Je ne suis pas certain de comprendre la signification de l'intervention de Jean. Même si je lui ai emprunté son étui à crayons plus tôt, il n'est pas mon ami. D'ailleurs, je gère très bien la situation. Même si Porco et ses gorilles se montrent méchants dans leurs paroles, je peux leur tenir tête. Cette fois, ils n'auront pas la chance de me démoraliser.

-Et bien, mon petit Marco, tu nous présentes ton ami? propose Porco avec ironie, il est gentil de venir te défendre. 

-Je le connais à peine, répondis-je, puis je n'ai pas besoin d'être défendu. Je sais me défendre seul. 

-Oh, tu sais te défendre seul? Comme c'est mignon. Alors, « ami de Marco », que comptes-tu faire pour nous forcer à le lâcher?

Porco semble amusé par l'intervention ridicule de Jean alors que derrière lui, ses gorilles gloussent comme des hyènes, me rappelant étrangement les trois acolytes de Scar dans le roi Lion. Tout ça devient loufoque. Aujourd'hui, j'avais décidé de tenir tête à ces ridicules petits caïds et leur montrer que je ne suis pas la victime qu'ils pensent. Ce n'est pas parce qu'ils se moquent de moi que j'en deviens une princesse en détresse qui a absolument besoin d'être sauvée par le preux chevalier.

Jean réfléchit à la question de Porco, les sourcils et les yeux levés vers le ciel à la quête d'une réponse. Son manque de crédibilité est frappant et pourtant, ça reste gentil de sa part.

Lorsqu'une réponse l'illumine, il pose à nouveau son regard sur le plus petit des bourreaux en serrant les poings. Les grosses cernes sous ses yeux le rendent effrayant, surtout lorsqu'il fonce telle une poule sans tête vers celui qu'il fixe. Porco n'a pas le temps de réagir qu'il reçoit ses jointures sur sa joue, ce qui le fait jurer de douleur. Jean l'a vraiment frappé? Ce coup n'a pas paru très fort, mais c'est l'intention qui compte.

Surpris par le geste de Jean, je porte mon attention sur lui. Cependant, plutôt que d'y trouver un homme intimidant, ce dernier souffle ses jointures qui semblent douloureuses. Il parait autant souffrir que sa victime, bougeant sa main dans tous les sens pour atténuer le mal.

L'un des gorilles pousse Jean sur le sol avant de partir avec les autres tout en marmonnant des insultes. Aussitôt que nous nous retrouvons seuls, je me penche près du justicier pour vérifier l'état de sa main.

-Est-ce que tu vas bien, Jean? m'enquis-je, tu t'es fait mal?

-Donner un coup de poing, ça fait un mal de chien! J'ai l'impression que mes jointures se sont égrainées. Comment Bruce Willis fait dans ses films?

-Attends, je vais regarder.

Ce garçon populaire vient-il réellement de faire une référence à un acteur célèbre? Avec un petit sourire amusé, j'approche sa main de mon visage pour observer l'état de ses jointures. Le blessé grimace lorsque je la bouge, mais je lui souris gentiment :

-Ça ne semble pas cassé, je dirais. Tu vas peut-être avoir quelques ecchymoses, mais rien de grave. Si tu n'arrives pas à bouger ta main demain ou qu'elle devient violette, alors va vite chez le médecin.

Je marque une pause avant de reprendre, les yeux baissés :

-Au fait, tu n'étais pas obligé d'intervenir. Ces gars se moquent de moi depuis que je suis arrivé dans cette école, mais ils auraient arrêté en voyant que je leur tenais tête.

-Parce qu'ils s'en prennent souvent à toi? s'étonne Jean, qu'est-ce que tu leur as fait? Tu as pissé sur leurs bagnoles?

-Non... J'imagine que c'est ma présence qui les dérange, puisque je porte des vêtements étranges et que je suis nouveau.

-Alors, continue de les déranger, si c'est l'unique problème.

Même si je reste convaincu que j'aurais su régler ce problème sans son aide, un sourire se dessine sur mes lèvres. Ce garçon est très sympathique et ça me fait chaud au cœur de voir qu'il ne me voit pas comme une simple victime. Du moins, je crois? Peut-être aussi qu'à ses yeux, je ne suis qu'un trophée servant à faire de lui un vaillant héros.

-Au fait, tu manges avec qui le midi? m'interroge Jean, tu dis que tu es nouveau, donc est-ce que tu as des amis?

-Je passe mes midis à la bibliothèque. J'aime beaucoup lire, donc ça me convient.

-Pour vrai?! Donc tu es seul? Ce midi, c'est décidé, tu vas venir t'assoir avec mes amis et moi. C'est une bande de cons, mais on s'y habitue avec le temps.

Jean se lève en s'étirant, souriant fièrement à sa proposition. M'assoir avec un groupe d'amis populaires... Depuis combien de temps n'ai-je pas passé du temps avec plus d'une personne à la fois? Cette idée est stressante, surtout en sachant que cette offre nait de la pitié. J'aime être un fantôme, mais sortir de ma solitude ne peut que m'être bénéfique.

