~[IV/18]~

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Livre IV : Chapitre 18 - SHAY


Shay remarqua presque simultanément trois choses. Tout d'abord, Lym faisait une crise de panique ; ensuite, une scintillante brume rouge avait commencé à recouvrir le sol du bureau ; et enfin, la voix de Meyer résonnait dans le couloir, ainsi que celle de Cléandra.

Lym avait les yeux fixés sur un tas de papiers entre ses mains, froissés et déjà un peu déchirés par la poigne ferme de ses doigts tremblants. Ses yeux commençaient déjà à briller d'un rouge foncé lointain, et ses mains se couvraient de la même teinte, sous la forme d'un familier brouillard tourbillonnant. Shay accourut vers elle, appela son nom, mais elle refusait de quitter des yeux les feuilles qu'elle semblait prête à réduire en miettes. Quoi qu'il y ait sur ces papiers, ce ne devait pas être de bonnes nouvelles. Il essaya de faire en sorte que Lym reprenne ses esprits en l'appelant et en la rassurant, mais elle ne devait pas l'entendre. Ne sachant plus quoi faire, comprenant que Lym risquait de perdre le contrôle et Meyer d'entrer, il arracha les papiers froissés des mains de son amie, les laissant vides et tremblantes, crispées autour du vide. La direction de son regard ne bougea pas.

Si elle explosait maintenant, l'île entière serait détruite. Et elle s'en voudrait tellement... Au moins Kosh et Elyra ne couraient aucun risque si elle perdait le contrôle...

Il secoua la tête. Non, elle ne perdrait pas le contrôle. Sa plus grande peur était de détruire Eleuth, et il allait tout faire pour l'en empêcher.

Shay fourra tous les dossiers éparpillés sur la table dans le sac de Meyer ; déjà la voix du Conseiller se faisait impatiente dans le couloir. Les tactiques de Cléandra pour l'empêcher d'entrer fonctionnaient encore, mais cela ne durerait pas bien longtemps. Dès qu'il eut rendu le bureau un peu plus présentable, il revint à Lym, et lui prit doucement les épaules pour essayer de faire en sorte qu'elle le regarde. Il leva les mains pour prendre son visage entre ses mains, et redressa, toujours avec une infinie douceur pour ne pas l'effrayer dans la transe où elle semblait se trouver, redressa sa tête. Ses yeux étaient bien levés vers lui, mais ils étaient vides et rougeoyants, comme si elle ne le voyait pas. Shay ressentit la panique habituelle qui le submergeait dans ces situations ; il avait peur de ne pas pouvoir ramener Lym à la raison, et de la perdre dans la destructive tempête de sang qui faisait rage en elle. Avec délicatesse, il la fit reculer et s'asseoir derrière l'une des bibliothèques au fond de la salle de classe, cachée à la vue de quiconque qui ne viendrait pas vérifier derrière, et s'assit en face d'elle.

Alors qu'il était sur le point de parler, elle porta ses mains à ses oreilles, remonta ses genoux contre elle et poussa un hurlement de douleur qui déchira Shay au plus profond de lui-même. Il ne pensait même plus au bruit qu'elle devait faire et qui allait probablement alerter Meyer de leur présence. L'important, c'était de ramener Lym au présent, de l'arracher au quelconque rêve éveillé qui la faisait souffrir au point de hurler de cette façon.

- Lym ! Lym, est-ce que tu m'entends ? Lym, calme-toi. Tout va bien. Lym ?

Elle s'arrêta de crier, mais garda les mains plaquées sur ses oreilles et posa le front contre ses genoux. Elle laissa échapper quelque chose à mi-chemin entre un sanglot et un grondement d'avertissement. Ses ongles s'enfonçaient dans son crâne, un peu de sang se mêlant à la tignasse presque de la même couleur que les gouttelettes. Doucement, délicatement, Shay retira les mains de Lym de ses oreilles, et essuya le sang avec la manche de son sweatshirt. Le contact avec sa peau semblait lui envoyer des chocs électriques qui le secouaient entièrement, mais il ne sursauta pas pour ne pas l'effrayer.

- Lym, Lym, écoute-moi, s'il te plaît. Respire. Respire. C'est moi. C'est Shay.

- Sh-Shay, répéta Lym, et sa voix se brisa en ce qui était davantage un sanglot cette fois-ci.

- Ouep. C'est bien moi, ton blondinet préféré.

- Shay...

- Ça va aller, lui promit-il. Je suis là. Respire, ça va aller. C'est moi, c'est Shay...

- Shay, répéta-t-elle encore, puis elle murmura d'une voix presque inaudible, rauque ; aide-moi, ça fait mal. Ça fait mal. Je vais craquer.

- Non, non, retiens-toi encore un peu et on pourra t'emmener quelque part où tu pourras craquer et tout faire péter. Contrôle-toi un tout petit peu plus longtemps. Je sais que tu peux le faire.

Elle secoua la tête, le front toujours collé à ses genoux.

- N-non. Shay...

- Je suis là. Je sais que tu peux le faire. Je te fais confiance. Respire. Essaie de respirer, je sais que tu peux le faire.

Il continuait de répéter ces mots comme une incantation, qui semblait avoir un peu de l'effet escompté. Sa respiration saccadée devint plus régulière comme elle essayait de se remettre à respirer normalement, mais n'y parvenait pas. La brume rouge s'enroulait autour de Shay, et s'il n'avait pas vu ces tentacules de lumière tuer, il aurait eu l'impression qu'ils l'enlaçaient, mais ils s'enroulaient encore plus autour d'elle, s'agglutinant autour de son corps recroquevillé. Elle gémit, essaya de porter ses mains à sa tête à nouveau, mais Shay la retint fermement, sachant qu'elle se ferait encore plus mal s'il la laissait faire.

