentendu.

Sieg... Sieg Jager.

Comment ai-je pu être aussi stupide ?!

Ma main s'écrase sur mon front que je frappe pour punir mon idiotie. Bien que la famille qu'eût autrefois mon père ne m'a jamais intéressé malgré notre lien de sang, j'aurais dû reconnaitre mon demi-frère. Quel âge avait-il la dernière fois que nos routes se sont croisés? Il a tellement changé que j'ignore comment il a pu me reconnaitre.

Néanmoins, s'il espère se lier avec moi, il fonce dans un mur. Pour moi, un frère n'est pas seulement quelqu'un avec qui je partage mon sang, mais c'est une personne avec qui j'aurais grandis. Outre, il est un étranger et je désir que les choses restent ainsi. Je ne ressens pas l'envie de l'inclure dans ma vie.

-Il ne s'est pas trompé, soufflé-je. Disons que je le croyais être une ombre de mon passé... Je ne l'aurais jamais reconnu depuis toutes ces années. C'est fou de voir à quel point le monde est petit.

-Ah? Sieg t'a reconnu dès qu'il t'a vu dans l'école. Bref, ce qui est important, c'est qu'il me donne enfin sa bénédiction pour que je sorte avec toi! C'est idiot, mais pour moi, c'est important que tous mes amis acceptent ma relation. Comme dirait les Spice Girls: "If you wanna be my lover, you gotta get with my friends".

La grande main du roux se glisse doucement sur ma joue pour la caresser alors que ses yeux en amande croisent les miens. Mon cœur s'accélère agréablement, tourmenté par ce contact rafraichissant. C'est la déclaration d'amour la plus saugrenue qui soit. Floch parle de ses envies avec tant de nonchalance, sans même craindre une seconde que je puisse repousser ses avances. J'aimerais posséder son audace.

-J'ai eu le coup de foudre pour toi dès l'instant où mes yeux se sont posés sur toi dans l'école. Tu errais comme une âme en peine à travers les kiosques de clubs, donc j'ai sauté sur l'occasion pour t'aborder. Eren, je suis loin d'être déçu par ce que je découvre de toi. Plus je te côtois et plus je réalise que tu es quelqu'un de fantastique. Je suis tombé totalement amoureux de toi. C'est peut-être brusque comme façon de faire, mais je ne suis pas doué pour tourner autour des pots. Eren Jager, acceptes-tu de devenir mon petit ami?

Lorsqu'il décide d'être romantique, Floch ne prend pas de gants blancs. Je me sens bercer par ses paroles, hypnotisé par sa voix. C'est la première fois que je ressens ce sentiment, que j'ai l'envie irrésistible de me jeter sur quelqu'un et de le dévorer. Quelque chose de magnifique peut se développer entre nous malgré nos différences.

Le président du club écologiste est si beau.

Incapable de prononcer à haute voix ma réponse, mon corps agis de lui-même. Ma main se glisse dans sa tignasse rousse et j'appuis sur sa tête pour le forcer à s'approcher, plaquant mes lèvres contre les siennes dans un baiser brutal. Floch ne tarde pas à me le rendre, passant ses doigts dans mon cou alors que sa langue vient rencontrer sa semblable dans une danse qui pourrait dégénérer. J'ai déjà tellement chaud. S'il n'y avait pas le bras de vitesse pour nous séparer, je sens que je pourrais déraper et me laisser tenter par des folies.

C'est Floch qui rompt l'étreinte buccale, le souffle saccadé et son font collé contre le mien.

-J'imagine que ça signifie que tu acceptes ma demande? susurre-t-il.

-Tu imagines bien.

Le garçon sourit avant de reprendre le baiser, passant par-dessus le bras de vitesse pour s'aventurer sur mon siège, à califourchon sur mes genoux. Cette position est étroite compte tenue sa grande taille, mais je ne peux me résigner à y mettre un terme.

***

La projection du film doit déjà être terminé lorsque nous nous dirigeons vers la collecte de fonds. Ma tête posée sur l'épaule de celui qui est désormais mon petit ami, je profite du trajet pour caresser sa main avec tendresse. Jamais mon corps ne m'a paru si léger, si détendu. Avec Floch, j'ai le sentiment que tout est possible.

De nombreuses voitures sont déjà stationnées le long du rang qui mène à la grange alors que le stationnement est bondé, ne laissant aucun espace pour que Floch y laisse sa précieuse Westfalia. C'est agréable de constater que la foule est au rendez-vous, ce qui me permet d'espérer que l'avenir du ciné-club est sauvé.

Le roux finit par arrêter son véhicule à l'écart, nous forçant à marcher. C'est le prix à payer pour oser arriver en retard.

-Rassure-moi, tu as aussi amené ton costume? s'inquiète Floch. J'ai oublié de te proposer de faire un détour par ta maison.

-Oui, tout est dans ce sac.

Je pointe le petit sac de plastique entre mes jambes et le garçon sourit. Il me laisse le large espace à l'arrière de son véhicule pour me préparer tandis qu'il enfile son propre déguisement à l'extérieur. Bien qu'enfiler un cosplay dans le noir complet avec comme seul éclairage la lumière de mon téléphone soit ardu, je parviens à revêtir convenablement l'uniforme du Tokyo Manji, celle que porte Baji dans Tokyo Revengers. Bien qu'il ne s'agisse pas de l'anime le plus profond qu'il m'ait été donné de visionner, j'apprécie la simplicité de l'œuvre et ses personnages.

Malgré le fait que mes cheveux manquent de longueur pour le rôle, j'ai espoir que les gens reconnaissent ma tentative d'imitation et je sors retrouver Floch. En le voyant accoutré d'une tenue noir semblable à la mienne, ma mâchoire tombe de surprise. Est-ce une coïncidence qu'il ait choisie de cosplayer Chifuyu, le fidèle bras droit de mon personnage?

