Chapitre 43

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Lyssandra se réveilla en sursaut. Les yeux rivés sur le plafond, il lui fallut un long moment avant de réaliser qu'elle avait quitté son cauchemar. Son coeur battait à une vitesse folle, et elle tâcha de respirer doucement pour se calmer. Les images de son affreux rêve tourbillonnaient encore dans son esprit. James qui se battait avec un autre loup. Rosaley qui toussait jusqu'à s'étouffer. Dame Miranda qui riait derrière les barreaux de sa cellule. Quand cesseront-ils de te hanter ?

Cela faisait une semaine que les trois vampires avaient été envoyées sur la terre de leur espèce. Même si elle n'avait aucune idée du temps qu'il fallait pour parvenir jusqu'à la capitale, la jeune fille estimait qu'elles devaient désormais y être arrivées. Dame Miranda ne pouvait donc plus lui faire aucun mal. Pourtant, c'était toujours comme si rien n'avait changé.

Un léger bruit de respiration parvint à ses oreilles, la ramenant définitivement à la réalité. Elle se tourna doucement dans le lit, de manière à pouvoir regarder Julian qui dormait à côté d'elle.

Le clair de lune filtrant par la fenêtre éclairait son beau visage aux traits détendus. Son torse se soulevait à un rythme régulier, et Lyssandra fut heureuse de ne pas l'avoir réveillé en émergeant de son cauchemar. Il lui semblait même qu'un petit sourire planait sur ses lèvres, ce qui lui donna aussitôt envie de les embrasser.

En réalité, elle se trompait. Tout avait changé.

Malgré son sommeil parfois envahi de sombres songes, la louve avait l'impression de vivre dans un tendre rêve éveillé.

Lui préparer une chambre n'avait en fin de compte servi à rien, puisqu'elle passait la plupart de ses nuits dans celle de Julian. Au départ, c'était tout simplement parce qu'elle ne parvenait pas à s'endormir. Dès qu'elle se retrouvait seule, le silence lui devenait insupportable, et il lui semblait retrouver la solitude du grenier. Elle avait fini par en faire part au loup-garou, qui d'un air un peu mal assuré, lui avait proposé de venir dormir avec lui. Désormais, même si elle avait toujours du mal à trouver le sommeil, elle ne s'imaginait pas se réveiller sans Julian à ses côtés.

Elle resta un long moment à essayer de se rendormir, mais chaque fois qu'elle fermait les yeux, des bribes de son cauchemar s'imprimaient derrière ses paupières. Jugeant qu'il serait un peu dérangeant de passer le reste de la nuit à fixer Julian, elle résolut finalement de se lever.

Elle quitta la pièce en faisant le moins de bruit possible, ne prenant pas la peine d'enfiler des chaussons. Le contact de ses pieds avec le sol froid l'aida à chasser ses pensées troublées, et elle déambula dans le couloir sans trop savoir où aller. Plus les jours passaient, plus le palais lui devenait familier, mais elle était encore loin d'en connaître chaque recoin. Cependant, Julian l'avait une fois emmenée sur un joli balcon avec une magnifique vue sur le village, alors elle se mit en tête de retrouver cet endroit.

L'obscurité ne l'aidait pas à s'orienter, surtout qu'aucune bougie n'était allumée dans les chandeliers accrochés aux murs. Lyssandra se laissait guider par ses pas, seuls bruits au milieu du silence des corridors.

Il lui parut enfin reconnaître une intersection, puis quelques mètres plus loin, elle repéra les deux portes-fenêtres qui menaient au balcon. Celles-ci étaient entrouvertes, ce qui la fit ralentir. Elle s'en approcha lentement et à travers les carreaux, elle vit Marcus, accoudé à la balustrade de pierre.

Comme il lui tournait le dos, elle ne pouvait voir son visage, mais sa tête était levée vers le ciel noir. La brise nocturne agitait doucement ses courts cheveux bruns. Il ne bougeait pas d'un pouce, visiblement perdu dans sa contemplation des étoiles. La louve resta figée, n'osant esquisser le moindre geste.

Il lui semblait qu'elle observait un tableau. Un tableau dont la mélancolie de l'artiste se ressentait rien qu'en regardant son oeuvre.

