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Pour une rencontre mémorable, c'en était une. Je crois que je n'oublierai pas de sitôt.

La nuit avait recouvert l'azur, jeté à bas l'obscurité sauvage sur ce genre de pinèdes qu'on croise souvent dans les contrées de Forestfield. Il avait cessé de pleuvoir et les effluves d'écorce mouillée se distillaient dans l'atmosphère réfrigérée. Je chuchotais aux gosses d'éviter la boue; bruyante et malléable sous les semelles, c'était le meilleur ami de notre poursuivant. Je leur ai ordonné de me devancer, de courir sans se retourner, puis j'ai serré le manche de mon arbalète et je me suis campée aux aguets, collectionnant dans mon oreille chaque son s'échappant de la pénombre.

Des gargouillis lointains me parvenaient, mais toujours trop vagues, étouffés, dérisoires même, en comparaison du cliquetis des épines de sapins. Je décrivais des pas autour de moi, sensible au moindre chuintement. Soudain, je captai un mouvement dans les fourrés. J'ai braqué mon arme. C'était une feinte. Mon ennemi était tenu derrière moi, me saisissant par l'épaule pour me flanquer à terre. Mes mollets se sont cognés à un arbre mort et je suis tombée le postérieur dans une flaque. Une botte épaisse s'est appuyée sur le tronc contre lequel j'avais buté. J'ai redressé le nez. Une ombre me dominait. C'était un homme, coiffé d'un large chapeau et bâché d'une longue cape. La lueur de la lune obstruée par le feuillage ne me suffisait pas pour le détailler par surcroît. Il devait véritablement se penser maître de la situation, car il s'est octroyé le luxe de déposer une lampe à huile qu'il agrippait dans son gantelet de cuire, et de l'allumer, révélant ainsi l'étendue de son faciès.

Et quel faciès ! J'en ai déjà vu des sales gueules mais rarement d'aussi effrayantes. J'ai eu un hoquet de frayeur au point de m'étouffer avec ma salive. C'était un monstre de type squelette, aux os d'un gris ardoise se mêlant à l'anthracite de ses accessoires. Si la partie gauche révélait une simple ride au niveau du zygomatique et une légère patte d'oie au coin de son œil bleu charron, ce qui, pour un être dénué de peau, témoignait tout de même d'une certaine corrosion de l'âge, la partie droite se démarquait d'horreur; elle fondait en plusieurs couches comme les vagues de cire d'une bougie usée, et son orbite, si défigurée qu'on l'eût dite étirée puis rabougrie telle pelure d'oignon séchée, signalait un amas de boursouflures agencées où une cicatrice en forme de croix proéminait. Ajoutez à cela le cyan luisant de sa pupille qui perçait à travers l'ombre de sa capeline et vous trouverez devant vous la digne créature de vos cauchemars.

– Tu ne connais pas la règle d'or, petite ? Surveille toujours tes arrières.

Son timbre de voix contrastait étrangement avec son apparence de scélérat : duveteuse, sereine, en rien hostile ou mielleuse. Elle accompagnait les quelques touches d'élégances qui agrémentaient son accoutrement de roublard, dont une chaîne de montre accrochée à son ceinturon, des boutons dorés sur sa chemise ou la plume piquée dans son couvre-chef. J'ai tâché de me remettre sur pieds, baladant ma main à la recherche de mon arbalète quand il a tiré un coutelas de sous sa pèlerine et l'a pointé à un centimètre de mon nez.

– Non non non, ne te lève pas ! Je t'en prie, reste, causons un peu, a-t-il murmuré en esquissant un vilain rictus.

...Peut-être qu'il est requis de recontextualiser tout ceci.

Cela faisait un certain temps que, chaque lune, la prospérité du florissant village de Pinefall était troublée par les agissements d'un gang de vampires s'étant installé dans la région. Cette bande de sagouins assoiffés de sang s'était déjà faite placarder une jolie réputation de trouble-fête, dévorant leur victime jusqu'à la carcasse au lieu de se contenter de deux trous dans le cou, jusqu'à broyer les os pour en sucer la moelle. Comptant une demi-douzaine de monstres dans ses rangs, elle est menée par un squelette mastoc et carnassier tenant plus de la bête que du sobriquet qu'on lui attribue; le Boucher, un fin gourmet de chair mortelle. On dit qu'il fend le crâne de ses proies en maniant une hache lourde d'au moins quatre-vingt livres. Une terreur, chez nous autant qu'au sein de son propre monde.

C'est en patrouillant dans les bois que je les avais dégotés, pistant une crasseuse odeur de brûlé. Au culot, ils avaient monté leur camp en plein milieu d'une clairière et avaient entamé une joyeuse fête autour d'un feu. Étaient-ils trop limités ou trop arrogants pour se croire ainsi intouchables ? Tandis que je les épiais, calculant leur nombre et leur artillerie rudimentaire, j'avais remarqué deux enfants, un petit garçon et une petite fille, ligotés au milieu de la scène comme un en-cas qu'on stockait au garde-manger. Profitant de mon abri végétal, j'avais enclenché un pieu dans ma balestrille et en avait touché un en plein cœur. Il était tombé en poussière sous l'indifférence de ses camarades. J'avais pu en dégommer plusieurs avant que leurs confrères ne finissent par, primo remarquer le problème, segundo me débusquer. J'étais parvenue à achever l'entièreté de ses minions avant que le Boucher ne prît le dessus sur moi et me forçât à battre en retraite, emportant un môme dans chaque main. Avec eux il m'était impossible de combattre correctement, c'était pourquoi il m'avait fallu gagner du temps. Et me voilà, aux prises avec un parfait inconnu alors que la bête-vampire rôdait encore aux alentours.

– Ne le prends pas mal, vraiment, a-t-il affirmé, son expression virant plus ferme, mais j'aime pas trop les villageois qui me volent mes proies. Le Boucher est à moi et je te conseillerais avec virulence de faire demi-tour.

