CASSANDRE

En rejoignant le salon, Carmen et moi remarquons rapidement qu'un cercle s'est formé. Damian crie à qui veut l'entendre qu'une partie de « je n'ai jamais » est sur le point de commencer. Un principe on ne peut plus simple : une proposition est donneé, tous ceux qui l'ont fait boivent, les autres s'abstiennent.

Ma pote me donne une coup de coude, puis me glisse :

— Ça c'est un signe.

— Tu veux vraiment jouer à ça ?

— Et comment ! Ce jeu fout la merde partout où il passe et moi j'adore les dramas. On était faits pour s'entendre !

Tandis que je secoue la tête, Carmen glisse son bras sous le mien puis m'attire à sa suite pour nous affaler comme un seul homme dans le dernier fauteuil libre. L'alcool m'anesthésiant de plus en plus, je galère à garder l'équilibre. Il me semble même que la pièce tangue par moment, mais je cligne des yeux pour reprendre le contrôle.

— Faut que j'arrête d'aller au Domac tous les dimanches soirs, je prends toute la place, grogne-t-elle en gigotant pour trouver une position confortable.

— T'exagère !

— Bon les miss mondes, quand vous aurez fini de parler chiffon on pourra peut-être lancer le jeu ? nous dit Damian galvanisé par le cocktail.

Avec sa tête de pseudo Bad Boy au crâne rasé et au sourcil fendu en deux endroits, il pourrait avoir l'air menaçant si je ne le connaissais pas mieux. Ce n'est pas un mauvais garçon, il est même plutôt discret d'une manière générale quoique tranché dans ses opinions. Je n'avais juste jamais remarqué à quel point il pouvait ouvrir sa bouche quand il était ivre.

— Vu ta motivation, t'as qu'à commencer ! rétorqué-je.

— Pas de problème !

Ses prunelles havanes me fixent avec défi. Autour de nous, quelques première année que je ne connais pas et dont le but de cette soirée est d'intégrer. Parmi les familiers, on retrouve notamment Rayane qui me fait les yeux doux et Axel qui prétend que je n'existe pas quand il a la flemme de me foudroyer du regard. Pour le reste, Elena, Terry, Jade, Britany et Nathan sont des gens que je côtoie régulièrement sans toutefois les considérer comme des amis. Des potes, à la limite.

C'est sûrement de ma faute : je laisse très peu de gens entrer dans ma vie. Instinct de survie.

— Je n'ai jamais sucé un prof dans local entretien du bâtiment principal un samedi matin pour avoir la moyenne à un partiel ! lâche Damian avec un rictus supérieur collé aux lèvres.

Abasourdi par cet intitulé si précis qu'il ne peut être que visé, je me tiens sur le qui-vive. Jade attrape son gobelet sur la table basse pour en boire une gorgée.

— T'as fais ça ? s'étonne Elena.

— Sois pas choquée ! Je sais que t'es un peu prude sur les bord, mais je n'allais pas foirer mon semestre alors que je pouvais le sauver. En plus, j'ai joint l'utile à l'agréable : M. Stratford est canon.

Le plus jeune prof de Princeton a fait tourner des têtes en arrivant sur le campus. Toutefois, je n'aurais jamais cru qu'il aurait couché avec une élève.

— Je suis pas prude, se défend Elena. Je me respecte, c'est tout.

— Ah parce qu'utiliser son corps comme on l'entend ce n'est pas se respecter ? contré-je du tac-au-tac.

L'attention converge dans ma direction de manière uniforme avec une surprise palpable.

— Ravi de te l'entendre dire, Cassandra ! raille Axel. L'espace d'un instant, j'ai cru que tu avais une dent contre les « gros baiseurs ». Mais ça concerne peut-être juste les mecs...

— Toi la ferme ! Me fais pas passer pour une nana sexiste. Et je m'appelle Cassandre !

— Faut assumer quand on parle trop vite.

Piquée, j'ai envie d'exploser mais je trouve la force en moi de me contenir en dépit de l'alcool qui me brûle les veines. Le pire, c'est qu'Axel a raison et je le sais. Je l'ai jugé trop vite. En voulant lui envoyer un scud en bonne et due forme, j'ai dit le premier truc qui me passait par le tête. Même si ce type est détestable et désagréable au plus haut point, il faut reconnaître qu'il a un physique plus qu'avantageux. Si je pousse l'honnêteté à son paroxysme, je me dois d'admettre que j'en ai rarement croisé d'aussi beau que lui. Sur le campus, il éclipse tous les autres sans fournir le moindre effort.

Et comme ce n'est pas le respect qui l'étouffe, je me suis dit qu'il n'y avait qu'un pas pour qu'il soit aussi un Don Juan en carton qui enchaîne les conquêtes. Visiblement, je me suis gourée. Ça m'apprendra à juger les gens sur des clichés.

Pour la peine, je descends la moitié de mon verre, m'enfonçant un peu plus dans un état second. Mes inhibitions ne sont qu'un souvenir. J'ai l'impression de n'avoir plus aucun frein, aucune chaîne.

— Bon à moi ! s'empresse de dire Carmen pour éviter que l'ambiance vole totalement en éclats. Je n'ai jamais été attiré par une personne qui participe à ce jeu.

Quand ma main se referme autour de mon gobelet pour en vider ce qui reste, je réalise que j'aurais peut-être eu mieux fait de boire de l'eau. Si Nathan et Jade m'imitent, je remarque surtout qu'Axel ne me lâche pas de son regard corrosive qui me brûle la peau.

Alors que je me tiens prête à ce qu'il m'envoie un nouveau missile dans la gueule, il saisit son propre gobelet pour boire une gorgée.

Mon cœur s'arrête.

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