Tout comme il était apaisant de voir Julian dormir, il était émouvant de voir Marcus observer les étoiles.

Elle fit un pas en arrière pour le laisser tranquille, mais il entendit son pied frotter contre le tapis. Il fit volte-face si vite que la jeune fille en sursauta. Une méfiance étrange envahit ses yeux bleu clair, avant de disparaître dès qu'il la reconnut.

— Oh c'est vous, fit-il en ouvrant entièrement l'une des portes-fenêtres.

L'air frais pénétra dans le couloir, refroidissant les jambes et les bras de Lyssandra, qui ne portait que sa chemise de nuit. Sans doute n'était-elle pas censée se balader ainsi dans le palais, et elle se sentit soudain un peu gênée. Pour sa part, Marcus était vêtu d'un pantalon noir tout simple, ainsi que d'une chemise blanche complètement ouverte sur son torse aux muscles parfaitement dessinés.

— Vous cherchez quelque chose ? s'enquit-il comme elle restait aussi muette qu'une idiote.

Depuis son installation au palais, la louve avait été amenée à le côtoyer de nombreuses fois. Ils se parlaient à tous les repas, se croisaient souvent dans les couloirs... Mais Lyssandra remarquait qu'il témoignait d'une certaine réserve à son égard. Dès lors que Julian n'était plus présent, il ne lui adressait plus le moindre mot, contrairement à ses parents qui étaient toujours adorables avec elle. Sa froideur avait beau ne pas la déranger, il lui arrivait parfois de penser que Marcus la considérait peut-être comme... une intruse dans sa famille ?

— Non, je... Je voulais juste un peu me promener. Je suis désolée de vous avoir dérangé.

Il fronça les sourcils, et elle réalisa soudain qu'il pouvait aussi la prendre pour une voleuse cherchant à dérober un objet précieux du palais... Peut-être la soupçonnait-il de rester ici uniquement pour préparer un mauvais coup. Il peut également se demander pourquoi tu le fixais comme une abrutie.

— Ne vous inquiétez pas, déclara-t-il pourtant d'un ton calme. Je m'étais simplement perdu trop loin. Vous avez bien fait de me réveiller.

Il revint contre la rambarde, laissant la porte-fenêtre ouverte comme s'il invitait Lyssandra à le rejoindre. Cette dernière hésita quelques secondes, puis comme il ne semblait pas faire preuve d'un ressentiment particulier, elle vint à son tour sur le balcon.

Le vent léger lui procura une sensation revigorante. Elle posa ses mains sur la balustrade et perdit son regard vers les lumières du village qui s'étendait en contrebas. Certains quartiers étaient entièrement plongés dans le noir, tandis que d'autres restaient éclairés par les lanternes que les gens accrochaient à leurs portes. Si la jeune fille se penchait davantage, elle pouvait voir le parvis du palais qui se trouvait à une centaine de mètres sous ses pieds. Cette vision lui donna le vertige, alors elle leva les yeux vers le ciel se déployant partout au-dessus de sa tête.

Des centaines, ou plutôt des milliers d'étoiles brillaient au milieu de l'encre noire. Quelques-unes étaient plus scintillantes que les autres, mais aucune n'égalait l'éclat argenté de la lune. Celle-ci prenait la forme d'un quartier aux contours flous. Lyssandra contempla les ombres de ses cratères, oubliant presque Marcus qui se tenait à sa droite.

— Je viens tout le temps ici lorsque je ne parviens pas à dormir, commença-t-il sans que son regard ne quitte les étoiles. Le problème, c'est que cela arrive pratiquement toutes les nuits...

La louve se tourna lentement vers lui. Une émotion étrange transparaissait dans sa voix. Même s'il ne la regardait pas, elle pouvait voir ses yeux briller derrière un voile chargé de larmes. Nulle trace de son sérieux, nulle trace de sa froideur ne demeuraient dans son expression uniquement empreinte d'une tristesse silencieuse. Le coeur serré, la jeune fille sentit le besoin de lui dire quelque chose, mais aucun mot ne lui semblait approprié. C'est finalement lui qui reprit la parole, d'une voix légèrement rauque :

— Au moins ne suis-je plus la seule âme tourmentée de cette maison. J'imagine que vous aussi devez avoir votre lot de cauchemars.

