Lundi

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Je monte des escaliers.

Je montais des escaliers... j'étais plutôt dans mon lit, non ?

Le bois pourri craque sous mes pas.

Des craquements... j'entendais des craquements. C'était mon lit, à tous les coups. Je devais me réveiller. J'allais être en retard en cours. On était lundi.

J'avance encore...

Non, je n'avançais pas, j'étais dans mon lit, allongé dans mon lit ! Je devais ouvrir les yeux, me réveiller, me préparer pour aller au lycée. J'allais rater mon bus à force...

Entre rêve et réalité, je remuai un peu. Une main douce vint se poser sur mon front, comme pour m'apaiser.

- Chut, Ael... rendors-toi, tu es malade.

- Papa...?

- Dors. Ne te soucie pas du lycée, de tes camarades, de rien. Ça n'a plus d'importance. Tu es malade. Tu ne vas pas guérir. Rendors-toi.

- Anaël...

- Chut, fit-il encore en refermant mes yeux entrouverts du bout de ses doigts. Dors, Ael, dors. Plus rien de ce monde réel et tordu n'a d'importance. Dors...

J'avais vaguement conscience que je devais résister, mais je ne pouvais pas. Les mains douces d'Anaël, étonnamment matérielles, me caressaient le front, les joues, avec une tendresse hypnotique. Je me laissai de nouveau sombrer dans le sommeil.

J'arrive au palier du septième étage. Je sens que c'est le dernier. Derrière moi, les marches de bois s'effondrent pour la dernière fois ; devant, une porte de bois clair est entrouverte. Je choisis de me retourner, m'assois au bord du vide, regarde dedans. Je regarde ce qu'il y a derrière moi. Je regarde, pour voir si ça vaut la peine d'avancer encore, de franchir la dernière porte - de sceller quelque chose d'inéluctable.

Au fond du trou, il y a des volutes de fumée qui se promènent paresseusement. Je les fixe, mon regard les traverse et les transperce ; et dans la poussière se rejoue une scène familière.

C'est d'abord une vision trouble, incertaine. Une vision lointaine qui s'efface avec le temps. Quelqu'un, un tout petit quelqu'un, qui avance d'un pas incertain. Il va voir quelque chose, quelqu'un de plus grand. Quelqu'un de fort, de confiant, quelqu'un qui inspire le respect. Une petite main d'enfant se pose sur une autre, plus grande, une main d'homme adulte. Mais la main se retire, la main pousse l'enfant, et des cris énervés font se brouiller sa vue. L'enfant crie à son tour, l'adulte crie plus fort. Un son de claque retentit ; la vue du petit disparaît définitivement derrière des larmes, et il se met à pleurer, avec son timbre clair d'enfant.

La seconde vision est un peu plus claire ; un peu plus loin du sol aussi. Il a maintenant douze ans, il est au collège ; mais il n'a rien perdu de son corps d'enfant, et sa voix est toujours aussi claire. Un soir, sur sa table, il trouve un message d'une fille, qui lui demande de la rejoindre à la fin des cours derrière le bâtiment du collège. La lettre est signée d'un cœur rose. Il sent son propre cœur battre, ses joues rougir ; est-ce que c'est la fameuse confession d'amour qui l'attend ?

Il se retrouve dehors, dans le froid, alors que la nuit commence à tomber. Il a froid, et relève son écharpe sur son nez pour se réchauffer un peu. Il commence à entendre des pas se rapprocher. ; pas ceux d'une personne, mais de plusieurs cependant.

- Tu as la caméra ?

- Oui, c'est bon !

Il commence à avoir peur, il veut s'enfuir. Une grande fille lui bloque la route. Il est encerclé avant d'avoir pu s'en rendre compte.

- Oh, il est trop mignon ! On dirait vraiment une fille !

- Je te l'avais dit ! Regarde ses cheveux !

Il porte la main à ses cheveux mi-longs, et des larmes commencent à brouiller son champ de vision. Lui, il les trouve beaux, ses cheveux. Sa maman aussi, elle les adore, et elle insiste parfois pour les lui brosser. Son papa s'en fout, il a l'habitude, tout ce qui l'intéresse, c'est qu'il ramène des bonnes notes. Du reste, il se moque de lui.

Une fille arrive ; elle porte une robe bouffante, pleine de dentelle et de rubans, dans ses bras.

Il essaie de reculer, le mur du bâtiment est derrière lui. Il n'y a plus d'issue.

Il n'a plus qu'à fermer les yeux. Il essaie de ne pas crier, il se mord la langue, mais ses larmes dévalent ses joues alors que les filles lui arrachent ses vêtements, l'habillent en robe, comme s'il n'était qu'une poupée, un objet. Pull, pantalon, t-shirt. Même ses sous-vêtements. Elles ne lui laissent rien, elles ne respectent rien, elles le changent de la tête aux pieds. Et l'oeil de la caméra le fixe, il ne le voit pas avec ses paupières closes, mais il est toujours là, indiscret, humiliant.

Ce jour, il ne l'oubliera jamais.

