Chapitre 7 - Gladis de l'Émeraude

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— On voit les tours du château ! Regardez !

L'exclamation de Lyssandra réveilla Julian, qui s'était assoupi une ou deux heures auparavant.

— Quel château ? marmonna-t-il en se frottant les yeux.

Il eut tôt fait de reprendre ses esprits lorsqu'il jeta un coup d'oeil à la fenêtre de leur véhicule. Marcus posa le livre qui lui servait de compagnon de voyage – un passionnant traité de philosophie rédigé deux siècles plus tôt – pour s'intéresser à l'extérieur.

Il ne vit d'abord que des sapins et des collines enneigées, comme cela avait été le cas au cours des trois derniers jours. Depuis qu'ils avaient franchi la frontière les séparant de la Terre de l'Émeraude, le paysage ne se composait presque plus que de blanc et de vert. Leur carrosse avait parfois du mal à avancer, si bien que des soldats devaient déblayer la route. Il arrivait aussi qu'un cheval dérape sur une plaque de givre et pousse un hennissement affolé.

En regardant dans la direction que pointait Lyssandra, il aperçut de fines tours de pierre s'élever au-dessus de la cime des arbres.

— Nous ne sommes plus très loin, s'enthousiasma Julian, définitivement réveillé de sa sieste. J'ai cru que nous n'arriverions jamais !

À l'inverse de son frère, Marcus avait prévu de quoi s'occuper pendant leur voyage, qui avait duré une semaine. Il avait fait suivre avec lui de longs documents à rédiger, des livres qu'il souhaitait lire depuis longtemps, ainsi que des cartes de la région qu'il avait soigneusement étudiées. Les cahotements du véhicule l'avaient quelques fois empêché d'écrire ou de se concentrer, mais dans l'ensemble, il ne s'était pas ennuyé.

Les nuits passées dans les auberges avaient été plus difficiles à supporter, étant donné qu'il y dormait encore moins bien que dans son propre lit. Déjà qu'en temps normal, le sommeil ne l'emportait que cinq ou six heures par nuit, il n'était même pas certain d'avoir fermé l'oeil plus de deux.

— Le château de Montagne-Lunaire se trouve-t-il tout près du village ? s'enquit Lyssandra.

— Il n'est pas aussi près des habitations que le nôtre, mais il est à moins d'une lieue du village, l'éclaira Marcus. Nous devrions y être avant le coucher du soleil.

Ils atteignirent les abords du village à peine quelques minutes plus tard.

— C'est tellement beau ! s'émerveilla Lyssandra.

Bien qu'il fût loin de partager son enchantement, Marcus ne dit rien. L'architecture des bâtiments différait de celle que l'on pouvait trouver sur la Terre du Diamant, ce qui devait expliquer la fascination de la jeune fille. À Montagne-Lunaire, absolument tout avait été construit en une pierre d'un gris très sombre, qui tirait presque sur le noir. L'humidité avait laissé des traces sur bon nombre de façades, donnant l'impression que chaque immeuble était vétuste. Le seul charme des lieux – si tant est que l'on puisse en trouver un – résidait dans les petits toits en pointe, recouverts d'ardoise.

— Par la Lune, qu'est-ce que c'est affreux ! se mortifia Julian. Tout est encore plus gris et austère que notre maison !

Il fallait admettre que le palais du Grand Alpha n'était pas réputé pour son esthétique pleine de finesse. Cependant, en toute modestie, Marcus le trouvait bien plus attrayant que ce village.

— En fait, c'est pour ça que tu ne voulais pas venir, poursuivit Julian en se tournant vers son frère. Cet endroit t'a tellement traumatisé que tu ne voulais pas y remettre les pieds.

Marcus avait en effet déjà visité Montagne-Lunaire, de nombreuses années auparavant. Il ne conservait toutefois presque aucun souvenir de la cité, dont la morosité ne l'avait à l'époque pas tant frappé.

— Il me semble que le château est moins... gris.

— Je ne vois pas ce qu'il y a de laid, protesta Lyssandra. Regardez comme ces petites fontaines recouvertes de neige sont jolies !