Il entendit un cliquetis, et en regardant entre deux des livres de la bibliothèque Shay vit que la poignée de porte s'était baissée. Meyer était sur le point d'entrer. Au plus vite, il se tourna vers Lym, et lorsqu'il leva doucement son menton pour qu'elle le regarde, cette fois, ses yeux semblaient assez clairs pour le voir. On retrouvait au milieu des tourbillons de sang un lointain éclat d'émeraude.

- Écoute-moi, Lymie, s'il te plaît. Concentre-toi sur ma voix. Si tu gardes le silence quelques minutes, tu pourras te déchaîner autant que tu veux.

- Je ne peux pas...

Il coinça une mèche derrière l'une de ses oreilles, et se mit à caresser ses cheveux d'une main pour la rassurer. Ce contact sembla l'aider à garder les pieds sur terre, sa vision s'éclaircissant un peu plus.

- Je sais que c'est beaucoup te demander, mais il le faut, je ne te demanderais pas pareille chose si ce n'était pas nécessaire. Encore quelques minutes, d'accord ? Et ensuite je te promets que tu pourras utiliser tes pouvoirs autant que tu veux.

Il ne put plus dire un mot, car Meyer ouvrit la porte et entra, suivi par Cléandra qui fouilla la salle d'un rapide regard, remarqua la concentration de brume autour de la bibliothèque, comprit qu'ils étaient cachés derrière et leur tourna délibérément le dos pour que Meyer ne suive pas son regard. Tout ceci en l'espace d'une seconde.

- Quelle est toute cette brume ?

Shay grimaça en entendant cette voix ; les Conseillers avaient les mêmes manières de s'exprimer, de parler, grandement et avec autorité. Même si sa voix était moins dure elle lui rappelait malgré tout celle de son père lorsqu'il parlait ainsi. Mais il n'avait pas le temps de se lamenter sur son propre passé, car Lym se raidit aussi lorsque Meyer parla et leva vers Shay des yeux paniqués ; le garçon se demanda ce qu'elle avait bien pu trouver dans les affaires du professeur qui puisse la mettre dans cet état. Il leva un doigt à ses lèvres pour lui faire signe de garder le silence, puis lui adressa un sourire encourageant. « Tu te débrouilles très bien. »

- Oh, s'empressa de répliquer Cléandra en entendant la question de Meyer, Lym est venue s'entraîner avec Shay ce matin. À cause de toutes ces mutations du Temple, elle ne peut pas retenir la quantité de brume qui apparaît lorsqu'elle se sert de ses pouvoirs...

- Elle devrait aller voir le professeur Riks, gronda Meyer, l'air agacé, bien que moins soupçonneux. Et quelqu'un devrait ouvrir les fenêtres.

- Je le lui dirai, monsieur. Et je vais tout de suite ouvrir les fenêtres.

- Je te laisse t'en occuper, si tu refermes bien la salle en sortant. Moi, j'ai à faire, j'étais simplement venu récupérer mon... ah, le voilà.

Il se dirigea à grands pas décidés vers le bureau, prit le sac qui s'y trouvait et le passa à son épaule. Avec un hochement de tête envers Cléandra, qui l'imita, il sortit. Immédiatement, Lym laissa échapper un gémissement étranglé, la respiration saccadée, et Shay se remit à parler à toute allure, pour essayer de la rassurer.

- Respire. Respire, d'accord ? Tu peux faire ça pour moi, s'il te plaît ? Lym ?

Elle faisait évidemment des efforts, mais les tremblements devenaient plus notables, la brume plus épaisse et la lumière rouge de ses yeux plus forte. Cléandra se dirigea aussitôt que Meyer fut disparu vers la bibliothèque et s'agenouilla devant eux, l'air horrifié.

- Que lui arrive-t-il ?

- Elle fait une crise, mais je ne l'ai jamais vu en faire une pareille, admit Shay. Il faut l'emmener quelque part où elle pourra déchaîner ses pouvoirs en toute sécurité. Elle connait des locations qu'elle garde notées, mais je ne crois pas qu'elle soit en état de nous en donner une.

- Il y a pas mal de déserts de glace près de Pruinae, offrit Cléandra, mais Shay secoua la tête.

- Pruinae risquerait d'être détruite. Il faut être le plus loin de la civilisation possible.

- Une seconde, que je vérifie les enchantements nécessaires pour l'emmener au milieu du Sahara. Un quelconque videntis a bien dû poster ça sur Internet, attends...

Tandis que Shay murmurait des encouragements à Lym, qui semblait moins humaine et plus agitée à chaque instant mais semblait se retenir pour l'instant, Cléandra pianota à toute allure sur l'écran de son téléphone. Son regard s'illumina lorsqu'elle trouva ce qu'elle cherchait.

- Là ! Il ne nous reste plus qu'à la sortir de l'arbre...

- Pas le temps. Je ne sais même pas si elle peut marcher jusqu'aux portes de l'Académie. Et puis, personne ne doit la voir.

- Mais on ne peut pas se téléporter en intérieur ! protesta Cléandra. C'est dangereux. C'est aller à l'encontre de littéralement tous les protocoles de sécurité.

- Si elle craque, Clé, ce n'est pas que l'arbre qui est abîmé, c'est l'île entière qui est réduite à néant en un instant. Si tu veux rester...

- Non, non. Je viens aussi.

- Très bien... Aide-moi à l'approcher des fenêtres.

Cléandra obtempéra, et bien qu'elle le fit avec force de plaintes et de grognements, à eux deux ils parvinrent à faire en sorte que Lym se lève et avance à pas chancelants vers les fenêtres de la salle d'Étude. Tandis qu'elle s'appuyait sur Shay pour rester debout, Cléandra, elle, dessina les symboles avec son enchanteur, et compléta l'enchantement par un œil et un cercle autour d'eux. Shay serra les dents en sentant la vague d'or le submerger, s'attendant à la douleur, mais ne put malgré tout s'empêcher de pousser un cri lorsque l'enchantement agit.

