Hors-Série : Nuit pluvieuse

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Les rues dégagées des habitants de Musutafu à une telle heure de la nuit était une chose qu'il appréciait beaucoup.

Il devait s'avouer que marcher dans les ruelles cachées, voire même obscures, de la ville et sous cette bruine froide l'apaisait après une nouvelle et longue journée de travail. Le crachin qui s'échappait des nuages n'offrait aucune vue sur les étoiles de ce soir et cette absence d'astres stellaires condamnait Musutafu à errer dans ce brouillard où la lumière lui était refusée.

Lorsque la journée se terminait et que la ville était plongée dans les abîmes les plus profonds, tout le monde savait que le monde des ténèbres reprenait le dessus.

Parce qu'il y avait une vérité immuable et connue de tous les habitants : Si les quelques héros qui faisaient parler d'eux ces temps-ci étaient un symbole de paix, cela ne changeait rien au fait que l'Enfer reprenait ses droits à la tombée de la nuit et que les vilains avaient la main mise sur ces abysses.

Il en savait un paquet là-dessus, même s'il ne voulait s'admettre qu'il était perdu. De quel côté de la balance était-il ? Et à quel moment sa vie avait dégénéré à ce point ? Il ne savait pas. Il n'arrivait pas à comprendre. Il avait beau retourner le problème dans sa tête à chaque fois qu'il en avait l'occasion, il ne trouvait jamais de réponse.

Et ça le détruisait.

Cette remise en question permanente grignotait à son insu le peu d'humanité qu'il lui restait. Cela le rongeait à chaque fois qu'il essayait de faire le vide, qu'il voulait se reposer ou tout simplement ne plus y penser.

Les faits étaient là et son monde avait basculé trop loin pour revenir en arrière. Il avait fait ses choix. Il les avaient fait et il ne trouverait désormais plus aucun équilibre et aucun semblant de paix.

Il l'avait fait et il ne pouvait plus s'arrêter là. Il devait aller jusqu'au bout alors peu importait les conséquences.

Dans les quartiers pauvres de l'extrémité ouest de la ville, l'asphalte étroit des derniers trottoirs fut rapidement remplacé par les pavés des ruelles. Celles-ci se firent encore plus sombres, n'étant désormais éclairées que par le petit faisceau blanc de sa lampe de poche.

Le claquement de ses chaussures cirées contre la pierre couvrit aussitôt le clapotis de la pluie, lui offrant tout à coup une allure inquiétante et sinistre de criminel.

Il prit soin de réajuster le chapeau vissé sur sa chevelure immaculé pour l'empêcher de s'envoler et garda une de ses mains gantées sur la calotte de celui-ci.

Les pans en cuir de son trench-coat noir s'envolèrent derrière lui lorsqu'une bourrasque s'engouffra entre les immeubles dans un sifflement terrible.

Enfin, son périple se termina rapidement lorsqu'il aperçut à quelques mètres de là l'enseigne d'un bar qu'il ne fréquentait qu'à l'occasion. Difficile de le rater lorsque, encastré entre deux larges bâtiments, le néon rouge qui peinait à rester encore en place était la seule source de lumière aux alentours.

Yukimoto Seji sortit un petit papier froissé de la poche intérieure de sa veste et vérifia qu'il était bien arrivé à l'heure précise du rendez-vous.

2h30

Dans cette partie d'échec qui se formait dans les ténèbres, chaque pions était désormais à sa place.

Il n'était ni le maître de ce monde sinistre, ni le vilain le plus redouté du pays. Non, loin de là. Mais s'il devait être quelqu'un, il serait probablement le souverain despotique d'une organisation qui se mouvait doucement et secrètement dans l'ombre.

Personne n'arrivait à lui mettre la main dessus.

Personne ne savait qui il était.

Et grâce à cet anonymat complet, l'homme entra dans l'établissement sans prendre la peine d'essuyer ses chaussures ou de secouer son manteau, seulement motivé par son objectif.

Il n'en avait qu'un et rien ne se mettrait en travers de son chemin.

Il ignora les deux ou trois ivrognes, dont le foie n'avait probablement pas apprécié une nouvelle surdose d'alcool, qui gisaient presque morts sur leurs tables et s'avança jusqu'au comptoir.

Seji fronça inconsciemment les sourcils, n'appréciant guère les rares moments où il entrait en contact avec le gérant du bar.

Essuyant pour la énième fois le verre qu'il tenait dans une main, le jeune barman portait son habituelle chemise blanche et un tablier impeccablement ajusté à sa taille. Toutefois, ce n'était pas tant sa tenue qui déconcertait le nouvel arrivant, mais plutôt les seules parties visibles de son corps : Un amas de fumée et de matière noire tirant sur le violet.

Le blanc s'avança d'un pas ferme et déposa le petit papier sur le bois récemment nettoyé.

