La porte du lac aux fées - 1/2

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Hello! J'ai voulu tester quelques trucs, du coup ce conte à une forme un peu particulière (don't panic, je retournerais à un style plus traditionnel dans les suivants ^^ (enfin, si la Plume le veut, bien sûr...) Ça m'a fait mal de sacrifier le "il était une fois" ^^'). J'espère qu'il vous plaira tout de même!
En média, la chanson Brocéliande de Alan Stivell, qui illustre bien ma fascination pour ce lieux...
Bonne lecture! :3

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À la lisière de la forêt, une étrange musique vous attire. Vous savez qu'il ne s'agit pas de n'importe quelle musique, car il ne s'agit pas de n'importe quelle forêt.

Vous vous apprêtez à franchir le seuil du royaume de Brocéliande, mille fois envouté.

Entre ces arbres fiers, cent rois sont passés, vainqueurs ou vaincus, sages ou cruels, oubliés ou célébrés. Les feuilles, hautes et vertes sur les branches qui se tendent vers le ciel, se souviennent encore du bruit des armures, du grincement des épées, des cris, des voix et des plaintes de tous ces chevaliers aux noms perdus qui errèrent, à la recherche d'une belle, d'un exploit, d'une quête... Ou prisonnier d'un Val Sans Retour, condamnés pour l'éternité par la haine d'une demi-fée.

Vous entrez à Brocéliande, terre foulée par le Roi Arthur, où se trouve encore un rocher sans épée, un arbre d'or, un palais invisible, une fontaine à la pierre plate, et le tombeau d'un magicien emprisonné par amour.

Oui, vous entrez à Brociélande et chaque source, chaque puits, pleure sa fée disparue. Car ces temps-là sont bien loin, vous le savez. Brocéliande n'est qu'un souvenir, une légende, et il ne reste des mystères passés que quelques lieux étranges, où errent des enfants en quêtes de magie.

Mais alors, d'où vient cette musique ?

Vous foulez de vos pas l'herbe et la terre, guidé par ces notes qui semblent tout à la fois légères et lourdes, familière et exotiques, compréhensibles et inconcevables.

La nuit est presque tombée lorsque vous arrivez aux rives du lac aux fées, où la lumière du crépuscule accroche ses derniers rayons sanglants.

Un homme est assit sur la berge, les pieds dans l'eau. Il est vêtu pour une autre époque, d'une chemise blanche aux manches bouffantes et d'un pantalon marron, usé, roulé sur les genoux. Ses cheveux longs, roux, semblent flotter autour de sa silhouette pale. Il joue de la flute.

Vous vous vous approchez. Vous ne pouvez pas vous en empêcher. Brocéliande a peut-être souffert du passage du temps, mais elle garde en elle assez de magie pour faire ployer les cœurs fascinés.

Il se tourne vers vous. La musique cesse. Le silence soudain s'emplit de bruissements, comme autant de murmures invisibles. La nuit est tombée, enfin, drapant le monde d'ombres et de mystères.

-Bonsoir, dit-il.

Sa voix chaude, chantante, provoque chez vous un étrange frémissement.

-Que venez faire en ces lieux ? Demande-t-il, un éclat de malice au fond des yeux.

-Je vous ai entendu jouez.

-Oh, je vois, répondit-il, comme si votre présence, expliquée ainsi, devenait évidente.

Vous ne savez que faire. Il vous regarde, de ses deux yeux verts émeraudes, aussi profonds que le fond des océans. Il semble attendre.

-J'ai l'impression d'avoir glissé dans un autre univers, soufflez-vous, capturé par l'étrangeté de l'instant.

Il rit.

-Oh, non, pas tout à fait, pour cela, il faudrait passer à travers le lac !

-Le lac ?

Il tend sa main vers l'onde sombre, où le reflet naissant de la lune glisse quelques éclats d'argent.

-Le lac est une porte, souffle-t-il. La dernière, surement.

-Une porte ? Entre où et où ? Demandez-vous, persuadé de le savoir déjà.

-Entre le monde des fées et celui des hommes, bien sûr. Elle a failli être définitivement fermée, vous savez. C'est grâce à un mortel, si elle ne l'a pas été. Un mortel un peu rêveur et un fay un peu trop curieux.

-Un fay ?