La chaleur était suffocante, et il se sentit à deux doigts de s'évanouir, assailli par les nausées horribles du téléportation faussée et la sécheresse qui lui faisait déjà mal à la gorge. Normalement, l'enchantement rendait la transition plutôt progressive pour que le choc thermique ne soit pas trop perceptible, mais étant donné qu'ils n'avaient pas suivi le protocole correctement, il pouvait sentir la température atroce dans toute sa soudaineté. Il vacilla, mais parvint à maintenir la tête froide assez longtemps pour voir Cléandra, plus amochée que lui – couverte de sang – s'effondrer et tomber lourdement par terre. Autour d'eux s'étendaient des océans de sable brûlant. S'il n'avait pas fait chaud à Eleuth, ils seraient probablement morts sous le coup du choc thermique mal amorti par l'enchantement.

Lym était à genoux, se balançant d'avant en arrière, et brillait d'une lumière rouge si forte que même sous le soleil aveuglant au-dessus de leur tête on pourrait la repérer à des kilomètres. Elle irradiait des vagues de brume qui sortaient de son corps recroquevillé et tremblant, pour s'éloigner, s'agrandir et disparaître à l'horizon, telles les ondes causées par un trouble à la surface d'un lac. Les étendues de dunes et d'occasionnels oasis alentours devaient être envahies de brouillard.

Shay prit l'enchanteur de Cléandra et, au plus vite, traça autour d'elle et lui un cercle, le complétant par les symboles qu'il commençait à connaître par cœur. Il jeta un dernier regard à Lym, voulant plus que tout pouvoir rester à ses côtés pour la soutenir pendant ce moment difficile, mais si elle se concentrait sur lui pour le protéger de ses propres pouvoirs, elle ne pourrait pas pleinement exploser et lâcher les rennes. Or elle en avait besoin si elle voulait pouvoir revenir à Eleuth en pleine possession de ses moyens.

Shay et Cléandra disparurent juste à l'instant où le sable autour de Lym commençait à se soulever et flotter autour d'elle, formant une bulle de grains dorés incisés de rouge. Ils réapparurent une seconde avant la catastrophe au point de téléportation d'Eleuth.

Le garçon resta un instant allongé dans l'herbe, sa tête lui faisant horriblement mal, jusqu'à ce qu'il soit soudain repris de nausées et se traîne jusqu'à la plage pour vomir là où la mer nettoierait le peu de bile qu'il avait craché. Cléandra était agitée de convulsions, et certaines parties de sa peau avaient commencé à se peler, la recouvrant de sang. Heureusement aucune des plaies n'étaient graves, et lorsqu'elle se fut levée pour vomir à son tour, tous deux coururent vers l'Académie sans échanger un mot et à peine un regard. Quelques élèves leur jetèrent des regards interloqués, mais il n'était pas inhabituel de voir passer des videntis couverts de crasse, de sueur, de sang ou même de vomi. Pas lorsque certains dragons pouvaient se montrer capricieux et faire des figures qui pouvaient s'avérer néfastes pour le système digestif de leurs cavaliers.

Le Distributeur leur offrit à l'instant de l'eau glacée, des crackers et une salade de fruits. Shay ne se souvint même pas avoir avalé tout ça, car lorsqu'il se retrouva à nouveau en pleine possession de ses moyens, il avait encore une terrible migraine, était sale de la tête aux pieds, mais ne se sentait plus à un cheveu de s'effondrer et mourir sur place. Cléandra, assise à côté de lui à l'une des tables de la cafétéria, semblait épuisée et mal en point, mais elle aussi s'en sortirait. On avait connu des conséquences pires qu'une faim vorace, quelques plaies et des nausées lors de cas de téléportation faussée. Shay se dit qu'il ne se risquerait plus jamais à faire pareille chose en intérieur.

Tout en sirotant à grands bruits de paille le soda qu'avait dû lui offrir le Distributeur à un moment ou à un autre, il entendit Cléandra appeler faiblement son nom, sa voix se faisant petite et rauque.

- Ouais ? dit-il, découvrant que sa voix non plus n'était pas parfaitement stable.

- On revient la chercher dans combien de temps ?

- Normalement, il lui faut cinq, dix minutes pour se décharger, répondit Shay, toussotant et reprenant une gorgée de son soda pour s'éclaircir la gorge. Mais aujourd'hui, c'était une très grosse crise. Je lui accorderais une bonne vingtaine de minutes, pour qu'on puisse tous les trois se remettre, avant d'aller la chercher.

Cléandra hocha la tête, mais ce simple geste sembla faire revenir sa migraine car elle grogna et laissa tomber sa tête entre ses bras.

- J'ai l'impression qu'on joue au ping-pong avec mon cerveau, admit-elle.

- Oui, je vois ce que tu veux dire... tu crois qu'un passage à l'infirmerie pourrait aider ?

- Maintenant que j'y pense, on aurait probablement dû y aller dès notre arrivée.

- Mieux vaut tard que jamais. Viens, je suis sûr que Riks sera absolument ravi de nous revoir.

Riks n'était absolument pas ravi de les revoir, mais il ne leur fit pas la morale, devinant sans doute à leurs mines misérables qu'ils étaient trop mal en point pour subir son sermon. Il les fit asseoir sur deux lits blancs, leur demanda d'expliquer ce qui s'était passé, et prit un air désapprobateur lorsqu'ils admirent avoir bafoué tous les protocoles de sécurité. Il leur tourna autour en brandissant des flacons et des enchanteurs, affairé. Cléandra, qui était la plus atteinte des deux, finit par s'évanouir, et Shay dut faire un effort colossal pour ne pas l'imiter. Tomber dans les pommes lui paraissait une solution idéale pour régler son problème – sombrer dans l'inconscience en espérant se réveiller avec un cerveau fonctionnel et non pas assailli de douleur. Il avait l'impression qu'on avait enfermé un essaim d'abeilles énervées dans son crâne.

