25 : La caméra

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CÉSAR


César n'était vraiment pas certain d'avoir son année. Il avait révisé comme un malade pendant les vacances et bien après, mais il n'était vraiment pas confiant. Ce n'était pas seulement les deux semaines qu'il avait loupées – même si elles l'avaient bien mis dans le jus –, c'était tous les derniers mois, où il était allé en cours machinalement, comme un robot, qu'il avait écouté mais rien retenu. Son dernier examen venait de s'achever le jour-même, et il était à peu près sûr de redoubler. Il n'avait pas la fois d'aller aux rattrapages, alors il s'était dit que s'il ne passait pas, il repiquerait. Ça l'agaçait, c'était une année de perdue... Il savait bien qu'il ne devait pas réfléchir comme ça, qu'il devait plutôt se dire que c'était une année qu'il avait consacré à autre chose que ses études : à sa famille, à ses amis, à lui-même. Mais sa petite voix de perfectionniste ne cessait de le hanter, et de lui répéter que, de toutes manières, il était un minable, et qu'il ne parviendrait jamais à rien dans la vie.

Mais bon... c'était fait, maintenant. À quoi bon ressasser les mauvais moments ? Il n'avait plus qu'à attendre les résultats.

De tout le groupe, il ne restait qu'Émile qui avait encore des examens à passer, à la mi-juin. Les filles, comme César, étaient enfin libérées, et pouvaient se considérer en vacances, elles étaient toutes les deux de bonnes élèves, et n'avaient pas à s'inquiéter des rattrapages. Officiellement, ils en avaient donc fini avec l'année scolaire, et s'étaient dit qu'il fallait fêter ça. Mais pas avec une soirée trop arrosée qui finirait par ruiner leur amitié à nouveau. Ils ne voulaient pas prendre le risque. Alors Sam avait réservé une table dans un restaurant au centre-ville, et ils s'étaient dit que pour une fois – peut-être la première – ils allaient se comporter comme les adultes qu'ils étaient censés être.

À 20 heures, César était le premier arrivé, on l'installa à une table de six. Il ne savait ce qui retenait les autres. Quand il avait quitté l'appartement, il l'avait laissé vide. Sam devait travailler et Émile... était sûrement chez Sélène. À cette pensée, une boule se forma dans la gorge de César. Il n'y arrivait pas, vraiment pas. Il était bien content de s'être cassé pendant les vacances, et d'avoir charbonné quand il était rentré. Le moins de temps à les voir ensemble, le mieux il se portait.

Il n'était même pas en colère contre Émile, il avait bien essayé, mais il ne lui en voulait pas. Après tout, c'était son ami, et il méritait d'avoir quelqu'un dans sa vie. En fait, il était profondément remonté contre lui-même. Émile avait simplement osé faire ce que lui n'était jamais parvenu en six ans. Il ne pouvait pester contre personne d'autre que lui-même. Sélène en avait eu marre de l'attendre, et elle avait eu raison. Pourquoi fallait-il qu'il soit comme ça ?

Au moment-même où il se posait cette question, son téléphone vibra, et un message de sa petite sœur apparut sur l'écran.

« Tu veux qu'on se voit ce soir ? »

César sourit, et tapa, aussitôt pour la rassurer.

« Non, c'est bon, je suis avec les copains, ça va aller »

Dans la minute qui suivit, elle répondit.

« OK, tu me dis, hein, et si tu veux passer cette nuit, je laisserai mon portail ouvert »

César prit une longue inspiration qui l'apaisa un peu plus. Si sa sœur s'inquiétait autant, c'était parce qu'on était le 15 mai, et que le lendemain matin, il prenait un train pour Paris. Au début, quand il avait postulé pour l'émission, il s'était dit qu'il ne dirait rien à personne tant qu'il n'avait pas tourné, puis, lors de la semaine chez sa grand-mère, sa sœur, puis sa mère étaient finalement venues. Et il leur avait tout raconté. La police était au courant, de toute façon, c'était désormais écrit dans le dossier, pour l'affaire, et il allait sûrement devoir témoigner dans quelques années, pendant le procès. Il n'était clairement pas pressé pour ça, mais peu importait : ça allait sortir. Il ne voulait pas que toute sa famille en soit choquée.

Donc, il avait parlé. Pour la première fois depuis seize ans. Ça avait retourné tout le monde, il y avait eu des larmes, des excuses, des cris. Sa sœur était tombée de haut, elle l'avait pris dans ses bras, et lui avait chuchoté qu'elle ne l'abandonnerait jamais, tant que lui ne l'abandonnait pas. Il lui avait promis. César n'allait toujours pas bien, il avait été chez un médecin, qui lui avait recommandé un énième psychologue, mais cette fois-ci, il se sentait de commencer un vrai travail. Il ne pouvait plus vivre comme ça. C'était une nouvelle page de sa vie, elle n'était pas forcément plus joyeuse, mais il espérait qu'elle l'aide à ouvrir, plus tard, tout un nouveau chapitre.