-C'est ainsi que l'on appelle les fées qui préfèrent les corps d'hommes, répondit-il dit avec sourire au coin des lèvres. Vous voulez vous asseoir ? La nuit est encore jeune et j'aime raconter des histoires. Je peux vous raconter celle-ci, si le cœur vous en dit.

La question s'est-elle vraiment posée ? Vous êtes déjà assis, tout à côté de lui. Vous remarquez, au passage, qu'il sent exactement comme la rosée du matin. Vous ne savez pas comment c'est possible, mais vous êtes certain : il possède l'exacte parfum des larmes de l'aube sur les fleurs encore endormies.

-Mon histoire devrait commencer par « il était une fois », déclara songeusement le joueur de flûte. Mais je la débuterais plutôt par « autrefois »... Un autrefois trop lointain pour que les mortels y attachent encore de souvenirs. Un temps où le temps n'était pas compté, comme aujourd'hui, pas découpé, pas quadrillé. Libre de toutes les fantaisies, il lui arrivait parfois d'avoir d'étranges sursauts, de surprenantes facéties, et il dispersait un siècle en trop, ici et là, dont personne ne gardera jamais la mémoire, il accordait aux sages une vie aussi longue que celle des chênes et aux papillons l'immortalité d'une seule journée. En ce temps sans aucun temps, donc, à la fois si lointain et proche, les terres humaines et les terres magiques étaient étroitement mêlées. À chaque source, une fée. À chaque arbre, une dryade. À chaque forêt ses druides, ses magiciens, ses sorciers, sorcières, enchanteurs, enchanteresses, esprits perdus, korrigans malicieux... Le petit peuple faisait partie de la vie quotidienne des humains, et vice-versa.

Et puis, en l'an cent-cinquante après Camelot, selon le seul calendrier que les fées ont jamais tenu, une tragédie vint tout défaire, perturbant à tout jamais l'équilibre des deux mondes. Je suppose que vous ne savez rien de cette histoire-là non plus. Oh, je ne vais pas la raconter en entier. Elle est triste et dure. Il vous suffit de savoir qu'une mortelle donna son cœur au mauvais chevalier, qui l'abusa cruellement, fissurant son âme à jamais. C'est si fragile, un cœur humain. À travers cette fissure s'engouffra une noirceur amère et violente, une ombre qui attends son heure en chacun de nous. Elle se mit à haïr, haïr avec un désespoir et une force égale tous les hommes de l'univers.

Elle s'enfuit, s'enfonçant profondément dans la forêt, et, sans le vouloir, franchis la frontière qui séparaient les mondes. Oh, comme il était facile de la dépasser, en ce temps-là ! Un ligne de champignon, une pierre couchée, une arche entre deux troncs, une plaine de fleur violettes aux parfums envoutants... Et l'on était ailleurs, où les arbres chantaient et bruissaient de légendes interdites.

Et ainsi, la mortelle au cœur sombre parvint jusqu'au cœur de la cité des fées.

Les fées... Il faut peut-être que je vous en parle. Les humains ont tant oubliés. Ce sont des créatures aussi vieilles que l'univers lui-même. Elles se nourrissent de la sève du monde et puisent leur magie du parfum du temps. Le sang qui coule dans leur veine est doux et doré comme le miel. Les fées ignorent ce que les hommes savent du Bien et du Mal : elles vivent comme la nature, dans cette tendre indifférence qui les fait aimer, créer, détester et tuer sans aucune arrière-pensée.

La Reine des fées avait un fils. Il tomba fou amoureux de la mortelle au premier regard, sans que nul ne sache vraiment ni pourquoi, ni comment. Toujours assoiffée de vengeance, piégée dans une vision du monde noircie par le mal qu'on lui avait fait, elle l'attira dans sa couche, lui fit subir ce qu'on lui avait fait subir, et l'assassinat.

La Reine entra dans une douleur incommensurable. Dans sa colère, elle voulut tuer la mortelle. Maiscelle-ci était enceinte et la fée ne put se résoudre à faire disparaitre l'ultime héritage de son enfant assassiné.

La souveraine attendit la naissance de son petit-fils avant d'emprisonner la meurtrière à tout jamais, la condamnant à une éternité de souffrance, prisonnière d'un arbre, incapable de crier, de bouger, de mourir, jusqu'à la fin des temps.

Puis elle brisa tous les passages menant aux mondes des hommes, décidé à se séparer à tout jamais de cette engeance maudite. Tous, sauf un, un seul, minuscule, bien caché, afin de permettre aux créatures qui se trouvaient chez les mortels à ce moment-là de rentrer chez elles.

