Chapitre 40

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— Je ne peux tout de même pas traverser le village comme ça, bredouilla Lyssandra. Et toi non plus.

Julian et elle approchaient de l'allée principale, bondée de loups-garous qui avaient d'ors et déjà repris leurs habitudes après cette nuit de pleine lune. Retrouver leur chemin jusqu'ici n'avait pas été une mince affaire, et la jeune fille n'avait pas pensé à ce qu'ils feraient une fois arrivés à destination. Même si elle avait l'impression de flotter sur un nuage depuis ses retrouvailles avec Julian, elle ne s'imaginait pas passer au milieu de la foule vêtue d'une chemise qui lui couvrait à peine la moitié des cuisses.

— C'est vrai que c'est légèrement embêtant, reconnut-il en se grattant l'arrière de la tête. Je regrette de ne pas avoir suivi Marcus dans ses séances de musculation...

Il désigna son torse nu qui n'était effectivement pas très musclé, mais Lyssandra s'en moquait bien.

— Dans l'immédiat, ton charme irrésistible nous sera plus utile, s'amusa-t-elle en s'étonnant elle-même de ne pas être gênée par sa remarque. Tu ne pourrais pas gentiment demander à quelqu'un de nous prêter des vêtements ? Cela doit arriver assez souvent que des loups rencontrent ce genre de problème, non ?

— On peut toujours essayer, approuva-t-il. Les loups-garous sont tenus de rester solidaires en cas de... Disons en cas de perte du sac avec nos vêtements de rechange.

Peu fiers, ils s'engagèrent dans l'entrée de l'allée principale, sous des regards tantôt intrigués, tantôt amusés. Les lycanthropes devaient être habitués à ce genre de problème, mais il n'empêchait que Lyssandra ne se sentait guère à son aise... Elle repéra une jeune femme qui s'apprêtait à rentrer chez elle, et Julian alla à sa rencontre juste avant qu'elle ne franchisse le pas de sa porte.

— Excusez-moi, commença-t-il en prenant un air penaud, ma...

Il s'interrompit face aux yeux écarquillés que la femme braquait sur lui. Elle le fixa quelques secondes sans articuler le moindre mot, avant de porter une main dans ses longs cheveux blonds, comme pour s'assurer qu'ils n'étaient pas trop décoiffés.

— Vous... Vous êtes le prince ? balbutia-t-elle tandis que ses jolies lèvres rouges prenaient la forme d'un sourire béat.

Julian resta un instant interdit, alors que derrière lui, la Neutre désormais louve se retenait de glousser.

— Eh bien... Je ne suis pas vraiment le prince, vous savez, répondit-il en cherchant ses mots. Mon frère en est aussi un, mais nous n'avons pas exactement ce titre, nous ne sommes que les fils du...

— Je vous ai vu, au bal, l'interrompit-elle, si fascinée qu'elle n'avait même pas fait attention à ses paroles. Je faisais partie des Neutres en lice pour recevoir la bague.

Lyssandra se figea, s'attendant à ce qu'elle explose de rage à tout moment. Dans leur empressement à trouver une âme charitable, ils n'avaient pas vu que cette femme était une Neutre. Elle devait certainement détester Julian pour ne pas l'avoir choisie, et si par le plus grand des malheurs, elle reconnaissait la "fille à la robe bleue", nul doute qu'elle lui sauterait dessus pour lui arracher les yeux.

— Oh, fit le jeune homme, au comble de la gêne. Je suis désolé, ce soir-là, j'aurais vraiment aimé pouvoir choisir tout le monde, mais...

— Ne vous excusez pas, le coupa-t-elle, son sourire s'élargissant davantage. Au final, cette soirée a quand même changé ma vie. J'y ai rencontré mon mari.

Les deux loups en restèrent sans voix, tentant de masquer leur surprise tant bien que mal. La Nuit des Bagues datait de tout juste un mois, comment avait-elle pu se marier avec quelqu'un qu'elle connaissait depuis aussi peu de temps ?

— Je vous remercie pour ce bal, monsieur Julian. Je sais que mon mari aurait aussi aimé vous témoigner sa reconnaissance, mais c'est un vampire, alors vous comprendrez qu'il dorme à cette heure-ci...

