Il n'y avait que lui, seul, dans son immense bureau. Immense... C'était un bien grand mot. En réalité, il avait à peine la place pour y installer tout ses livres.

Mais ce qui prenait le plus de place ici, était l'obscurité. Les volets étaient fermés. De toute manière, il fait nuit dehors.

Cependant, il n'avait pas à s'en plaindre. Il avait suffisamment de place pour pouvoir travailler.

Ce soir, la place ne comptait pas.

Ce soir, il n'y avait que lui, et sa machine à écrire. Il avait ce besoin brulant d'écrire quelque chose.

Il passait sa main sur sa vieille ami. Depuis combien de temps, maintenant, elle lui tenait compagnie ?

D'aussi loin qu'il se souvenait, elle avait toujours été là. Mais ce soir, il avait besoin de quelqu'un d'autre.

Il avait besoin de tomber amoureux. Il déposait délicatement les lettres sur le papier. Les mots apparurent pour la décrire.

Il ne s'attardait pas tant sur son physique. Il s'imaginait déjà très bien ce à quoi elle ressemblait. Belle, rousse, avec de grands yeux vers, et scintillant, entouré de tâches de rousseurs, mais ce n'est pas ce sur quoi il voulait s'arrêter.

Elle serait intelligente. C'est le plus important. Elle parlerait de tout, de rien, et sera toujours surprenante, passionnante. Gourmande de savoir, il se demanderait comment elle fait pour retenir tant de choses.

Elle aura le sens de l'humour, pour faire passer dans le rire, les soirées trop longues.

Il passa sa soirée à la décrire. Il le fit si bien, qu'à la fin, il lui sembla qu'elle fut réelle. Mais ce n'étaient que des mots sur un morceau de papier.

Il aurait aimé qu'elle fut réelle, pour ne plus être seul.

Juste en face de lui, la feuille entre les mains, sa machine à écrire le regardait. Elle avait pitié de ce vieil ami qu'elle avait vu grandir.

Alors, dans un élan de bonté, elle exauça son vœu. Ainsi, les mots et les lettres se métamorphosèrent en un corps, et un esprit.

                                                                                      ***

Elle était seule, dans son salon. La télé était allumée, mais elle n'écoutait pas. Ses yeux faisaient des allers-retours entre son carnet, et les tas de livres, en bazar tout autour d'elle. Assise dans son canapé, elle passait sa main sur une pile de livre qui se trouvait à porter de doigts.

Un jour ou l'autre, elle devrait se mettre à ranger tout ça. Mais pas aujourd'hui. Son esprit était à l'image de ce qui l'entourait. Rempli, en bazar, sans savoir comment en sortir.

Depuis combien de temps elle a son carnet avec elle ?

Elle caressa sa couverture. Elle était douce, chaleureuse, réconfortante. Elle se sentait en sécurité auprès de son carnet.

Les feuilles sont en train de jaunir.  A l'intérieur, ce n'est pas la poésie qui manquait.  C'étaient les vers qu'elle échangeait avec son stylo. Un bien vieux camarade, aussi.

Mais ce soir, elle avait besoin de quelqu'un d'autre, pour pouvoir l'accompagner.

Alors, elle se mit à écrire, pour le décrire.

Elle ne se prit pas la peine de le décrire physiquement. Elle n'en avait que faire.

Ce serait un poète, avec qui échanger des alexandrins... Quelqu'un d'intelligent, avec qui débattre... Un peu drôle, peut-être...

Elle passait sa soirée à le décrire, comblant son manque d'inspiration en observant la lune, comme si elle la comprenait.

Elle le décrivit si bien, qu'elle finit par croire qu'il fut bel et bien vivant. Mais non, elle n'avait que quelques rimes.

Son carnet et son stylo se regardèrent un instant. Ils eurent pitié de leurs vieille amie. Ils décidèrent donc de transformer ces quelques mots et vers, en un être d'esprit et de chair.