Chapitre 2 : Transparence

Màu nền
Font chữ
Font size
Chiều cao dòng

Spacieux et haut de plafond, bordé de larges fenêtres couvertes de saleté, le réfectoire accueillait déjà des dizaines d'enfants et d'adolescents, vêtus de l'uniforme de l'institution, un modeste habit marron, tous attablés par groupes allant entre trois et six membres. Certains émirent un petit rire bref et moqueur en voyant la rouquine arriver du coin de l'œil, leur regard trahissant un mélange de méchanceté et d'antipathie, parfois accompagné d'une étonnante dose d'agressivité. Il était vrai qu'Harmony ressortait de la masse avec sa tignasse auburn mal coiffée et ses habits en toile déchirés.

Affreusement mal à l'aise, l'enfant se trémoussa d'un pied à l'autre. Il lui semblait ressentir quelque-chose, une sorte de présence qui la fit frissonner : alors que tous les pensionnaires avaient reporté leur attention sur leurs compagnons de tablée, un regard insistant était posé sur elle, elle en était persuadée. Elle avait déjà ressenti ça bien assez souvent avec une Cali la scrutant au détour d'un couloir avant de lui tomber dessus, comme un fauve bondissant tout à coup sur sa proie. Mais elle avait beau inspecter avec minutie la masse d'orphelins, rien ne lui paraissait étrange.

Et pourtant, elle le sentait. Il était là, quelque-part. Mais ?

Des bruits de pas de l'autre côté de la porte la firent tressaillir. Nerveuse, Harmony se rua d'un geste plein d'espoir vers la première table venue. Les filles déjà assises s'empressèrent de se resserrer en souriant cruellement, comblant les espaces libres d'une manière éloquente. La rouquine se stoppa net, le ventre tordu par la peine et la déception.

Un geste tout juste perçu attira alors son attention. Un garçon, assis tout seul, venait de lui adresser un petit signe. Éberluée, Harmony cligna des paupières, puis, croyant à une méprise, regarda par-dessus ses deux épaules. Et pourtant, pas de doute, c'était bien à elle que ce signe était adressé. La fillette reporta son attention sur le garçon, et constata que celui-ci la regardait droit dans les yeux. Ses joues s'empourprèrent quand elle comprit que c'était lui qui l'observait depuis son arrivée dans la pièce.

D'un geste, l'inconnu l'invita à le rejoindre, s'attirant au passage de nombreux regards dédaigneux de la part des occupants des tables assez proches, qu'il prit soin d'ignorer superbement. De toute évidence, ce pensionnaire était nouveau ici, peut-être du matin même. Il ne portait pas encore le vêtement marron mais d'amples habits noirs, signe qu'il n'était pas encore passé par le bureau directorial, et rien chez lui ne trahissait une quelconque animosité à l'égard d'Harmony. Ni sa réputation ni l'importance de la notion de groupe ne semblaient pas l'avoir précédée. La petite accueillit la nouvelle avec soulagement. La perspective de peut-être se faire un ami grossit son cœur d'espoir. Le tout était de ne pas se ridiculiser et de paraître aussi chaleureuse que possible.

Un humble sourire aux lèvres, Harmony s'assit en face du nouveau-venu, prenant cette fois-ci le temps de le détailler. Il ne devait pas être beaucoup plus âgé qu'elle, dans les dix ou onze ans. Son teint était cireux, et son visage maigre. Il avait un nez crochu, des cheveux noirs mal coupés, et des yeux aile de corbeau, lesquels étaient littéralement suspendus aux siens. Ce constat la fit rougir de plus belle.

- B-Bonjour, dit-elle d'un air aussi enjoué que possible, quoiqu'encore un peu tremblante.

Les sourcils du garçon se froncèrent lorsqu'il prit la parole d'un ton cassant :

- Tu as pleuré ?

Harmony se recroquevilla sur sa chaise. Ça n'était pas vraiment la réaction qu'elle espérait, et encore moins la première impression qu'elle aurait voulu donner.

- Euh...peut-être un petit peu, sans doute, murmura-t-elle d'une voix blanche, se découvrant un intérêt soudain dans la contemplation de ses mains, qui, par chance, ne tremblaient pas.

Son interlocuteur dut se rendre compte de sa gêne, car il semblait s'être un peu adouci lorsqu'il déclara :

- Désolé. Je n'aurais pas dû commencer comme ça.

La fillette releva timidement la tête.

- Ça a un rapport avec ta joue ? Quelqu'un t'a frappée ?

Machinalement, Harmony porta sa main à son visage endolori. Elle était loin d'imaginer ainsi sa première discussion amicale avec un camarade.