J'ai eu un frémissement et un intense soulagement à la fois. J'aurais déjà dû m'en douter à cause de ses faibles courbes de vieillesse, dansantes sous les ondulations chaudes de la lampe, mais aucun vampire, même fratricide, ne parle de ses congénères comme des "proies". J'ai compris que je n'avais affaire qu'à un sale escarpe parfaitement mortel. Cela m'a redorée de témérité. J'ai rétorqué avec véhémence :

– "Ta" proie ? C'est MA proie, j'étais là avant ! Trouve-toi un autre terrain !

Il m'a alors considérée avec un regard nouveau, et je ne saurais toujours pas dire, même maintenant, si c'était de la moquerie, de l'énervement ou s'il était vraiment impressionné.

– Tu es une chasseuse de primes ?

– Parfaitement ! j'ai ajouté avec fougue. J'ai dégommé sa clique entière, il me revient de droit !

– J'ai vu, a-t-il affirmé gentiment. C'était... Captivant. Dommage que t'aies loupé le seul qui rapportait l'oseille.

– Je n'ai pas...!!

Il a avancé un peu plus la pointe de son arme, me faisant reculer le menton.

– Ton manque d'expérience est flagrant. Si t'étais maligne tu aurais attendu qu'ils ronflent tous comme des porcs et achevé leur chef dans son sommeil. Abrutis d'ébriété comme ils étaient, ils se seraient écroulés après s'être gavés la panse sans même songer à retourner dans leur grotte, crypte ou que sais-je.

J'ai serré les dents. Il a repris, étouffant un ricanement.

– Aaaaaah, bien sûr... Ça t'aurais brisé le cœur de voir ces maroufles roter les gosses, hein ? Je parie que même fringants tu les aurais tous défiés à corps perdu. T'as eu de la chance que leur ivresse ait équilibré la balance, ou tu ne serais plus qu'une carcasse à l'heure qu'il est.

C'était confus étant donné que l'éclairage de la lanterne m'avait déshabituée à la sorgue, mais j'étais sûre d'avoir vu un œil globuleux et rutilant surpasser l'opacité noire. Un brin d'efforts m'a permise de confirmer mes soupçons : le Boucher allait vers nous, à pas feutrés, les babines jubilantes pleines de sang et de bière.

– Alors voilà un conseil : dans notre métier, ma petite, de toutes les spécialités, la plus salvatrice est celle qui passe par la caboche, poursuivait le mercenaire en pointant sa tempe, ce qui faisait que son coutelas, de la même main, ne tenait pas dans une poigne franchement fiable.

Dans la panique, je me suis retournée dans tous les sens pour mon arbalète. Quand je m'en suis enfin emparée, j'ai commencé à la charger à mesure que le vampire s'approchait par derrière. Mes gestes frénétiques retardaient ma manœuvre.

– Pour ma part, je suis un expert dans l'art...

J'ai arqué mon carreau de bois dans la direction du Boucher qui, hache au ciel, se parait à dédoubler le portait du borgne. C'est là que j'ai repéré que la main gauche de ce dernier, en amont de son fémur, descendait furtivement entre les épaisseurs de sa poche. Un éclat de métal miroita comme un soleil alors qu'il extrayait une dague de ses deux doigts. En une fraction de seconde il a envoyé le couteau de lancer en plein sur le côté, fiché droit sur l'écorce d'un arbre. Un "tac" sec s'est fait entendre, suivi du frottement continu et omniprésent d'une corde qui coulisse.

– ...de tendre des pièges.

Avant que le Boucher ait pu s'étonner, voilà qu'un lourd couperet de plomb a émergé en trombe des ombres, le raccourcissant proprement d'une tête au niveau du cou. Il s'est désintégré, son instrument s'écroulant dans les feuilles mortes. Le mercenaire, libérant un souffle de satisfaction, a rengainé son coutelas dans le petit fourreau fixé à son dos et s'est retourné vers la dépouille, époussetant lestement l'épaule de son manteau. Il s'est accroupi, a prélevé un tube à bouchon de son gousset et l'a remplie d'un échantillon de sa victime. Puisque les vampires disparaissent sans laisser de trace distinctive, la seule preuve valable de leur mort figure dans l'analyse de leurs cendres.

Sans se soucier que je l'arrête ou non, il est revenu vers sa lanterne et a soufflé sur la flammèche. De retour dans les ténèbres complètes, après quelques secondes d'acclimatation, j'ai enfin pu inspecter dans les hauteurs. Tout un stratagème de câblerie avait été adroitement érigé.

Dans mon esprit bouleversé, les pièces du puzzle se sont mises à s'assembler. S'il a embrasé en toute impunité sa lanterne dans une forêt truffée d'insécurité et m'a laissée crier (m'a amenée à crier?), c'était parce qu'il VOULAIT que le Boucher tombe dans ce guêpier. Il l'a délibérément fait marcher jusqu'à lui en sachant qu'il était seul et sans arme de distance. De plus, nous nous sommes retrouvés exactement là où ça l'arrangeait qu'on soit, comme s'il avait élaboré tout cela dans les quelques minutes qui encadraient ma baston contre les laquets et ma fuite avec les enfants. Enfin, il n'a pas eu peur de lancer sa dague dans une position inconfortable et a atteint sa cible précisément, sans la moindre bavure. Il m'a utilisée en tant qu'outil pour sa sale besogne.

Le mercenaire a sifflé trois coups. Un bruit de galop s'est accumulé dans la nuit et un pur-sang a jailli, se postant devant lui de manière parfaitement éduquée.

– Au fait, je ne sais pas si tu t'es bien renseignée, m'a-t-il appris en enfonçant ses affaires dans les sacoches juxtaposées à la selle, mais le Boucher était un vampire un peu spécial... Il avait une capacité de régénération bien supérieur à son espèce et son état tenait presque du zombie, le seul moyen de l'avoir c'était par décapitation. Tu n'aurais jamais pu en venir à bout avec tes petits pieux et ta précieuse arbalète.

J'ai louché sur ma fidèle compagne, sentant malgré moi le rouge de la honte me monter aux joues. L'air sympathique qu'il employait à travers son ton goguenard contribuait encore plus à m'humilier. Il a ajusté la sangle, enfourché sa monture et a pris la peine de tirer sur les rênes pour la faire pivoter vers moi.

– À mon humble avis, t'as mal choisi ton métier. Si tu te préoccupes tant de la sécurité de la population, t'aurais dû faire veilleuse de hameau. Sur ce, bonne route !