Mais il ne pouvait pas se permettre de perdre connaissance, pas maintenant. D'ici quelques minutes tout au plus, les pouvoirs de Lym seraient apaisés par sa crise. Soit elle s'évanouirait, soit elle resterait réveillée et épuisée. Dans les deux cas, elle se retrouverait impuissante, sans eau, téléphone ou enchanteur, au beau milieu du Sahara. Shay devait être là pour la ramener sur Eleuth où Riks pourrait lui appliquer les mêmes enchantements et baumes magiques qu'il donnait à Shay et Cléandra. Il se sentait déjà beaucoup mieux, et bien qu'il se sente toujours écrasé de fatigue, l'essaim d'abeilles en colère semblait se disperser un peu plus à chaque instant, à son grand soulagement.

Assis contre le dossier de son lit, il sentit sa tête retomber et ses paupières se faire lourde, et son menton retomba sur son torse. Le souvenir de Lym, recroquevillée au milieu des vagues de sable et de brume traversa ses pensées et eut le même effet qu'aurait eu un choc électrique ; il releva brusquement la tête, faisant sursauter Amel et Riks au pied de son lit, qui étaient occupés à partager les résultats de son dossier. Il n'avait pas vu Amel entrer, et il s'inquiéta ; s'était-il endormi, en fin de compte ? Il leva son poignet devant lui, ce simple geste lui semblant être un effort immense, et vit qu'heureusement s'il avait perdu connaissance cela n'avait duré que quelques instants. Cela faisait seulement vingt-deux minutes depuis qu'ils avaient laissé Lym au milieu du désert.

Il se redressa tant bien que mal, et arracha les perfusions que Riks avait mises dans son bras, ce qui le fit crier d'horreur.

- Ne faites pas ça, Lake ! Vous n'avez pas la moindre idée des dégâts que... Où allez-vous comme ça ?

- Au Sahara, répondit-il, chancelant vers son sac à dos qu'une âme bienveillante, probablement Amel, avait posé au pied de son lit tandis que lui somnolait.

- Au – pardon ?

- Lym y est, je dois la ramener.

- Alley est au Sahara ? Mais pourquoi diable... ?

- Vous voulez pas savoir. Où est mon enchanteur ?

- Shay, intervint Amel d'un ton qui se voulait apaisant, rallongez-vous. Vous n'êtes pas en état de marcher, encore moins de vous téléporter. Donnez-nous les coordonnées exactes et nous irons la chercher.

- Elle va être paniquée, si elle est encore consciente, insista Shay, têtu. Elle sera encore instable. J'y vais, ou elle risque de vous tuer dès que vous apparaîtrez devant elle.

Les yeux de Riks s'agrandirent lorsqu'il réalisa ce que Shay voulait dire par « instable ». Bien que personne n'ait jamais utilisé le mot « Irisa » devant lui, il n'était pas stupide, et était depuis longtemps dans la confidence en ce qui concernait les pouvoirs de Lym. En l'assommant de rappels de sécurité et de consignes strictes, Riks et Amel l'aidèrent à sortir de l'infirmerie. Shay sentit son cœur se serrer lorsqu'entendre leurs conseils inquiets fit revenir des tréfonds de sa mémoire l'image de sa mère, avec ses grands sourires lumineux et ses yeux dont il avait hérité, bruns et pétillants de malice. Il mit de côté cette image pour se concentrer sur l'enchantement qu'il traçait sous l'œil attentif des deux professeurs.

À nouveau, il fut submergé par la chaleur et la sécheresse en arrivant à sa destination, mais le changement fut plus doux, adouci par l'enchantement cette fois-ci parfaitement effectué comme s'en étaient assuré Amel et Riks. Shay leva les yeux et regard autour de lui, effaré. Le désert était méconnaissable. Le sable était irrégulier dans toutes les directions, à certains endroits semblant s'être totalement désintégré pour ne laisser qu'une terre desséchée recouverte de brume épaisse. Il ne pouvait même pas voir ses pieds sous la couche de brouillard scintillant, qui resterait pendant encore plusieurs jours probablement.

Lym était étendue un peu plus loin, presque invisible au milieu des lambeaux rougeoyants, et il accourut à ses côtés malgré ses jambes vacillantes, se laissant tomber près d'elle à genoux pour estimer les dégâts.

Elle respirait – c'était l'important – mais à un rythme terriblement saccadé, sa poitrine se soulevant frénétiquement, ses lèvres sèches entrouvertes comme pour aspirer un air inexistant. Ses yeux étaient injectés de sang, mais verts, et non pas du rouge flamboyant de l'Irisa utilisant ses pouvoirs. Ils étaient grands ouverts, aveugles, fixant le ciel sans le voir. Shay la prit dans ses bras et l'attira sur ses genoux, remarquant que son corps tremblait, et elle se débattit faiblement, ne semblant pas le reconnaître. Il essaya de la rassurer en chuchotant tandis qu'il s'efforçait de tracer un enchantement dans le sable de sa main libre, et elle finit par arrêter ses gestes vains, s'affaissant comme une poupée de chiffon contre lui. Que ses mots apaisants lui soient parvenus ou qu'elle ait simplement été vaincue par la fatigue, au moins lorsqu'elle était immobile il lui était plus facile de compléter l'enchantement et de la porter à l'intérieur du cercle brillant d'or.