— En effet, admit-elle en baissant les yeux. Et je crois malheureusement que ce n'est que le début...

Ses rêves étaient-ils condamnés à ne contenir que des images de Rosaley en train de s'étouffer ? Si seulement Dame Miranda ne t'avait pas montré ces fichus souvenirs...

— Elles ne cesseront jamais de nous hanter, n'est-ce pas ? murmura Marcus, toujours perdu dans la nuit noire. C'est comme si elles ne nous avaient jamais quittés, mais pourtant, elles réussissent quand même à nous manquer.

Elle n'eut besoin d'aucune précision pour comprendre de qui il parlait. Elle croyait se souvenir qu'il avait trois ans lorsque sa mère, la première femme du Grand Alpha, avait été assassinée par un vampire. Même si elle ignorait exactement ce qui s'était passé, elle devinait qu'une sombre histoire se cachait derrière.

Une histoire qui le poursuivait toujours.

— Peut-être qu'elles nous hanteront toujours, commença Lyssandra avec hésitation. Peut-être que nous ne pourrons jamais complètement nous débarrasser de leurs fantômes, mais... D'une certaine manière, ce sont ces fantômes qui nous aident à avancer. Les seuls souvenirs que je garde de ma mère ne sont pas les miens, elle m'est presque comme une inconnue, et pourtant... Lorsque je pense à elle, cela me donne envie d'être plus courageuse. Je me dis que c'est en partie à cause de moi qu'elle est morte, alors je ne peux pas gâcher tout ça en me montrant lâche ou faible.

Marcus s'était enfin tourné vers elle tandis qu'elle parlait. Ces paroles étaient sorties toutes seules, sans qu'elle ne réfléchisse vraiment avant de les prononcer. Elles provenaient tout droit de son coeur, et elle en pensait chaque mot. Seulement, peut-être n'aurait-elle pas dû autant se dévoiler face à quelqu'un qu'elle commençait tout juste à connaître...

— Je suis désolé, déclara-t-il avec une touchante sincérité. C'était incorrect de ma part que de jouer les princes malheureux. Je n'ai pas à me plaindre, encore moins devant quelqu'un qui a autant souffert que vous.

— Ce n'est pas parce que vous êtes l'équivalent d'un prince que vous ne pouvez pas être triste, le rassura-t-elle. Vous ne pouvez pas éternellement faire comme si vous n'aviez pas de sentiments...

Elle se rendit alors compte qu'elle avait peut-être été trop loin, mais étonnamment, Marcus esquissa ce qui s'apparentait à un sourire.

— Malheureusement, les sentiments se sont pas vraiment les bienvenus lorsque vous êtes chargé de maintenir la paix entre deux espèces, alors que tout ce que vous désirez, c'est exterminer les vampires de ce monde... À ce propos, je m'excuse si j'ai pu paraître dur envers les demoiselles Kristal et Alisée. Je les ai peut-être au départ condamnées un peu trop rudement...

En effet, il avait d'abord proposé qu'elles soient toutes les deux brûlées vives. Si l'idée n'aurait pas dérangé la louve quelques mois plus tôt, elle avait désormais suffisamment de recul pour comprendre que ce n'était sûrement pas la bonne solution.

— Ce n'est pas grave, affirma-t-elle avec un sourire, j'imagine que vous pensiez bien faire. Je me rends compte que je ne vous ai pas remercié pour tout ce que vous avez fait. Si vous n'aviez pas réussi à faire accuser Dame Miranda de tout ça...

— Oh ne vous en faites pas, l'interrompit-il en prenant un air amusé qu'elle ne lui connaissait pas. Cela m'a fait plaisir de me rendre utile et d'enfin voir cette mégère payer. D'ailleurs, tant que nous sommes dans les excuses, je crois que je vous en dois pour mon comportement. Je suis désolé si je me suis montré froid et peu avenant envers vous. Vous ne le méritiez pas.

