DIMANCHE 4 / 11 HEURES 20

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Officiellement, la chasse aux œufs était organisée pour Clothaire, mais Louis s'amusait autant, si ce n'est plus que son neveu. Il le baladait à travers le jardin, lui tenant les bras en l'air pour l'aider à garder l'équilibre. Clothaire n'avait pas un an et ne marchait pas, mais si on le soutenait, il gambadait avec fougue, son corps dansant comme un roseau au vent. Quand Louis lui montrait un emballage coloré caché dans un massif de fleurs, Clothaire s'élançait, Louis avait presque du mal à suivre. Clothaire lâchait la main de son oncle, ramassait le chocolat et le lui tendait. Louis mettait un œuf sur deux dans le panier pendu à son bras, et mangeait l'autre moitié. Les poches de son pantalon débordaient d'aluminium irisé.

Ninon dormait encore, elle s'était endormie au lever du jour. Louis préférait qu'elle se repose, mais si elle ne se réveillait pas dans l'heure, il n'y aurait plus un seul chocolat à partager avec elle. Clothaire fatiguait, il pinaillait. Ils n'avaient balayé que la moitié du jardin quand Louis mit fin à la torture du bambin. Le prenant dans ses bras, il revint à la terrasse, où une surprise l'attendait. Ninon s'était levée, assise sur les planches de bois, elle les regardait, son café à ses côtés. Le soleil dans les yeux, elle plissait les paupières pour mieux les voir. Louis se planta devant elle.

― Coucou toi.

Elle avait des cernes bleus et les cheveux arrangés en un chignon aléatoire. Cette fois, elle n'avait pas pris la peine de s'apprêter avant de sortir. Personne ne lui en voudrait. Clothaire se débattait dans les bras de Louis, il posa son neveu à terre. Sitôt, l'enfant piocha dans le panier d'œufs et en attrapa un petit. Il rampa jusqu'à Ninon pour le lui tendre.

― Oh, c'est pour moi ? Merci !

Clothaire babilla de joie quand elle accepta son offrande, et s'élança à quatre pattes dans la pelouse. Soudain, il n'était plus fatigué, il avait juste cherché à se débarrasser de son oncle encombrant. Ninon mangea le chocolat en guise de petit-déjeuner, Louis s'accroupit à sa hauteur.

― Tu as bien dormi ?

― J'ai dormi, c'est déjà ça.

Les regards s'accrochèrent, et Louis s'humecta les lèvres. Instinctivement, il attrapa son menton et l'embrassa. D'un vrai baiser, d'un baiser amoureux, le genre qui transmettait les mots que l'on osait pas dire. Leur respiration en harmonie, ils s'embrassèrent de longues secondes pour rattraper toutes celles manquées depuis leur arrivée. Il existait de ces baisers qui signifiaient : « Bonjour, je t'aime ». Celui sur la terrasse, le matin de Pâques, en fut partie.

Quand ils se séparèrent, ils se sourirent. La dispute de la veille s'était évanouie sur leurs lèvres.

Louis s'assit sur l'escalier de la terrasse, un cran au-dessous de Ninon et lui piqua une gorgée de café. Son estomac gargouillait, il était debout depuis 8 heures du matin et n'avait rien mangé d'autre que des chocolats trop sucrés. Le déjeuner lui paraissait encore loin, il piqua un autre œuf, l'œil sur Clothaire. Le petit faisait des tours de jardin dans l'herbe, son jean était vert au lieu du bleu usuel.

Quand Ninon zyeuta le panier, elle s'étonna :

― C'est tout ce qu'il y a ?

― On n'a fait que la moitié du jardin, expliqua Louis.

Ninon plissa les yeux, suspicieuse. Sans prévenir, elle faufila sa main dans les poches du pantalon de Louis. Le jeune homme protesta :

― Eh ! Oh ! Agression, au secours !

Ninon sortit des douzaines d'emballages vides. Leur couleur métallique luisait au soleil.

― La moitié du jardin... Mon œil, la moitié dans ton ventre !

― La moitié de la moitié dans mon ventre, corrigea Louis. Il y en a plein d'autres cachés, je te jure. En plus, on n'a pas trouvé le maxi Kinder Surprise.

D'un coup, Ninon se leva, laissant son café derrière elle. Elle était pieds nus dans l'herbe. Alors qu'elle s'éloignait, Louis cria :

― Qu'est-ce que tu fais ?

Ninon fit volte-face d'un mouvement gracile, son gilet ouvert tournoya au vent.