Il n'aurait sans doute même pas remarqué qu'ils étaient de retour à Eleuth tant il était épuisé si le changement de température, bien que le passage ne soit plus doux, n'avait pas été aussi flagrant malgré tout. Il eut très vaguement conscience d'Amel et Riks qui les menaient à l'intérieur de l'infirmerie et les étendaient sur des lits, et se souvint aussi, comme au travers d'un épais brouillard de fatigue, d'avoir, lorsque Riks avait essayé de lui faire boire un médicament, protesté et demandé à ce qu'on ne s'occupe de Lym qui devait être dans un état épouvantable après ce qu'elle venait d'endurer. Puis il n'eut plus conscience que de la douceur du lit et de l'épuisement qui le submergea, et se demanda lointainement s'il y avait un somnifère dans le médicament qu'on lui avait fait boire, avant de sombrer dans les bras de Morphée.

Il fut réveillé par son propre fou rire, ce qui n'était pas une expérience qu'il pouvait se vanter d'avoir connue beaucoup de fois.

Il n'était qu'à moitié conscient, encore à moitié endormi, n'étant même pas sûr de ne pas être dans un rêve, lorsqu'il entendit une voix familière. Dans le nuage de confusion et de somnifères dans lesquels il flottait, son cerveau fit malgré tout l'effort de comprendre ce que cette voix disait.

- Arrêtez de parler aussi fort, bande de crétins, monsieur l'oie aux cheveux en pétard doit encore dormir ! Mais puisque je vous DIS qu'elle est allée rejoindre son RADIS ! Oui, son PUTAIN DE RADIS !

Les mots prirent lentement sens et avant même de les avoir entièrement compris Shay se retrouva plié en deux sur son lit à rire. Il n'était même pas sûr que la phrase soit vraiment drôle, mais son cerveau encore embrouillé par les médicaments semblait penser que c'était hilarant et valait la peine de le tirer de son paisible sommeil pour en rire.

Sa réaction sembla attirer l'attention de quelqu'un, car soudain il sentit que l'on s'asseyait à côté de lui, le matelas s'affaissant sous un nouveau poids.

- Tu es sûre qu'elle est... ? demanda une voix distante qu'il ne reconnut pas sur le coup, et qui était trop loin pour qu'il s'agisse de celle assise sur le lit.

- Thalia, je te promets qu'elle est aux Galeries. File la rejoindre, je dois m'occuper de Shay, ou il va encore ronchonner et dire qu'on ne fait pas assez attention à lui.

Le concerné s'était enfin arrêté de rire, mais n'avait toujours pas trouvé en lui le courage ou la volonté d'ouvrir les yeux. Il eut l'impression qu'on lui caressait les cheveux, puis réalisa qu'une main essayait gentiment de relever sa tête, et il se laissa faire. On pressa un verre froid contre ses lèvres et il but avidement l'eau glacée, sa gorge serrée et asséchée semblant aller mieux au point qu'il pourrait probablement reparler s'il essayait.

Alors qu'il vidait le verre à grosses gorgées, il entendit les deux voix continuer à ses disputer.

- Pourquoi tu es encore... ? Allez, ouste, j'ai dit ! Rien à voir ici !

- Bon, bon... Mais si elle n'y est pas et que tu essaies juste de m'éloigner pour avoir un tête-à-tête, Alley, je te jure que...

- Dégage avant que je t'étripe.

- T'as un de ces caractères !

- Thalia !

Shay laissa échapper un petit gémissement plaintif lorsqu'il eut bu la dernière goutte et qu'on lui enleva le verre.

- Oh, ça va, espèce de gros bébé, le réprimanda affectueusement la voix de Lym.

- Encore, demanda Shay, donnant probablement raison au dernier mot de Lym.

- Tu ne devrais pas en reprendre, tout boire d'un coup, c'était déjà pas super pour ton système après tout ce que tu as enduré.

Il se força à ouvrir les yeux, et se trouva face à Lym, qui tenait le verre vide et maintenait d'une main sa tête relevée suffisamment pour qu'il ne s'étouffe pas avec l'eau qu'elle lui avait donné. Elle avait l'air d'aller bien, si ce n'est quelques cicatrices et des lèvres encore gercées par la chaleur du désert. Il lui adressa un air boudeur, et elle leva les yeux au ciel.

- Je ne suis pas Kosh, tu sais. Te comporter comme un bébé ne va pas t'aider à obtenir n'importe quoi.

Il passa à l'étape supérieure et ouvrit d'immenses yeux de chiot abandonné, en prenant son air le plus adorable. Même les nerfs d'acier de Lymerya Alley ne purent l'empêcher de fondre face à son expression.

- Oh, ne fais pas cette tête, c'est pas du jeu... !

Il tira sur sa manche en marmonnant « steuplééé » d'une petite voix plaintive, et elle grogna en versant un fond d'eau glacée dans le verre de la cruche posée sur sa table de chevet.

- Tu es insupportable.

Shay eut fini le verre en un instant, et elle le lui reprit des mains, refusant de lui en resservir malgré toutes ses supplications, jusqu'à ce qu'il abandonne. Elle retira sa main de sous sa tête, ses doigts s'attardant peut-être un peu plus que nécessaire dans les mèches emmêlées, mais aucun des deux ne fit de commentaire.

- Ça va mieux ? demanda Lym en se rasseyant. Tu peux parler ?

- Ouep, répondit-il, et fut agréablement surpris en découvrant que l'eau glacée avait suffisamment apaisé la brûlure de sa gorge pour qu'elle soit presque imperceptible. Kosh, Elyra et Larrow sont rentrés ?

- Pas encore, non, admit la rousse, l'air soudain inquiet. Ils sont tous encore en mission, et on n'a pas reçu quoi que ce soit de leur part depuis un moment déjà. Sinon, Cléandra est aux Galeries, mais avant qu'elle ne parte, elle, Ash, Lukas et moi on a réussi à obtenir les informations qu'on été allées chercher au bureau de Meyer.