Puis il a viré à gauche et a disparu dans un bond grandiose. Je suis restée seule devant le tas de poussière que je devais ramener, comprenant bien et avec amertume que je ne pourrais plus en soustraire aucun profit. Il a disparu, grandiose, et moi j'avais le cul dans la boue.

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– Je vous assure comment j'ai trop la RAAAAAAAAAAAAGE !!!!!! Beugle la jeune fille à lunettes, faisant retenir sa voix stridente à travers toute la taverne.

Elle s'affale le ventre sur le comptoir, poussant un mugissement morne. On l'aurait affirmée pompette par son laisser-aller et sa face pivoine, mais elle n'a pas encore consommé une seule goutte de son cidre. La crocodile vert pâle lui applique une tape amicale dans l'omoplate.

– Allez Mitaine, ricasse-t-elle entre ses crocs acérés. On t'a savonné le plancher, ça arrive à tout le monde, 'te mets pas la rate au court-bouillon pour ça !

– Oui, ça arrive à tout le monde, et surtout à moi ! rétorque piteusement la brunette, la mâchoire aplatie contre le rebord. À chaque fois c'est comme ça ! Je fais tout le turbin et on me vole ma prime au dernier moment !

– C'est parce que tu tergiverses trop dans tes quêtes, renchérit la bonne femme-chat en essuyant une chope avec son torchon. Résultat tu te fais doubler. Va droit au but, mille tonnerres !

– Parce que c'est mal de prendre le temps de sauver les gens quand on traque le vampire ? s'agace-t-elle en agitant les bras, hystérique. Ce n'est pas dans ce but que les sociétés comme le Glaive de Chêne existent ?

La Guilde du Glaive de Chêne est l'une des nombreuses organisations du pays spécialisées dans l'extermination du démon. Les missions épinglées sur le mur de l'enseigne convergent vers ce même but, et presque tous ici sont des chasseurs de primes, légionnaires ou simplement des malandrins avides d'argent. Gatty, la crocodile, est une sorte de collègue de travail qui l'a bien aidée à démarrer dans le milieu. Catty en revanche, c'est la patronne du bar. Pince-sans-rire et moralisatrice, l'adolescente peut être assurée dans les secondes qui suivent de subir mille remontrances.

– Au lieu de te ronger les neurones à rouspéter, tu devrais te soulager d'être encore en vie et entière, grogne justement la féline. Ce type que tu décris, c'était Macabre Nimson.

– Simpson qui ?

Catty la fouette avec son torchon.

– NIMson, cornichone !

– Désolée si ça y ressemble !

– Lisa...

– Nimson, j'ai pigé. Donc ?

La patronne du bar roule des globes. Gatty prend la relève, se penchant en confidence sur l'adolescente grincheuse.

– Écoute, Mitaine... Non, écoute, fais pas la dure de la feuille même si je sais que ça t'emmouscaille, parce que c'est un conseil qui pourra t'éviter des bricoles. T'as ouvert tes versoirs ? Bon. Tu vois la Malbête ?

– Euh...

Canisse, un chien à grosse moustache, qui a tenu à participer à la conversation, exprime un râle quant à son ignardise.

– M'enfin, la Main Noir, el Coco, le Siffleur de Nuit, Paotr e Dog Ledan l'homme au chapeau large, inculte !

– Le Croquemitaine, quoi, complète ironiquement la saurienne en claquant sa gueule pour la taquiner. Et ben ce type, ma belle, c'est exactement ça, mais pour les suceurs de sang.

– Tous les peuples ont leurs monstres et leurs légendes, et chez des vampires, c'est Macabre Nimson, chuchote Cannisse comme s'il craignait qu'on l'entende. On raconte qu'une telle haine envers eux corrompt ses os qu'il a massacré plus de cryptes, de grottes et de villages souterrains que tous les adhérents de cette guilde réunis.

– ...Ouah. Z'avez pas l'impression d'en faire un peu trop, là ? J'suis plus une gamine.

– C'est vrai ! Il a liquidé plusieurs de leurs grands barons. On le connait davantage de nuit que de jour, mais il a des relations partout, du Royaume de Castille aux confins de l'Écosse.

La brunette passe de la saurienne au chien, n'écoutant qu'à moitié ces histoires nébuleuses. Ce n'est pas la première fois que les membres de la guilde se plaisent à lui faire peur. Pour elle, ce Macabre n'est qu'un vioque un peu doué qui lui a coupée l'herbe sous le pied et qu'elle ne reverra jamais.

– Bon bah ça va, je ne crains rien, en tant qu'humaine ayant un penchant pour les bains de soleil, raille-t-elle, bazardant leurs avertissements d'un revers de main avant d'entamer sa boisson.

– Te fais pas d'illusion, il est tout aussi dangereux pour les mortels, garantit Gatty, pourvue une risette sadique. Il adhère aux guildes comme la nôtre, mais il va chercher partout, même dans les associations criminelles. Il ne refuse pas l'argent facile.

– Alors s'il t'a dans le viseur, rédige ton testament !

– C'est le genre de gars insupportable qui réussit tout ce qu'il entreprend.

– En attendant, rompt l'adolescente, c'est pas lui qui va régler mes problèmes d'argent. Je suis fauchée, sur la paille !

– Sois précise, se moque la femme crocodile, t'es sur la paille ou la paille, c'est toi ?

– Je suis une paille fauchée sur un tas d'autres pailles en décomposition en attente du Moissonneur...... Se morfond-t-elle, lâchant des sanglots anhydres.

– Et c'est la jeune qui parle ! flanque un grand-père un peu plus loin, le spectacle fourni par la jeune fille attisant au moins un quart des clients.

– Quelle funesterie ! commente Gatty.

– Fumisterie, surtout, elle en fait tout un foin, corrige Catty en plaquant la chope. Il te reste bien assez pour une expédition et tu sais qu'on peut t'avancer.

– M'en fiche... geint-elle. J'ai jamais voulu être ici à faire des allers-retours et manquer de me faire zigouiller pour des clous... J'aurais aimé être paysane dans une autarcie indépendante et rencontrer un jeune et beau clochard avec qui je vivrais ma vie paisiblement sans me soucier de mes dettes...

