Je reste de longues minutes sans bouger, figé à la suite des mots haineux que mon ami m'a lancés avant de retourner à l'intérieur du chalet. Son regard méprisant me hante, me donne envie de fondre en larmes, déchiré par les remords. Comment ai-je pu agir de manière si égoïste? Ma main se pose sur mon cœur douloureux alors que ma tête cherche vainement une solution capable de plaire à tout le monde.

Toujours déchiré entre mes sentiments contradictoires, j'entre lentement dans le chalet, décidé à confronter Thomas sur la raison de son rejet. Peut-être que si je le convaincs de laisser une chance à Reiner, ce dernier me pardonnera et souhaitera à nouveau être mon ami? Pourtant, une partie de moi souhaite que le blond ne m'écoute pas, qu'il continue de me choisir. Penser ainsi est ridicule. C'est du pur égocentrisme.

Voyant que Thomas n'est pas retourné au salon avec les autres, je longe le couloir qui mène à la salle de bain, là où Reiner l'a affronté au sujet de ses sentiments. Mon cœur bat trop vite alors que mon ventre est tordu sous l'angoisse. La porte est entre-ouverte, me laissant voir la lumière toujours allumée à l'intérieur de la pièce. Suite à une grande inspiration, je la pousse du bout de mon doigt afin qu'elle s'ouvre dans un grincement sonore.

Thomas est assis sur le tapis fleuri, dos contre la baignoire et la tête entre ses mains. En entendant la porte s'ouvrir, il lève les yeux en ma direction et il se force à me sourire. Contrairement à d'habitude, ce rictus facial reflète sa profonde douleur.

-T'as vue? souffle-t-il. J'ai quand même réussi à briser le cœur de mon meilleur ami alors que c'est exactement ce que je voulais éviter au début. Marrant, n'est-ce pas?

Je pince les lèvres, triste de le voir ainsi. Dans un soupir, je me laisse tomber près de mon amant et ma tête s'écrase sur son épaule. Thomas se laisse faire, profitant de cette proximité pour agripper doucement ma main qu'il serre.

-Tu me racontes ce qui s'est passé? soufflé-je.

-Hum... En fait, Reiner m'a suivi jusqu'ici pour me parler. Il était confiant quand il s'est déclaré à moi, puis il a terminé son discours en m'embrassant. J'ai eu l'impression d'embrasser mon frère. Ça n'a pas du tout fonctionné de mon côté et c'est là que j'ai compris que même en étant bi, ça ne signifie pas pour autant que j'arrive à l'aimer d'amour. Il est pourtant génial, mais un truc bloque. J'ai déjà quelqu'un.

Je relève la tête en sa direction, surpris par la fin de sa phrase. Sa main libre vient doucement caresser ma joue tandis que son regard croise le mien. Je suis bien lorsque nous sommes près l'un de l'autre, mais l'avouer à voix haute est impossible. Ainsi donc, même si je n'étais pas là, Thomas serait incapable de rendre les sentiments de Reiner? D'un côté, j'en suis soulagé alors que de l'autre, je me sens navré pour le garçon amoureux.

-Tu as déjà quelqu'un? m'étonné-je.

-Ouais? Sauf si tu considères que ce que toi et moi on fait, c'est juste dans ma tête et que rien n'est arrivé? Marco, tu m'as fait enfreindre toutes mes règles des one night en devenant mon amant réguler. Depuis qu'on fait crac-crac, va savoir pourquoi, mais je n'ai dragué personne d'autre. C'est surement idiot, mais je n'en ai pas envie. Tu me suffis. Aucune de mes exs ne m'a fait sentir comme ça auparavant.

-Je... Je ne suis pas certain de comprendre ce que tu essaies de me dire.

-Ce que je dis, c'est que je crois que j'ai envie de sortir avec toi. Je sais, tu vas me dire que t'aimes encore Floch, ce qui est normal, mais ça ne me dérange pas. Je ne crois pas encore être amoureux de toi, Marco, mais je sais que tu me plais et que j'aime nos parties de jambes en l'air. Qui sait, peut-être que ça peut fonctionner?

Je fronce les sourcils en l'écoutant, déchiré entre l'envie de trouver ses mots mignons et me moquer de cette déclaration qui manque cruellement de romantisme. Décidément, même lorsqu'il est question de sentiments, Thomas reste fidèle à lui-même. Un faible sourire amusé se grave sur mes lèvres.

-Donc tu me demandes d'être ton petit ami? récapitulé-je. Je crois que tu as oublié que tu pars vivre aux États-Unis.

-Et alors? On peut trouver un moyen de se voir quand même une fois de temps en temps et dans le pire des cas, je ne suis pas contre le sexe par webcam. J'ai seulement deux ans d'études à y faire. Si ça marche, tant mieux, sinon tant pis.

-Tu crois vraiment que toi, tu seras capable d'être fidèle?

-Oui, j'y crois. Si je le veux, je le peux. Je suis prêt à essayer, donc acceptes-tu de tenter le coup et de devenir mon petit ami?