Troisième vision. Un an a passé, il a changé de collège. Ses cheveux, il les a coupés aux ciseaux, seul, et il a jeté tous ses anciens vêtements au feu ; sa mère lui en a racheté d'autres qui "faisaient plus garçon". Mais il garde une haine profonde des filles. Quand l'une d'entre elles a voulu lui avouer ses sentiments, il l'a frappée, plusieurs fois, sans pouvoir contenir sa rage et son désir de vengeance. À cause de ça, il a été déscolarisé, et suivi par un psychothérapeute. C'était un monsieur assez jeune, qu'il n'aimait pas. Il lui a raconté imbécilité sur imbécilité, et il a fait mine de se calmer, de "guérir". Son papa commençait à s'énerver pour le prix que le monsieur exigeait.

Le temps a passé. Il est retourné dans un troisième collège, en classe de quatrième. Sa haine envers les filles ne s'était pas éteinte, mais il la contenait. Et elle s'était transformée en un penchant inverse. Une admiration aveugle et déraisonnée. Une admiration pour un camarade.

Il l'a avoué. Pas à l'intéressé, non, mais à un de ses amis. Celui-ci n'a pas compris la frontière entre l'admiration et les sentiments ; il s'est moqué de lui. Il l'a traité de fillette, de "pédé". Et a fait ressortir sa rage. Un prof les avait trouvés tous deux, en train de se battre. Son camarade avait le visage en sang, et lui continuait de frapper, encore et encore, en pleurant, sans dire un mot.


Je détourne les yeux de ces images du passé. Incroyable. Incroyable qu'il ait pu m'arriver tant de choses, au final. Ou que peu de choses aient de telles conséquences.

"Tu es brisé, tu me crois maintenant ? Brisé jusqu'au cœur. Sans aucune possibilité de guérir. Le monde t'a refusé, t'a tordu horriblement. Et le monde hait encore plus ce que tu es devenu. Il n'y a que moi, Ael, que moi qui aime ton esprit déformé. Je suis le seul à le trouver beau. Je suis le seul à t'aimer..."

- Et ce, depuis le début, hein...

"Depuis le début. Avant même que tu en aies conscience, j'étais à côté de toi."

- C'est insensé.

"C'est de l'amour. Allez, Ael... franchis la porte. Rejoins-moi, ne me quitte plus jamais. Tu as déjà compris que c'était le mieux pour toi, non ?"

Je recule, délaisse le vide. C'est vrai qu'il n'y a plus rien derrière. C'est vrai que je suis incapable de me maîtriser. Et qu'à terme, ça ne peut pas me faire de bien. Juste du mal, encore et encore.

Et du mal, j'en ai assez subi comme ça.

Je tire doucement la porte vers moi ; elle s'ouvre avec un chuchotis feutré. Après cette limite, il n'y aura plus ni demi-tour ni seconde chance.

Je m'en fous. Aucun regret.

Un pied, deux pieds derrière la ligne. Je sens la porte se refermer sans l'entendre.

Cette pièce ressemble au salon du sixième ; elle a le même parquet au sol, les mêmes tapis, la même tapisserie au mur. Le mur de gauche est recouvert des mêmes masques ; mais ceux-ci sont noirs, calcinés, méconnaissables, et alignés minutieusement, en rangées.

Le plafond ici est par contre beaucoup plus haut ; et en pendent des fils et des cordes rompus, des chaînes, des fils d'araignée, dont les plus longs m'effleurent le haut du crâne.

En face de moi, en lieu et place de la cheminée du sixième, il y a un trône. Ce n'est pas un trône d'or, incrusté de pierreries, qui montre un quelconque signe de richesse ; celui-ci est tout de bois sombre sculpté, d'arabesques et de symboles. Et, assis sur ce trône, il y a un enfant au visage que je ne connais que trop bien.

Le visage que je voyais dans mon miroir quand j'étais enfant, et le visage qui depuis m'a suivi, m'a parlé, est toujours resté avec moi, sans vieillir. Mon double et moi, moi et mon inverse. Ael et Anaël.

Je m'avance vers lui. Il me regarde, me sourit, d'un sourire que je n'ai vu aux lèvres de personne. Même mes parents ne m'ont jamais souri ainsi. C'est le sourire qui te réchauffe de l'intérieur, qui te fait te sentir vivant, qui te fait rayonner, le sourire qui, je crois, est un sourire d'amour. Les larmes me montent aux yeux, quelques-unes s'en échappent ; et ma gorge, comme toujours, reste muette.

Quelque chose scintille devant mes yeux ; ce sont deux bracelets d'argent, suspendus à de fines chaînes d'argent, elles-mêmes reliées au plafond.

Anaël se lève, vient à moi, et d'une main chaude, essuie les pleurs sur mes joues. Il ouvre ensuite les bras, et je tombe dedans, sans plus de volonté. Il est chaud, il est doux, sa présence m'enveloppe et me rassure. Je ne veux plus jamais me réveiller.

- Tu ne veux plus jamais te réveiller, Ael, plus jamais.

- Plus jamais.

Il desserre ses bras de ma taille, et vient caresser les miens. Deux bracelets d'argent claquent autour de mes poignets, comme une promesse.

- Tu n'es plus qu'à moi, me chuchote-t-il à l'oreille...


~ Fin.

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