Le bruit soudain d'une porte claquant couvrit son début de réponse. Jetant derrière elle un coup d'œil épouvanté, elle vit Cali entrer dans le réfectoire, fouillant chaque table du regard. Impossible de s'enfuir.

Haletante, la petite fille se retourna vivement. Les yeux du garçon se fixèrent sur elle avec perplexité, puis décrivirent plusieurs allers-retours entre la grande brune et son air terrifié. Ses sourcils se froncèrent encore davantage.

- C'est elle qui t'a fait ça ? demanda-t-il avec froideur en montrant sa joue.

Trop inquiète pour songer à être embarrassée, Harmony hocha frénétiquement la tête.

- Il ne faut surtout pas qu'elle me trouve ! Elle veut me...

La rouquine sentit sa voix faiblir puis s'éteindre, comme une mauvaise enseigne au néon. La honte et la crainte lui brouillèrent la vue.

- Et ça dure depuis longtemps ? interrogea son camarade en plissant ses yeux noirs.

- Assez, oui, marmonna Harmony, gênée. Et c'est parti pour continuer tant que je resterai ici...

Elle entendit son voisin pousser un long et profond soupir, comme s'il tentait de se résigner à devoir accomplir un acte particulièrement éprouvant. Quand la vision de la petite recouvrit sa netteté, celui-ci la regardait fixement, à tel point qu'elle n'avait aucun mal à distinguer les détails de ses iris. Pendant un bref instant, la petite rousse eut l'impression que son expression faciale trahissait un profond désarroi. Un tourment grave et soudain. Comme si sa déclaration articulée avec un filet de voix avait bouleversé quelque-chose en lui, chamboulé ses plans, ses idées...

Mais peut-être n'était-ce que le fruit de son imagination alimentée au fil des mois pour les ouvrages bibliques qu'elle feuilletait à l'occasion pour tuer le temps... Lorsque le garçon reprit la parole, tout ce que son élocution et son aspect démontraient, c'était une assurance à toute épreuve.

- Dans ce cas, crois-moi, ça ne devrait plus durer très longtemps.

Déconcertée, Harmony battit plusieurs fois des cils, le visage animé d'une expression sceptique.

- Quoi ? Mais enfin, comment...

- Peu importe, coupa son allocutaire d'un ton évasif en accompagnant sa parole d'un vague geste de la main.

Décidément, ce garçon était d'un genre insolite, et ses propos ne l'étaient pas moins. Jusqu'ici, les autres pensionnaires ne cessaient de lui répéter qu'elle ne quittera jamais l'orphelinat, que c'était son destin, et cet inconnu sorti de nulle part se mettait soudain à affirmer le contraire. Plus étrange encore, il ne semblait avoir aucun doute concernant l'exactitude de ses déclarations. Mais qu'en savait-il, au juste ?

- Pour en revenir aux ennuis que tu as avec elle, reprit-il en désignant de la tête Cali toujours à sa recherche, je peux t'aider.

Harmony tressauta, avant de braquer sur lui un regard incrédule.

- C'est vrai ? De quelle façon ? demanda-t-elle, pleine d'espérances.

- Laisse-moi faire.

Elle tenta mentalement d'imaginer ce garçonnet chétif terrasser à lui tout seul une adversaire mesurant bien une tête et demi de plus que lui. Aussitôt formulée, cette idée lui parut absurde, presque comique. Peut-être avait-il l'intention de jouer les médiateurs...

Soudain, une sensation étrange et pour le moins désagréable parcourut tout entier son corps fragile. Elle avait l'impression qu'on venait de lui écraser un œuf sur la tête, qu'un liquide froid et visqueux lui coulait dessus depuis le sommet de son crâne, la recouvrant et provoquant des milliers de frissons le long de son dos strié de cicatrices. Paralysée par l'angoisse, elle ne put qu'attendre que cela se termine, ce qui se produisit quand la mystérieuse substance atteignit le bout de ses orteils transis de froid.

- Qu'est-ce qui vient de m'arriver ? bafouilla-t-elle sourdement, la peur au ventre.

- Maintenant, écoute-moi bien, déclara fermement le garçon en ignorant sa question. Tu vas te lever, et tu vas te diriger lentement vers la sortie en faisant bien attention à ne toucher personne.

- Pourquoi ? Qu'est-ce que tu m'as fait ? glapit-elle, paniquée.

- Moins fort, grogna-t-il entre ses dents. Je t'ai aidée, comme promis. Vas-y, fais-moi confiance, et surtout n'oublie pas : tous ces problèmes ne tarderont pas à disparaître.

Tremblante de la tête aux pieds, Harmony tourna avec lenteur sa tête en direction de la porte, les poumons comprimés par une poigne de fer.

- Mais....Cali me cherche toujours. Je ne passerai jamais...

