19 : La frayeur

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SAMUEL


Samuel était censé préparer les nouveaux programmes de quelques uns de ses clients, mais il était incapable de se concentrer sur la tâche. Il fallait dire que son agencement n'était pas idéal pour être productif. En général, il se mettait sur la table de la cuisine, pour donner une ambiance de bureau, et l'obliger à travailler. Mais là, il était fatigué, et il avait besoin de confort, alors il s'était installé dans son lit, emmitouflé dans un sweat, la capuche sur la tête. Si seulement ce n'était que ça... Non, en fait, ce qui l'empêchait vraiment de travailler, c'était son cerveau, qui partait toujours ailleurs.

Depuis plus d'une semaine, depuis qu'ils étaient rentrés de leur soirée au camping, en fait, les révélations que lui avaient faites César lui accaparait l'esprit. Déjà, parce que c'était horrible de s'imaginer que quelqu'un de son entourage – il connaissait bien la petite sœur de son meilleur ami – avait pu subir de telles atrocités, mais surtout... Ah, il n'osait même pas y penser ! Les deux garçons n'en avait pas reparlé, Samuel partait du principe qu'il ne pouvait pas mettre un sujet comme ça sur la table, l'intention devait venir de César. Pourtant, il faudrait bien à moment qu'ils aient à nouveau cette discussion, parce que... parce que...

Samuel soupira. Il devait en avoir le cœur net. Comme de toute manière, il n'arrivait pas à travailler, il ouvrit un onglet et entra une première recherche dans la barre du moteur. « Limoges procès inceste », ce qui bien entendu, ne lui donna rien de concret, puisque l'affaire n'était pas encore portée devant les tribunaux. Alors, il retenta « inceste avocat Didier Bertrand », mais là aussi, la recherche n'aboutit pas, car aucun article de presse ne parlait encore de l'affaire, qui n'en était qu'à ses balbutiements. Pourtant, Samuel ne pouvait s'empêcher de se dire que son intuition était la bonne. Il tapa à nouveau une recherche :

« Comment dire à son ami que mon père va défendre son père du crime qu'il a commis ».

Aucun résultat. Étonnant... Samuel posa son ordinateur à côté de lui, et enfouit sa tête entre ses mains pour se masser le visage. Quelle histoire !

On frappa à sa porte, il ne répondit rien, mais la personne entra quand même. C'était Émile, qui s'avança pour s'asseoir sur le lit de Samuel. Ce dernier fronça les sourcils, il trouvait son colocataire bizarre depuis quelques jours, un peu trop gentil. Au début, il lui avait soupçonné d'avoir quelque chose à demander, mais désormais, ses doutes se reportaient autre part. Surtout depuis qu'il avait miraculeusement recommencé à parler à Sélène. Samuel ne préférait rien s'imaginer, mais... c'était étrange.

─ Qu'est-ce tu veux ? demanda Samuel, un peu suspicieux.

─ Tu fais un truc, ce soir ?

─ Mmh, réfléchit le jeune homme. Non, pourquoi ?

Émile se racla la gorge, comme mal à l'aise, puis s'expliqua :

─ On s'était dit qu'on allait organiser un petit repas tous ensemble, ça fait longtemps qu'on l'avait pas fait. Un repas cuisiné, je veux dire. Pas un kebab.

─ On ? questionna Samuel qui avait tiqué sur le premier mot de la phrase.

─ Sélène et moi.

Bien sûr, pensa le garçon. Il ne savait pas ce qu'il s'était passé, mais une chose était certaine : c'était arrivé. Il hésita à interroger Émile, mais finit par se résigner, comme pour César, s'il avait quelque chose à dire, ça devait venir de lui. Samuel lui sourit donc, et acquiesça.

─ Il faut préparer un truc.

─ Non, c'est bon, lui assura Émile, on s'occupe de tout. 20 heures, tu notes.

─ Je note.

Émile avait l'air content, et il quitta la chambre de Samuel en prenant le soin de bien refermer la porte derrière lui – ce qui était une grande qualité d'Émile. Samuel souffla, il devait absolument se remettre au boulot. C'était compliqué d'être un adulte responsable.


Il réussit à boucler la moitié de ses nouveaux programmes dans la matinée, et put même prendre un temps pour répondre aux e-mails. En bossant ainsi, la tête dans le guidon, il en avait presque oublié tous ses tracas. Quand il décida de faire une pause pour déjeuner, il trouva, à sa plus grande surprise, César dans le salon. On était pourtant mardi, et il était censé avoir cours et déjeuner à son école. Pourtant, il était bien là, dans la cuisine, en train de préparer son indémodable sandwich thon-mayonnaise.