Elle ouvrit la bouche pour lui assurer que ce n'était rien, mais il ne lui en laissa pas le temps :

— Vous êtes quelqu'un que j'apprécie, mademoiselle Lyssandra. Pourtant, au début, j'ai vraiment eu du mal à vous faire confiance. Pas parce que vous étiez une Neutre ou quoi que ce soit de ce genre, mais à cause de ce que vous représentiez pour mon frère.

Il se tut un instant, les yeux baissés vers le sol de pierre du balcon.

— Ma famille est ce qu'il y a de plus important pour moi. Lorsque Julian a commencé à me parler de vous, j'ai compris que vous comptiez énormément pour lui. Je suis bien placé pour savoir qu'il a une certaine capacité à s'attacher à des personnes qui ne le traitent pas toujours bien... Plus je voyais à quel point il vous aimait, plus je me rendais compte du pouvoir que vous déteniez sur lui. Le pouvoir de lui briser le coeur.

La jeune fille se rappela soudain de ce que lui avait dit Marcus lors de leur première rencontre. Tâchez simplement de ne pas briser le coeur de Julian.

— Je ne supportais pas l'idée que quelqu'un ait ce pouvoir sur lui, parce que je savais que si vous le laissiez tomber, cela le détruirait. Et il était hors de question que je vous laisse détruire la personne que je me suis promis de protéger.

La résolution qui étincelait dans sa voix émut Lyssandra. Elle songea qu'elle aussi aurait bien aimé avoir un frère qui tenait autant à elle.

— Cependant, je sais aussi que malgré son exaspérante manie à voir le bien chez tout le monde, Julian n'est pas stupide. J'estimais que s'il vous faisait confiance, alors c'est que cela devait être justifié. Lors de la Nuit des Bagues, j'ai peut-être eu une drôle de manière de vous le montrer, mais vous m'avez fait une bonne impression. Même si je suis loin d'être un expert en la matière, il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir que vous aimiez mon frère...

Il lui adressa un petit sourire en coin, ce qui la fit légèrement rougir et détourner les yeux vers les étoiles.

— Quand vous avez disparu, reprit-il plus sérieusement, j'ai encore plus réalisé à quel point vous aviez le pouvoir de le briser. C'était la première fois que je le voyais aussi sombre, aussi triste, aussi... Jamais je n'aurais pensé que ses yeux puissent un jour cesser d'étinceler, pourtant, lorsque je les regardais, ils étaient complètement éteints. Il s'énervait après tout le monde, se mettait en colère parce que les recherches pour vous retrouver ne donnaient rien... Tout ce qui faisait le Julian que je connaissais avait disparu.

Lyssandra sentit des larmes monter à ses yeux en l'imaginant dans cet état. Certes, c'était elle qui avait été enfermée dans le grenier, mais au moins se doutait-elle qu'il était en vie et en sécurité. Lui n'avait absolument aucune idée de l'endroit où elle se trouvait, ni même la certitude qu'elle était toujours vivante... Le coeur douloureux, elle tâcha de ravaler son émotion et de se concentrer sur les paroles de Marcus.

— Heureusement, grâce à je ne sais quel miracle, vous avez fini par nous revenir. Vous ne l'avez sûrement pas remarqué, mais... Quand vous êtes arrivée au palais avec Julian, j'étais sincèrement heureux de vous retrouver. Désormais, je vois à quel point mon frère se sent bien lorsqu'il est avec vous, et c'est tout ce qui m'importe.

Ne sachant que répondre à cela, elle se contenta de lui sourire, très touchée par tout ce qu'il venait de dire. Elle comprit que sous ses airs de bloc de glace, le jeune homme était en réalité extrêmement sensible et attaché à son frère. Son bonheur lui importait plus que tout au monde, et elle l'admirait pour cela.

Il leva ses yeux bleu clair vers les étoiles, semblant y voir quelque chose qui échappait à Lyssandra. Elle perdit de nouveau son regard dans l'immensité de la nuit noire, certaine de ne jamais pouvoir se lasser de ce spectacle.

— Je vous promets de ne jamais faire de mal à Julian, déclara-t-elle après un moment. Je vais essayer d'éviter de me refaire enfermer dans un grenier et de disparaître en laissant des traces de sang dans les couloirs...