― Je vais chercher le maxi Kinder Surprise. Celui qui le trouve a le droit de tout manger.

Louis avait le sens de la compétition et besoin de s'amuser. Il s'élança dans les pas de sa petite amie, décidé à lui mettre la raclée de sa vie. Il manqua de trébucher sur son neveu.

― Oh, pardon Clothaire.

Mais le bébé n'en avait que faire, ce qu'il voulait, c'était explorer le jardin et salir son pantalon. Clémentine vint l'arracher à son bonheur au moment où il jubilait. Clothaire quitta le jardin en pleurant, laissant derrière lui les petits plaisirs de la vie et un maxi Kinder Surprise à dénicher.


Louis jouait son honneur. Il fallait comprendre l'enjeu : il chassait les œufs depuis vingt-deux ans dans ce même jardin. Il en connaissait les moindres recoins et les cachettes insolites. Par exemple, il y avait une amphore grecque qui décorait le pied du massif d'agapanthes. Son père poussait le vice chaque année, cachant les œufs plus profond au fur et à mesure que le bras de Louis grandissait. Quand Louis avait dépassé son père et que l'amphore n'avait plus été d'aucun défi, il avait abandonné l'idée. Un matin de Pâques, il avait dû grimper sur la serre de la piscine pour trouver des Schockobon. Il pleuvait à verse, la tôle était glissante et son père refusait de l'aider à transporter l'échelle. Louis s'était débrouillé seul pendant que ses parents se disputaient : « T'es allé trop loin, cette fois-ci ! » reprochait sa mère à son père.

Alors ouais, ce jardin, Pâques et Louis, c'était de bons vieux copains. Si quelqu'un devait trouver le maxi Kinder Surprise, c'était lui.

Ninon et lui investiguèrent les lieux tels des détectives. Ils soulevaient des branchages et écartaient des feuilles à vau-l'eau. Ils s'accroupissaient pour examiner les fourrés et se hissaient sur la pointe des pieds pour apercevoir les recoins cachés des arbres. Parfois, Louis repassait à l'endroit où Ninon avait cherché, deux minutes plus tôt. Elle le dévisageait, la langue entre les dents, un sourire orgueilleux sur les lèvres.

― Quoi ? faisait Louis en levant les mains. On sait jamais.

Ils trouvèrent bien des trésors, raflant la plupart des œufs que Clothaire avait laissé. Le panier, au milieu de la pelouse se remplissait lentement. Sur la terrasse, le reste de la famille leur jetait parfois des coups d'œil amusés, pendant qu'ils dressaient la table du déjeuner. Pendant qu'il cherchait près des azalées qui bordaient la terrasse, Louis entendit sa sœur demander à Maxence :

― Il y a un maxi Kinder Surprise au moins ?

― Oui, mais s'ils le trouvent...

Cette dernière phrase ne fit qu'allumer un peu plus le feu du challenge dans les yeux de Louis. Merde alors ! Il était où ce putain d'œuf ? Le soleil parut au zénith que le couple restait planté sur la pelouse, les mains vides. Ninon et Louis se retrouvèrent autour du panier, certains chocolats avaient ramolli à force d'être sous la chaleur d'avril. Ninon mit ses mains sur ses hanches.

― C'est fou. Il est pas si grand que ça, ton jardin...

Un sifflement les interpella. Les deux se retournèrent comme un seul homme. Maxence leur hurla :

― Vous savez, il y en a aussi devant.

Ninon et Louis se regardèrent une demi-seconde, une étincelle d'espoir dans le regard. Louis voulait prendre de l'avance, il poussa Ninon pour la faire tomber et gagner du temps. Elle cria, se rattrapa, et courut dans ses pas. Il fallait ouvrir un portillon qui faisait la jonction entre l'avant et l'arrière de la maison, Louis perdit son avance précieuse en se débattant avec la serrure rouillée. Un poids soudain sur le dos lui coupa la respiration, Ninon venait de lui sauter dessus dans un rire enfantin.

L'œuf dans son emballage rouge et blanc brilla au loin. Perché au creux d'un tronc d'arbre dont les branches formaient un Y. Il n'aurait pas pu être plus visible. Ninon s'étouffa dans un cri d'excitation.

Qu'à cela ne tienne ! Il bloqua ses jambes sur sa poitrine avec ses bras pour l'immobiliser. Si c'était lui qui mettait la main sur le maxi Kinder Surprise et pas Ninon, il avait toujours gagné.

― Je vais tomber, je vais tomber ! s'étrangla-t-elle.