─ Bah, qu'est-ce que tu fais là ? s'étonna Samuel. T'as pas cours ?

─ Pas cet aprèm, répliqua César sans même le regarder. Je dois aller à la gendarmerie.

─ Oh... souffla Samuel.

C'était vrai, il avait oublié ce détail. Une sueur froide coula dans son dos : et si son père était aussi là-bas ? Il n'y avait pas de raison réelle, mais tout pouvait arriver. Les deux se connaissaient, alors s'ils se croisaient, ce ne serait pas sans conséquence. Il se faisait peut-être beaucoup de films pour rien, mais il était inquiet. Il s'imaginait mal pouvoir regarder César dans les yeux si ce dernier apprenait que l'agresseur de sa sœur était défendu par son père. Samuel avait beau le détester, il restait un membre de sa famille, ce qui faisait qu'il était indéniablement lié à lui, et à ses actes.

─ Tu veux que je t'accompagne ? lui proposa Samuel. J'avais prévu d'aller courir de toute manière. Je peux marcher avec toi jusque là-bas, et courir après.

César sembla hésiter un peu, mais finit par hocher la tête.

─ Oui, je veux bien, merci.

Il n'avait vraiment pas l'air dans son assiette, alors Samuel passa l'heure qui suivit à essayer de lui changer un peu les idées, en discutant de tout et de n'importe quoi – de vraiment n'importe quoi, comme du prochain film Disney, par exemple, qu'aucun des deux ne comptait voir. Tout était bon pour sortir César de la bulle dans laquelle il avait tendance à se renfermer quand ça n'allait pas dans sa vie. Quand il fallut partit pour le commissariat, l'angoisse commença à monter, peut-être pas autant que pour César, mais Samuel avait bel et bien cette boule dans son estomac.

Tout le long du trajet, il se demanda s'il allait voir son père – c'était aussi ça, la raison cachée de sa proposition – et si c'était le cas, comme allait-il limiter les dégâts ? Ce n'était certes pas sa faute, mais il se sentait tout de même profondément coupable : pourquoi avait-il fallu que son père soit un tel connard ? Pourquoi devait-il toujours prendre les pires dossiers ?

─ Ça va aller, tu peux rester là, affirma César.

Ils n'étaient pas devant le commissariat, mais à une ou deux rues, devant un parc.

─ T'es sûr ?

─ Ouais, c'est bon.

Samuel acquiesça. Il ne pouvait rien faire d'autre, de toute manière, César était un grand garçon, qui savait se gérer tout seul.

─ Si t'as le moindre problème, tu m'appelles. Je mets la sonnerie au maximum.

Son ami hocha la tête à son tour, et prit seul la direction du commissariat. Samuel le regarda s'éloigner un bon moment avant de bifurquer à son tour dans le parc. Il avait peur pour César, peur que les choses ne se passent pas bien, qu'il en ressorte au plus mal. D'un côté, il y aurait peut-être un effet libérateur dans le fait de livrer sa version des faits. Samuel se demanda si c'était bien toute cette histoire qui avait tracassé son meilleur ami dans les mois précédents, s'il n'y avait pas quelque chose d'autre.

Lorsqu'il commença à courir, il espérait que ça lui permettrait de se changer les idées et de se vider la tête. Mais ce fut pire. Il se retrouva coincé avec ses pensées. Outres le problème avec son père et César, il y avait l'affaire avec Élise, et le fait que chaque jour, il continuait de garder le secret d'Amina. Il y avait aussi Sélène, qui ne lui faisait absolument plus confiance, car il n'avait fait qu'enchaîner les mensonges, et Émile, qui lui cachait un truc aussi, mais ne semblait pas vouloir lui dire. Était-il devenu cette personne à qui l'on osait plus parler ? Samuel avait bien peur d'avoir perdu définitivement toute la confiance de son groupe d'amis.

Voilà, c'était ça. Plus que le fait que son père ait récupéré le dossier de la famille de César, ce qui le tracassait, c'était le sentiment qu'il était un ami en carton.


**


Lorsqu'il rentra le soir, après son seul cours de la journée, ça sentait les oignons dans tout l'appartement. Émile et Sélène étaient aux fourneaux, pendant qu'Amina dressait la table. L'ambiance était joyeuse, la musique retentissait dans le salon, et ses amis riaient. Quand ils l'aperçurent rentrer, ses amis lui lancèrent un salut collectif.