— J'avoue qu'avec ce coup-là, vous n'avez pas fait dans la demi-mesure, s'amusa-t-il avant de reprendre un air un peu plus sérieux. Mais je sais que vous êtes quelqu'un de bien, et je suis reconnaissant que mon frère puisse être avec une personne telle que vous. Vous vous méritez, tous les deux.

Elle lui adressa un petit sourire reconnaissant, sans pour autant être sûre de valoir tout cela.

— Et à propos de votre mère, ajouta-t-il en la regardant droit dans les yeux, je suis sûr qu'elle serait très fière de vous. Contrairement à ce que vous dites, je ne pense pas qu'elle soit morte par votre faute et vous ne devez surtout pas penser cela. Quoi qu'il en soit, vous n'avez rien d'une lâche ou d'une faible. Si vous avez survécu dix-huit ans avec ces trois vampires, c'est parce que vous êtes incroyablement forte. À votre place, je n'aurais pas attendu quatre ans avant de leur planter une dague dans le coeur...

Elle partit d'un petit rire teinté d'émotion, ne s'étant pas attendu à de tels éloges de la part de Marcus.

— Croyez-moi, soupira-t-elle, l'envie ne me manquait pas de le faire ! Savoir me servir d'un poignard m'aurait bien été utile...

— Oh, mais j'ai eu vent de votre petite altercation avec Son Altesse la princesse Isabella ! fit-il en prenant un faux air dramatique. Vous ne semblez pas avoir eu besoin de cours de combat pour lui trouer sa robe.

— Ce doit sans doute être le talent, que voulez-vous...

Il s'esclaffa et elle s'étonna qu'il puisse être aussi simple de plaisanter avec lui. Elle se demanda comment toute trace de gêne avait pu se dissiper entre eux en aussi peu de temps.

— Dans tous les cas, reprit-il plus sérieusement, si vous souhaitez perfectionner votre talent, ma mère et moi pourrons vous aider. Je ne dis pas que vous deviendrez une Chasseuse hors pair, mais au moins, vous sauriez vous défendre.

Il lui vint d'abord à l'esprit de rejeter sa proposition, s'imaginant mal en train de s'entraîner à lancer des poignards, mais lorsqu'elle y réfléchit, elle se rendit compte que cela pourrait être une bonne idée. Après tout, ne voulait-elle pas ne plus être une proie facile ?

— Je ne voudrais pas vous embêter, répondit-elle cependant. J'imagine que vous devez avoir autre chose à faire et...

— Justement, vous ne me dérangeriez pas le moins du monde. J'ai... J'ai toujours rêvé d'avoir une petite soeur. Pour lui apprendre à se battre. Vous comprendrez qu'avec Julian, je n'ai pas vraiment eu le loisir de lui faire manier des couteaux ou...

— Qu'est-ce que je n'ai pas eu le loisir de faire ? l'interrompit son frère en apparaissant dans l'encadrement des portes-fenêtres.

Lyssandra et Marcus se tournèrent vers lui avec un léger sourire, amusés de son air ensommeillé. Il ne portait que son pantalon marron foncé, n'ayant sans doute pas eu le courage de se chercher une chemise. Ses cheveux bruns formaient des épis au-dessus de sa tête, et ses paupières semblaient plus proches de se fermer que de s'ouvrir.

— Je lui parlais de ton légendaire talent en matière de combat. Elle a bien le droit de savoir que tu réussirais à battre n'importe qui en un seul coup d'épée...

— C'est ça, moque-toi, marmonna Julian en soupirant. Heureusement que je vous fais confiance à tous les deux, sinon je me demanderais si vous ne vous donnez pas des rendez-vous nocturnes... Et puis Marcus, ferme-moi cette chemise, ajouta-t-il en désignant vaguement ses muscles impeccables.

— Dit celui qui n'en porte pas, répliqua l'intéressé.

Le plus jeune loup leva les yeux au ciel, mais il paraissait réellement content de voir son frère aussi détendu.

— De toute façon, je vais vous laisser, déclara Marcus en le dépassant pour regagner le couloir. Je saurai me passer du rôle du bougeoir qui tient la chandelle...