L'enfant fut nommé Siloë, ce qui signifiait, dans la langue des fées, « né des larmes ».

Et ainsi, la magie quitta lentement le monde des humains, au fur et à mesure que les derniers membres du petit peuple mourraient ou repassaient la frontière à tout jamais.

Siloë grandit dans les ruines de ce drame, sentant, sans bien le comprendre, les désastreuses conséquences de cette brutale amputation. Car, voyez-vous, les fées ont autant besoin des hommes que l'inverse. Les hommes incarnent le concret, le physique, le réel, la logique, la pensée. Les fées sont l'incarnation de la spiritualité, de la croyance, et du mystère.

Sans l'ancrage que représentait le monde des humains, le temps perdit lentement toute signification pour les êtres féériques. Petit à petit, le réel devint immatériel, impalpable, diffus. Elles n'existaient n'existaient plus qu'ici et maintenant, piégées dans un éternel présent. Elles commencèrent à oublier, à s'oublier elles-mêmes, figées dans une éternité sans but et sans sens, prises d'amnésie permanentes, incapable de se lier, d'agir, d'exister. C'était une forme de petite mort, cette vie sans temps.

Seul Siloë, à moitié humain, s'en voyait en partie épargné. Il oubliait beaucoup, mais ne cessait de poser des questions qui déstabilisait son entourage. D'où est-ce que je viens ? Qui sont mes parents ? Ne devrait-il pas y avoir quelque chose, de l'autre côté des lignes de champignons, des arches de bois et des pierres couchés ? Pourquoi mon sang est-il plus rouge que le vôtre ? Quel âge j'ai ?

Et les Fées le regardaient avec effarement, parce qu'elles n'en avaient aucune idée. Quelqu'un qui n'a ni passé ni futur ne peut comprendre ces questions. Silöé continuait pourtant à les poser, encore, et encore, au fur et à mesure que son entourage les oubliait. Il grandit donc seul, incapable de comprendre son monde, incapable de se comprendre lui-même, partagé entre ses deux natures, l'une humaine, l'autre féérique.

Et puis, un soir, alors qu'il se penchait au-dessus d'un lac aussi lisse qu'un miroir, il s'aperçut que le reflet que lui renvoyait l'onde n'était pas le sien. Il s'agissait d'un visage rond aux cheveux bruns, bouclés, qui ouvraient de grands yeux stupéfait.

Siloë approcha son visage de l'eau. Il sentait confusément que ce lac n'était pas comme les autres. Il y avait quelque chose, au fond, oui, quelque chose d'ancien, d'abandonné, de délabré, quelque chose qui ne plus qu'à un fil, comme un chemin broussailleux, presque effacé.

Il plongea.

Et lorsqu'il creva la surface, il sut immédiatement qu'il se trouvait ailleurs.

Le monde des hommes avait été tout aussi grandement affecté par la perte de son lien avec l'univers féérique. Soudain amputé de la magie, les humains avaient tentés de regagner une emprise sur le monde par la science, remplaçant l'incroyable mystère des fées par une autre de leur invention, qu'ils appelaient religion. Mais ce n'était qu'un prétexte, au fond, une justification pour leurs actions tangibles, les meurtres, les discriminations... Et le temps avait rattrapé chez les hommes l'emprise qu'il avait perdue chez les fées. Ici, il passait à une vitesse folle. Il était désormais décompté, chronométré, détaillé, il emportait dans son sillage la chair et le sang des mortels qui naissaient, vieillissaient et disparaissaient dans un souffle, sans aucune exception. Contrairement aux fées, qui s'étaient mises à oublier, les hommes avaient décidé de se souvenir de tout, au point que l'on construisit des tombeaux plus beaux que les demeures et que l'on se mit à honorer la mémoire des morts avec plus de respects que celle des vivants.

Siloë ne pouvait savoir tout cela clairement, bien entendu, mais il percevait le changement, tout autour de lui. Les arbres étaient muets, le lac n'était qu'un trou remplie d'eau, et les pierres des amas de roches. Tout était vide, ou presque.

-Qui es-tu ?

La question le pris de court. Il baissa les yeux vers le petit garçon qui le regardait avec des yeux ronds, comme deux lunes. Et pour cause : il venait de voir un homme nu jaillir d'un lac où personne n'était entré depuis qu'il s'était assis ici, deux heures plus tôt.