─ Bière ? lui proposa Émile en sortant une bouteille du réfrigérateur.

Et avant qu'il ne puisse accepter, Samuel se retrouva avec la bière ouverte entre les mains.

Ce fut un choc pour le jeune homme, qui n'avait pas arrêté de broyer du noir toute la journée. A force de ressasser ses pensées, il en avait presque fini par se persuader qu'il était le pire pote de la Terre, et que si les autres membres de la bande ne voulaient plus le voir, c'était légitime. Et voilà qu'il rentrait et découvrait un joyeux spectacle, ou personne ne semblait être fâché de quoi que ce soit. Il décida de mettre ses mauvais sentiments de côté, pour apprécier la soirée.

─ César est dans sa chambre ? demanda-t-il.

Il espérait que son rendez-vous ce soit bien passé, même s'il ne savait pas trop comment ce genre de situation pouvait bien se terminer. À sa question, les autres froncèrent les sourcils.

─ Euh... hésita Émile. Il est pas encore rentré, je crois. En tout cas, je l'ai pas vu depuis 16 heures, quand je suis revenu.

Une petite vague de panique traversa Samuel, et pour être sûr, il frappa, puis entra dans la chambre de César. Elle était vide. Il tenta de l'appeler, il ne répondait pas. Même s'il essayait de le cacher aux autres, Samuel n'était pas serein. Il tenta de trouver des raisons logiques et rationnelles : l'interrogatoire avait pris plus de temps que prévu, même s'il bientôt 19 heures, ou bien, il était parti manger avec sa petite sœur. Oui, c'était ça. Il envoya un message « Tu rentres quand ? », et garda son téléphone dans sa poche, pour être sûr de ressentir la vibration quand César lui répondrait.

Il retourna auprès des autres, mais eut du mal à se mettre dans l'ambiance. Pourtant, Émile et Sélène avaient vraiment bien fait les choses : apéritif, entrée, plat, dessert. Tout était prêt pour passer une excellente soirée. Ils n'attendaient plus que César, qui ne se pointait toujours pas, et ne répondait même pas aux messages. Après plus d'une heure, Samuel comprit qu'il valait peut-être mieux ne pas l'attendre. D'une voix nonchalante, il tenta :

─ On peut commencer sans César, je pense, il nous en voudra pas.

Émile et Sélène échangèrent un regard gêné. La jeune femme insista encore un peu.

─ On n'est pas pressés, c'est bon. En fait, on voulait faire une annonce, donc ce serait cool si tout le monde était là.

─ Une annonce ? s'étonna Samuel.

Il lança des yeux intrigués à Amina, qui se contenta de hausser les épaules d'un air faussement perplexe. Samuel n'était pas dupe : elle savait, et lui aussi pensait savoir, mais ce qu'il pensait savoir était tellement gros qu'il ne pouvait pas le verbaliser avant d'être certain d'être sûr. Sinon, il allait se ridiculiser.

Du coup, ils picorèrent un peu plus pour patienter jusqu'à l'arrivée de César. Samuel se goinfra de cacahuètes, et plus le temps passait, plus il stressait pour son ami, plus il mangeait. Il commençait sa sèche dans deux semaines, il pouvait encore se permettre de ne pas faire attention. Les autres, eux, riaient et discutaient tranquillement devant le journal de 20 heures. Au bout d'un moment, Sélène montra tout de même quelques signes d'inquiétude.

─ On devrait peut-être l'appeler ? Non ? C'est normal qu'il soit aussi en retard ? Questionna-t-elle à l'intention de Samuel.

Il haussa les épaules. Il ne savait pas ce qu'il était en droit de dire ou non. César n'avait pas l'air d'avoir envie que tout le monde soit mis au courant de son emploi du temps. Samuel ne pouvait pas piétiner la confiance qu'il lui avait donnée, mais... mais la situation devenait préoccupante, et pour son bien, il devait peut-être prévenir le groupe. Sélène appela l'absent, deux fois, mais tomba à chaque fois sur messagerie. L'ambiance retomba rapidement. Le journal s'acheva, on zappa sur Scènes de Ménages, mais rien n'empêcha les visages de devenir de plus en plus graves. C'était étrange, car ils auraient très bien pu ne pas autant s'inquiéter, et simplement pester sur leur ami qui avait du retard. Mais non, car il s'agissait de César, et chacun avait conscience que s'il n'était pas là, c'était que quelque chose n'allait pas.