Un vampire ? Lyssandra se força à garder une expression neutre, mais la femme n'avait de toute façon pas une seule fois posé les yeux sur elle.

— Toutes mes félicitations pour votre mariage, déclara le loup-garou avec un petit sourire, une fois remis de sa stupéfaction. J'espère que... J'espère que vous êtes heureuse.

La louve comprit qu'il avait failli demander si ce vampire la traitait bien, car c'était la question qu'elle aussi se posait. Les histoires entre Neutres et buveurs de sang étaient souvent vouées à l'échec, Dame Miranda et son Theodore en étant la plus belle preuve. Il devait cependant bien exister des vampires de bonne foi, tels qu'Alisée, et Lyssandra espérait sincèrement que cette femme était tombée sur l'un d'eux.

— À vrai dire, j'ignorais que je pourrais un jour être aussi heureuse, avoua la Neutre en baissant les yeux. Mais je ne vous embête pas plus avec mes histoires, pardonnez-moi, monsieur Julian. Avez-vous besoin de quelque chose ?

Il lui expliqua leur situation, et la femme les invita aussitôt à rentrer chez elle pour se changer. La demeure devait certainement appartenir au vampire, car elle était assez charmante et d'un style plutôt raffiné. Une telle propriété à l'entrée du village était inabordable pour une simple Neutre. La moindre propriété était inabordable pour un Neutre tout court, d'ailleurs.

Lyssandra trouva rapidement de quoi s'habiller de manière plus décente, et elle promit à la femme de lui rapporter les vêtements dès que possible. L'intéressée assura que ce n'était pas nécessaire, visiblement ravie d'avoir pu aider une amie du fils du Grand Alpha. Elle les invita même à prendre un petit déjeuner, mais ils déclinèrent poliment l'invitation. La louve commençait à se sentir de plus en plus fatiguée, ses maux de tête et courbatures la rattrapant. D'après Julian, les effets de la pleine lune devaient commencer à se dissiper, étiolant les faibles forces de la jeune fille.

— Tu es sûre que tu vas pouvoir marcher jusqu'au palais ? s'inquiéta-t-il après qu'ils aient quitté le domicile de la Neutre. On pourrait essayer de trouver un carrosse ou...

— Ne t'en fais pas, ça va aller, fit-elle en lui attrapant la main. Au moins, j'ai des chaussures à peu près à ma taille...

La femme lui avait effectivement prêté une paire assez confortable, sauf qu'elle était légèrement trop petite pour ses pieds. La robe qu'elle portait était également un peu trop courte, mais c'était toujours mieux que la chemise de Julian. Ce dernier resta à ses côtés pendant tout le trajet jusqu'au palais, la soutenant de temps à autre lorsqu'elle était trop essoufflée. Pourquoi faut-il que ce village soit construit sur une colline ? Et que le château en soit au sommet ? Malgré tous ses efforts pour faire semblant d'aller bien, sa fatigue était de plus en plus difficile à dissimuler, et le jeune homme n'était pas totalement naïf.

— Lyssandra, commença-t-il avec douceur alors qu'ils faisaient une pause dans l'une des ruelles de l'Ancien Quartier, lorsque nous traversions la forêt, tu m'as simplement dit que Dame Miranda t'avait enfermée dans un grenier. Mais... J'imagine que ça a dû être bien plus horrible que cela...

Adossée contre un mur, la jeune fille baissa les yeux vers les pavés de pierre qui ornaient le sol. Elle n'avait pas envie que Julian soit au courant de la solitude insoutenable qu'elle avait dû supporter, ni de la douleur atroce de son poignet cassé, pas plus que des maigres rations de nourriture que lui laissait Dame Miranda... Cette dernière pensée réveilla sa faim, et elle regretta de ne pas avoir accepté le petit déjeuner proposé par la Neutre.

— Ne... Ne t'inquiète pas, murmura-t-elle en le regardant avec un faible sourire peu convaincant. Le plus important, c'est que cela soit derrière nous, non ?

Sauf que toute cette histoire n'est pas forcément derrière toi. À l'heure actuelle, la vieille vampire devait toujours être au manoir, en train de manigancer un plan pour remettre la main sur celle qui lui appartenait. Car même si elle était devenue une louve, Lyssandra ignorait quels droits Dame Miranda avait encore sur elle...

