J'attendais la fin, incapable de me relever pour le moment, alors que je recouvrai peu à peu mes sens ; j'arrivai à distinguer le village qui brûlait, faisant couler quelques larmes sur mes joues salies par la terre, et mes oreilles encore un peu sifflantes parvinrent à vaguement ouïr de lointain chocs de métal et le brouhaha du combat. Mais aucun coup ne vint jamais frapper à nouveau mon corps déjà meurtri, non, seul un rire se mit à résonner alors qu'enfin je parvins à tourner la tête vers celui qui finalement ne vint pas m'achever.

« Tu pensais vraiment que j'allais juste te tuer comme ça, alors que tu ne fais rien pour te défendre, que tu ne peux même pas te relever ? Tu es pathétique... Si tu souhaites tant que j'en finisse avec toi, alors debout, bats-toi, et nous verrons qui de nous deux sera en vie à la fin. »

Je voyais son regard narquois, ce sourire de défi, je ressentais toute sa moquerie envers moi, mais pour autant je me refusais à me battre, je ne peux tout simplement pas. Et même si je le pouvais, je n'avais pas d'arme, de plus je me sens encore bien trop faible, je doutais de réussir à me redresser, pas la peine d'espérer tenir debout.

« -J-je ne peux pas... geignais-je difficilement. Je ne peux pas me b-battre...

-Ah oui ? rit-il. La belle affaire. Pourquoi as-tu l'air d'attendre patiemment ta fin, alors que tu n'es même pas capable de te battre pour survivre ? Si je peux rassurer le lâche qui est en toi, je ne te ferai rien si tu ne tentes rien. On verra si tu as tant perdu la rage de vivre. »

Son regard était mauvais, mais il n'y avait plus cette menace constante qui me donnait l'impression que j'allais mourir dans la seconde. Lentement, je parvins à reprendre constance, je poussai doucement sur mes bras endoloris afin de m'asseoir au sol, avant de tousser à en cracher mes poumons. J'ai dû ingurgiter un peu de terre, et avec ma course précédente et ma chute ça n'a pas arrangé la situation ; ma respiration restait tout de même sifflante et saccadée.

Pourquoi était-il fixé sur cette idée que je devais le combattre ? Pourquoi me poussait-il vers cette voie ? Je ne veux pas me battre, je baisse les armes que je n'ai plus, et lui qui il y a un instant semblait prêt à me tuer décide de me laisser choisir mon destin ?

« -Pourquoi t-toujours se battre... N'y a-t-il donc aucune autre solution que les combats pour régler les conflits ? La diplomatie est-elle inutile dans ce monde ? Il faut cesser cette guerre, et seul vous en avez le pouvoir...

-Silence. »

Son ton était froid, tranchant, sans appel, il ne voulait plus m'entendre ; mais la promesse que j'ai faite à Elyes plus tôt me revenais sans cesse en mémoire, je dois l'arrêter... Utilisant mes dernières forces, je me remis debout, les jambes tremblantes, et relevai la tête vers l'adversaire que je tentai de repousser avec mes mots d'habitude si puissants.

« -S'il vous plaît, regardez la plaine ! Elle se rempli du sang de notre peuple, de mon village et de vos soldats. Il n'y aura bientôt plus rien si vous n'arrêtez pas tout de suite... Tous ces gens n'auront plus de chez eux, et la citadelle périra peu après, vous n'aurez nulle part où vivre vous aussi. Si vous n'arrivez pas à penser à eux, pensez à vous, soyez égoïste, mais cessez ce combat...

-Tu ne sais pas de quoi tu parles, silence ! »

L'énervement sembla le regagner peu à peu, me faisant paniquer de plus en plus. Pourquoi cela ne marchait-il pas ? Pourquoi la violence grandissait-elle en lui alors que j'apportai d'habitude une paix intérieure ? Je ne peux donc rien faire... ? Une immense tristesse me submergea alors, un sentiment de défaite intense, et je sentis toute la fatigue accumulée s'abattre d'un coup sur moi tandis que des larmes firent leur apparition aux coins de mes yeux.

« -Pourquoi ça ne marche pas... ? murmurai-je lamentablement.

-Tais-toi.

-Pourquoi n'arrive-je donc pas à arranger la situation comme toujours... ?

-Tais-toi !

-Je veux juste que tout aille bien pour tout le monde... Sans conflit, sans bataille... Que chacun entre chez soi sans avoir peur de voir le soleil pour la dernière fois...