Le jeune s'arrêta de lustré le cristal et abandonna le torchon qu'il tenait pour lire ce qui y était inscrit.

- Veuillez me suivre, monsieur.

Comme à chaque fois que Yukimoto mettait les pieds ici, l'homme au corps de vortex quitta son poste et indiqua au blanc de le suivre. Celui-ci, considérant qu'il avait déjà perdu suffisamment de temps, ne se fit pas prier et suivit le barman sans hésitation.

Il s'engouffra avec lui dans la pièce réservée au personnel et ne fut pas étonné de voir le gérant ouvrir une seconde porte, bien moins visible et dissimulée derrière une bibliothèque.

Après d'interminables rotations de clés dans la serrure, celle-ci s'ouvrit sur quelques escaliers en pierre donnant sur une autre porte en contrebas, faiblement éclairée par un néon qui avait encore plus de difficultés que celui qui surplombait la devanture du bar.

Seji effleura d'un revers de main le revolver dans sa deuxième poche intérieure comme pour s'assurer qu'il était prêt à se défendre si le barman venait à retourner sa veste contre lui. Il supposait que l'alter de celui-ci avait un rapport avec son corps mais ne l'avait jamais vu en action. De ce fait et par simple précaution, le blanc ne venait jamais sans s'être assuré de sa sécurité.

Ils descendirent tous les deux les quelques marches qui les séparaient de la cave et enfin, Yukimoto fut conduit à l'endroit exacte qu'il cherchait.

La dernière porte s'ouvrit sur une petite pièce où trois autres hommes l'attendaient déjà.

Assis sur de magnifiques sofas en cuir, leurs visages chapeautés étaient très peu visibles en raison du faible éclairage à la lampe à huile de la salle. Ils se prélassaient tous les trois, bien trop confiants malgré l'hostilité de l'endroit où ils se trouvaient. Leurs gros cigares enfumaient la pièce d'une griserie âcre et amère qui titillait désagréablement le nez du blanc.

Celui-ci eut une grimace dégoûté avant de s'attarder sur le reste du mobilier.

Au centre trônait un grand billard dont la moquette verte paraissait bien pâle en raison de l'obscurité. Seji comprit sans problème que la partie était terminée en remarquant la seule boule noire qui gisait étonnamment seule sur le jeu.

Il pensa immédiatement que sa partie à lui venait tout juste de commencer et réprima un sourire qui faisait déjà trembler ses lèvres.

Un des trois hommes, gras et bedonnant, se leva avec toute la grâce et délicatesse d'un cachalot échoué sur une plage, des papiers à la main. Il portait une redingote et un gilet typique de marchant ; sombres, raffinés et bien trop moulants pour quelqu'un d'aussi écœurant que lui.

Mais ce que pensait Seji des goûts vestimentaires de ces messieurs de la haute société importait peu à l'heure actuelle.

L'homme écrasa son cigare fumant dans une coupelle en métal prévue à cet effet avant de se racler la gorge.

- Tu peux y aller Kurōgiri, ton bar ne se tiendra pas tout seul, suggéra l'homme d'un ton bien trop hautain au goût des deux nouveaux arrivants.

L'intéressé ne s'en formalisa pas et s'inclina dans une élégante révérence. 

- Bien, messieurs. Si besoin, vous me trouverez au rez-de-chaussée.

Le marchand balaya les paroles du dénommé Kurōgiri d'une main et celui-ci s'éclipsa sans plus attendre.

Seji détestait ces hommes qui puaient l'argent à des kilomètres. Il se réconforta en pensant qu'il serait bientôt libéré de cette transaction de malheur et qu'il pourrait retourner vaquer à ses occupations sans aucun problème.

Le seul dont le potentiel était encore secret était maintenant partit et Yukimoto savait que ces trois-là ne représentaient aucune menace pour lui.

- Ne perdons pas de temps, prononça-t-il d'une voix profonde et autoritaire pour retirer le monopole de la conversation à ces grosses têtes fortunées.

Vraiment, Seji les haïssait tous autant qu'ils étaient.

Ces hommes qui vivaient de leur fortune acquise grâce à leurs profits sur le marché noir était ce qui l'insupportait le plus. Ils brassaient des milliers en s'improvisant piètres marchands, proxénètes, vendeurs d'organes ou même d'esclaves. Ils n'avaient aucune morale et valeur de la vie humaine puisque tout ce qui leur importait était de renflouer leur caisse.

Ils passaient donc par les méthodes les plus barbares sans que personne ne s'en aperçoive et s'enrichissaient sans limites.

- Oui, ne perdons pas de temps, insista un des hommes assis, un verre de whisky à la main.

Et ce qui justifiait la présence de Seji ici malgré son aversion pour ces enfoirés, c'était le fait qu'il était exactement pareil.

Il avait fait une croix sur les bonnes mœurs et avait fait le choix de s'enfoncer dans les méandres d'un chemin dont il n'était pas près de voir la fin.