Il salua Lyssandra d'un signe de tête, puis s'éloigna après lui avoir rappelé de réfléchir à sa proposition. Perdu, Julian les regarda l'un après l'autre sans comprendre.

— Qu'est-ce qu'il t'a proposé ? s'enquit-il en s'avançant vers la louve.

— De passer faire un tour dans sa baignoire, le taquina-t-elle en feignant d'être sérieuse.

Face à sa mine déconfite, elle éclata de rire et il se détendit aussitôt. Au moins la plaisanterie avait-elle eu pour mérite de finir de le réveiller...

— Marcus voudrait m'apprendre à me battre, reprit-elle en se triturant les doigts, ne sachant trop comment il allait réagir. Je sais que tu ne vas sans doute pas être d'accord, mais je pense que ça pourrait m'être bénéfique et de toute façon, je ne veux pas devenir une Chasseuse ou...

— Pourquoi penses-tu que je ne serais pas d'accord ? l'interrompit-il en lui prenant doucement les mains.

Hésitante, elle leva les yeux vers les siens. Même toutes réunies, les étoiles du ciel ne pouvaient rivaliser avec son si précieux regard rassurant.

— Et bien... Je crois que les poignards et les combats ne sont pas vraiment ce que tu préfères, non ?

— C'est vrai, mais je pense cela simplement parce que je suis incapable de tenir une épée sans risquer de me fouler le poignet. Tu seras sans aucun doute bien meilleure que moi, et quoi qu'il en soit, tu n'as pas besoin de mon avis pour faire ce que tu veux. Sauf si tu décides de prendre un bain dans la chambre de Marcus peut-être...

Elle gloussa, se sentant stupide d'avoir appréhendé sa réaction.

— Je suis désolée si je t'ai réveillé, tout à l'heure. J'ai encore fait un de ces cauchemars et il m'était impossible de me rendormir.

— Ne t'inquiète pas, ce n'est pas de ta faute. Disons que moi non plus, je ne dors pas si paisiblement que ça...

Il tourna la tête en direction du village, sans vraiment sembler faire attention à ses quelques lumières rougeoyantes. Son air triste peina Lyssandra, qui lui pressa légèrement les mains pour l'encourager à parler.

— C'est par rapport à... ce qu'a dit Dame Miranda, déclara-t-il finalement en évitant son regard. Je sais que nous avons décidé de ne pas en tenir compte, mais... Je ne peux pas m'empêcher d'y penser, et mon subconscient non plus apparemment.

La louve soupira, comprenant très bien de quoi il parlait. Les paroles de la vampire avaient également du mal à quitter son esprit. Alisée et Kristal avaient confirmé les dires de Dame Miranda, tout en confessant que Rosaley elle-même s'inquiétait de l'hérédité de sa maladie. Bien sûr, il se pouvait très bien que Lyssandra reste en bonne santé toute sa vie. Cependant, si des symptômes commençaient à apparaître dans les prochaines années, alors cela signifierait qu'elle aurait la même maladie que sa mère.

Et malgré tous les remèdes qui existaient, il ne lui resterait alors qu'une dizaine d'années à vivre.

Julian et elle avaient d'abord convenu de ne pas s'en préoccuper, mais pour l'un comme pour l'autre, il était difficile d'ignorer cette ombre qui planait sur eux.

— Je ne pense pas que cela va vraiment te rassurer, commença-t-elle doucement, mais je peux aussi très bien mourir maintenant en tombant de ce balcon. Hier, tu m'as toi-même raconté que ton grand-père était mort assez jeune d'une maladie. Nous ne pouvons pas prévoir tout ce qui peut nous arriver, et ce n'est pas nos inquiétudes qui y changeront quelque chose. Par exemple, crois-tu que je m'attendais à devenir une louve et à vivre avec toi dans un palais ? Ou même que je pensais pouvoir un jour manger des gâteaux aussi bons ?

Elle réussit à lui faire quelque peu retrouver son sourire. L'amour inconditionnel qu'elle portait aux croissants et aux tartelettes aux fraises de son père l'amusait toujours.