Même si ses jérémiades se révèlent très convaincantes, son entourage est parfaitement au courant qu'elle ne pense pas le moindre mot de ce qu'elle dit. Elle pourrait en mourir qu'elle ne renoncerait pas à ce boulot. Sauver les innocents de cette menace que sont les vampires, tout en restant intègre à ses valeurs, c'est une promesse faite à elle-même.

Nonobstant, elle demeure toujours une ado sensible en pleine phase de questionnements existentiels. La voilà qui déblatère dans des marmonnements assidus jusqu'à parvenir au paroxysme de ses soliloques. Elle lève les bras au ciel, au désespoir :

– MAIS OÙ EST LE GARÇON DE MES RÊVES ????

Puis son front retombe sur le comptoir dans un vacarme brutal. Les autres se taisent, certains la trouvant cocasse, certains affligeante. C'est alors qu'un gaillard la siffle.

– Hey, Mitaine !

Encadré par sa meute, il est le genre d'allure mecton à la chemise sale et blanchie et au sourire bouffi d'orgueil. Le crâne de la brunette roule vers lui sans entrain.

– Mh ?

– Si tu cherches un beau jeune homme avec qui t'embroussailler dans un amour torride...

Il s'éjecte de son banc, avance vers elle, posant une main sur le plateau de la buvette, et achève en la regardant dans les yeux :

– ...Le Prince Encre serait un damoiseau parfait pour toi.

Ses copains se poilent comme à l'entente d'une vieille blague, un comique de répétition.

– Qui ça ?

Il se dirige vers le tableau de quêtes et déplace les punaises d'une dizaine d'affiches afin d'en déterrer une vieille, jaunie, décrépite, rongée par les mites et les manipulations acharnées, puis revient la lui agiter sous le tarbouif. Il y est dessiné à l'encre délavée une sorte d'immense château, et en dessous est indiqué le montant de la prime.

– Cette mission est restée disponible pendant plus de cinq ans, personne n'ose plus la tenter. Elle consiste à retrouver le Prince Encre, l'un des nombreux dauphins de France, du roi vampire Fallacy qui le maintient prisonnier au sein d'une de ses grandes résidences, un fabuleux manoir localisé très loin vers l'ouest. L'archiduc de Grasteaune accorde une récompense juteuse à quiconque le libère du terrible monarque : neuf-mille deux cents écus sous forme de deux énormes sacs de pierres précieuses ! Tous ceux qui ont essayé de le ramener jusqu'à présent ont été décimés sans exception.

– En cinq ans, elle est restée valide ? Il doit être mort ou vampirisé, depuis...

– Personne ne pense ça, c'est un prince et un artiste, et quand on est raffiné on ne tue pas les princes, ni les artistes. Et puis... Fallacy a pour réputation d'aimer les âmes... Battantes, précise le gaillard en gloussant. Ça en excite plus d'un, chez les vampires.

C'est obscène. Mais ça arrive, effectivement. Les morts fascinent les vivants et les vivants fascinent les morts.

– Qui sait, si tu voles à son secours telle une chevalière servante il va peut-être accepter de t'épouser ! s'esclaffe-t-il, emportant sa bande et une bonne partie des clients dans l'hilarité.

L'humaine retourne le papier et y découvre les informations nécessaires toutes plus ou moins résumées par son interlocuteur, ci-dessous un portrait du Prince. Il est beau, indubitablement. On dirait une poupée avec ses courbes douces, ses pommettes rosées d'arc-en-ciel et rondes, tachée sur la droite, son regard en demi-lune, paisible et majestueux. Avec un pareil visage, elle n'a pas intercepté tout de suite qu'il fait partie de la race des squelettes. Seulement, ses orbites abritant des pupilles vairons miroitantes n'offrent aucun bénéfice du doute.

La voilà envahie prématurément d'une veloutée de tiédeur qui suffit à raviver sa poitrine décomposée par la mélancolie. Elle range l'affiche dans la pochette de son corsage.

– Vous savez quoi ? Ouais ! Carrément !

Les rires s'estompent abruptement.

– Hein ??

– Je délivrerai le Prince de son triste sort et une belle et tendre histoire de cœur éclora ! promet-elle, hissant ses deux poings en l'air.

– Attends, Lisa, nous on plaisantait, bégaie l'homme, tu ne vas pas...

– Réfléchis, par la malepeste ! éclate Catty. Même si tu réussissais, les princes n'épousent pas les chasseuses de primes, enfin tête de linotte !

– Je le sais très bien, je ne suis pas débile ! riposte la brunette. Mais quand je l'aurais sauvé et qu'il me verra comme sa preuse et galante héroïne, nous vivrons un amour aussi frénétique qu'hélas, diablement éphémère...! Nous nous épanouirons dans une rebelle et innocente passion que seuls les jeunes et les âgés connaissent, pur, libre et sans mariage, jusqu'à ce qu'il ne doive repartir dans son pays en ne semant sur son sillage maudit qu'un mouchoir éprouvant à quel point il regrettait de me quitter...

Les témoins sont si consternés par cette empreinte de détermination qu'ils en oublient le moindre sarcasme. Ne semblant pas remarquer leur état d'hébétude, elle saute de son siège et saisit sa sacoche avant de filer dans les escaliers menant aux chambres.

– C'est décidé, je pars demain !

– Li...! appelle la féline, mais son amie lui abaisse la main.

– Bah, laisse la faire, on avait tous cette fougue à son âge... Elle va vite abandonner et revenir, ne t'inquiètes pas.

Gatty adresse au souvenir de la petite un regard tendre.

– Elle a besoin de se défouler, d'éprouver des choses intenses. C'est sa façon de survivre, tu sais...

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Le manoir du Roi vampire est situé très loin de la région de Forestfield, à l'autre bout du pays, aux confins des sombres terres de l'Ouest. D'après les carnets de voyage disponibles en libre-service de divers adhérents, le climat y est davantage humide, brumeux et froid, tant que parfois, les chauve-souris elle-même circulent en plein jour. Elles sont empruntes de grandes plaines rocheuses aux herbes d'un jaune chrome et ambre, de taïgas telles que décrites dans les paysages écossais où les hivers jouissent de nuits allongées.