-Eh ! Qui es-tu ? Insista l'enfant.

-C'est une question vraiment difficile, répondit Siloë d'une voix grave. Qui es-tu, toi ?

-Je m'appelle Damien de Monfort, répondit le petit garçon en penchant la tête sur le côté, comme s'il s'attendait à ce que le nom provoque chez son vis-à-vis une certaine réaction.

-Ah, oui, en effet, reconnu le fay, si tu réduis la question au simple nom, alors elle est bien plus simple. Je m'appelle Siloë.

-Tu es bizarre, Siloë, répondit Damien. Tu parles bizarre.

-Toi aussi, Damien de Monfort. Tout est étrange, ici. Je crois que je me suis perdu.

-D'où tu viens ? Demanda le gamin. Tu vis dans l'eau ? Tu es un homme-poisson ?

-Non, répondit Silöé sur un ton d'évidence. Je suis un Fay. Je ne savais pas qu'il existait des hommes-poissons.

-C'est quoi, un Fay ?

-Une fée, si tu préfères, répondit l'intéressé..

-Ah, acquiesça Damien en hochant gravement la tête pour engranger ce nouveau savoir. D'accord. Tu viens jouer avec moi, Silöé ?

-Jouer ? Qu'est-ce que c'est ?

Damien lui envoya un regard surpris.

-Tes parents ne doivent pas être très gentils s'ils ne te l'ont pas appris.

-Je ne sais pas qui sont mes parents.

-Oh, répondit le petit garçon, les yeux soudain pleins de larmes. Je suis désolé, Monsieur le Fay, je ne voulais pas vous faire de peine.

Silöé fronça les sourcils.

-Peine ? Qu'est-ce que c'est ?

-C'est quand ton cœur est tout liquide et qu'il brûle tes yeux. Après tu pleures. Il faut tout t'apprendre, toi.

-Je vois, acquiesça Silöé, concentré. Je ne crois pas que tu m'aies donné de peine, Damien de Montfort.

-Alors, tu viens jouer quand même ? Jouer, c'est quand on fait des choses drôles, pour rire.

-Je ne sais pas si j'en suis capable.

-Mais tout le monde est capable de jouer ! Répliqua le petit garçon en se demandant si le fay le faisait exprès. En plus, tu dois avoir des pouvoirs magiques ! Tu peux me montrer ?

-Tu veux dire que tu n'as pas de pouvoir, toi ?

-Bah non. Sinon je serais un terrrrriiiible sorcieeeer ! Et ma mère aurait très peur ! Et le Père Marc courrait après moi avec sa croix pour m'attraper, mais je serais plus rapide, et plus malin, et je m'échapperai toujours, et je n'irais jamais apprendre le latin !

Ce surplus d'information fit froncer les sourcils de Silöé.

-Dis-moi, petit être, demanda-t-il enfin. Qu'es-tu ?

-Je suis un petit garçon ! Mais le Père Marc dit que je serais bientôt grand.

- « Grand ? » Est-ce qu'il y a deux espèces, dans ce monde ?

-Mais tu dis n'importes quoi, Silöé. Les petits garçons sont des enfants et les enfants deviennent des adultes, après, forcément. Des hommes.

Des hommes. Le mot trouva drôle d'échos au fond de l'âme du fay. Des hommes. Des humains. Il avait déjà entendu ce terme, longtemps, longtemps, longtemps auparavant... Oui... Il lui semblait... Il lui semblait qu'il avait été petit, lui aussi... Et qu'alors, l'univers était très différent. Soudain, la mémoire des deux peuples s'imposa à lui, dans toute sa douleur et sa tragédie. Il se mit à pleurer.

-Qu'est-ce qui se passe ? Demanda l'enfant, catastrophé. Tu ne voulais pas devenir grand ?

-Écoute, Damien de Monfort, écoute... Je crois que je vais avoir besoin de toi.

Et il lui raconta ce qu'il savait des hommes et des fées, l'histoire de sa mère, qu'on lui avait conté, une éternité plus tôt, et le destin de leurs deux mondes, s'ils se séparaient définitivement, l'un privé de temps, l'autre privé d'espoir.

-Il faut entretenir le passage, conclut-il avec gravité.

Damien acquiesça. Il n'avait pas tout compris, mais il était tout à fait d'accord.

