— Allô ?

— Salut, c'est moi. Je te dérange pas ?

Louna se redresse et remplace son plaid par sa couette. La voix de Noé sonne toujours plus rauque au téléphone.

— Non non t'inquiète.

— Il est un peu tard désolé, j'étais en train de bosser ma philo. Les dissert' c'est pas toujours facile, raconte-t-il en soupirant.

La brune devine son sourire fatigué à l'autre bout du fil. Un petit blanc s'installe, elle ne sait pas trop quoi lui dire.

— Tu voulais me dire un truc ? demande-t-elle finalement.

Nouveau silence.

— Je sais pas. J'avais juste envie de te parler, avoue-t-il à l'autre bout du fil.

Louna calme son cœur au plus vite. Elle sent la bulle se former contre son gré. La douceur de sa voix l'étonne. Elle oublie tout ce qu'il y a autour d'elle à cet instant précis.

— T'avais pas l'air bien tout à l'heure, remarque-t-il cependant.

Elle sourit sans faire exprès. C'est plus fort qu'elle. Et ça s'entend quand elle lui répond que « ça va ».

S'en suit une discussion sur le conservatoire, les cours dans leurs lycées respectifs, les parents divorcés de Noé et le papa absent de Lou. Parfois, elle ne peut s'empêcher de rigoler et sur le moment, elle oublie complètement qu'elle est en train de tomber amoureuse de lui. Elle l'oublie souvent d'ailleurs.

— Rose est un peu jalouse de toi sinon, elle voudrait que je m'éloigne un peu, lance soudain Noé.

— Ah.

Elle ne sait pas trop quoi lui répondre. Elle est jalouse de Rose pour le coup, elle aussi.

— Tu devrais pas m'appeler dans ce cas, rappelle-t-elle légèrement tracassée.

Un sentiment de culpabilité plane soudainement dans sa chambre. Même si elle adore Noé, elle tient beaucoup à Rose. Elles sont tout le temps collées en cours, et même si ce n'est pas sa meilleure amie dans la bande, elle n'a pas envie de blesser son amie. Louna ne fait rien de mal, mais elle sent que c'est ambigu au fond d'elle. Et c'est ça qui l'effraie plus que tout.

— T'es une des personnes qui me connaît le mieux ces derniers temps. Je peux pas arrêter d'être proche de toi comme ça. Fin, je trouve pas ça envisageable en tout cas.

Louna ne sait pas si ce sont ses mots ou la couette qui lui font cet effet, mais elle a chaud. Elle sent son corps brûler d'affection. Elle est touchée parce qu'il est adorable, surtout que le ton qu'il a pris ne relève pas de la drague ou de la simple politesse. Il le pense sincèrement et c'est pour ça qu'il le dit. Et c'est aussi exactement pour ces raisons que c'est aussi troublant que triste. 

— Ma mère m'appelle du salon. Ça prend deux secondes, tu m'attends ? interroge-t-il d'une voix assurée.

L'attendre ? Là, tout de suite ? Elle a l'impression qu'il y a un double-sens rien que pour elle-même. C'est dérisoire comme situation. Il ne sait même pas qu'elle retient ce qu'il lui dit. Et au fond, elle a envie de l'attendre, parce qu'il vient de le lui demander et qu'elle se sent légère d'être une bonne compagnie.

— Oui, fais vite.

Elle attend en silence son retour. Il est déjà minuit. Lou' regarde par la fenêtre, réalise à quel point c'est naturel pour elle de discuter avec Noé. Elle n'a même pas à compter ses sourires. Ses sourires débordent encore au coin de ses lèvres.

— Je suis là !

Et la discussion reprend. Une heure file, ils débattent sur les maisons Harry Potter, font des tests en ligne ensemble, partagent leurs doutes sur l'avenir. Puis, tout d'un coup, Lou' avoue qu'elle se sent un peu vide ces temps-ci.

— Pourquoi ? demande-t-il.

— Je crois que j'arrive pas à encore cerner ma raison de vivre.

C'est tout bête comme réponse, mais Louna ne sait vraiment pas quel sens a sa vie. Elle se sent dépassée par moment. Mais là tout de suite, comme c'est rare, elle chérit l'instant qu'elle vit.

— C'est normal Lou', personne ne sait vraiment. On sait qu'on vit, qu'on aime ça à la limite, mais comment se sentir vivant tout le temps... ça c'est un peu le mystère de notre vie, non ? chuchote-t-il tout bas.

Sa voix l'apaise. Elle se sent un peu moins vide à chaque fois qu'il la rassure. C'est toujours plus encourageant quand il le dit. Toutes ses phrases ont une saveur différente en bouche.

— Et toi ? questionne-t-elle tout bas, en espérant qu'il ne réponse pas « Rose ».

Silence.

— Aucune idée non plus.

Alors, Louna se sent moins seule. Puis, il baille et elle aussi. Ils se laissent, mais la brune sourit encore deux minutes après l'appel. Elle éteint la lumière, réalise qu'elle n'arrive pas à calmer ses rêveries. C'est toujours aussi adorable de lui parler, de se sentir particulière dans une certaine mesure, de ressentir cette tendresse mutuelle. C'est tout doux. Lou' sait que le lendemain, elle n'aura plus ce pic d'euphorie mais une profonde mélancolie. Toutefois, elle profite de l'instant. Et c'est toujours ça le souci. C'est là qu'elle n'oublie plus de l'aimer, qu'elle tombe amoureuse de lui. Louna a l'impression de vivre, de sentir une chaleur au creux de son coeur. 

C'est bête... De l'extérieur Lou' n'attend plus rien de lui, mais Noé arrive toujours à dépasser ce à quoi elle s'attend secrètement. Et c'est ça le plus évident et difficile à vivre avec lui.