Après avoir accepté l'offre de Jean, ce dernier me conduit jusqu'à la cafétéria qui est déjà bondée. C'est terrible comme les gens parlent fort. Je n'ai jamais compris ceux qui s'amusent à crier et courir comme des idiots sans se soucier des autres. C'est un profond manque de respect envers les adeptes de la tranquillité.

Le garçon s'arrête près d'une table où sont assis au moins dix garçons et cinq filles. Ils discutent tous ensemble, rigolant comme des amis de longue date. Ce sont les membres de l'équipe de baseball du lycée, les Titans. Même si je suis loin d'être un sportif, je les connais de nom. Il parait que le capitaine a un sale caractère et qu'ils sont reconnus pour organiser des fêtes qui frôlent la débauche. Participer à un projet X n'est pas une activité qui m'intéresse.

-Les gars, j'aimerais vous présenter quelqu'un, déclare Jean, voici Marco. C'est mon nouveau pote et il passera son temps avec nous.

-Mec, t'es encore plus bizarre que le pensais, soupire un brun que je reconnais comme Eren Jager avant de recommencer à manger.

Mes joues tournent au rouge, gêné par cette présentation ridicule. Qui a dit que je vais passer mon temps avec eux? Si ça se trouve, ils ne voudront pas que je m'incruste... Eren Jager est un garçon dans mes classes qui aime se trouver drôle. Si quelqu'un rend la vie des enseignants difficile, c'est bien lui avec ses grands yeux émeraude et son beau visage. Il est séduisant et il le sait.

-Joli, le t-shirt, affirme avec ironie un autre garçon, tu empruntes souvent les vêtements de ton petit frère?

Mon sourire s'efface à ce commentaire, blessé que l'on se moque une fois de plus de mon style vestimentaire. Celui qui a parlé est une deuxième année. Pas très beau avec des cheveux blonds moutonneux et des rouflaquettes, ses yeux marron et son sourire sentent l'arrogance à plein nez. Je regrette soudainement d'avoir accepté de suivre Jean...

-Ta gueule, connard, crache mon « ami » forcé, je viens tout juste de frapper un mec et je peux très bien recommencer si tu connus!... Quand mes jointures ne feront plus mal!

-C'est bon, je me rends, répond avec amusement le blond qui lève les mains en signe de soumission, j'ai une grande gueule, mais je ne suis pas méchant. Ravis de te rencontrer, Marco. Moi, c'est Thomas.

Je le salue d'un signe de tête, toujours pas convaincu que ce garçon soit gentil. Jean prend place sur une chaise et après hésitation, je m'assois à côté de lui. C'est gênant de s'incruster dans une aussi grande bande d'amis, mais l'avantage, c'est que les gens me portent moins d'attention. Certains se présentent à moi, mais d'autres, comme le capitaine Erwin, se contentent de m'ignorer.

-Dis Marco, tu vas rejoindre l'équipe? s'enquiert un garçon de mon âge nommé Armin.

Ce dernier est une première année aux longs cheveux blonds coupés au bol et aux grands yeux couleur ciel. Je l'ai déjà vu quelques fois avec Eren, mais jamais je n'ai eu l'occasion de lui adresser la parole. Avec un visage angélique aux traits délicats, ce garçon est très petit et à première vue, des gens pourraient le prendre pour une fille. 

-Moi? m'étonnai-je, non, je ne suis pas vraiment sportif...

-Ce n'est pas grave, il nous manque justement un receveur! C'est un rôle plutôt facile. Tout ce que tu as à faire, c'est de lancer les balles ratées au lanceur et d'attraper les fausses balles qui viennent vers toi. Il faut aussi que tu sois prêt à éliminer des joueurs lorsqu'ils reviennent au marbre.

Armin sourit en m'expliquant le rôle, mais je ne suis pas convaincu. Le sport n'a jamais été mon talent, surtout au primaire où j'avais un petit problème de poids. Mon ventre rebondi n'était pas un atout, mais au moins, les autres élèves me supportaient puisque j'étais leur ami. Heureusement que mon gras a fondu pendant ma poussée de croissance.

-Il veut être receveur? se mêle un grand blond musclé nommé Reiner, il nous en manque justement un! Erwin, tu l'acceptes dans l'équipe?

-Ce n'est pas comme si des candidats se battaient pour ce poste, répond le capitaine avec ennui, il est accepté dans l'équipe.

-C'est génial! s'exclame Jean, ne t'en fais pas Marco, je vais tout t'apprendre du baseball.

La bouche ouverte, j'écoute les joueurs commenter mon arrivée dans l'équipe. Ai-je mon mot à dire? Leur entrain m'empêche de m'exprimer, m'obligeant à rester un simple spectateur face à mon triste sort. Me voilà fait comme un rat...