-Tu n'as qu'à venir un peu chez moi, et moi, un peu chez toi, conclut-il avec la simplicité de son âge.

-Parfait, conclut Siloë. Viens.

Il tendit la main. L'enfant la prit.

Et ils s'enfoncèrent au fond du lac.

De cette première excursion dans le monde des fées, Damien gardera à jamais un souvenir diffus, comme un songe paré de lumière, de couleurs, de parfums et de sensations extraordinaires. Il passa sept jours et sept nuit dans le monde de Siloë. Mais lorsqu'il revint, sept heures, à peine, s'étaient écoulées.

Sept heures, tout même, pour les humains, s'étaient beaucoup. Les hommes de son père, le Seigneur de ces terres, le cherchaient partout, agitant des torches dans la nuit descendante, criant son nom avec des notes de désespoir.

-Tu devrais peut-être te cacher, conseilla le petit garçon, soudain inquiet. Père n'est pas très gentil, lorsqu'il donne des punitions. Je ne lui dirais pas où te trouver, je te le promets.

Siloë ne comprenait pas très bien le concept, mais obéit et plongea au fond du lac.

Lorsqu'il ressortit, quelques minutes après, pour lui, il sentit que quelque chose avait changé. La couleur des arbres, peut-être... Cette souche était-elle déjà là avant ?

Un homme se tenait sur la rive. Non, pas vraiment un homme... Plutôt... Entre les deux... Comme un grand enfant à la silhouette un peu gauche. Il avait l'air stupéfait. Ses cheveux étaient bruns, comme l'écorce des chênes, et sur ses lèvres dansait un sourire immense, qui en fit naitre un semblable sur les lèvres du fay.

L'adolescent s'assit au bord du lac, les yeux toujours grands ouverts, comme s'il n'osait ne serait-ce que cligner des paupières.

-Siloë ? Souffla-t-il. Siloë ? Bon Dieu, Siloë ! Je n'arrive pas à y croire ! Tu existes ! Tu existes ! Je le savais ! Siloë ! Tu te souviens de moi ?

-Damien ?

-Oui ! Oui ! Je t'ai rencontré ici, il y a presque sept ans ! Je n'en avais que six, à l'époque ! Tu n'es pas un rêve, hein, Siloë ? Je ne t'ai jamais oublié !

-Je ne suis pas un rêve, répondit Siloë et nageant jusqu'à la rive.

-Tu n'es pas le Diable non plus ?

-Le Diable ? Je ne sais pas qui c'est, mais ce n'est pas moi.

Damien rit, la tête rejetée en arrière, et Siloë s'aperçut qu'il adorait ce son.

-Je le savais ! Le Père Marc peut raconter tout ce qu'il veut, je le savais, que tu n'étais pas le Diable, moi ! Oh, Siloë, j'ai tellement de choses à te raconter ! Tu m'emmèneras de nouveau dans ton monde, dis ?

Siloë sourit et tendit la main. Damien la prit, une drôle de chaleur s'étendant sur ses joues. Et ils voyagèrent une nouvelle fois jusqu'au monde des fées.

Ils y restèrent sept semaines entières. Damien raconta toute sa vie et tout son univers à Siloë et aux fées curieuses qui venaient parfois écouter et qui semblaient se souvenir, très très vaguement, de son dernier passage en ces lieux.

Damien raconta au fay qu'il était le fils d'un seigneur très puissant, mais aussi, hélas, très cruel. Il lui raconta que son seul ami était un vieux prêtre malicieux qui lui parlait parfois des histoires du passé et lui racontait la bible comme des anecdotes venues d'une vieille connaissance. Damien confessa qu'il se sentait à part, dans l'univers des hommes, comme si, depuis son dernier passage, une part de rêve était restée accrochée à son cœur, une part dont il n'arrivait pas à se défaire, qui lui donnait envie de chanter, d'écrire, de dessiner, de créer, et d'admirer toutes les choses belles et fragiles de la terre.

Damien ne parla pas à Siloë de la guerre. Lui-même n'était pas certain de très bien la comprendre. Il en avait peur, d'ailleurs, de cette guerre dont son père ne cessait de lui parler et de tous ces tableaux qui ornaient la salle à manger du château, dégoulinant de sang, de violence, de haine et de mort.

En échange, Siloë lui apprit le langage secret des arbres, dont il reste quelques choses aux plantes humaines. Il lui montra comme apprivoiser un court d'eau, comment entendre les histoires que se racontaient les animaux, et comment on pouvait lire dans la pluie l'humeur du ciel.