— Tu as raison, déclara Julian en lui pressant doucement la main. Mais je sais qu'il y a des choses que tu ne veux pas me dire, et je le comprends. Quand tu seras prête à en parler, je veux que tu saches que je serai là pour t'écouter, d'accord ?

Elle hocha la tête avec cette fois un vrai sourire, et déposa un baiser sur sa joue avant qu'ils ne reprennent leur route. Le portail du palais finit par se profiler devant eux, et la louve se retint de pousser un soupir de soulagement. Deux gardes vêtus d'uniformes rouges encadraient l'entrée, aussi droits que des bâtons. À l'approche des deux loups, ils posèrent machinalement la main sur le pommeau de leur épée, avant de la retirer aussitôt en reconnaissant Julian.

— Bonjour, monsieur Julian, déclara l'un d'entre eux en hochant la tête. Monsieur le Grand Alpha et madame la co-capitaine de la garde commençaient à s'inquiéter. Vous n'êtes pas revenu au palais avant la fin de votre transformation.

Son ton n'était pas accusateur, mais témoignait simplement d'une sincère sollicitude.

— Pardonnez-moi, Simon, mais mon retard a une excellente raison. J'ai retrouvé Lyssandra.

Le garde se tourna vers la jeune fille et s'inclina respectueusement, comme s'il avait affaire à un membre de la famille du Grand Alpha. Gênée, la louve se sentit rougir et balbutia quelques mots qu'elle-même ne comprit pas. Alors comme ça, tous les gardes du palais savaient qui elle était ? Évidemment, abrutie, puisque Julian avait mobilisé tous les soldats pour te retrouver. Sa main toujours dans celle du loup-garou devait également laisser peu de place au doute.

— Nous avons justement reçu des informations des troupes postées autour du domicile de la suspecte Dame Miranda, déclara le garde en se tournant vers Julian. Lorsqu'ils ont repris leur poste à la fin de la pleine lune, nos hommes sont entrés dans le manoir pour leur contrôle quotidien des activités de la vampire. Ils ont surpris celle-ci en train de préparer des valises et de se disputer avec ses filles, visiblement prête à partir la nuit prochaine.

Lyssandra sentit son sang se glacer et Julian se rapprocha d'elle de quelques centimètres.

— Cette femme a séquestré Lyssandra pendant un mois. Elle ne doit nous échapper sous aucun prétexte. Elle doit payer pour tout le mal qu'elle lui a causé, et il est hors de question qu'elle s'en sorte si facilement, affirma-t-il avec une détermination menaçante qui tranchait avec sa bienveillance habituelle.

— N'ayez aucune crainte, monsieur Julian. Dès que notre messager est arrivé, monsieur Marcus a ordonné l'arrestation de la vampire et de ses deux acolytes. Vu votre retard, il s'est douté que quelque chose était arrivé. Des cavaliers viennent d'être envoyés en renfort pour surveiller les suspectes, et un carrosse les rapatriera ce soir jusqu'ici.

— Vous voulez dire que... Dame Miranda va vraiment être arrêtée ? s'étonna la louve, peinant à y croire. Et ramenée au palais ?

— Les cachots sont déjà prêts, confirma le garde sans témoigner de la moindre émotion.

Lyssandra ne savait qu'en penser. Elle n'avait jamais imaginé que la vampire serait un jour condamnée pour ses crimes, sachant que malgré toutes les atrocités qu'elle avait commises, ces actes rentraient parfaitement dans le cadre de la loi. Quand bien même elle était arrêtée, quelles charges allaient être retenues contre elle ? L'ancienne Neutre lui appartenait après tout, et sans doute qu'aucun arrêt n'interdisait la maltraitance sur ces êtres qui étaient à peine plus considérés que des animaux.

— Tu n'as pas à t'inquiéter, la réconforta Julian comme s'il ressentait son trouble. Tu ne lui appartiens plus, désormais. Et même si cela avait toujours été le cas, jamais je ne t'aurais laissée repartir avec elle. Sans oublier que Marcus croit peut-être avoir trouvé une faille dans les affaires de Dame Miranda...