Shay se redressa brusquement, les yeux ronds comme des soucoupes.

- Vraiment ?

- Apparemment on se débrouille mieux sans toi pour nous embêter avec tes histoires, rétorqua Lym avec un sourire. Même si j'avoue que c'était une infiltration un peu trop sérieuse à mon goût. Même Lukas ne voulait pas chahuter avec moi et inventer des plans B foireux.

- Ça fait plaisir de se savoir apprécié. Comment vous avez fait ?

- Ash et moi, on a fait une diversion avec Cendra et Laxy pendant que Lukas et Cléandra dénichaient les informations nécessaires. C'était horriblement long, et assez ennuyeux, pour être honnête – enfin, à part quand on a fait des figures à dos de dragon et enflammé le manteau de ce pauvre Dali.

- J'aurai aimé voir ça, bougonna Shay.

- Une autre fois ! Il y aura d'autres occasions !

- Et alors, que disaient ces papiers qu'on s'est tellement échinés à trouver ? Pourquoi Larrow et son équipe sont-ils partis aussi tôt ? Dis-moi que ça en valait la peine.

Retrouvant son sérieux, elle hocha la tête, faisant tomber devant ses yeux une mèche rebelle qui s'échappait de son chignon lâche. Shay eut envie de coincer la mèche errante derrière son oreille. Pour quelqu'un qui se plaignait toujours d'avoir à supporter les cheveux en pétard de Shay, elle-même ne soignait pas vraiment sa coiffure. Probablement parce que souvent elle ne se coiffait pas, préférant garder sa masse de cheveux roux lâchés sur ses épaules.

- Tu te souviens du vide soudain de magie, au milieu de nulle part, qui nous a alertés de la présence de l'Ægan pour la première fois ? Apparemment, il y en a eu un autre.

- Où ?

- À Arcem.

Il la fixa, essayant de voir si elle avait compris ce que cela voulait dire, car elle lui semblait trop calme pour quelqu'un qui aurait réalisé ce que ces nouvelles impliquaient. Mais Lym était terriblement intelligente lorsqu'il s'agissait de la guerre, et il pouvait voir à l'éclat de ses yeux qu'elle savait.

- Tu veux dire que... ? commença-t-il malgré tout, pour s'en assurer, et elle confirma ;

- Oui.

- Cette fameuse mission de Larrow... Son départ précipité...

- Il est à Arcem. Lui, Ines, leur équipe. Ils sont à Arcem.

- Là où se trouve apparemment l'Ægan.

- Ce vide a disparu quelques instants à peine après s'être manifesté, comme la dernière fois, alors il est possible qu'il ne soit plus sur Arcem, mais... oui. Larrow et les autres sont au même endroit que l'Ægan. Sans compter toute l'armée de Drake.

Il la toisa un moment, pensif, cherchant à comprendre son raisonnement et suivre le train de sa pensée. Normalement, en apprenant que son ami était dans un endroit aussi dangereux, elle se serait probablement précipitée à sa rescousse en un nuage imparable de lames de cristal et d'yeux rougeoyants.

- Tu n'es pas inquiète ?

- Tu n'imagines même pas à quel point je suis inquiète. D'après... eh bien, littéralement tout le monde, j'ai été insupportable ces derniers jours à me ronger les sangs.

- Tu ne vas pas après lui ?

- Je ne peux pas. Tout d'abord parce que Kosh et Elyra ne sont pas rentrés non plus, et qu'en réalité le temps durant lequel ils ont tous été absents est le temps à peu près normal pour une mission, alors si ça se trouve ils sont en train de suivre les tâches que leur a assignées Meyer, et arriver tout à coup gâcherait leurs efforts. Ensuite, parce qu'après notre diversion fracassante avec Ash, on nous a confisqué nos enchanteurs et on n'a plus le droit d'aller aux Galeries pour l'instant. S'ils ne sont pas revenus avant le temps considéré comme normal, j'irai sur Arcem et là où sont Kosh et Elyra et les ramènerai quoiqu'il en coûte.

- Il y a autre chose, dit aussitôt le blond, et elle sembla surprise par sa perspicacité.

- Oui. Honnêtement, je... Je ne suis pas sûre de leur être d'une grande aide si je vais les secourir. Je pourrais me révéler un poids.

- Pourquoi tu dis ça ?

Elle baissa les yeux vers ses mains, au creux desquelles elle fit apparaître de tous petits nuages de brume rouge, pâles et fins.

- Je suis encore un peu instable après ce qui s'est passé, admit-elle.

- Au niveau de tes pouvoirs, tu veux dire ?

- Non, non. Ils sont quasiment vidés après le déchaînement au désert. Merci beaucoup d'avoir fait tous ces efforts pour m'y emmener, d'ailleurs.

Il balaya ses remerciements sans même prendre la peine d'y répondre tant ils étaient futiles. Bien sûr qu'il allait l'aider si elle était en détresse – ce qui n'arrivait pas souvent. Mais lorsqu'elle perdait contrôle de ses capacités, que l'Irisa prenait le pas sur l'amie, elle avait besoin de soutien et d'aide, et Shay était plus qu'heureux de les lui apporter.

- Si tu ne parles pas de tes pouvoirs, pourquoi tu te dis instable ?

- Mentalement, je veux dire. Émotionnellement, aussi. C'était une assez grosse crise de panique que j'ai eue dans le bureau de Meyer. Je ne crois pas en avoir eue une pareille depuis... Depuis le Temple. Voire depuis la mort de...

Elle tendit par réflexe une main vers le foulard rouge à son poignet, celui qui avait appartenu à Mar. Shay, habitué à la voir faire ce geste à chaque fois qu'elle repensait à sa sœur, avait anticipé son mouvement et posa sa main sur celle de Lym en guise de réconfort. Comme il était allongé et elle à son chevet, on aurait dit une parodie étrange d'un lit d'hôpital – le malade réconfortant celle qui le veillait. Elle lui adressa un pâle sourire.