Aux abords d'un tel voyage, une bonne préparation s'avère indispensable. La jeune fille étudie les cartes, interroge les vagabonds sur les villes, les communes, favorables ou mal famées, chères ou délabrées, pèse le pour et le contre, jalonne ainsi son itinéraire. Elle n'oublie évidemment pas de prévoir de rendre visite au client à Grasteaune, afin de vérifier si la prime tient toujours et s'il est prêt à céder la fortune qu'il a mise en jeu. Le Glaive de Chêne n'a jamais failli à sa fiabilité, ceci dit, cinq ans plus tard, il ne serait pas étonnant que cette histoire ait pu virer poussière, aussi il ne serait malheureusement pas nécessaire de s'engager plus loin.

La brunette semble plus motivée que jamais. Cela ne lui prend que quelques heures de tout organiser, acheter les vivres et l'équipement avec les derniers sous qui lui restent. Résolue à voyager léger pour plus de rapidité, elle s'est disposée d'un cheval avec un havresac sur chaque flanc, un manteau, plus quelques armes à sa ceinture et aux accroches derrière son dos. Pour le reste, elle improviserait. Le soleil ne s'est pas encore réveillé qu'elle se sauve déjà, filant au ponant comme fuyant ses chauds rayons protecteurs; vers sa première étape : Stardin. Un paisible et village pittoresque installé dans les collines qui lui a été conté en bien. Avec un peu de chance, si elle parvient à les débarrasser de quelques vampires, ses habitants accepteraient de l'héberger une nuit avant de reprendre la route. Et avec un peu plus de chance, ils lui céderaient volontiers victuailles et tuyaux.

C'est sur cette spéculation qu'elle galope pendant deux jours, priorisant les courses nocturnes et les siestes diurnes, sommeillant dans des granges et faisant sa toilette auprès des rivières qu'elle croise. Pensant parvenir à Stardin avant la nuit, elle a continué de tracer toute la matinée du troisième jour. En milieu d'après-midi, ne s'étant pas sustentée depuis une dizaine d'heures, elle dresse un feu de camp à la lisière d'une chênaie et se prépare un délicieux ragoût de lapin. Imbriquant quelques herbes recueillies à sa mixture, aidée de sa cuillère, elle décrit des cercles du poignet au-dessus de la tambouille, fredonnant paisiblement. Elle verse ensuite le contenu dans un bol en métal, humant goulûment le délicat fumet. Mais tout à coup, elle enregistre un crépitement en direction des bois.

Il y a des bottes dans des feuilles mortes. Vive comme l'éclair, elle saisit son arbalète, fait volte-face et tire en plein dans les fourrés. La mine de bois du projectile fait résonner l'écorce d'un chêne pendant que l'épieur, à moitié accroupi, écarquille sa seule orbite d'une indignée stupéfaction.

– Par les cornes de la Grande Rouge ! blasphème-t-il. Un peu plus et tu jouais à Guillaume Tell avec mon chapeau !

– Toi ?!

L'enfoiré qui lui a chourée son Boucher ! Les gibbosités de sa balafre, deçà tuméfiée, delà rabougrie, se démarquent d'autant plus de laideur sous les pleins phares de l'astre solaire. En revanche, ce n'est pas tant cette vision immonde qui provoque une remontée de bile dans la gorge de l'adolescente, mais sans conteste les rapports concis de Gatty et Canisse à son sujet. Cela ne l'a pas percutée dans la mesure où elle était persuadée de ne plus jamais avoir affaire à lui. Peut-être que finalement ces flabiaux à base de Malbête l'ont atteinte plus sinueusement qu'elle ne l'a suspecté. Tandis qu'elle s'empresse de se recharger, il ajuste délicatement sa plume, pourvu d'un rictus caustique.

– C'était plutôt bien visé, mais tu n'aurais pas dû m'attaquer à la seconde même où tu m'as repéré. Si tu avais fait mine de rien tu te serais donnée plus de temps pour viser et tu aurais eu plus de chance de me t...

Elle brandit sa balestrille si férocement qu'il en hausse les pattes au ciel.

– Qu'est-ce que tu fais là ? interroge-t-elle farouchement.

– Hola, petite, du calme ! Ce n'est pas un code de politesse que de pointer ce genre de jouet sur un humble colporteur...

La désinvolture de ce sale menteur lui donne froid dans le dos. C'est elle qui le tient en joue, et pourtant c'est elle qui se sent vulnérable.

– «Vous ne trompez personne avec cette peau de mouton». Je ne fais pas confiance aux vioques de meurtriers dans ton genre.

– Je préfère le terme spadassin, rétorque-t-il d'un air pincé. C'est moins vulgai...

Un carreau lui effleure la pommette et se plante dans l'arbre en retrait. Cette fois, il déglutit.

– Je t'assure, je veux simplement te parler...

– Jette tes armes.

Il opine du chef, et lentement, il déloge son coutelas de son fourreau, l'envoie un mètre devant lui. De même pour la dague nichée dans sa poche gauche.

– Toutes tes armes !

Conservant l'échange de regards, au même rythme et sans la moindre appréhension, il découvre une seconde dague à sa poche droite, une paire de poignards à travers les replis inférieurs de son pantalon, deux canifs dans ses bottes et une espingole derrière son dos. Il se débarrasse même du sachet poudre associé.

– Ta cape, exige-t-elle.

Roulant la pupille d'exaspération, il décroche patiemment le fermail de sa pèlerine et laisse cette dernière tomber au sol. Considérant la lourdeur avec laquelle elle a chuté et le ramdam qu'elle a produit, on peut suggérer qu'il y cachait bel et bien des couteaux supplémentaires entre deux couches de tissu. Enfin, comme pour dénoter sa bonne foi, il ôte son couvre-chef afin d'en soustraire une minuscule fiole de la taille d'un dé à coudre, contenant peut-être du cyanure, la place à ses pieds. Se recoiffant, il s'avance alors vers la jeune fille qui n'abandonne pas sa ligne de mire une seule seconde.

– Je me présente : Macabre. Macabre Nimson.

