Le bonheur arrive

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Un jour moi aussi je serai un gros con.

Moi aussi j'aurai un métier, je ferai partie de la France qui se lève tôt, je travaillerai plus pour gagner plus, et avec tout cet argent j'aurai des envies de classe moyenne. Je m'achèterai une grande télé, plus grande que mon salon, je dépenserai mon fric chez Ikea. Je m'entourerai de playstation, de x-box, de machine à expresso et d'aspirateur de 4.000 watts silencieux.

Un jour je cultiverai la culture d'entreprise, je mépriserai les syndicalistes et je haïrai mes patrons. Je râlerai en voyant ma fiche de paie et j'irai en vacances au Club Med de Thaïlande. Je rêve de ce jour où j'accrocherai aux murs de ma maison les mêmes cadres de Mistigri qu'on voit chez tout le monde. J'inviterai des gens que je déteste pour les faire s'assoir sur mon immense canapé en cuir acheté à crédit à un meilleur taux que les leurs ; on parlera de foot et de la difficulté d'élever des gosses à notre époque, en se rappelant avec nostalgie le temps où on n'en voulait pas. Et à chaque fois on conclura en tenant la main de nos femmes et en s'avouant que c'est quand même la meilleure chose qui nous soit arrivé dans la vie.

Un jour je draguerai une jeune stagiaire insouciante et belle ; j'enlèverai la photo de ma famille en fonds d'écran sur mon poste de travail pour le remplacer par une photo de moto. D'ailleurs je passerai mon permis moto et je lorgnerai les bonnes affaires sur internet pour m'offrir une grosse cylindrée. Et puis je renoncerai pour pouvoir épargner de l'argent pour mes prochaines vacances aux Maldives et pour payer une école privée à mes gosses.

Un jour je rigolerai en voyant les artistes et j'irai faire des visites culturelles dans des caves de grands domaines dans le Bordelais. Je boufferai du foie gras à Noël sans ne plus jamais me soucier du traitement qu'on inflige aux animaux. J'aurai des copains chasseurs qui m'inviteront à l'occasion le dimanche.

Un jour j'achèterai un vélo d'appartement pour perdre ma bedaine et retrouver le corps d'athlète que je n'ai jamais eu. Et puis je le mettrai dans un coin de mon garage où il pourrira à côté d'un vieux VTT et d'un carton remplis de souvenirs de famille. Je m'achèterai un abonnement pour le stade de foot et je gueulerai contre les arbitres.

Un jour je me réveillerai sans me poser la question de savoir si j'ai réussi ma vie. Ma Silver card parlera pour moi quand j'achèterai de la lingerie de luxe pour l'anniversaire de ma femme, et qu'elle ne mettra jamais. J'inscrirai ma fille à un cours de piano et mon fils dans un club de foot et je serai fier de lui.

Un jour, quand j'aurai fini de rembourser le crédit de mon appartement de standing, j'en achèterai un autre plus petit pour le louer à de jeunes adultes actifs et célibataires que je trierai sur le volet pour ne pas me faire abuser par des locataires irrespectueux de ma propriété. Je demanderai à un pote d'enfance devenu comptable de me trouver des moyens d'évasion fiscale et d'investissements sans risques. J'irai au ski pendant les vacances de février. Je penserai au divorce sans trop y croire, et je resterai pour les enfants.

Un jour j'aurai un métier, je voterai sans honte pour la Droite et je donnerai pour le Téléthon à condition d'avoir un relevé de déduction pour les impôts. Je marcherai devant des mendiants sans les voir. J'irai frapper à la porte des voisins en les menaçant d'appeler les flics et de porter plainte pour tapage nocturne. Je voterai à l'assemblée des copropriétaires et j'aurai un copain au conseil municipal.

Un jour je ne penserai plus à aujourd'hui ; j'aurai oublié ce que c'est d'en vouloir à la société et aux riches. Je m'abreuverai au JT de Claire Chazal et de Jean-Pierre Pernaud, et le soir je regarderai du porno sur internet quand la famille sera couchée. Ensuite j'avalerai mes anxiolytiques et je me réveillerai d'une nuit sans rêve, sans fantasme, sans espoir ni cauchemar. Je prendrai un café, embrasserai ma femme, conduirai les gosses à l'école, irai bosser pour une boite de merde et un salaire à quatre chiffres insuffisant, déjeunerai à la brasserie, boirai un café et rentrerai chez moi dans ma BMW en écoutant les Grosses Têtes.

Et le lendemain je recommencerai. Encore et encore.

Et puis un jour je regarderai ma vie et je me dirai que finalement j'y serais parvenu, à ce bonheur palpable, à cet idéal matériel de confort et de plénitude. Je jouirai de la vie et de ses plaisirs en rejetant moins de 130 gramme de CO2 par kilomètre sur la route des vacances, et ça sera un bon geste pour la planète. Je mangerai bio des fois et je n'aurai pas besoin d'acheter de sous-marques de distributeur.

En attendant ce jour béni, je crache sur mon futur ! 


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février 2010

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