- Qu'est-ce qui a causé cette crise ? demanda Shay. Il y a toujours un élément déclencheur avec toi.

- Ce qu'on a trouvé dans les affaires de Meyer quand on mettait son sac sans dessus dessous, répondit-elle en passant son pouce tantôt sur le tissu du foulard, tantôt sur la main rassurante de Shay sur la sienne. Il a une liste là-dedans, Shay. Au début je n'ai pas compris, mais... Il a dû trouver quelque chose dans les affaires de Cave, ou avoir des doutes de lui-même, parce qu'il sait. Shay, il sait qu'il y a un Irisa sur l'île, et il essaie de le trouver. Pour l'instant il a mit mon nom de côté, mais il arrive au bas de sa liste. Il risque de lancer des recherches plus intenses, et il finira probablement par me débusquer.

Shay sentit la panique monter en lui à son tour, faisant écho à celle qu'il pouvait voir dans les yeux verts de Lym. Mais il s'efforça de la maîtriser et de ne rien laisser paraître pour ne pas causer davantage d'affolement.

- Il ne te découvrira pas, Lymie. Tu as Amel et Riks de ton côté.

- Je sais, je sais. Même si ça m'a effrayé sur le moment, ce n'est plus ce qui m'inquiète tellement maintenant.

- Alors quoi ?

- Mes pouvoirs. J'ai de moins en moins de contrôle sur eux. L'autre jour, si vous aviez mis un tout petit peu plus longtemps à m'évacuer de l'île, il n'y aurait plus d'île du tout. La voix de Ruby devient tellement forte, je ne pouvais presque plus rien entendre, sentir ou voir, et j'ai fini par craquer. Heureusement que Clé et toi étiez là, mais et si un jour vous ne l'êtes pas ?

- On sera toujours là pour toi, Lym, et tu le sais. Si ce n'est pas nous, alors Kosh, Elyra, et...

- Je sais, mais tu es bien conscient qu'il est inévitable qu'un jour je perde véritablement les commandes, non ?

Ils avaient tous la vague idée qu'un jour elle ne pourrait plus contrôler ses pouvoirs, certes, et ils avaient tous, Kosh en premier, cherché des solutions à tout va sans jamais en trouver, essayant de garder leurs investigations un peu discrètes. Mais quand Lym définissait l'éventualité de son déchaînement, c'était presque comme si c'était imminent à ses yeux, et cela l'inquiétait.

- On va trouver quelque chose. Tu sais ça, hein ?

- Le seul qui sait gérer des Irisas, répliqua-t-elle d'un ton mordant, c'est Drake. Et je crois qu'on est tous d'accord pour dire que me livrer à Drake serait comme sceller la fin de l'Ordre.

- On ne va pas te livrer à Drake, Lym. On va trouver autre chose.

- Et quoi ? Je sais que vous avez cherché. J'ai cherché aussi. J'ai même essayé d'obtenir des menottes en pierre aveugle, mais Drake garde jalousement tout son stock pour ses xiphoskia, et s'est emparé de tout ce qu'il y a sur le marché, ou presque.

- Des menottes de pierre aveugle ? Lym...

- S'il faut choisir entre m'emprisonner et vous tuer tous dans une crise, il n'y a pas d'hésitation, même si je détesterais avoir à en porter. Peu importe, de toute manière, je n'en ai pas trouvé. Il n'y a rien, nulle part, qui puisse me garder en vie tout en sauvant Eleuth.

Elle s'interrompit, mais il n'était pas dupe ; elle n'en avait pas fini avec ses arguments. Il y avait autre chose.

- Mais ? Je sens qu'il y a un mais après ce discours.

Avec un soupir, elle se laissa tomber contre le dossier de sa chaise. Il ne l'avait jamais vue aussi épuisée, et il réalisa que s'il parvenait aussi bien à percevoir ce qu'elle voulait vraiment dire depuis qu'il s'était réveillé, c'était car les boucliers habituellement levés pour cacher aux yeux de tous ses véritables émotions étaient baissés. C'était quelque chose de très rare – voir Lymerya Alley sans filtre et sans barrières.

- Shay, je peux te demander quelque chose ?

Il fronça les sourcils, surpris par la gravité de son ton, mais hocha la tête.

- Bien sûr.

- C'est une grosse faveur.

- Vas-y.

Elle baissa les yeux vers ses mains, se tordant les doigts nerveusement, traçant les lignes pâles de vieilles cicatrices et les constellations de taches de rousseur du bout de l'index.

- Si on ne trouve pas de solution, et que je deviens un véritable danger... Que je représente un risque immédiat pour l'île...

Elle prit une profonde inspiration et leva les yeux vers lui pour le regarder en face.

- Je veux que tu me tues.

Shay ferma les yeux pour échapper à son regard perçant qui attendait une réponse, et il laissa retomber sa tête, son menton heurtant son torse. Il s'y était attendu, et avait été choqué en entendant la requête, tout à la fois. Bien sûr que Lym prévoirait un plan pour sauver ses amis s'il le fallait, au prix de sa propre vie. Les sacrifices pour ses proches, c'était l'une des choses qu'il pouvait s'attendre d'elle ; elle avait toujours mis le bien de ceux qu'elle aimait devant le sien.