Toutefois, Damien n'avait pas oublié ce qui était arrivé lors de son dernier passage et insista pour ne pas rester trop longtemps dans l'univers féérique.

Lorsqu'il revint dans son monde, sept jours entier s'étaient écoulés. Il quitta Siloë avec un immense et profond regret en lui promettant de revenir bientôt. Il n'avait qu'à l'atteindre, ici, au bord du lac, le temps qu'il fasse l'aller-retour jusqu'au château pour rassurer les siens. Après, bien sûr, c'était lui qui lui ferait découvrir le monde des humains !

Siloë acquiesça le regarda partir, un étrange pincement au cœur. Il ne s'était jamais séparé de personne, auparavant. La sensation était douce et triste à la fois.

Il attendit. Il attendit des jours et des jours, sans que Damien revienne. Il attendit, il attendit, jusqu'à ce qu'une tête émerge de l'eau, à côté de lui, et qu'une silhouette nue fasse son apparition.

La Reine des fées s'étaient inquiété de son absence.

Il en fut bouleversé. Non seulement elle s'était souvenue de lui, mais encore, elle avait pénétré chez les hommes, raffermissant l'ancre de son univers dans celui-ci. Effrayée par ce changement brusque, elle qui venait de vivre une immortalité figée, elle replongea aussitôt et Siloë, inquiet, la suivit d'instinct.

Lorsqu'il revint dans le monde des hommes, plusieurs années semblaient s'être écoulées. Les arbres étaient rouges, leurs feuilles presque toutes échouées sur le sol. Des femmes plaisantaient, assises au bord du lac, en nettoyant des habits. Damien n'était pas là. Siloë en conçut une déception immense, comme un trou dans son cœur. L'humain était le seul être auquel il avait été attaché de toute son existence, la seule personne qu'il avait apprit à connaître et qui avait essayé, en retour, de l'apprivoiser et le comprendre. Et s'il ne le revoyait jamais plus ?

Une des femmes finit par le voir. Elle cria en le désignant du doigt et il dut plonger de nouveau pour se cacher.

Lorsqu'il refit surface, il faisait froid, terriblement froid. Une couche solide faillit l'empêcher d'accéder à l'air glacée et au ciel blanc. C'était l'hiver.

Un homme était debout sur la rive. Siloë s'approcha. Ses lèvres souriaient, et le fay sut que c'était lui. Il rit en sortant de l'eau. Damien rit aussi et le serra contre lui.

-Oh, Siloë, cher fay, cher être de mes songes ! J'espérais tellement te voir ce soir ! Je suis désolé, pour la dernière fois ! Mon père m'a puni, des jours et des jours, enfermé dans ma chambre, autorisé à sortir seulement pour m'entrainer à me battre...

-Qu'est-ce que c'est, se battre ? Un jeu ? Une chanson ? Un poème ?

-Non, répondit Damien, un sanglot étouffé dans la voix. Dis, Siloë, tu viens avec moi dans le monde des humains, cette fois ?

Il ne dit pas « la dernière fois », mais Siloë, qui commençait à comprendre comment parlent les hommes, sut aussitôt qu'il se passait quelque chose de grave, de vraiment, vraiment grave.

-Je te suis, répondit-il simplement.

Damien sourit.

-Je t'ai apporté des habits. Ce soir, je t'invite à danser. Ça te dérange, de te faire passer pour une fille ? Tu as déjà le visage si fin et les lèvres si belles...

Il y avait, dans les inflexions de la voix de Damien, des reflets étranges, tout nouveaux pour Siloë, qui le firent rougir jusqu'à la racine des cheveux.

-Je serais ce que tu veux, répondit-il.

L'instant d'après, il avait des courbes de femme. L'apparence physique signifie si peu chez les fées. La plupart changent de genre comme le soleil de lumière.

Damien lui désigna une robe émeraude, posée sur un rocher.

-Il faut que tu t'habilles, dit-il, amusé. J'imagine la tête de tout ces gens, si tu apparaissais comme ceci... Et puis... Je risquerais d'être légèrement déconcentré...

Siloë, qui commençait à avoir une vague intuition de ce qui était sous-entendu, rougit de plus belle. Il n'avait jamais imaginé qu'on puisse percevoir un être de cette manière, avec ces inflexions-là et ces regards... Mais à présent...