- Aie confiance en moi ! s'écria son allié d'un ton impatient. Vas-y, et ne les touche surtout pas. Je te promets que tout va bien se passer, assura-t-il avec une douceur brusque et surprenante.

La plupart des doutes qui subsistaient dans l'esprit de la fillette s'effacèrent aussitôt. La voix de son compère avait véritablement les accents de la sincérité. Celle-ci brillait dans son regard, était présente dans chacun de ses traits tirés. Mais plus important encore : de tout son être, Harmony souhaitait le croire. Croire qu'il lui suffirait de marcher sans se retourner pour échapper à une nouvelle querelle dont elle ressortira perdante, humiliée et tuméfiée.

Hésitante, la petite amorça son lever avec des gestes saccadés, malgré cette désagréable impression d'être recouverte de cette horrible matière. De toute façon, qu'avait-elle à perdre ? Au mieux, cette intervention saugrenue la sauvera, lui épargnera un épouvantable traitement, au pire, elle en sera quitte pour quelques blessures supplémentaires.

Après tout, c'était son destin...

D'une démarche d'automate, les bras tendus le long du corps, Harmony s'avança vers la grande porte sombre, le souffle court et l'estomac retourné. Son regard était fixe, vissé sur la poignée. C'était son objectif. Si elle parvenait à l'atteindre, à poser sa main dessus, elle serait sauvée.

Les battements de son cœur emplissaient ses oreilles tandis qu'elle se rapprochait de la cohue, couvrant le vacarme ambiant. Sa gorge était sèche et sa respiration ardue, sifflante. Passée non-loin de plusieurs camarades qui, d'ordinaire, ne manquaient pas une occasion d'avertir Cali de sa présence, la petite fille trouva étonnant que ceux-ci ne l'ait pas déjà remarquée et signalée. Plusieurs fois, leurs yeux passaient sur elle, mais ne s'arrêtaient pas, comme si Harmony n'existait plus. Comme si elle n'était désormais qu'une ombre, indigne d'intérêt.

Une poussée de confiance emplit la poitrine de l'enfant, dont la démarche s'accéléra. À mesure que la sortie se faisait proche, son inquiétude s'atténuait. Elle n'avait aucune idée de la façon dont son voisin avait pu s'y prendre, mais apparemment, il semblait bel et bien l'avoir rendue invisible. Quelle aubaine incroyable !

Une chaise racla subitement le sol à sa droite. Se remémorant les indications du garçon, Harmony se déporta maladroitement sur la gauche. Son coude heurta le dos d'une fille, qui se retourna en poussant une exclamation furieuse, laquelle s'éteignit lorsqu'elle constata l'allée en apparence vide derrière elle.

Confuse et paniquée, Harmony se retourna, prête à se précipiter vers la sortie. Et se retrouva face au nez pointu de Cali.

La petite dut faire appel à toute sa force de volonté pour s'empêcher de hurler. Sa bête noire fixait un point au-dessus de sa tête d'un air attentif, mais ne semblait pas l'avoir aperçue. Harmony s'ôta du passage de Cali avec des gestes précautionneux, tandis que celle-ci passait à côté d'elle par foulées lentes sans la voir, comme une aveugle.

Ça alors...

La rouquine sentit ses lèvres étirées par un large sourire, ses membres crispés se relâchant tant l'étendue de son soulagement était grande. Quelle merveilleuse sensation...

En à peine quelques pas, elle écourta la distance restante entre elle et sa liberté, une sécurité jusque-là inédite. Les yeux toujours rivés sur Cali partie dans la mauvaise direction, elle posa évasivement sa main sur la grosse poignée, tressautant lorsque les gonds usés grincèrent. Se faufilant dans l'interstice entre les larges battants de bois, n'osant toujours pas en croire sa chance, Harmony sortit du réfectoire à reculons le plus silencieusement possible. Avant de refermer l'ouverture, elle chercha du regard son sauveur, celui qui l'avait encouragée, lui avait permis d'échapper à la correction de sa vie sans rien lui demander en retour, désireuse de lui exprimer sa reconnaissance. Quand sa vision s'arrêta sur la chaise qu'elle venait de quitter, elle constata que celle d'en face était vide.

Il avait disparu.


~~~~~~~~~~♡~~~~~~~~~~


Hey hey hey ! (Everybody stand us one ! 🎶)

Qu'avez-vous pensé de ce deuxième petit chapitre ? ^-^ (enfin, "petit", façon de parler...xD)

Avez-vous des hypothèses concernant ce mystérieux garçon ? Qui est-il ? Que fait-il ici ?

On se dit à très vite au prochain chapitre ☆

Lots of kisses ❤

Lex

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen2U.Pro