Vu le ton de malice faussement modeste qu'il a incisé, c'est qu'il attend forcément d'elle une réaction. Il a l'air tout à fait conscient de sa réputation et doit avoir l'habitude qu'on ait les quételles devant lui. Elle ne lui octroiera pas ce plaisir.

– Connais pas, ment-elle sur un accent de mépris. Étranger ?

– Pour ainsi dire.

Il jette une œillade sur le repas encore chaud que la brunette a suspendu pour cause de trouble-fête. Tout à son aise, il brusque un peu l'allure.

– Oh, ça a l'air bon, qu'est-ce que c'est, du lapin ? Je peux...

Mais alors qu'il s'abaisse, la pointe du pieu s'appuie sur la drôle de convexité diluée qui lui sert de cavité nasale. Il se redresse aussitôt, montrant patte blanche, se destituant de ses gantelets pour les pendre à son ceinturon.

– Bien... Mais parlons-en, tu ne fais preuve d'aucun respect pour tes pauvres aînés, Mitaine, remarque-t-il narquoisement.

Le cœur l'adolescente rate un battement.

– Je ne m'appelle pas Mitaine !!!

– Vraiment ? N'est-ce pas ainsi que tes sympathiques collègues t'ont nommée lorsque je leur ai fait un brin de causette, Lisa Niemandóttir ?

Le visage de l'intéressée se décompose au bénéfice de celui du mercenaire qui élève un vilain rictus victorieux. Les membres de la guilde ne sont pas tous des cœurs d'or et encore moins des honnêtes gens, mais jamais ils ne lui auraient cédé son prénom, et encore moins son "nom de famille"... Macabre ne les aurait tout de même pas payés, si ? Intimidés, alors ? Catty et les autres sont loin d'être impressionnables, n'en déplaise à cette soi-disant Légende pour vampires.

En fait elle ne le soupçonne même pas de prendre toute cette peine seulement pour trouver de quoi la déstabiliser. Non, elle a plutôt l'abominable pressentiment qu'il l'a appris trop facilement. Beaucoup, trop facilement. Par hasard, par chance, par maladresse d'un de ses confrères, dans le meilleur des cas. Dans le pire...

– ...Quand ? balbutie-t-elle.

– Hier. Ils m'ont également rapporté que tu étais partie pour cette fameuse quête qui dort sur tous les tableaux de chasse depuis plus de cinq ans...

«En si peu de temps...?»

Si ça se trouve ils lui font tous une blague ? Si ça se trouve, eux et Macabre sont complices et ils ont tout inventé pour la charrier. Gagnante du loto, en récompense, un long voyage au pays des cruches.

Elle n'y croit pas un centième. Catty ne ferait jamais ça. Les autres oui, mais pas Catty.

Le vieux squelette étire ses dents en se désignant du pouce.

– Et ça tombe bien, parce que moi aussi. On fait équipe ? 50/50.

La brunette était si préoccupée à encaisser le premier rebondissement qu'elle a failli manquer ce qu'il lui a annoncée à l'instant. Là, elle a l'impression que c'est une enclume qu'elle se fait livrer. Elle reste sonnée durant un laps incalculable, le cerveau en roue libre. Lui ne tente même pas de la priver de son arme. Il patiente, se délecte de sa consternation avec un exaltant dédain. Elle remue enfin ses lèvres entrouvertes, prête à répondre, blafarde. Le visage du squelette s'allume. La voix de l'humain se fait brutalement ferme :

– Plutôt crever.

Au tour de Macabre d'être stupéfait. Il prévoyait certes une réponse négative, toutefois pas si catégorique.

– Mais, quoi ? fait-il, déçu.

– Dégage.

– Tu ne veux même pas y réfléchir a...

– Non négociable.

Elle additionne ses pas, poussant le chasseur de primes à reculer carrément. Toute l'amertume qu'elle accumule depuis des mois s'exprime dans ce courroux.

– Tu vas fermer ton écoutille, parce que c'est MON tour, cette histoire est pour moi ! Cette fois, il est hors de question qu'on se mette en travers de ma route et me rafle mon dû !! Encore moins, toi !!!

– Loin de moi cette idée ! se défend-il, mimant d'être agressé. Je t'entends penser; je suis peut-être vénal, mais pas cupide, et le montant me paraît largement suffisant pour nous deux. Fais fonctionner ta calebasse une minute : tu t'aventures là où les plus grands bellicistes ont échoué, dans des contrées sauvages infestées de démons en tout genre, et tout cela la bouche en cœur. Tu te vois tenir ne serait-ce que deux jours là-bas ? Autant bâtir des châteaux en Espagne. Tu as besoin de moi.

– Alors va t'occuper de ces châteaux en Espagne et fous moi la paix, je me débrouille assez bien toute seule.

– "Assez bien", ce n'est pas suffisant là où tu te rends.

Elle claque sa langue d'irritation et se reprend, secouant violemment la tête. Elle pèse chacun de ses mots.

– ...Et quand je dis "toute seule", c'est à partir du moment où la concurrence ne vient pas me mettre des bâtons dans les roues. Alors merci, mais non merci.

– Qui parle de concurrence ? rigole Macabre en écartant les paumes. Écoute, j'ai beaucoup voyagé, et les territoires de l'Ouest sont ne me sont pas inconnus. Je sais quelles routes emprunter, quels villages accoster et quels dangers esquiver. Également, tu te berces d'illusions si tu t'imagines que ton noble client cédera aussi facilement son précieux butin. En admettant qu'il ne cherchera pas à te faire assassiner une fois le contrat achevé, parviens-tu à discerner les valeurs plurielles d'un saphir ou d'un rubis ? Différencies-tu les faux diamants des purs ? Je suis ton meilleur atout pour cette mission.

– M'en fiche c'est non.

– Allons...

– Non !

– Tu préfères te laisser abandonner en cours de route ?

Le mutisme conquiert la bouche de l'adolescente. Il vise juste. Elle décline légèrement l'arbalète, s'égarant dans d'insoutenables supputations. Peser, supputer, sous-peser, supputer rebelote. Et plus elle suppute, plus elle réalise qu'il a raison. Elle préfère autant répudier cela, et se concentrer sur ce qui cloche réellement dans cette proposition.