Elle aurait voulu lui en demander plus, mais rester debout lui devenait de plus en plus difficile. Sans s'attarder, ils passèrent le portail et pénétrèrent dans l'enceinte du château. La route qui longeait les sinistres murs de pierre semblait interminable, sans parler des escaliers qui menaient jusqu'au parvis. La dernière fois que Lyssandra les avait empruntés, ils étaient bondés de Neutres prêts à s'entretuer pour arriver au sommet. Maintenant que les marches étaient désertes, elles lui paraissaient encore plus imposantes.

— Tu ne pouvais pas habiter dans une jolie petite chaumière ? s'amusa-t-elle néanmoins pour donner le change malgré sa fatigue.

— Crois-moi, il y a des fois où je préférerais... Il paraît que j'ai failli me tuer dans ces escaliers, quand j'étais petit. Je n'en ai aucun souvenir, mais ma mère en est restée traumatisée...

Et il fut visiblement loin d'être le dernier à manquer de perdre la vie à cause de ces marches, car la louve trébucha au moins quatre fois. Si Julian ne l'avait pas soutenue, elle se serait sûrement fracturé un nouvel os, comme si ceux de la nuit dernière n'avaient pas été suffisants... Ils parvinrent heureusement sans blessures jusqu'au hall d'entrée du palais. Lyssandra s'émerveilla une nouvelle fois de sa beauté. À la lumière du jour, le dôme en vitraux dorés était encore plus majestueux. Les rayons du soleil se réfléchissaient sur eux et projetaient l'éclat des morceaux de verre coloré contre les murs blancs. Les chandelles du sublime lustre n'étaient pas allumées, mais il n'en restait pas moins impressionnant.

— Euh... Que faisons-nous, maintenant ? demanda-t-elle alors que le loup-garou s'était arrêté au milieu du hall uniquement peuplé par quelques gardes.

— Eh bien... Justement, c'est ce à quoi je suis en train de réfléchir, avoua-t-il, un peu gêné.

— Ça se voit que tu ne nous ramènes pas des filles tous les jours, intervint une voix masculine en débarquant dans la pièce.

Marcus se dirigeait vers eux, ajustant inutilement le col parfait de sa chemise blanche. Malgré sa remarque badine, il avait l'air plus sérieux que jamais. Ses iris d'un bleu presque transparent étaient rivés sur Lyssandra, la fixant comme s'il doutait de sa réalité. Il n'esquissa pas le moindre sourire à son intention, ce qui ne surprit guère l'intéressée.

— Mademoiselle, la salua-t-il avec sa froideur coutumière. Vous me voyez heureux de vous retrouver.

Heureusement qu'elle ne s'était pas attendue à de grandes retrouvailles larmoyantes, car il n'attendit pas un instant de plus avant de se détourner d'elle.

— Charles, fit-il à l'adresse d'un valet en livrée sombre qui passait dans le hall, demandez à Sofia et Paul de préparer une chambre pour la demoiselle, s'il vous plaît. En attendant, j'imagine que papa nous a laissé ses gâteaux dans la salle à manger ?

Le domestique acquiesça avant d'incliner la tête et de disposer sans un mot. Marcus le remercia, puis fit mine de repartir vers le couloir d'où il était apparu.

— Alors ? s'impatienta-t-il comme les deux autres restaient plantés sur place. Vous ne venez pas ? Mademoiselle, j'ignore ce qu'il vous est arrivé, mais j'imagine que vous devez être épuisée. Vous ne voulez pas manger quelque chose ?

Décontenancée, Lyssandra balbutia une réponse affirmative. Vu son accueil, elle ne s'était pas attendue à ce qu'il lui propose des pâtisseries, et Julian semblait le premier surpris. Il regardait son frère avec étonnement, un léger sourire aux lèvres. Marcus les précéda dans les couloirs du palais, sans que la raison de sa présence ne soit expliquée. Il ne posait pas la moindre question, ni n'entamait la plus petite discussion.

