Je me sentais nerveux. En face de moi se trouvait le gérant d'un cinéma. Je ne saurais même plus dire combien de cinéma j'ai dû visiter pour tenter leur vendre mon film.

Personne n'en avait voulu. Aucun producteur n'avait voulu m'aider. Aucun distributeur n'avait souhaité me donner une chance de faire vivre mon film.

Nous étions encore dans cette petite salle de cinéma. Le film venait de se finir. Le moment fatidique allait tomber.

L'homme que j'avais en face de moi avait l'air sceptique. Ce genre de sensation que je lis sur ce visage, je commence à m'y habituer. Pourquoi fait-il vivre un tel suspens ? Qu'on en finisse !

-Ecoutez... Vous comprenez bien que votre film est, disons...

-Mauvais ?

-Non, pas spécialement mauvais. Je dirais plutôt décalé. Et c'est peut-être ce qui dérange ici. Il est peut-être un peu trop provocateur.

-C'est un peu le but de ce film... Je voulais avant tout parler de... Murmurais-je.

-Je sais.

Le directeur m'avait coupé net.

-Mais vous comprenez bien que malgré toute la démarche artistique que vous avez mis dans votre œuvre, le public risque de ne pas comprendre.

-Vous n'en savez rien...

-Je suis directeur de ce cinéma depuis plus de trente ans. Je sais ce que veut le public. Les gens viennent pour se changer les idées. Ils viennent pour se détendre, pour passer un bon moment après une dure semaine de travail. Ils ne veulent pas d'un film de seconde zone qui remet en cause les bonnes mœurs de la société.

-Dans ce cas, vous n'avez peut-être pas compris ce qu'était le cinéma.

-Je pourrais vous retourner la remarque. Tout le cinéma ne tourne pas autour de votre vision que vous vous faites de celle-ci.

-S'il vous plait, laissez-moi une chance.

-Je suis vraiment désolé...

-Vous croyez savoir ce que veut le public, par ce que vous lui offrez toujours la même chose.

-Vous êtes bien naïf.

 -Si vous ne le faites pas pour moi, faites-le pour le public. Laissez-leur une chance de découvrir une nouvelle forme de cinéma. Du cinéma de seconde zone, comme vous dites.

-Vous allez vous manger un raté monumental. Ni le public, ni la critique ne vous manquera. Et vous le savez très bien.

-Non, justement, je ne le sais pas. On ne peut connaitre la douleur d'une gifle seulement lorsqu'on en a pris une. Mais imaginez que le film soit un succès. Ne croyez-vous pas que le risque en aura valu la peine ?

Le directeur du cinéma ne me répondit pas. Je n'avais plus rien à espérer. Je me suis lever, pour me diriger vers la sortie de la salle sombre.

Juste avant de passer la porte, le directeur m'arrêta.

-Ecoutez, j'ai peut-être quelque chose à vous proposer.

Je me suis retourner.

-J'ai entendu dire qu'aux Etats-Unis, ça leur arrivait de diffuser quelques films la nuit. Les midnight movies, ils appellent ça. Si ça vous intéresse... Je peux peut-être essayer de mettre ça en place... Si vous trouvez d'autres réalisateurs dans votre situation... Ca vaut peut-être le coup ?

La nuit était déjà tombé. Je me sentais de plus en plus nerveux. Je regardais un peu le ciel, avant d'entrer dans le cinéma. Soir de pleine lune.

Tout s'est fait très rapidement. Je ne sais pas à quoi m'attendre. Il parait que ces films de minuit cartonnent de l'autre côté de l'Atlantique.

Mais à quoi s'attendre ici ?

A ma grande surprise, la salle était pleine de curieux. Beaucoup de jeunes, venu en quête de sensations nouvelles, attirés par le bouche à oreille, seule pub à laquelle j'avais eu droit. Simple, mais efficace, visiblement.

Les lumières se sont éteintes, l'écran s'est éclairé. A ce moment précis, j'ai retenu mon souffle.