La jambe de Samuel s'affolait, il ne pouvait pas s'empêcher de la gigoter sur place. Il se pencha pour prendre une énième poignée de cacahuètes pour avoir quelque chose à mâchouiller, quand soudain, la porte de l'appartement s'ouvrit doucement, presque sans bruit. Les quatre amis se retournèrent comme un seul homme. César venait de rentrer. Il baissait les yeux au sol, on ne voyait presque pas son visage. Sans un mot, il se traîna jusqu'à sa chambre et ferma la porte derrière lui. Le groupe se regarda, et n'hésita pas une seule seconde : tous, ils se levèrent pour frapper chez César.

─ César ? l'appela Samuel. Mec ? Ça va ?

Pas de réponse.

─ Il s'est passé un truc en cours, vous croyez ? chuchota Amina.

─ Il passait pas un oral aujourd'hui ? Renchérit Émile. Il m'a dit qu'il passait un oral, je crois.

Samuel frappa de nouveau. Il ne pouvait décemment pas laisser César s'enfermer dans sa chambre, besoin d'être seul ou non. Il venait de passer des heures dans un commissariat, à témoigner contre son propre père pour aider sa sœur – enfin, de ce qu'il imaginaire, en réalité, il ne savait même pas de quel côté César avait témoigné (oh, et s'il avait pris le parti de son père ?) - il avait besoin de changer les esprits. Samuel avait beau être un ami qui respectait les espaces privés des autres, certaines situations appelaient à des exceptions. Celle-ci en était une.

─ César ? retenta-t-il. Ça te dérange si on rentre ?

─ On va peut-être le laisser, non ? proposa Sélène. 'Fin... s'il a loupé son oral.

─ César, ignora Samuel. S'teu plaît, je peux rentrer ?

De l'autre côté de la porte, son ami ne disait toujours rien. Samuel avait la main sur la poignée, et hésitait lourdement. Dans son dos, les trois amis débattaient pour savoir ce qu'il fallait faire, Samuel avait envie de leur crier de la fermer, de leur dire de la fermer, car il ne savait rien. Ça bouillonnait à l'intérieur du jeune homme, et à nouveau, cet horrible sentiment d'être un ami qui ne servait à rien remonta à la surface. Il se sentait totalement impuissant, et il en détestait chaque sensation. Samuel prit une longue inspiration, et ouvrit la porte, car s'il devait devenir un meilleur ami pour les autres, ça commençait maintenant. Il ne pouvait pas laisser César seul.

Chacun retint son souffle, et ils découvrirent César, allongé sur son lit, les bras en croix. Il ne bougeait pas, il respirait juste très lentement. Samuel s'avança très lentement, comme s'il avait en face de lui un animal qu'il ne voulait pas apeuré. Les autres restèrent dans l'encadrement de la porte. César ne réagissait pas, il avait les yeux rivés sur le plafond. On aurait pas dit qu'il était mort, loin de là, il paraissait simplement... vidé. Samuel s'assit sur le lit, là où il y avait de la place.

─ Ça va ? tenta-t-il, ne s'attendant pas trop à une réponse.

Les traits du visage de César se crispèrent, il retroussa les lèvres alors que sa respiration, elle, s'emballa d'un coup. Il haleta, et se recroquevilla sur le côté : Samuel regarda les autres, qui ne comprenaient rien. Un sanglot se fit entendre, la main de César se glissa dans celle de son meilleur ami, et il la serra aussi fort qu'il le put, le cœur de Samuel explosa. César pleurait, et cachait son visage pour qu'on ne le voit pas.

─ Oh... gémit Amina derrière eux.

Elle s'avança et grimpa sur le lit, avant de s'allonger et de se mettre contre César pour l'enlacer. Bientôt, Sélène et Émile les rejoignirent, la jeune femme fit elle aussi un câlin, tandis qu'Émile passait une main apaisante dans son dos.

Le câlin collectif dura de longues secondes, qui se transformèrent en minutes. Personne ne disait rien, personne ne posa de questions. On se contenta juste d'accompagner César dans sa peine et sa douleur. Il pleura longtemps, plus aussi vigoureusement, mais il continua d'évacuer toute sa tristesse pendant plus d'un quart d'heure.

Jamais il ne lâcha la main de Samuel. 

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