Son bras accroché à celui de Julian, la louve n'essayait même pas de se retrouver parmi ces longs corridors. Trop éreintée par les nouvelles marches qu'il fallait quelques fois gravir, elle ne faisait pas attention aux nombreuses toiles accrochées aux murs. Les multiples couleurs qui défilaient lui donnaient le tournis, mais dans l'ensemble, elle trouva la décoration étonnamment peu chargée. Elle supposa qu'ils se trouvaient dans la partie du château exclusivement réservée à la famille du Grand Alpha, car plus ils approchaient de ladite "salle à manger", plus les lieux semblaient chaleureux.

— Ta... Ta nuit s'est bien passée, Marcus ? s'enquit finalement Julian d'un air peu assuré, après un lourd moment de silence.

Sans qu'elle ne sache pourquoi, Lyssandra sentait une certaine tension entre les deux loups. Le plus âgé ne se retourna même pas lorsqu'il répondit :

— Évidemment. Pourquoi voudrais-tu que ça ne soit pas le cas ?

— Euh... Disons que je te trouve bien silencieux. Tu n'as même pas demandé ce qui était arrivé à Lys...

— Julian, ce n'est pas le moment, l'interrompit son frère avec sévérité en faisant volte-face. Je suis assez perspicace pour avoir remarqué qu'elle était devenue une louve. Félicitations pour cela, d'ailleurs, mademoiselle, mais je suppose que vous n'avez pas disparu pendant un mois pour une retraite spirituelle. Mes questions ne vous seront dans l'immédiat que désagréments, donc je ne veux pas vous embêter avec des paroles inutiles.

La jeune fille fut bien obligée d'admettre qu'il avait raison. Relater ses souffrances était la dernière chose dont elle avait envie, et faire face à une multitude d'interrogations aussi. Elle devina que Marcus devait déjà avoir été dans sa situation pour comprendre si justement ce qu'elle ressentait.

Après de multiples intersections, ils atteignirent une petite pièce élégamment décorée dans des tons de bleu. De larges fenêtres laissaient entrer la lumière du soleil, dont les rayons se reflétaient sur des plateaux en argent disposés sur une large table rectangulaire. Ceux-ci étaient garnis de croissants, chocolats, tartelettes aux fraises, et de toutes sortes de pâtisseries dégageant une odeur envoûtante. De la fumée s'échappait également d'une théière entourée de petites tasses en porcelaine, toutes ornées de jolis motifs évoquant la lune.

Plantée dans l'embrasure de la porte, Lyssandra n'osait bouger, de peur que tout ceci ne soit qu'un rêve et qu'elle se réveille dans le sombre grenier du manoir. Si Julian ne l'avait pas guidée vers l'une des chaises, elle serait certainement restée stupéfaite jusqu'à la tombée de la nuit. Soulagée d'enfin pouvoir s'assoir, elle se retint de coucher sa tête sur la table. Julian était assis face à elle tandis que son frère se tenait à sa droite.

— Servez-vous, mademoiselle, l'enjoignit Marcus en prenant lui-même une des tartelettes aux fraises. Vous n'allez pas passer tous vos repas à fixer les assiettes, si ?

Tous vos repas. La louve ne se rendit pas tout de suite compte de ce que cela voulait dire, trop fascinée par les splendides couverts qui se trouvaient devant elle. Tout ce luxe l'étourdissait, et elle peinait à concevoir l'idée que ce n'était sûrement pas l'unique petit déjeuner qu'elle prendrait ici. Elle finit par attraper un croissant, et en goûta un petit morceau.

— Vous... Vous mangez vraiment cela tous les jours ? les interrogea-t-elle après avoir avalé sa première bouchée.

Dire que ce croissant était "bon" aurait été une insulte. Même si elle n'en avait peut-être mangé qu'une ou deux fois dans sa vie, elle était persuadée qu'il n'en existait pas de meilleur au monde. Elle dut se faire violence pour ne pas le finir trop vite, ne voulant pas passer pour un ventre sur pattes, mais elle remarqua que Marcus ne se gênait pas pour se goinfrer de pâtisseries.

— Je vous rassure, fit-il en servant une tasse de thé à Lyssandra, nous avons un petit déjeuner tel que celui-ci uniquement après les nuits de pleine lune. Notre père a une passion secrète pour la pâtisserie et prend toujours le temps de nous préparer quelque chose la veille de notre transformation. Autrement, nous avons les mêmes habitudes qu'une famille de loups-garous normale.