Aucune eau ne s'écoulait de la fontaine en question, complètement gelée. Tous les passants portaient d'épaisses capes en laine, ainsi que des moufles et des écharpes. Si l'hiver se faisait encore timide sur la Terre du Diamant, il semblait bien installé sur celle de l'Émeraude.

— Papa et maman devaient vraiment avoir envie de se débarrasser de nous, grommela Julian en se pelotonnant dans sa couverture. Imaginez un peu le froid qu'il va faire lorsque nous serons dans les villages de montagne...

Montagne-Lunaire portait mal son nom, puisqu'elle se trouvait au coeur d'une vallée, située au pied d'une chaîne de montagnes, et non sur une montagne même. Le climat y était un peu plus doux que sur les sommets, mais il contrastait nettement avec celui de la Terre du Diamant. Marcus avait toujours mieux enduré le froid que la chaleur, néanmoins en ce qui concernait Julian... Déjà qu'il se plaignait dès que le soleil disparaissait plus de deux jours, il ne voyait pas comment il allait s'en sortir ici.

Le carrosse dépassa bientôt le village pour s'engager sur une grande route dégagée, qui serpentait autour d'une forêt. La verdure et la neige les entourèrent de nouveau pendant quelques minutes, avant que les sapins se fassent de plus en plus clairsemés.

Ce fut à ce moment qu'apparut un palais majestueux, qui suscita de vives réactions.

— C'est le plus beau château du monde !

— Là, je veux bien admettre que le voyage en valait la peine ! Pourquoi notre maison n'est-elle pas comme ça ?

Il en fallait beaucoup à Marcus pour être impressionné, mais face à la splendeur qui s'élevait devant eux, il ne pouvait opposer aucune critique. Bâti en une pierre très claire, le palais semblait sorti d'un roman à l'eau de rose, où une princesse attendrait son prince charmant. Une demi-douzaine de fines tours, aux toits pointus recouverts de neige, semblaient vouloir toucher le ciel. De jolies arabesques soulignaient la finesse de l'édifice, dont l'élégance imposait le respect.

Le carrosse approcha bientôt de hautes grilles en fer, devant lesquelles il fut obligé de s'arrêter. Les cochers et soldats qui accompagnaient les enfants du Grand Alpha se présentèrent aux gardes, qui s'empressèrent d'ouvrir les portes. Le véhicule put avancer jusqu'au pied du château, avant de s'immobiliser une bonne fois pour toutes.

Impatients de descendre, Julian et Lyssandra commencèrent à rassembler leurs affaires, en attendant qu'un valet vienne leur ouvrir. Cependant, Marcus les arrêta :

— J'ai une dernière chose à vous dire.

Les deux loups le fixèrent avec des yeux ronds.

— Quoi donc ? Tu t'es déjà secrètement fiancé à une fille qui habite ici et nous allons assister à ton mariage ? supposa Julian en plaisantant à moitié.

Marcus n'avait ni le temps, ni l'énergie pour en tenir compte. 

— L'alpha de l'Émeraude ne sait pas que nous allons lui rendre visite. Papa tenait à ce que ça reste une surprise pour elle.

Il eut droit à de nouveaux regards interloqués.

— Pourquoi une surprise ? s'étonna Julian. C'est son anniversaire, ou quelque chose de ce genre ?

Si Marcus avait été moins mature, il aurait levé les yeux au ciel.

— Comment vos parents ont-ils pu nous organiser un voyage sur la Terre de l'Émeraude sans que l'alpha en soit informée ? demanda plutôt Lyssandra.

— Elle sait que nous allons effectuer plusieurs visites dans différents villages de sa région. Mais elle nous a poliment fait comprendre que nous n'étions pas les bienvenus à Montagne-Lunaire, ni dans son palais.

— Pourquoi ça ? Il n'y a pas de tensions entre elle et papa, si ?

— Officiellement, il n'y en a aucune. Elle a prétexté que des travaux étaient en cours à Montagne-Lunaire, ainsi que dans sa demeure, ce qui ne lui permettrait pas de nous accueillir correctement.