Même compétitif, Louis restait galant. Il s'arrêta pour poser Ninon, et cette traîtresse profita de sa gentillesse pour lui planter un couteau dans le dos. À peine avait-elle mit pied à terre qu'elle lui fit un croche-patte. Louis s'écroula tête dans le gazon, l'herbe humide lui chatouilla le nez. En relevant le menton, il aperçut une Ninon cueillir l'œuf dans le tronc. Louis se tourna sur le dos dans un grognement. Pourtant, un sourire franc illuminait son visage.

Ninon, bonne joueuse, l'aida à se relever. Louis, en revanche mauvais perdant, lui fit une feinte. Il se redressa un peu, et au dernier moment, se rallongea. Ninon bascula avec lui. L'œuf roula dans la pelouse et y resta, car les chasseurs étaient tordus d'un fou rire à vous faire oublier le reste du monde.

Quand enfin, ils reprirent leurs respirations, Ninon lui souffla :

― Tu sais quoi ? J'aime même pas les Kinder.

Louis la dévisagea, il ne l'avait jamais autant aimé qu'à cet instant précis.


**


Le déjeuner ne s'éternisa pas, pour une fois, peut-être car leurs estomacs se souvenaient encore du banquet de la veille. Ils picorèrent des restes et se goinfrèrent de chocolats. Au café, Louis regarda sa montrer et déclara :

― Bon allez, c'est pas tout ça, mais on va pas tarder.

Ses mots secouèrent la famille d'une profonde surprise.

― Vous partez ? s'étonna sa mère. Je croyais que vous restiez jusqu'à demain !

Louis fronça les sourcils, il n'avait jamais prévu cela. Ninon se ratatina dans ses épaules et fronça le nez.

― Je... j'ai oublié de t'en parler.

― Vous n'allez pas partir maintenant, il va y avoir du monde sur les routes, tenta de le convaincre sa mère.

Mais son choix à lui était décidé. Il leur fallait rentrer.

― Non, non ! On va y aller. C'est gentil, mais on va y aller. Ninon dort mal ici.

Elle acquiesça, désolée. Louis ne savait pas s'il fallait parler du décès à ses parents. Louis ne savait pas s'il fallait reparler du décès à Ninon tout court. Il préféra faire l'autruche pour éviter de remettre de l'huile sur le feu. Finalement, chacun concéda à ce qu'ils partent, et Louis tira une certaine fierté à avoir eu le dernier mot. Voyez, pensa-t-il, je ne suis pas un gamin, je peux prendre des décisions et les tenir.

Ils bouclèrent leurs valises et sacs, les chargèrent et prirent la route en début d'après-midi, sous le même soleil radieux qui les avait accompagnés toute la semaine. Avant de partir, la famille resta dans l'allée pour les voir partir. Le moteur était en route quand la mère de Louis se pencha par la fenêtre ouverte du côté passager. Elle glissa à Ninon :

― Prends soin de toi, ma belle, et appelle-nous si tu as le moindre problème.

Louis tiqua. Déjà, les adieux s'étaient fait interminables et sa mère avait plus embrassé Ninon que lui. Louis se refusait à s'avouer jaloux, mais... il l'était. Il avait surtout la désagréable impression que sa mère était dans la confidence du décès de celle de Ninon, et même qu'elle l'avait été bien avant lui. Enfin, les pneus crissèrent sur le goudron, le portail se referma derrière eux. Ils rentraient à la maison.


Ninon s'endormit sur l'autoroute, Louis roula seul, méditant. Comme si elle avait une alarme intérieure, sa petite amie se réveilla juste avant d'arriver en ville. Louis passa la sortie sur le périphérique, Ninon se retourna sur son siège, sans rien dire. Elle dut penser qu'il se rattraperait à la prochaine, mais Louis fila droit à nouveau. Les traits de Ninon se tordirent de panique, elle risque un prudent :

― Euh... Louis, je crois que tu t'es trompé.

Il lui assura :

― Non, non.

Plus ils roulaient et doublaient des voitures, plus ils s'éloignaient du centre-ville. Au-dessus d'eux, les panneaux bleus leur donnaient les noms des grandes villes vers lesquelles ils se dirigeaient. On annonça une section à péage imminente. Louis crut que Ninon comprendrait plus vite. Quand tout s'emboîta dans son esprit, sa petite amie se révolta :

― Louis, tu vas où ? Fais demi-tour. Tu vas où ? Tu m'emmènes où ?

Mais Louis l'ignora, il monta le son de la radio à la place.

C'était la famille, on n'abandonnait pas sa famille.

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