Même si elle avait du mal à l'imaginer en train de faire lui-même la cuisine pour sa famille, elle se promit de complimenter le Grand Alpha dès qu'elle le verrait. Elle trempa ses lèvres dans la boisson aux senteurs de menthe, et eut l'impression qu'elle ne pourrait jamais plus boire autre chose. En quelques heures, elle était passée de la misère la plus complète à la plus grande richesse qui existait. Elle peinait à prendre pleinement conscience de sa situation, et doutait d'y parvenir un jour.

Elle s'apprêtait à déguster l'un des appétissants chocolats qui s'offrait à elle, quand elle ressentit des picotements dans la gorge. Elle fut alors prise d'une quinte de toux, si forte qu'elle se leva de table, une main plaquée sur la bouche. Les images de sa mère lui revinrent immédiatement en mémoire, toussant dans le grenier du manoir jusqu'à s'en déchirer les poumons.

— Tout... Tout va bien, articula-t-elle comme Julian et Marcus s'étaient précipités à ses côtés. Je... J'ai juste dû boire trop vite.

Mais sa gorge la brûlait si intensément que chaque inspiration lui était douloureuse. Elle ne tarda pas à tousser de nouveau, si longtemps qu'elle crut étouffer.

— Tu as sûrement attrapé froid dans ce maudit grenier, déclara Julian en l'aidant à se rassoir une fois la crise passée. Ou peut-être même ce matin. Nous devrions...

— Dans un grenier ? le coupa son frère. Attendez, vous avez vraiment passé le dernier mois dans un grenier, mademoiselle ?

— Vous avez vous-même dit que je n'avais pas disparu pour une retraite spirituelle, lui fit-elle remarquer d'une voix rauque.

La brûlure qui persistait au fond de sa gorge lui laissait pourtant présager qu'elle n'avait pas attrapé un simple coup de froid. Une drôle de sensation l'envahissait, comme si elle perdait peu à peu le sens de la réalité. Ses paupières se faisaient lourdes, et cela lui rappela la drogue que Dame Miranda répandait dans le grenier pour l'endormir. Sauf que cette fois, elle parvenait à repousser le sommeil, concentrée sur le contact de la main de Julian dans la sienne.

— Dame... Dame Miranda dispersait de la fumée, pour que... Pour que je tombe inconsciente lorsqu'elle montait, balbutia-t-elle sans être sûre que ses propos soient bien clairs.

Elle se remit à tousser, si douloureusement qu'elle fut tentée de se laisser aller vers le sommeil, désireuse d'échapper à tout cela.

— Quel genre de fumée était-ce ? l'interrogea Marcus en s'agenouillant près d'elle. Que sentait-elle ? Avait-elle une couleur, ou quoi que ce soit qui puisse la caractériser ?

— Elle était presque... Presque invisible et...

Une nouvelle quinte de toux la prit, et lorsqu'elle cessa, la respiration de la jeune fille se fit sifflante.

— Ce ne devait pas être un somnifère anodin. Je vais demander à quelqu'un d'aller chercher un médecin, affirma le plus âgé des loups en se relevant. Julian, reste avec elle.

L'air plus sérieux que jamais, il posa une dernière fois ses yeux bleu clair sur elle, avant de tourner les talons et de s'éloigner d'un pas vif. Le regard de son frère était chargé d'une inquiétude déchirante, tandis qu'il serrait les doigts de Lyssandra entre les siens.

— Ne t'inquiète pas, murmura-t-elle alors qu'elle peinait de plus en plus à respirer, je suis sûre que ce n'est rien... Ça ne peut pas être... Être pire que la surdose de Fortifiants...

Mais pile au moment où elle prononçait ces paroles, sa gorge la brûla de plus belle. Tandis qu'elle toussait sans pouvoir s'arrêter, elle ne put s'empêcher de songer à Rosaley, qui dans sa robe ensanglantée, s'étouffait exactement de la même manière.

La louve comprit que même si elle ne la détenait plus enfermée, Dame Miranda n'avait peut-être pas fini de la faire souffrir...

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