Le temps passait, et les autres se faisaient attendre. César se demandait même s'il ne s'était pas trompé d'adresse. Puis la porte s'ouvrit, et un visage vaguement familier entra. C'était cette fille, qu'Amina avait ramené un lendemain de soirée... Camille ? Il ne l'avait vue qu'une fois en tout et pour tout, mais depuis, il avait beaucoup, beaucoup entendu parler d'elle. Il se demanda ce qu'elle faisait là. Naturellement, elle vint à sa table, et il comprit pourquoi un sixième couvert était installé.

─ Salut, lança-t-elle, presque timide.

─ Salut.

─ Les autres sont pas là ?

César haussa les épaules. Il se demandait ce qu'elle faisait là, et qui l'avait invité. Il pensait que le groupe était très fermé aux nouveaux arrivants. A moins que... était-ce la nouvelle copine d'Amina ? Non, il l'aurait su, il n'était pas si déconnecté que ça. Il se risqua à poser quelques questions.

─ C'est Amina qui t'a invité ?

─ Euh, Sam, lui confia-t-elle en tirant une chaise.

─ Ah ouais ?

Ça, il ne s'y attendait pas. Il acquiesça, ne sachant pas trop comment prendre la chose, et les deux restèrent en silence de longues secondes. César ne savait pas trop quoi dire, il était un peu perturbé. C'était la même fille qu'il avait rencontrée, mais elle lui paraissait totalement différente. Elle ne criait pas, elle n'était pas embarrassante, elle lui semblait presque... sympathique. Ou, du moins, pas irritante.

─ Du coup, quoi de neuf ? dit César, même s'il ne connaissait rien de sa vie jusque là.

─ Ça va, souffla-t-elle avant de marquer une pause. Ça va.

Camille soupira, et répéta.

─ Ça va.

César fronça les sourcils.

─ T'es sûre que ça va ?

Les yeux de la jeune femme se perdirent dans le vide, et son visage se retrouva animé d'une expression de détresse. César sentait le truc, et toutes ses alarmes internes se mirent à clignoter au rouge quand elle lui dit :

─ Je sais pas, je sais pas si je dois être là, je pense que je vais y aller.

Elle reculait déjà sa chaise, et allait se lever, mais César fut plus rapide, et parvint à lui attraper la main. Camille s'immobilisa sous le geste, et le regarda droit dans les yeux. Un frisson parcourut l'échine du jeune homme, parce qu'il vit dans ses yeux la même peur que celle qu'il voyait parfois dans son reflet. Une peur immense et insurmontable d'être seul au monde. Il ne savait ni pourquoi, ni comment, mais il compatissait. C'était suffisant, à son sens.

─ Ça va, lui murmura-t-il avec un léger sourire.

À cet instant, la porte s'ouvrit, et les quatre membres manquants du groupe apparurent. César retira rapidement sa main, et les accueillit en montrant son poignet pour signifier qu'ils étaient en retard. Camille resta, finalement, et l'ambiance s'allégea quand ils s'installèrent tous autour de la table.

Ce repas était exactement ce dont César avait besoin, et il ne l'avait pas réalisé jusqu'à maintenant. Ils riaient, se racontaient leurs galères personnelles et leur stress face aux examens passés ou à venir. Même Camille, qui avait eu un peu de mal à entrer dans la conversation finit par se prendre au jeu, et se révéla très intéressante comme fille. César ne savait pas encore très bien ce qu'elle faisait ici, si c'était une nouvelle venue dans la bande, si ce n'était qu'une connaissance de passage, mais il l'aimait bien. Qui l'aurait cru ?

Entre le plat et le dessert, César sortit fumer une cigarette. Ils avaient traîné à table, alors il faisait déjà nuit, et un peu froid. César remonta la fermeture de sa veste jusqu'en haut, et s'assit sur le rebord de la vitrine du restaurant. Sam vint le trouver, et se posa à côté de lui.

─ Ah, soupira son ami, c'est cool, c'est une bonne adresse.

─ Tu dis ça parce que la serveuse a pas arrêté de te faire du rentre-dedans ? rit César.

─ Non... Enfin, peut-être, mais la bouffe est bonne, aussi.

César pouffa de rire, avant de tirer sur sa cigarette. Un silence s'immisça entre les deux amis, le bruit de la rue, des voitures, du brouhaha du restaurant derrière eux les surplomba, jusqu'à ce que Samuel reprenne :

─ Ça va, ta petite sœur, au fait ? Par rapport à...

César acquiesça.