La tournure que prend cette conversation m'étonne. Suis-je vraiment prêt à tenter l'impossible avec un coureur de jupon? Les chances pour que mon cœur se fasse piétiner son immense, mais l'envie de franchir cette étape domine ma peur. Accepter de sauter à pieds joints dans cette folle relation est une décision insensée et remplie de contres, cependant je veux le faire. Si nous n'essayons pas, jamais nous ne serons si ça peut devenir une magnifique histoire. Il faut croire que je suis un peu maso.

En guise de réponse, j'agrippe les joues de Thomas que j'attire vers moi afin de prendre en otage ses douces lèvres. Le garçon parait surpris par mon initiative, mais il répond au baiser avec bonheur avant de le rompre.

-J'imagine que ça veut dire que tu acceptes? souffle-t-il.

-Oui. Essayons l'impossible.

Le blond sourit avant de coller à nouveau sa bouche contre la mienne. Je me blottis contre son corps chaud, profitant de cette douce étreinte pour demander l'accès avec ma langue. Qui aurait cru qu'un jour, je serais l'une des proies de cette redoutable araignée? Me voilà prisonnier de la toile de Thomas avec espoir de ne pas finir dévoré comme toutes ses précédentes victimes.

-Ça, je n'aurais jamais cru voir ça! s'exclame quelqu'un. Je comprends mieux pourquoi Reiner est dans cet état.

Je repousse aussitôt Thomas en reconnaissant la voix de Jean, tournant avec panique la tête vers mon meilleur ami qui nous observe depuis le cadre de porte. Le blond grimace en se frappant contre la paroi de la baignoire, décontenancé par mon soudain rejet. Lorsqu'il réalise que nous avons été surpris, il se contente de sourire et de saluer le voyeur de la main.

-J-Jean, bégayé-je. Ce n'est pas ce que tu crois!

-Ce n'est pas ce qu'il croit? répète Thomas d'un ton dubitatif Pourtant, il a simplement dû comprendre que toi et moi, on est en couple. Pas vrai, Jeannot? À moins que tu aies cru que je faisais à Marco le RCR, là, c'est vrai que ce n'est pas ce que tu crois.

Jamais je n'ai vu un garçon aussi gênant. Notre couple est à peine officiel et déjà, il n'a aucune gêne à le crier sur tous les toits. Pour lui, entamer une relation avec moi est aussi banale que d'admettre qu'il aime manger des fraises. Je pince les lèvres en baissant timidement les yeux vers le sol, incapable d'affronter le regard moqueur de Jean. Ce dernier semble sur le point d'éclater de rire bien que je n'en comprenne pas la raison.

-C'est moi le mystérieux garçon avec qui il a découvert sa sexualité, avoué-je timidement. Je n'ai pas osé t'en parler, car j'avais honte de ce que je faisais. Pardon, Jean.

-Tu as honte de moi? s'indigne faussement Thomas. OK, je te pardonne si en échange tu me paies un beignet demain matin. Sur ce, je vous laisse parler.

Thomas ébouriffe affectueusement mes cheveux, il me vole un baiser sur la joue, puis il se lève pour quitter la salle de bain en souriant. Cette nouvelle relation parait lui avoir fait oublier sa précédente discussion avec Reiner, mais moi, elle me fait craindre pour l'avenir de mon porte-monnaie. Le blond a l'habitude de se faire payer chaque matin un dessert par son meilleur ami, donc il s'attend surement à ce que je reprenne cette habitude.

Je ne suis pas un distributeur automatique!

Jean regarde mon nouveau petit-ami quitter la pièce avant de s'installer à son tour sur le tapis, un sourire moqueur sur les lèvres.

-Je dois admettre que sur ce coup, tu me surprends, avoue Jean avec amusement, Thomas... Soit honnête, Marco, qu'est-ce que tu lui trouves? Tu as toujours dit que tu ne comprenais pas pourquoi les filles se battaient pour quelqu'un de ce genre. Il n'est pas beau, pas particulièrement intelligent et un peu con sur les bords. Il se dit lui-même être un gentil connard.

-Je n'en sais rien, pour être franc. C'est dur à expliquer. Je ne suis pas amoureux de lui, mais il me fait sentir bien. Je me dis que peut-être, c'est ça qu'il me faut. J'ai envie d'essayer.

-Une relation à distance, ça va être très dur, tu en es conscient? Thomas n'est pas un enfant de chœur, tu le sais. Je ne t'ai jamais cru du genre à aimer les bad-boy.

-Je n'aime pas ça. C'est une exception. Peut-être qu'une relation à distance va m'aider à réfléchir. Je ne suis pas prêt à m'engager à nouveau sérieusement depuis Floch. Je l'aime et ça me mettrait mal. Ça va être une manière de prendre mon temps et de voir si ça peut fonctionner.

Étrangement, j'ai sincèrement envie de voir ce que l'avenir me réserve avec Thomas.