-Alors? s'enquiert Floch. Ai-je réussi mon premier cosplay?

-Oui, ça te va très bien! Je ne savais pas que tu regardais des animes! C'est dingue que nous ayons choisi le même univers.

-Ne te moque pas, mais c'est le seul anime que je connais. Lorsque tu m'as révélé quel costume tu allais porter, je me suis fais un marathon pour regarder cet anime et me trouver un personnage agencé au tien. J'ai beaucoup aimé. La saison un est la meilleure à mes yeux, mais je reste curieux de connaitre la suite.

-En tout cas, ça me fait vraiment plaisir. Si tu m'en avais parlé, je l'aurais regardé avec toi. La prochaine fois, je vais te proposer un anime que tu vas préférer.

-J'ai hâte de voir ça.

Pour remercier son adorable geste, je plaque mes lèvres contre les siennes en un tendre baiser. Floch est une perle et déjà, je suis fier d'être à son bras. Il est mon premier petit ami, mais je n'ai pas honte de m'afficher à ses côtés, lui qui semble vivre bien au-delà de ce que les autres peuvent penser. Son honnêteté est son plus grand atout.

Les doigts enlacés avec les siens, nous marchons jusqu'à rejoindre la grange dans laquelle le DJ a déjà commencé son animation. Derrière son kiosque à l'entrée, Marlowe s'occupe de faire payer le droit de passage et tamponner la main des gens qui ont reçu leur billet. En prévente, le coût était la moitié du prix requis sur place afin d'attirer le plus de participants.

-Marlowe? m'enquis-je. Sais-tu où sont Livai et Armin?

-Salut, Eren! s'exclame le garçon qui hausse le ton pour être entendu malgré la musique. Oui, je les ai vues. Livai a fait une crise de panique et il est enfermé dans la salle de projection. Je crois qu'Armin essaie de le calmer, mais c'est difficile. Tu connais Livai, c'est une tête de mule.

-Merci.

Marlowe tamponne nos dessus de main avec un tampon d'ancre pour prouver que nous avons payé, puis nous pénétrons dans la grange. La foule est abondante et la musique que joue le DJ est très forte. Je ne suis pas un expert en fête, mais l'ambiance est agréable, ce qui reflète le talent de l'homme que nous avons engagé pour faire mousser la soirée.

La salle de projection se trouve être le second étage de la grange et ce dernier ne fait que la moitié de la bâtisse. Dans son ancienne vie, il servait de rangement pour les balles de foin alors qu'aujourd'hui, il a été parfait pour empêcher les clowns improvisés de faire des ombres chinoises devant le projecteur. Pour y monter, il faut passer par une échelle étroite dont les marches en bois laissent parfois des échardes sur les mains.

-Armin? Livai? Oh...

Une fois sur la plateforme, je me fige, choqué par le spectacle étonnant qui a lieu sous mes yeux.

Mes amis sont assis près du projecteur éteint, collés l'un contre l'autre. La main d'Armin caresse la joue de son meilleur ami alors que leurs lèvres se meuvent avec tendresse. Ils s'embrassent ?! Si ma mâchoire le pouvait, elle s'écraserait sur le sol.

-Wouah, je ne m'y attendais pas! s'exclame Floch. C'est officiel ou c'est un délire entre meilleurs potes?

Leur bulle éclatée, les garçons réalisent qu'ils ne sont plus seuls. Sous la gêne, Livai repousse avec brutalité Armin qui s'écrase sur le dos, telle une tortue tournée sur sa carapace. Le président saute sur ses pieds, les joues plus rouges que la pomme ayant empoisonnée Blanche-Neige.

-CE N'EST PAS CE QUE VOUS CROYEZ! hurle Livai. Je... on est tombés et nos bouches se sont collés!

-Ah bon, c'est ce qui est arrivé? s'étonne Armin depuis le sol. Je t'ai pourtant embrassé pour te remonter le moral, parce que j'en avais envie. Pas toi?

-Ta gueule, Armin. Tu me gênes.

-Mais, je dis juste ma vérité! Tu n'avais pas envie de m'embrasser?

Livai continue de marmonner des choses incompréhensibles, cachant son visage embrasé entre ses mains. C'est la première fois que je le vois dans un tel état, mais leur relation est mignonne. S'ils veulent devenir un couple, je les encouragerai. Tout ce que je souhaite, c'est qu'une rupture future ne vienne pas gâcher notre beau trio.

La main de Floch vient doucement enlacer la mienne. Il avait dû la lâcher pour escalader l'échelle. Avec un petit sourire, le garçon vient poser un baiser sur ma joue.

-Nous sommes aussi en couple, affirme le roux.

-Pour vrai? s'étonne Armin. Franchement, je sentais que ça allait arriver! Toutes mes félicitations, sincèrement. Je suis très content. Livai aussi est content, mais il n'est actuellement pas en état de lui-même le dire. Bon, j'aurais préféré ne jamais revoir Floch en couple, sachant qu'il peut être très gênant lorsqu'il s'y met, mais je vais faire avec.

-Je t'ai dit de te la fermer, marmonne le président. Si tu continues, je te pousse en bas de l'étage.

-Tant de violence dans une si petite personne...

Ces mots lui valent un coup de pieds sur le bras.

Malgré moi, je n'apprécie pas sa dernière remarque concernant Floch. Gênant? Je n'aime pas imaginer qu'il a longtemps été en couple avec Jean, bien que je sois conscient que le passé ne puisse s'effacer et que cette période fait partie de lui. On n'a pas tous les mêmes expériences.

L'important, c'est que ce soit moi son dernier.