— J'ose espérer que tu ne restes pas ici uniquement pour les pâtisseries, fit-il en passant ses bras autour de sa taille pour la rapprocher de lui.

— Je reste pour les pâtisseries, les lits confortables, et un peu pour toi. Dans cet ordre-là.

Il fit mine d'être déçu, mais retrouva rapidement son magnifique sourire.

Lorsqu'elle était ainsi avec lui, elle imaginait sans mal une vie parfaite à ses côtés, comme l'avait été la semaine passée. Sauf qu'elle était bien placée pour savoir qu'une existence sans nuages n'existait pas, encore moins lorsqu'un magnifique palais vous laissait croire que rien ne se passait au-delà.

La louve hésita avant de prendre la parole, sachant très bien que malgré ce qu'il lui avait assuré quelques minutes plus tôt, il n'allait certainement pas cautionner ce qu'elle s'apprêtait à dire :

— Je... Je ne sais pas si c'est vraiment le moment pour te parler de cela, mais... J'ai décidé que demain, je partirai au village me chercher un travail. J'aime énormément être ici avec toi, et je t'assure que j'ai passé la plus belle semaine de ma vie, seulement... Je ne pourrai pas éternellement rester ici à choisir des robes et me gaver de gâteaux. Tu es toi-même assez occupé, Marcus a souvent besoin de ton aide, et j'ai besoin de me trouver une occupation, ainsi qu'un moyen de gagner un peu mon propre argent. J'ai complètement confiance en toi, je n'envisage pas une seconde que tu puisses un jour me mettre à la porte, mais...

Elle s'interrompit un instant pour reprendre son souffle, ayant parlé beaucoup trop vite pour se laisser le temps de respirer.

— Je sais que tu vas me dire que je n'ai aucune raison de m'inquiéter, reprit-elle comme Julian semblait prêt à prendre la parole. Cependant, comme je te l'ai dit tout à l'heure, il y a certaines choses qu'on ne peut pas prévoir, et peut-être qu'un jour nous ne nous supporterons plus et... Même si ma tante a dit qu'elle était prête à m'accueillir quand je le voudrais sur la Terre du Topaze, je ne veux pas passer ma vie à dépendre des autres.

Essoufflée, elle se tut et baissa les yeux, se rendant compte à quel point ses propos devaient être confus. Elle n'avait aucune envie de le blesser en laissant supposer qu'ils ne resteraient peut-être pas éternellement ensemble, mais d'un autre côté, elle ne pouvait se résoudre à rester perchée sur son nuage tout en espérant ne jamais en chuter.

Mieux que quiconque, elle savait que même les choses les plus merveilleuses pouvaient voler en éclats. Rosaley et James pensaient vivre heureux avec leur enfant sur la Terre du Topaze, mais ils avaient tous les deux connu un destin funeste.

Dans une autre mesure, la petite Mandy croyait que Theodore, son propriétaire, l'aimerait pour l'éternité. Or, il n'avait fait que la transformer en un monstre au coeur brisé.

— Puis-je te poser une question ? demanda Julian d'une voix si douce qu'elle ne résista pas à l'envie de relever les yeux vers lui.

Elle chercha le moindre signe d'agacement ou de lassitude sur son visage, mais n'y trouva que le contraire, ce qui l'encouragea à hocher la tête. 

— Dans les histoires que te lisait Alisée lorsque tu étais petite, est-ce que le prince était toujours un imbécile abusif et surprotecteur ?

Malgré elle, un sourire vint se dessiner sur ses lèvres.

— Eh bien... Disons qu'à la fin de ce genre d'histoire, on précisait simplement que le prince et l'héroïne vivaient heureux jusqu'à la fin des temps. C'est un peu vague, si tu veux mon avis.

— Et un peu réducteur, compléta-t-il. Dans tous les cas, je ne pense pas que le prince enferme sa princesse dans un cachot afin de se la garder pour lui tout seul. Tout ce qu'il veut, c'est qu'elle soit heureuse et qu'elle se sente libre de vivre comme elle l'entend.