Même s'ils n'avaient aperçu qu'une mince partie de la ville, aucun chantier majeur ne semblait se tenir à Montagne-Lunaire. Cela confirmait l'étrangeté de la situation.

— Papa a d'autres raisons de penser qu'elle nous cache quelque chose, poursuivit Marcus avec gravité. Je ne peux pas vous révéler plus de détails, mais il m'a chargé de mener l'enquête et de m'assurer que tout est en ordre.

Il jeta un coup d'oeil navré à Lyssandra, qui était assez intelligente pour accepter qu'elle ne pouvait pas être mise au courant de tout.

— Si je comprends bien, commença lentement Julian, nous allons nous inviter chez l'alpha de l'Émeraude pour fouiller dans ses affaires ?

— Je ne l'aurais pas formulé ainsi, mais c'est l'idée générale. Vous aurez simplement à conserver une attitude naturelle tout au long du séjour, pendant que je me chargerai de surveiller l'alpha.

Il comptait agir en toute subtilité, en épiant les faits et gestes de la dirigeante. Les premières secondes de leur rencontre seraient cruciales. Si elle affichait une mine trop déconfite ou affolée en découvrant ses invités, cela signifierait qu'elle avait effectivement quelque chose à cacher.

— Mais... N'est-ce pas trop impoli de s'inviter chez quelqu'un sans le prévenir ? s'inquiéta Lyssandra.

Elle peinait encore à assimiler son nouveau statut, ce dont Marcus ne pouvait la blâmer. 

— Nous sommes les enfants du Grand Alpha, répondit-il avec un léger sourire, en haussant les épaules. Aucun alpha ne peut nous refuser l'hospitalité et ce devrait toujours être un privilège de nous accueillir.

Et sans plus attendre, il descendit du carrosse qu'un valet venait de leur ouvrir. Il tendit une main pour aider Lyssandra, puis Julian les suivit.

— Marcus du Diamant, se présenta-t-il au premier garde qui vint vers lui. Je souhaiterais m'entretenir avec votre alpha.

L'homme s'inclina avec une légère maladresse.

— Bien sûr, monsieur. Nous allons vous conduire dans un salon où... Où vous pourrez vous reposer en attendant la venue de mon alpha.

Marcus le remercia. Les trois loups se laissèrent guider à l'intérieur du palais, qui se révéla tout aussi splendide que l'extérieur. Tous les couloirs avaient été peints en beige crème, agrémenté de nombreuses touches d'un vert très sombre. Celui-ci mettait à l'honneur la pierre précieuse de la meute, si bien qu'il était impossible d'oublier dans quelle région on se trouvait.

Le salon qui accueillit les visiteurs se parait des mêmes nuances, avec des petits fauteuils et canapés verts. Même la petite table basse, disposée près de la cheminée, avait été sculptée dans un verre couleur émeraude.

Des domestiques s'empressèrent de trouver des gâteaux et des boissons pour faire patienter les loups. Ils attendirent une bonne dizaine de minutes, jusqu'à ce que la porte s'ouvre sur une femme richement vêtue.

— Monsieur Marcus, monsieur Julian, quelle surprise de vous recevoir ! s'exclama-t-elle en s'approchant d'eux.

Gladis de l'Émeraude était déjà venue participer à plusieurs événements organisés au palais du Grand Alpha. Marcus n'eut aucun mal à reconnaître la femme âgée d'environ quarante ans, aux cheveux noirs soigneusement coiffés. Son visage fin et ses lèvres d'un rose éclatant la rendaient très belle, tout comme ses yeux d'un marron pétillant.

Pétillant, mais légèrement paniqué, nota Marcus. Son regard ne cessait d'aller et venir entre ses différents "invités-non-invités", tandis que son sourire se faisait un peu crispé.

— Votre père m'avait prévenue que vous comptiez effectuer une visite dans notre belle région, mais je ne pensais pas que vous viendriez jusqu'à moi, déclara-t-elle avec un entrain quelque peu forcé. Que me vaut un tel honneur ?

