Quand je me gare devant le bâtiment d'enregistrement, je suis la première arrivée, le studio n'est même pas encore ouvert. Mais tant mieux, je vais pouvoir être tranquille quelque temps. Restant dans ma voiture, je prends tranquillement mon petit déjeuner. Je me fais uniquement interrompre une fois par une fan m'ayant reconnue et voulant un autographe sur son billet de concert de la veille, que je lui fais sans problème, de toute manière, maintenant que j'ai été reconnue, inutile de me cacher, c'est beaucoup trop tard. Heureusement, je ne me fais pas envahir et à peine quelques minutes plus tard, le studio d'enregistrement est ouvert, ce qui me permet d'y rentrer et d'y déposer ma contrebasse en sécurité.

Je commence d'ailleurs à un peu m'inquiéter, j'étais largement en avance, incontestablement, mais aucun autre membre du groupe n'est encore arrivé, alors que ça fait déjà cinq minutes que nous devrions être au complet. C'est vrai que c'est quasiment impossible que nous soyons tous à l'heure, surtout en ayant Leroy dans nos rangs, mais normalement, Ruth est presque aussi ponctuelle que moi et Dean est réglé comme une montre suisse. Je panique un peu, aucun d'entre eux n'a beaucoup de route et étant partie en avance de chez moi, je crains d'avoir raté une nouvelle. Après tout, ce n'est pas totalement impossible, même si j'espère sincèrement qu'il n'y a pas eu d'imprévu, nous allons finir par nous faire égorger par nos producteurs.

J'imagine que trop bien Ruth ne pas pouvoir venir à cause de sa grossesse, après tout, elle n'en est peut-être qu'à sept mois, mais elle a quand même fait un concert de deux heures hier. Je crois qu'il faut que je détende et que je ne m'en fasse pas outre mesure pour mon amie, elle n'a sans doute rien d'autre qu'un peu de retard, après tout, elle devrait s'occuper de son fils de trois ans avant de venir et le déposer à la crèche, ce n'est pas étonnant qu'elle soit en retard. Et Dean... Dean peut avoir eu n'importe quel empêchement aussi, après tout, ça lui est déjà arrivé de ne pas être parfaitement à l'heure, ce n'est pas une grande première. Juste que les deux arrivent en retard le même jour, ce n'est pas de bol. Définitivement aujourd'hui n'est pas ma journée.

Heureusement, avant que je ne subisse une crise cardiaque de plein fouet, Ruth arrive enfin.

— Salut, salut ! s'exclame-t-elle en franchissant la porte. Tu es toute seule ?! Warren n'est pas avec toi ? s'étonne-t-elle en ayant perdu directement sa bonne humeur.

Rien d'étonnant, en plus de quinze de carrières, c'est la première fois que mon frère ne vient pas à une séance d'enregistrement, une grande première.

— Non, il est sorti hier, après qu'on soit rentré, soupiré-je en sachant très bien que mon amie verra de quoi je parle.

— Au point de ne pas venir à un enregistrement ? demande-t-elle choquée et inquiète.

Je ne réponds rien, surtout parce qu'elle ne me laisse pas le temps, mais de toute façon, la réponse doit se lire sur mon visage.

— Il déraille vraiment en ce moment, remarque-t-elle en ne semblant pas savoir si elle doit être compatissante, effrayée ou énervée.

— M'en parle pas... soupiré-je.

J'en viens à un point où je ne suis même pas sûre de pouvoir vraiment aider mon jumeau, j'ai fait mon maximum, mais il s'éloigne toujours un peu plus de moi, pendant que je le regarde impuissante. Je ne sais même plus si quelque chose peut l'aider au rythme où il va.

Avant que je me sois totalement morfondue, Dean arrive à son tour.

— Il n'est pas là Warren ? m'interroge-t-il exactement comme Ruth.

— Non, répondé-je en cœur avec mon amie.

— Il a fait le con hier, c'est ça ?

Je ne sais pas si je dois m'étonner d'à quel point mon frère est prévisible ou en pleurer, je penche vraiment sur la deuxième option.

— King a appelé pour dire qu'il serait en retard ou il s'en est pas encore aperçu ? vérifié-je en changeant discrètement de sujet.

Secrètement, j'espère aussi que l'un des deux autres membres de Her Majesty aura eu de ses nouvelles, Leroy a un monstrueux problème avec la ponctualité et je ne suis vraiment pas d'humeur à passer la journée au studio juste parce que monsieur Leroy arrive plusieurs heures trop tard.