Lyssandra se demanda encore une fois pourquoi elle avait imaginé qu'il réagirait autrement. Les étoiles scintillant dans le ciel obscur lui faisaient penser à lui. Elle avait beau vivre dans un monde sombre et rempli de cruauté, il y apportait la lumière que nul autre ne pouvait lui donner.

— Du moment qu'il retrouve sa princesse tous les soirs et qu'il se réveille avec elle chaque matin, le prince sera toujours content, murmura-t-il avec douceur en effleurant sa joue.

La louve résista à l'envie de l'embrasser, désirant lui faire part d'une dernière chose :

— Je voudrais vraiment faire quelque chose qui puisse aider les Neutres. Tous n'ont pas la chance de tomber dans la boue devant un fils de Grand Alpha, ni de se marier avec un gentil vampire rencontré au bal. Il y a des milliers de personnes qui sont encore dans la même situation que je l'étais, et je suis sûre qu'il y a un moyen d'agir pour leur venir en aide. Lors de la Nuit des Bagues, tu m'avais parlé de groupes secrets de Neutres que protégeait ton père. Tu ne penses pas que je pourrais faire quelque chose en rapport avec cela ?

Il n'eut pas besoin de longtemps réfléchir avant de trouver une idée :

— Il y a des loups-garous qui sont chargés de recruter les Neutres pouvant appartenir à ces groupes. Avant de les aborder, il faut d'abord enquêter sur eux afin de voir s'ils ne sont pas trop attachés à leur maître et s'ils seraient enclins à rejoindre une de ces communautés. Sinon, ils risqueraient de dévoiler à tout le monde leur existence. Je ne m'y connais pas trop sur le sujet, mais mon père ou Marcus pourraient mieux te renseigner. Je sais cependant que certains loups sont employés au village, donc tu pourrais faire partie d'eux.

En dehors d'effectuer des tâches ménagères et de servir de poche de sang, Lyssandra devait avouer qu'elle ne savait pas faire grand-chose d'autre... En apparence, trouver des Neutres et enquêter sur eux ne semblait pas bien difficile, mais elle se doutait que la tâche devait être plus complexe que cela.

— Et... Tu crois que je pourrais apprendre à faire tout ça ? Je ne voudrais pas compromettre l'existence de ces groupes secrets en faisant n'importe quoi...

Il éclata de rire et prit son visage entre ses mains pour l'obliger à plonger les yeux dans les siens.

— Même si tu décidais de devenir une Chasseuse de vampires, je suis certain que tu réussirais à régler leur compte à tous les affreux buveurs de sang qui croiseraient ton chemin. Et quoi qu'il en soit, je resterai toujours avec toi pour te soutenir, peu importe ce que tu choisis de faire.

Comment faisait-il pour toujours dire exactement ce que Lyssandra avait besoin d'entendre ? Elle l'ignorait. Avait-il la capacité de lire dans son coeur mieux que personne ? Elle en était convaincue. Elle savait aussi qu'elle avait terriblement envie de l'embrasser, alors c'est ce qu'elle fit.

Il la serra davantage contre lui, laissant la chaleur de son corps la réchauffer de la brise nocturne. Les étoiles et les lumières du village ne comptaient plus. Ils étaient simplement tous les deux, coupés du reste du monde. Lorsqu'elle détacha ses lèvres des siennes, ce fut uniquement pour lui murmurer :

— Si la princesse n'était déjà pas follement amoureuse du prince, elle finirait de perdre la raison.

Et cette raison n'allait certainement pas lui revenir de sitôt, car il recommença à l'embrasser, plus tendrement que jamais.

Au fond, peut-être que Dame Miranda avait raison. Peut-être vivraient-ils heureux, mais pas jusqu'à la fin des temps. Peut-être ne connaîtraient-ils que quelques années ensemble, avant d'être séparés par une chose contre laquelle ils ne pouvaient rien.

Au milieu de ces incertitudes, Lyssandra et Julian étaient sûrs d'une chose : ils ne se lasseraient jamais l'un de l'autre. Ainsi près de lui, la jeune fille en restait d'autant plus persuadée.

L'astre argenté au-dessus d'eux aurait bien pu brûler, elle ne se serait pas un instant détournée de Julian pour voir ses cendres tomber.

FIN

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