Et justement, c'était cette Lym-là, prête à tuer et mourir pour ses amis, prête à combattre et à se sacrifier pour une cause, qu'il ne supporterait pas de perdre. Comment Larrow avait-il pu lever vers elle un pistolet, en sachant qu'il visait de ce canon un cerveau aussi brillant, et qu'en tirant il détruirait un esprit aussi unique ? Faire s'arrêter de battre ce cœur, arrêter le sang dans ses veines, ce sang qui semblait n'être faire que de courage ? Shay ne pouvait pas comprendre qu'il ait pu le faire, même un instant, sans se souvenir des sourires lumineux de Lym, des myriades de taches de rousseur constellant son petit nez qu'elle retroussait en riant, des dessins qu'elle gribouillait dans les marges de ses cahiers, les batailles de boules de neiges dans la maison des Bluewell. Comment qui que ce soit pourrait-il la regarder, et ne voir que l'Irisa ? Même lorsqu'elle était en pleine crise, Shay avait du mal à ne pas percevoir son amie sous la brume et le sang.

Voilà qu'elle lui demandait de, si le moment venait, mettre fin à ses jours.

Si à un moment Lym devenait un danger pour Eleuth, il devrait choisir entre l'île entière et elle, et il ne pouvait pas la choisir elle. Car il savait qu'il ne pouvait pas échanger des vies. Sacrifier l'Ordre entier, tous ses combats, ses croyances, ses amis – Kosh, Elyra, Angéla, Ash, mais aussi Lukas, Cléandra et tant d'autres innocents – pour la vie d'une seule. Il n'en avait tout simplement pas le droit. Mais même en sachant ceci, aurait-il le courage de tuer Lym ?

Il réunit le courage de rouvrir les paupières et lever le nez pour lui faire face à nouveau, et dut déglutir avant de commencer à parler.

- Lym...

- Seulement en cas de véritable nécessité, l'interrompit-elle. Si tu ne t'en sens pas capable, je comprendrai, bien sûr, et je trouverai une autre solution, une autre personne à qui demander. C'est juste que, si je n'ai aucune assurance qu'il y aura quelqu'un pour m'arrêter si je perds le contrôle, je risque de m'y prendre moi-même.

Voilà une perspective qui était pire, si telle chose était possible, que l'idée de Shay mettant fin aux jours de Lym ; Lym y mettant fin elle-même. Lym, la survivante, si combattive, abandonnant...

- Je te promets que je ne te laisserai pas détruire Eleuth, jura-t-il, solennellement. Je ferais tout mon possible.

Elle le regarda un moment, l'air pensif, puis elle lui sourit doucement.

- Merci, dit-elle, et il comprit avec surprise que l'étincelle dans ses yeux était celle du soulagement et de la gratitude.

Il hocha la tête en guise de réponse, sa gorge trop nouée pour qu'il puisse articuler le moindre mot. Sa promesse était sincère, et il avait la ferme intention de l'honorer si ce que prédisait Lym venait à arriver ; mais cela ne l'empêcherait pas d'essayer d'oublier qu'il était possible qu'il la perde sous l'emprise de son pouvoir dans un futur proche. Il avait promis de faire son possible, seulement il ignorait honnêtement comment il réagirait si le moment finissait par venir.

Mais c'était un devoir que l'on lui avait assigné dans un futur qui, à ses yeux, était lointain. Pour l'instant, il voulait mettre de côté les doutes qui semblaient ronger Lym, effaçant de ses pensées ce qu'elle semblait voir comme une fatalité, pour à la place de cet air grave et de la courbe hésitante de ses lèvres revoir son véritable sourire.

- Mais seulement dans le pire des cas, poursuivit-il après s'être éclairci la gorge d'un toussotement, mettant fin à ce moment grave durant lequel ils s'étaient simplement regardés en comprenant l'importance de leur discussion. Parce que je suis sûr que tu manquerais à certaines personnes.

- Oh ? Et à qui ? répliqua Lym, entrant aussitôt dans leur jeu d'affectueuses moqueries, cette danse étrange qu'ils utilisaient depuis leur rencontre et n'avaient fait que perfectionner au fil des années pour en faire un véritable art.

- Pas à moi, bien évidemment, je serais rassuré de ne plus avoir de rouquine insupportable pour tout me voler quand je mange des cerises ! Mais Choucroute, par exemple, elle sera en deuil si longtemps, la pauvre ! Pense à Choucroute, Lym !

Elle éclata de rire, et comme toujours il répondit à ce son, probablement son préféré au monde, par un gigantesque sourire. Elle lui donna une petite tape sur l'épaule pour le rabrouer, les yeux encore pétillants de rire, et il allait lui faire remarquer malicieusement qu'elle ne pouvait rien lui faire puisqu'il était encore en convalescence lorsque la porte de l'infirmerie s'ouvrit en grand, faisant sursauter l'un des patients qui faisait la sieste sur un lit voisin. Cléandra surgit à l'intérieur, échevelée et essoufflée.

- Venez vite ! s'exclama-t-elle. Skye, Kosh et Elyra sont revenus !

voilàààà j'espère que ce chapitre vous a plu :DDD

SINON!!!!!

J'ai commencé The End of the Fucking World comme me l'a conseillé noeimbert!!!

(après avoir fini la saison 6 de the 100, parce que je suis devenue addict à cette série et je suis en manque. j'ai aussi fait un marathon de films de bill hader, j'ai reregardé tout Barry, puis Noelle, Trainwreck, the To Do List, Superbad, Hot Rod, et enfin Skeleton Twins grâce à @HPAllways... et tout ça en une journée, oops? maintenant faut que je regarde Documentary Now)

(oh et j'en suis à la saison 5 de b99 et j'ADORE cette série)

(je regarde trop de séries à la fois oups)

sinon........ chers compatriotes fangirls, est-ce que ça vaut la peine de regarder Shadowhunters sur Netflix? J'ai lu tous les livres et je sais que la série est beaucoup moins bien, mais aussi, vous savez... M A L E C. Vous me conseillez quoi?

Encore au moins trois chapitres avant de retourner au pdv Lym.. à votre avis quels pdv pour les chapitres suivants? 👀

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