— Nous nous sommes dit qu'il serait inconvenant de venir sur la Terre de l'Émeraude sans commencer par vous rendre visite, répondit Marcus avec autant de naturel que possible. Cela fait longtemps que la famille du Grand Alpha n'est pas venue ici.

— Oh, depuis la mort de ma regrettée nièce, en effet. Votre père et votre mère avaient été si gentils, comme d'habitude.

Marcus n'eut pas le temps de hocher la tête, puisqu'elle enchaîna :

— Vos parents ne vous ont-ils pas prévenus de tous les travaux qui ont lieu au palais ? Je suis enchantée et honorée de vous accueillir, mais j'aurais honte de vous recevoir avec tout le vacarme qui a lieu du matin au soir, c'est absolument... Horripilant.

Dans l'immédiat, la seule véritable chose qui "horripilait" Marcus était sa voix de crécelle aux inflexions un peu trop mielleuses. Toutefois, Gladis de l'Émeraude avait jusqu'ici affiché un comportement exemplaire en tant que dirigeante et entretenait des relations cordiales avec ses parents. Il ne tenait pas à la juger trop durement.

— Nous nous y ferons sans mal, ne vous inquiétez pas. D'ailleurs, je n'entends aucun bruit qui viendrait heurter nos oreilles.

Le palais semblait en effet plongé dans une quiétude on ne peut plus ordinaire.

— Les ouvriers sont au repos, avança aussitôt Gladis. Si vous tenez à rester ici, je leur dirai de suspendre les travaux le temps de votre visite.

Lors de ses apparitions à la Cour du Grand Alpha, l'alpha de l'Émeraude se faisait remarquer par ses tenues toujours très sophistiquées. Elle ne dérogeait pas à sa règle, puisqu'elle portait une robe bleu clair aux fines broderies blanches, qui rappelait un ciel d'été. Il n'était pas rare qu'elle réussisse à lancer de nouvelles modes sur la Terre des Loups, la rendant ainsi presque aussi influente qu'Eleanor.

— J'imagine que vous devez être mademoiselle Lyssandra ? supposa-t-elle avec un grand sourire. Je suis ravie de faire votre connaissance.

Un peu gênée, l'interpellée s'inclina légèrement et bredouilla quelques politesses. Gladis les invita ensuite à s'asseoir pour prendre le thé, puis échangea des banalités avec les loups.

— Avez-vous une idée de la durée de votre séjour au palais ? s'enquit-elle au bout d'un moment. Vous pouvez bien sûr rester aussi longtemps que vous le souhaitez, je tiens simplement à m'organiser au mieux.

— Une dizaine de jours, indiqua Marcus, en restant volontairement évasif. Cela nous laissera le temps de faire un point sur les affaires de la Terre de l'Émeraude.

Le sourire de Gladis se crispa un peu plus et elle inclina la tête.

— Avez-vous repéré un problème ? Les rapports que je vous envoie sont-ils incomplets ?

— Absolument pas. Cependant, un Grand Alpha se doit d'être impliqué sur le terrain, et pas simplement par missives interposées.

L'alpha acquiesça, en touillant délicatement sa tasse de thé.

— Cela me laisse le temps de vous préparer un bal ! Il ne sera pas aussi splendide que si je m'étais doutée de votre visite, mais je m'efforcerai de faire au mieux.

— Ne vous sentez pas obligée, répondit Marcus. C'est déjà fort aimable de votre part de nous offrir l'hospitalité.

— Oh, mais j'insiste ! Je serais une bien piètre alpha si je ne vous proposais pas un accueil digne de vous !

Comme il ne servait à rien de polémiquer, il lâcha l'affaire. Il allait devoir se faire une raison : il ne pourrait se passer d'événements mondains au cours de son voyage.

— Je mettrai tout en oeuvre pour que votre séjour se déroule à merveille, leur promit Gladis. Votre visite n'aurait pu me faire plus plaisir.

Et même si elle arborait un grand sourire en prononçant ces mots, Marcus sentit qu'elle n'était pas aussi sincère qu'elle le laissait croire.

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