– Ça ne tient pas. Si tu es si fort, pourquoi tu veux m'accompagner ?

– Tel que je te l'ai dit, l'argent n'est pas mon principal objectif, soutient-il en se détournant d'elle, marchant en mouvementant ses mains pour accompagner ses dires. Je commence à sentir de poids des années dans mes vieux fossiles de fémurs, alors réussir la quête du Prince Encre, c'est une sorte de défi personnel, une ultime victoire avant de signer une retraite bien méritée. Toi qui es jeune, j'ai trouvé dommage d'avoir à t'éliminer, aussi j'ai choisi de t'offrir une fleur.

Elle se refrogne, pas convaincue. Dos à elle, il replie les bras sur sa chemise, calquant sa pupille sur les nuages.

– Et puis... Tu as du potentiel.

La jeune fille lève les sourcils.

– Ah...Ah bon ?

Il se retourne en lui dédiant un sourire bienveillant.

– Tu es vigoureuse, motivée, et je puis témoigner que te bats bien. Mais ce n'est pas assez. Tu veux débarrasser le monde de ce fléau que sont les vampires ? En voyageant avec moi tu développeras des aptitudes que les adhérents de ta guilde envieraient, tu emmagasineras des astuces que tu ne dénicherais dans aucun livre, admettant que tu aies assez d'éducation pour savoir déchiffrer des ouvrages.

Elle lit très bien. Mais il n'a pas à le savoir.

– 70/30 conviendra largement, insiste-t-il en revenant à elle. Soixante-dix pourcent pour toi, trente pour moi. Alors ?

Elle se rend compte qu'elle est sur le point d'acquiescer. Elle compresse ses phalanges sur le manche de sa balestrille en poussant un grognement. Elle doit garder l'esprit limpide.

– ...Non. Tu me baratines pour me tuer plus facilement et rafler mon équipement.

Elle ne peut pas se laisser pigeonner par le premier bonimenteur venu. C'est la consigne numéro un de comment casser sa pipe dans ce monde cruel.

– Pas bête, s'amuse-t-il. Sauf que tu omets un détail important...

L'adolescente n'a pas hoqueté qu'il attrape l'arbalète d'une main et la dévie de sa trajectoire. D'une célérité aveuglante, il enlève sa capeline et la fourre sur la tête de la brunette, puis tire franchement vers le bas, la faisant se plier en deux tandis qu'il lui encastre la rotule dans l'estomac. Le souffle coupé, elle desserre sa poigne sur son appareil qu'il se hâte de lui arracher. Il saisit alors le poignet de son adversaire, frappe sa paume contre ses clavicules, et en un éclair, génère une impulsion qui la conduit à s'aplatir dans l'herbe trempée. Il enfonce sa botte dans son ventre pour la maintenir à terre et la cible avec sa propre arme. On ne sait par quelle magie son chapeau est derechef revenu en place sur son crâne.

– ...Je suis deux fois plus fort que toi et sans doute cent fois plus expérimenté. Je peux te tuer quand je veux, pas besoin de ce genre de stratagèmes.

Ces gestes brutaux contrastent avec cette expression espiègle et quasi innocente fichée dans ses rides de vioque. Il jette la balestrille au pieds de la jeune fille et s'écarte d'elle, revenant nonchalamment à ses affaires.

– Subséquemment, je ne comprends pas dans quelle mesure tu te prends autant le chou, parachève-t-il en épinglant le fermail de son long manteau. Dans tous les cas j'accomplirai cette quête par n'importe quel moyen, alors la situation est simple et le choix reste tien : ou tu es avec moi, ou tu es contre moi.

Abrutie par cette superbe déculottée, l'humaine s'arrange quelques secondes rien que pour se mettre assise. Le mercenaire, se regarnissant de toutes ses armes, ne paraît pas le moins du monde incommodé par le poids de son arsenal.

Ce compromis s'avère être une opportunité à ne pas manquer. Mais également un piège mortel... Elle pourrait bien essayer de le tuer, hélas elle n'en a ni les compétences ni l'envie. Ça reste un homme, un mortel, et elle n'a jamais éliminé de sang-froid que les vampires et quelques autres démons. Cela ne fait pas d'elle un assassin.

Elle ne peut pas lui faire confiance, pour sûr. Elle se doute déjà qu'il prévoit de l'écarter du chemin un moment où à un autre. Pas tout de suite, néanmoins. Gamine ou pas, traiter avec elle nu comme un ver alors qu'elle le tenait en joue était un pari risqué. Il ne l'aurait pas engagé s'il voulait se débarrasser d'elle fisa. Si elle accepte, il sera son équipier au moins pendant un temps.

Le pire dans tout cela c'est qu'il n'a pas l'air bien méchant. Et c'est ce qui la terrifie le plus, en fait. Une partie d'elle le croit.

Côté rationnel, il n'y a en effet malheureusement pas grand chose a débattre. Soit elle refuse et s'en fait un ennemi, soit elle accepte et s'en fait un allié, même provisoire. Ou bien elle abandonne.

Cette pensée la dégoûte rien qu'à l'envisager. Un vieux schnok l'a déjà humiliée deux fois, impossible de repartir la queue entre les jambes. Et puis elle passe peut-être à côté de l'aventure de sa vie !

Elle se relève lentement pendant que Macabre époussète tranquillement ses épaules.

– Pas d'entourloupe ? demande-t-elle sombrement en s'avançant vers lui.

– Pas d'entourloupe, affirme-t-il doucement.

– Pas de trahison ?

– Aucune.

– J'ai ta parole d'honneur que tu n'essaieras pas de me voler le reste une fois les soixante-dix passées entre mes mains ?

– Ce n'est pas très fin de confirmer que tu as peur de moi, Mitaine, gouaille-t-il. Mais tu l'as.

Elle est folle de faire ça. Elle éructe un grondement rageur puis met les poings sur les hanches, le jaugeant dédaigneusement.

– Très bien, mais à une condition : tu fais un serment.

– Un serment, et puis quoi encore... Pouffe-t-il. Que veux-tu, une parole d'évangile ?

– Non, la plus solennelle de toutes les promesses. Un pacte qu'aucun homme d'honneur ne peut briser.

