CHAPITRE 9

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AXEL


Mes Dr. Martens bousculent les feuilles humides sur leur passage. Mon pas est lourd et s'enfonce dans la terre meuble. Les arbres sont si nombreux autour de moi que je me sens oppressé, comme à chaque fois que je viens ici. Je n'aime pas les espaces restreints. J'ai beau évoluer en pleine nature, le manque de visibilité de la nuit combinée au surnombre d'éléments ne me plaît pas. De toute manière, je ne suis pas ici pour le plaisir. Le devoir m'appelle. Ma mission de vie exige de moi discipline et rigueur.

Ma cape frôle l'herbe sauvage alors que je me baisse et veille à ne pas me tordre une cheville. Les racines se multiplient à mesure que j'approche du point de ralliement. Même si quelqu'un cherchait ce lieu, personne ne le trouverait. La végétation suffit à dissuader d'emprunter ce chemin qui s'éloigne des sentiers battus.

À l'approche de la clairière réduite, je m'arrête pour ajuster mon masque sur mon nez. Mon reflet est gravé dans ma tête. Avant de partir, je m'observe toujours dans une glace, sans pouvoir me détacher de l'impression de ressembler à Zorro. Le personnage incarné par Guy Williams dans la vieille série m'a longtemps donné de la force pour continuer d'avancer dans le chaos de mon existence.

Aujourd'hui encore, il m'en confère. Par d'autres biais, peut-être. Je n'ai plus visionné cette série depuis quelques années, pour marquer une coupure avec ma jeunesse. Pour accepter d'être entré dans l'âge adulte. J'ai eu besoin d'une cassure nette pour devenir un autre mais la vérité c'est que je suis toujours moi, peu importe mes choix et mes actions. On ne fuit pas sa nature profonde. Elle nous rattrape quoi qu'il advienne.

Soudain, une voix profonde déchire le silence de cette nuit d'encre.

— Mes frères : avancez !

Je fais un pas pour entrer dans la clairière. À des espaces réguliers, des silhouettes similaires à la mienne ont effectué le même mouvement. Elles sont toutes encapuchonnées et portent un masque. Je ne le vois pas vraiment, les nuages épais qui parsèment le firmament m'en empêchent. Mais je le sais. Nous nous réunissons régulièrement ici. Les yeux fermés, je serai capable de tout décrire avec une précision létale.

— Indigo : avancez !

L'un de mes frères avance d'un nouveau pas.

— Ocre : avancez !

La même manœuvre se répète encore deux fois supplémentaire, exigeant de Pourpre et Chrome qu'ils agissent de manière similaire. Vient alors mon tour.

— Obsidienne : avancez !

Ma chaussure s'enfonce un peu plus loin que prévu dans la terre meuble qui se scinde sous ma semelle. Au centre de la clairière se trouve une stèle près de laquelle se tient le Guide. Il incarne la cristallisation de cinq nuances que nous représentons au sein de la confrérie. C'est lui qui nous remet nos missions, nous convoque et définit notre trajectoire.

Mon rôle est de servir. Ni plus, ni moins. Axel n'existe pas vraiment dans ce lieu hors du temps. Je ne suis rien d'autre qu'Obsidienne, l'un des cinq tueurs à gage de la confrérie des nuances. Ma volonté et mes peurs se désincarnent lorsque ma capuche s'abat sur ma tête et que mon masque glisse sur mon nez.

— Mes frères, bienvenue au conseil des nuances. Chacun de vous a rempli sa dernière mission avec brio, il est temps de désigner votre nouvelle cible.

Un croassement retentit au cœur de la forêt, provoquant une nuée de frissons qui me couvre les bras de chair de poule. L'odeur de l'herbe mouillée qui ploie sous la brise flotte sous mes narines. La bruine tempère les ardeurs de mon front brûlant. Une goutte ruisselle le long de mon nez, y pend quelques secondes puis se meure sur mes lèvres.

Le Guide embrase l'intérieur d'un chaudron posé sur la stèle. Les flammes s'élèvent vaillamment en dépit de l'humidité. Il murmure plusieurs paroles en latin que je n'écoute pas. Mon esprit divague dans des contrées lointaines. Je repense à une partie de ma vie où j'ai connu une paix partielle, une paix que je ne retrouverai jamais.

Mes objectifs de vie ont été balayés, bouleversés, altérés. La trajectoire de mon existence s'est tordue comme un arc électrique dans un ciel tourmenté. Mon destin est un orage imprévisible qui menace de laisser exploser son courroux à tout moment.

Le cœur gros, la respiration pesante, je relève la tête lorsqu'on m'appelle pour la seconde fois.

— Obsidienne : approchez !

Mes pas me guident d'eux-même vers le Guide. Je pose un genou à terre, lui témoignant mon respect et ma loyauté à travers cette révérence. Il pose sa main sur mon front, laissant entrer un fragment du passé. Mon père m'embrassant au même endroit, avec la chaleur d'un parent prêt à tout pour aimer et protéger son enfant. Un baiser au parfum de serment. Un « je serai toujours là pour toi » murmuré par la peau, par l'esprit.

Les promesses n'engagent que ceux qui y croient. Et j'ai été suffisamment naïf pour entrer dans cette catégorie.

Une fois debout devant la flamme vacillante qui brûle dans le chaudron, je focalise mes pensées.

— Paume !

J'obéis en offrant ma main droite. Le Guide la saisit fermement puis enfonce la lame d'un cran d'arrêt effilé sur la longueur de la ligne centrale. Une pensée stupide me vient en tête alors qu'un liquide écarlate et chaud s'échappe de la plaie ouverte. Je me demande ce qu'est censée représenter cette marque. Il en existe trois sur les paumes de chaque être humain. Une pour l'argent, une pour la santé... À moins que tout cela ne soit que des conneries que j'ai entendues à droite à gauche.

J'élève ma paume au-dessus du feu. Mon sang agite la source de chaleur en proie à une frénésie incontrôlable.

Occidere, murmuré-je.

Le Guide me tend un bout de tissu pour la plaie ainsi qu'une enveloppe que je range dans la poche intérieure de ma cape. Celle-ci contient l'identité de ma prochaine cible ainsi que la raison pour laquelle elle doit perdre la vie. Je rebrousse chemin pour me placer à l'orée de la clairière où je suis arrivé puis je me retourne. Nous nous observons tous les six dans l'obscurité de cette nuit d'encre.

Parfois, je me demande qui sont ces personnes avec lesquelles je partage une intimité à laquelle personne d'autre n'aura jamais droit. Notre secret exsude le danger. Pour nous protéger, nous n'avons pas le droit de savoir qui sont les autres tout comme ils ne peuvent pas connaître mon identité. Cette précaution catalyse ma survie comme ma solitude. Au fond, ce n'est pas grave.

Les âmes brisées comme la mienne ne peuvent exister que dans la réclusion.


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INSTAGRAM : @kentinjarno

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