— Tu le connais ? Voilà, tu as ta réponse.

Génial, nous sommes partis pour au moins trente bonnes minutes à ne rien faire, j'adore ça, c'est fou, à chaque fois, j'ai envie de trancher la gorge à Leroy, tant il m'insupporte. C'est violent, il faut bien l'avouer, mais ça fait quinze ans que nous enregistrons tous ensemble et pas une fois il n'a été à l'heure. Il faut faire quelque chose à un certain stade, ça devient plus possible. Heureusement pour lui, au fond, je l'aime bien et que c'est un guitariste de génie ainsi qu'une personne super, en dehors des enregistrements, sinon, je l'aurais trucidé plus d'une fois.

Résignée, je m'assois sur l'une des chaises, à côté de la surface de contrôle. Rapidement, Ruth et Dean font de même. Et nous attendons Leroy impatiemment, en parlant pour faire passer le temps, mais nous n'avons rien d'autre à faire, il n'y a qu'une musique à enregistrer et il y a bien sûr une partie avec la First Blue, sa guitare, en plus, nous n'allons pas non plus finir l'enregistrement alors qu'il manque deux membres sur cinq.

Et après presque une heure, le téléphone du studio sonne enfin. Je suis la première à me lever pour décrocher. Au bout du fil, c'est bien le guitariste :

— Je suis vraiment désolé, je viens juste de voir l'heure, dis à Terrie que je suis désolé d'être en retard, déballe-t-il sans même me laisser le temps d'en placer une.

— Tu as intérêt à être désolé, il ne manque plus que toi, remarqué-je sans même m'annoncer, je sais qu'il reconnaîtra ma voix.

— Terrie ! Je suis vraiment désolé, répète-t-il presque immédiatement.

— Tais-toi et dépêche-toi, affirmé-je juste avant de raccrocher pour éviter de l'entendre s'excuser une quatrième fois. Il ne devrait plus tarder, ajouté-je à l'égard de Ruth et Dean, ne plaçant tout de même que très peu d'espoir dans la rapidité de Leroy pour nous rejoindre.

Mais exceptionnellement, dix minutes plus tard, il est déjà là, il s'est vraiment dépêché, ce qui est plutôt bien, nous n'aurons pas perdu une demi-heure de plus.

— Vous n'êtes pas encore prêts ? s'étonne-t-il, en arrivant, sa guitare déjà en bandoulière.

Il m'énerve vraiment parfois avec son insolence, il est censé être mûr et mature, il n'a plus vingt ans maintenant. Il est même plus proche de la quarantaine que de la vingtaine. Mais il a toujours le même caractère.

— On t'attendait, je te signale, l'informe Dean à ma place.

— Avant qu'il n'y ait une quelconque dispute, on enregistre s'il vous plaît, je ne veux pas y passer toute la journée, j'ai autre chose à faire, remarque Ruth en prévoyant sans doute que Leroy allait démarrer au quart de tour dans peu de temps.

— J'y vais en première, si tout est près, comme ça, on ne perdra pas trop de temps si la superposition est la bonne, annoncé-je, même si je ne crois qu'à moitié en ce que je raconte, je nous connais, nous allons finir par refaire toute la partie instrumentale ou presque, peut-être même qu'à la fin, je vais devoir refaire la voix.

Je me lève, récupère mon instrument et vais dans la pièce d'à côté, qui n'est autre que le studio d'enregistrement. Avec un peu d'appréhension, comme à mon habitude, je sors ma contrebasse de son étui puis j'installe les micros de manière à bien enregistrer tous le son de l'instrument et non pas les bruits parasites, avant de mettre mon casque.

— Je suis prête, envoyez ce qui est déjà enregistré, s'il vous plaît.

Dean ne répond rien, mais assez vite, après une ou deux manipulations, il me fait le signe OK, avant de me diffuser, dans mon casque, la partie que nous avions enregistrée, il y a quelques jours. Très concentrée, je commence à jouer, m'adaptant entièrement à la mélodie, d'abord lente, puis plus rapide, plus vraie, plus vibrante, me faisant passer par des dizaines d'émotions en deux minutes trente, alors que ça fait déjà plusieurs fois que je joue le morceau, mais il est tellement puissant par ses paroles, par sa musique, que je n'y résiste toujours pas. Quand j'arrête de jouer, je suis presque déçue, trouvant presque le morceau trop court.