Le cachalot claqua ses papiers sur la moquette du billard, un sourire fier placardé sur le visage, avant de les éparpiller pour les faire lire à Yukimoto. 

Celui-ci se pencha légèrement pour y jeter un œil et fronça à nouveau les sourcils.

- Je ne suis pas venu chercher un tas de papiers.

Un rire gras s'échappa de la gorge de son interlocuteur.

- Voyons, il faut faire les choses en bonnes et dû formes.

Seji lui asséna un regard noir et lourd de sens.

- Vous m'en voyez surpris. Des hommes comme vous qui n'avez d'yeux que pour l'or que vous amassez... Vous avez tout de même la décence de vous formaliser pour une telle transaction ? 

 - Bien dit ! Lança une voix hilare depuis les canapés. Ce vieux croûton essaie d'imposer un semblant d'administratif alors que nous savons tous que cela est inutile.

Le blanc fit volte-face et croisa une paire de pupilles émeraudes, appartenant à un blond parfaitement habillé d'un smoking chic et blanc. Celui-ci se leva avec bien plus d'assurance que le premier et écrasa son cigare de la même manière. 

Le grésillements des cendres contre le métal résonna faiblement tandis que le blond s'avança tranquillement vers le fond de la pièce. Ce geste attira indéniablement l'attention de tout le monde sur lui et ce fut seulement à cet instant que Yukimoto remarqua le creux qu'il y avait dans le mur.

Le blond jeta un œil derrière l'épais rideau de velours et un rictus terrible lui fendit les lèvres. Sans plus attendre, il tira les deux volants et dévoila le renfoncement de la salle. 

À l'intérieur, Yukimoto aperçut enfin ce qu'il cherchait depuis des années.

- Voilà notre dernière trouvaille, annonça le blond avec fierté.

Des papillons d'excitation s'envolèrent dans l'estomac du blanc, bien qu'il s'efforça de garder son masque impassible pour ne pas se trahir.

- Elle est sûre ? S'enquit-il aussitôt.

Le blond s'esclaffa à nouveau.

- C'est le meilleur produit de toute notre réserve. Constatez par vous-même ce que le vieux croûton a répertorié dans les dossiers. Ses parents l'ont vendu sur le marché noir et ont gagné leur ticket droit pour la péninsule asiatique. Ils sont anonymes et désormais introuvables. Si vous ne la prenez pas, elle sera sûrement vendue comme esclave sexuelle ou démembrée sur le marché des organes. C'est une activité qui fleurit beaucoup d'ailleurs ! Ces héros de malheur n'y voient que du feu !

Seji ignora ce discours morbide et s'approcha doucement.

Ce n'était pas possible.

Personne ne pouvait faire une chose pareille.

Et pourtant, le blanc avait bien acheté cette enfant. Elle dormait paisiblement, enveloppée dans une épaisse couverture et recroquevillée sur elle-même. Elle ne devait même pas avoir trois ans qu'elle se trouvait déjà vendue comme une propriété et serait très bientôt au cœur de la pire machination connue à Musutafu.

Cette enfant, avec ses courts cheveux ébènes qui bouclaient contre son petit crâne, était devenue la nouvelle prodige de Yukimoto Seji.

Ni une ni deux et sûrement de peur qu'on ne la lui vole au dernier moment, le blanc s'en empara comme le bien le plus précieux qu'il n'ait jamais eu, la serrant contre son torse tout en veillant à ne pas la réveiller.

- J'ai laissé la liasse sur le billard. Brûlez les papiers et effacez son existence. Cette enfant n'existe pas. Elle n'est jamais née et vous ne l'avez jamais vu. C'est bien clair ? 

Le troisième, qui jusque là était resté silencieux, attrapa l'argent et feuilleta les billets d'un revers de pouce.

- Le compte est bon, c'est donc clair comme de l'eau de roche.

Sur ces paroles, il jeta son cigare sur la moquette du billard d'un geste plein de mépris. Celle-ci prit feu en quelques secondes, brûlant les dossiers que le cachalot avait soigneusement rédigé.

Les flammes grandirent et embrasèrent la table de jeu sous les regards indescriptibles des quatre hommes. 

Alors qu'elle dormait en paix, l'enfant ne put savoir que ce brasier qui s'enflammait devant elle venait de dévorer sa véritable identité.

Et qu'il annonçait, dans son crépitement diabolique, sa descente aux enfers.

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Bonjour tout le monde ! 

Premièrement, désolée pour l'heure de publication, je ne suis vraiment pas disponible ces derniers jours et je ne trouvais aucun moment pour vous le poster. Je mourrais d'envie de vous publier ce Hors-Série que je voulais faire en plusieurs parties ! 

Un point de vue totalement centré sur Yukimoto Seji et sur son "acquisition" de notre petite héroïne🥺❤️

J'espère qu'il vous a plu et on se retrouve vite ❤️

Bisous ღ

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