Macabre n'a pas arqué un sourcil qu'elle éclate un gros mollard sur sa paume et la tend vers lui.

Ce dernier fronce le museau, la consulte, l'air copieusement répugné. Comblée de le voir enfin manifester de l'embarras, elle lâche un ricanement sardonique.

– Haha, j'étais sûre que...!

Mais avant qu'elle ait pu finir sa phrase, le squelette crache à son tour dans son carpe osseux et la referme sur celui de l'adolescente. Les cheveux de l'humaine se hérissent plus vite qu'un lycanthrope par une nuit d'orage. Elle arbore une grimace si comique que le mercenaire ne peut s'empêcher de prolonger cet échange en secouant leurs poignets à plusieurs reprises. Les doigts crispés au possible, elle tire spasmodiquement pour dégager sa main. Folâtre, le mercenaire la retient quelques secondes avant de la lâcher.

– Heh...! Mais...! BEUUURK, c'est dégueulasse !!!

Prise de nausée, elle court jusqu'au ruisseau pour se débarrasser sur-le-champ de cette amas de salive immonde. Le borgne, qui s'est contenté de s'essuyer sur son pantalon, éclate de rire alors qu'elle se rape frénétiquement la paume contre une pierre.

– Tu m'as demandé de prêter serment, je prête serment !

– Mais y'a qu'une personne qui est censée cracher normalement ! Et je pensais pas que tu le ferais pour de vrai...! gémit-elle en se séchant avec sa robe. Les personnes qui portent des gants détestent se salir les mains !!

– Ce qui faut pas entendre ! se marre-t-il en remettant enfin ses gantelets. Sérieusement, petite, ai-je la gueule de quelqu'un qui n'aime pas se salir les mains ?

– Oui.

Son sourire s'efface. Il lui porte un regard interloqué. Elle pousse un soupir.

– La dernière fois, à Pinefall. Tu aurais pu me tuer. Même quand le Boucher a été mis hors d'état de nuire et que j'avais mon arbalète chargée sur toi, tu aurais pu me tuer, mais tu m'as épargnée. Peu de maroufles l'auraient fait.

Elle lui tourne le dos, gênée, avant d'exprimer un gloussement âcre.

– Bien sûr, je dis pas que ça te dérange, heh, au contraire...! Je suis sûre que tu n'hésiterais pas une seconde à zigouiller un gosse pour sauver ta peau ou arranger tes affaires. Mais je ne pense pas que tu sois ce genre de salopards qui tuent pour le plaisir.

Il la toise encore un moment, sa balafre paraissant s'allonger comme si en dessous de cet amas de cire il écarquillait ce qui lui reste d'orbite. Puis il montre un hochement de tête indéchiffrable, suivi d'une légère risette.

– D'accord Mitaine, d'accord, je vois de quel bois tu es faite...

– J'ai dit que je ne m'appelais pas comme ça !! Se vexe-t-elle, tapant de la chaussure. Quitte à connaître mon nom par je ne sais quelle fourberie, tâche au moins de l'utiliser !

– Allez ! Et je t'autorise à m'appeler vioque de meurtrier.

– Tu me laisses de marbre, Macabre.

– Et si tu me passais ta carte, que je voie où tu comptais te rendre ?

Elle lui fait part de toute sa méfiance, mais finalement, elle se rue furieusement jusqu'à son sac et en extrait le parchemin en question. Puis elle revient s'asseoir sur la dalle près du feu de camp où attendait son ragoût bien-aimé et commence à le manger pendant que le mercenaire analyse le topo.

– ...C'est bien ce qui me semblait, tu évites les nuits à la belle étoile. Tu comptais déjà te reposer dans un village.

– Pas me "reposer" !

– Tu as peur de crécher dehors ? La nargue-t-il. En plus je parie que tu dors le jour, ce n'est pas bon pour la santé, Dame non !

– C'est dangereux sous la lune avec les vampires et les loups-garous.

– Tu es une chasseuse de primes. NOUS sommes, les prédateurs, pas eux. Commence par imprimer ça.

Cela lui cloue le bec. Il se reconcentre sur le plan.

– C'est bien choisi cependant, tu connais tes points forts et tes faiblesses et ton itinéraire coïncide avec tes capacités. Mais tu fais trop de zig-zag, ça te fait perdre du temps. Et Stardin est bien trop cher.

– Pas tant que ça, riposte-t-elle en délaissant le bol vide. Les auberges sont à un prix convenable !

– Je connais une paroisse bien plus chaleureuse et accueillante que ces ramoneurs d'étoiles individualistes qui se reposent sur leurs clochers pour se donner l'air attractifs.

Il siffle deux coups, comme la dernière fois. Et comme la dernière fois, le splendide cheval arrive bientôt, tirant tout un attelage où une ribambelle de sacs sont fichus en vrac derrière les sièges. Il a vraiment pu la rattraper en un jour en trimballant tout ça ?

Le mercenaire tire le cordon d'une des imposantes besaces et en sort une sellette qu'il envoie à la brunette. Elle la rattrape lourdement.

– Harnache ton canasson à la carriole, indique-t-il en vidant le reste du paquetage associé. Deux chevaux valent mieux que un-tu-l'as-pas.

– C'est pas ça le prov...

– S'il te plaît.

Elle s'exécute en râlant, se demandant décidément si elle fait bien de suivre cet étrange spadassin.

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Lisa et Macabre dans la forêt de Pinefall :

Desmodontinae Bonaparte est une espèce de chauve-souris communément appelée "chauve-souris vampire" qui suce le sang de bêtes sauvages comme de gros, gros moustiques :

Qu'il est pas meugon ★w★

C'est un titre provisoire parce que je suis nulle en titres et que j'avais pas d'idées et que ça faisait classe x)

J'en trouverai un ultérieurement... Ou pas. Vous pouvez très bien proposer !

Aussi, Macabre est censé être espagnol dans le canon, mais il a un prénom français. Et ici un nom de famille scandinave, alors... Donnez-lui la nationalité que vous voulez xD

À la revoyure (⁠づ⁠。⁠◕⁠‿⁠‿⁠◕⁠。⁠)⁠づ !

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