Damien l'aida à se vêtir, chacun de ses gestes possédant une caresse secrète, et lui noua les cheveux aussi bien qu'il le put. Siloë regarda son reflet d'un œil critique puis, d'un battement de cil, ajouta à sa chevelure des tresses et des fils d'or, à sa robe des perles et des rivières de diamants, à ses lèvres le rouge des plus belles fleurs et à ses cils du noir charbonneux. Il fallut de longues minutes à Damien pour s'en remettre – ce qui ne fut pas pour déplaire au fay.

-Si vous le permettez, mon cher, ou ma chère, salua le fils du Seigneur en offrant sa main.

Siloë la prit. Ils marchèrent jusqu'au château, où ils arrivèrent quelques heures après le crépuscule, alors que le bal battait son plein. Au premier pied qu'ils posèrent sur le dallage de la salle, la foule se tue, émerveillée. Une musique flottait pourtant dans l'atmosphère, venue de partout et de nulle part à la fois.

Ils dansèrent. Pour Siloë, c'était la première fois. Pour Damien, ça aurait tout aussi bien pu l'être, tant il était heureux. Plus rien n'avait d'importance, dans ces bras-là, pour aucun des deux. Le destin des mondes, l'entourage à la mémoire perdue, la guerre à venir, plus rien n'existait que ces deux êtres et ces deux regards, si différents l'un de l'autre, et pourtant, pourtant, si semblables quelque part, comme seuls peuvent se comprendre ceux qui ne trouvent pas leur place chez eux.

Lorsque la musique s'échoua et la danse se termina, ils restèrent un long moment face à face, en silence, au milieu de la foule figée, enchantée. Puis ils s'embrassèrent.

Rien n'aurait pu les préparer à une telle rencontre. Qui aurait cru cela, que des lèvres, en se rejoignant, puissent bouleverser aussi fort les cœurs ? Tous les poètes de l'univers, me répondrez-vous... Mais soyez indulgents, car c'est l'apanage des amoureux de redécouvrir ces vérités-là. Ils s'embrassèrent jusqu'à ce que Damien ne puisse plus respirer et doive s'écarter, les joues rouges, rouges, comme les lèvres du fay.

Le seigneur de Monfort fut le premier à revenir à la raison. Chez certains, le cœur est si asséché que la magie à du mal à pénétrer.

-Sorcière ! Hurla-t-il en se levant, le poing serré, la main cherchant déjà son épée. Cette sorcière a ensorcelé mon fils !

Ses cris réveillèrent l'assemblée, l'arrachant à son songe enchanté.

-Sorcière ! Cria encore le père de Damien. Sorcière !

Le jeune homme se tourna vers Siloë.

-Fuis, fuis jusqu'au lac, plonge, et ne revient plus ! Je vais les retenir !

-Non ! Protesta le fay, dépassé par les évènements. Viens !

-Je t'aime, Siloë, créature de mes songes. Je t'aimerais toujours. Mais pars, vite !

Alors que le fay refusait de bouger, alors que la foule se refermait, Damien le prit par le poignet, couru jusqu'à la porte, dépassant les gardes hébétés, et le poussa dans le couloir. Il claqua les battant de bois dans son dos et fit face à son père furieux qui marchait vers lui, un prêtre légèrement perdu dans son sillage.

Pour la première fois de son existence, Siloë avait peur, vraiment peur. Il ne comprenait pas ce qui se passait, il ne comprenait pas les cris, les appels, et ces objets que les humains brandissaient, qui semblait entourés d'une aura de peine et de douleur. Terrifié, il retrouva sa forme familière, se débarrassant de sa robe, de sa coiffure, de ses bijoux et de son maquillage, et se mit à courir, courir hors du château, au plus profond de la forêt, vers le lac qui menait au royaume des fées.

Il plongea, évitant de justesse les flèches et les carreaux d'arbalètes, qui frôlèrent sa peau d'albâtre en laissant des sillages rouges, douloureux.

Il s'enfonça au plus profond de l'onde et retourna chez lui, tremblant de peur, inconsolable, décidé à ne plus jamais remettre un pied dans cet autre univers. Il voulait oublier. Il voulait effacer de sa mémoire Damien, le danse, le baiser, les hommes, la violence, et la haine. Il ne voulait plus du temps. Non, finalement, l'amnésie lui allait bien. Comme il était simple de vivre sans se souvenir de rien !

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