─ Elle est grave forte. C'est une vraie lionne. Elle va le bouffer.

─ Ton père ?

─ Ouais.

Sam détourna les yeux, son regard se perdit sur la route.

─ Mec ? interpella-t-il César. Il faut que je t'avoue un truc.

─ Vas-y, je suis plus à ça près.

C'était vrai. Le nombre de révélations qu'il avait dû endurer dans les derniers mois était surréaliste. Il ne voulait même pas tenir les comptes, de peur de tourner de l'oeil en voyant le chiffre.

─ C'est mon père qui prend votre affaire. Enfin, pas vous, mais... il fait la défense, il...

─ Il défend mon père, conclut César.

─ C'est ça.

César mit un temps avant de répondre, histoire de trier un peu toutes ses émotions avant de les laisser paraître. Que pouvait-il dire ? Ce n'était ni la faute de Sam, ni celle de personne d'autre. La justice fonctionnait ainsi, et tout accusé, aussi ignoble était-il, avait le droit à un avocat. Le père de Sam était déjà une raclure, pour l'avoir rencontré plusieurs fois, César ne pouvait que confirmer. Ça ne changeait donc rien. Entre raclures, ils allaient peut-être même bien s'entendre. César finit par hausser les épaules.

─ C'est juste dommage pour ton père. Parce qu'il n'est pas habitué à perdre ses procès.

Samuel rit – peut-être un peu nerveusement – et prit une longue inspiration. César termina sa cigarette, et profita de l'instant. Étrangement, il se sentait calme. Il était encore très abattu par tout ce qu'il se passait dans sa vie, mais il n'avait plus aussi peur, et il n'avait plus le sentiment d'être constamment en train de se battre pour sortir la tête de l'eau.

D'accord, il y avait des jours où il ne voulait pas sortir du lit, mais désormais, il savait pourquoi, il n'était plus dans le flou, comme avant. Oui, la fille de sa vie était partie avec un autre, mais au moins, il ne s'interrogeait plus sans arrêt sur l'attitude à adopter dans sa présence. OK, peut-être que lui et ses amis n'étaient plus aussi soudés, mais ils étaient encore là. Finalement, cette histoire de préservatif, si elle avait fait éclaté au grand jour tous ses soucis, elle avait eu aussi le mérite de le faire avancer. Et ça, ce n'était vraiment pas anodin.


**


Le tournage n'avait pas lieu dans un studio, comme il s'y était attendu. Une fois qu'il retrouva l'équipe dans leurs bureaux, ils l'emmenèrent dans une maison à quelques rues d'ici. Ils filmèrent dans un salon meublé comme un show-room Ikea. Avant de passer au maquillage, l'assistante de direction, Marie, lui redemanda :

─ Tu es toujours d'accord pour le faire à visage découvert ? Il n'y a absolument aucune obligation, César. Je te rappelle qu'on peut préserver ton anonymat si tu le souhaites.

Elle n'avait cessé de s'assurer de son consentement depuis qu'il était arrivé. Et comme à chaque fois, César hochait la tête, et répondait.

─ Sûr.

Marie lui sourit. On l'installa sur le sofa design, on lui passa un peu de poudre sur le visage le temps que le cadreur fasse son travail, et bientôt, César se retrouva seul, sur son canapé, en face d'une dizaine de personne. En face de lui, hors caméra, il y avait la journaliste qui menait le reportage. Elle devait lui poser les questions pour le guider dans son histoire. Elle parlait, lui répondait, mais dans le reportage, ils ne garderaient que ses réponses au montage.

Le cœur de César s'emballa, et un court instant, il remit en doute sa décision. Après ce jour-là, plus rien ne serait pareil. Était-il vraiment prêt à ça ? Il avait dû longuement en parler avec les avocats de sa sœur, pour être sûr que ça ne nuirait pas au procès. On l'avait rassuré, on lui avait dit que c'était bon. Mais tout de même, une petite part de lui doutait. Puis, on annonça que la caméra tournait, la journaliste le lança, et il était désormais trop tard pour faire demi-tour.

─ OK, César, alors pour commencer, il faudrait que tu te présentes. Ton prénom, ton âge, ce que tu fais dans la vie, et que tu dises très succinctement ce qui t'es arrivé.

─ Comme ça, cash ?

─ Comme tu le sens.

César acquiesça, prit une immense inspiration, et y alla. On lui avait dit qu'il pouvait regarder Marie, ou la journaliste, ou n'importe qui d'autre. Il n'était pas obligé de fixer la caméra, alors il parla à la femme en face de lui.

─ Je m'appelle César, j'ai vingt-et-un ans. En ce moment, je suis étudiant. Et... et du coup quand j'avais quatre ans, j'ai subi des attouchements de la part de mon père.




FIN 

(pour le moment)

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