-TAIS TOI !! »

La violence du cri me fit tomber au sol, étant encore dans un bien frêle équilibre, toujours mal en point mais aussi désormais apeuré. Je suis allé trop loin, j'aurai dû me taire tant qu'il en était encore temps... Son visage ne reflétait rien de plus qu'une vive ire, il n'avait plus rien à voir avec l'homme moqueur qui se tenait face à moi il y a quelques instants.

« Tu te crois meilleur que les autres, hein !? Tu leur dis des mots doux, et hop ! ils ne veulent plus se battre ! Tu pensais que c'était aussi simple avec moi !? Est-ce que tu sais au moins POURQUOI tu peux faire ça !? Non, évidemment, tu es tellement pitoyable, tu n'as même pas cherché à comprendre ! »

Ma respiration était sifflante, mes forces m'avaient quitté, pour autant je luttais pour rester assis, conscient, et pour lever la tête, bien que ces efforts n'arrangeassent en rien mon état.

-M-mais si j'ai essayé, répliquais-je. Je n'avais aucune piste, juste quelques voix parfois, et une chamane qui tentait de m'aider aussi...

-JUSTE !? hurla-t-il brusquement. Tu oses dire... que tu ne faisais QU'ENTENDRE la réponse !? Qu'une chamane te donnait chaque jour des indices, et tu oses dire que tu n'avais AUCUNE PISTES !?

Son regard était injecté de sang, je ne reconnaissais plus ces yeux, si semblables aux miens mais si froid, il n'était plus humain. Son visage était déformé par la haine, et aucun de mes mots ne semblait le calmer, au contraire je l'enrageais un peu plus à chaque seconde...

-Je suis désolé, tentais-je lamentablement. Je ne savais pas que cela vous importait autant de connaître l'origine de mon don...

-JE M'EN FICHE DE TON ORIGINE !! Contrairement à toi, je SAIS qui NOUS sommes !

Nous...? Comment ça, il sait qui « nous sommes » ? Est-ce que j'avais raison de penser que nous avons la même origine ? Dans tous les cas, je pense qu'il vaut mieux que je me taise, je n'obtiendrai rien de mieux qu'en le laissant exprimer sa colère, et je suis si fatigué...

-Tu ne sais pas ce que ça fait... d'avoir ces pouvoirs malgré soi... cette envie constante de voir les autres se battre... de mettre un pays entier à feux et à sangs... de voir des montagnes de morts... Tu ne sais pas ce que c'est, d'être contraint à suivre cette envie pour ne pas disparaître... Toi, tu as juste débarqué ici, comme les autres, et ça n'a fait qu'empirer les choses !! Regarde donc TON village ! Celui que tu as voulu protéger ! Regarde-le se faire avaler par ces flammes ! Je sais que tu sens leur souffrance, que tu veux raisonner MES soldats ! Mais ça ne changera rien, je suis TROP puissant ! J'aurai aimé que tout se passe comme prévu, mais RIEN NE SE PASSE !! Ah, si tes prédécesseurs n'avaient pas été aussi faiblard, on n'en serait pas là !

Mes prédécesseurs... Qu'est-ce qu'il veut dire par là ? Je ne suis pas le seul à avoir essayé de mettre fin à cette guerre ? Je ne suis pas le premier à devoir remplir cette mission ? Mais alors, cela veut dire que les précédents... sont morts ?

-S'il vous plaît, soufflais-je entre deux inspirations, expliquez-moi qui vous êtes...

-Bien sûr ! cria-t-il à nouveau. Il veut tout savoir comme ça ! Est-ce que tu sais COMBIEN DE TEMPS ça m'a pris pour comprendre !? Je n'avais aucun indice MOI, personne ne m'a parlé dans mes songes, j'avais une famille que ces foutus pouvoirs ont DÉTRUIT ! Tu ne connais pas ça toi, hein !? Tu veux tout savoir ? Alors tu vas tout savoir !

Il se stoppa momentanément, les mains sur les temps et les yeux fermés, tentant de reprendre son calme. Sa respiration se fit rauque, tandis que les traits de son visage se détendirent peu à peu ; il semble se calmer, mais je sentais toujours ces vagues de mal-être en moi, je savais que sa colère était toujours présente. Cependant, je retrouvai pour le moment l'être cynique qui me détestait et qui me provoquait il y a peu.

-Puisque tu n'es qu'un ignorant, déclara-t-il d'un coup en se tournant vers l'horizon, laisse-moi d'expliquer simplement. Tu es un Gardien.