SAMEDI 3 / 22 HEURES 30

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Ninon ne pleurait pas. Elle n'avait pas versé une seule larme. On l'avait plongée dans l'eau et de toutes les gouttes sur son corps, aucune n'avait coulé de ses yeux. Ninon ne sanglotait pas. Putain ! Ninon avait perdu sa mère et elle ne pleurait pas.

Louis n'en revenait pas. Il n'y croyait même pas au début. Il avait pensé qu'elle se foutait de lui, qu'elle lui faisait un poisson d'avril en retard. Sinon, pourquoi aurait-elle attendu presque vingt-quatre heures avant de lui avouer la vérité ? Cela dit, ça expliquait son comportement étrange et la frayeur qu'elle lui avait fait dans la piscine... Il ne s'en remettait pas, quand même. La mère de Ninon était décédée et elle n'avait pas eu un seul pleur.

La famille avait déguerpi avant le couvre-feu, bien des heures plus tôt. Louis n'avait pas encore trouvé le courage de discuter avec Ninon. Elle ne venait pas le chercher non plus. C'était comme si elle s'en moquait. Sa mère était morte et elle n'en avait rien à faire.

Il vint la trouver dans la chambre, elle lisait un livre couchée dans les draps.

― Je te dérange ?

― Non, répondit Ninon en posant son bouquin. L'histoire est nulle.

Louis s'assit sur le matelas et la regarda dans les yeux, de manière à lui montrer qu'il la voyait.

― Ninon...

― Ça va, Louis. Promis.

D'où lui venait sa sérénité ? La situation était irréelle.

― Ninon, ta mère est morte.

― Je le savais, expliqua-t-elle avec stoïcisme. Enfin, j'y étais préparée. Elle était hospitalisée depuis trois semaines. Elle a choppé le virus, et avec tous ses antécédents, c'était obligé qu'elle n'y survive pas. Elle ne voulait pas être vaccinée, elle penserait qu'elle passerait entre les mailles du filets en mangeant des carottes.

Louis ne gobait pas un seul instant son discours relativiste. Personne, personne ne pouvait être si détachée par la mort d'un parent. Lui serait anéanti.

― Depuis trois semaines ? Mais... pou-pourquoi tu n'as rien dit ? J'étais là, pendant ces trois semaines avec toi.

Ninon haussa les épaules.

― T'avais la fac, tout ça. Je voulais pas t'emmerder.

L'excuse était aberrante tant elle était hors de propos. Louis avait envie de s'énerver, car Ninon paraissant si à côté de la plaque que seule une bonne engueulade l'y remettrait au milieu. Il se contint, on ne criait pas sur sa petite amie, encore moins quand elle venait de perdre sa mère.

― Je sais que je dis souvent que j'ai pas de cerveau, mais figure-toi que la plupart du temps, j'ai au moins deux neurones qui fonctionnent en même temps. Je peux gérer la fac et Ninon.

Elle esquissa un sourire complaisant. Louis ne reconnaissait pas sa copine – ou bien, la reconnaissait-il parfaitement et était effrayé par sa froideur.

― C'est bon, t'inquiète, balaya Ninon.

― Au moins, je suis là, maintenant. Si tu veux, on prendra ma voiture pour aller à l'enterrement.

Des souvenirs de leurs discussions, la famille Ninon habitait de l'autre côté de la région. Il fallait partir vers l'ouest, c'était plusieurs heures de route et braver des mesures de confinements resserrées mais Louis n'en avait que faire. Ninon lui fit une confession qui lui glaça le sang.

― Je ne pense pas que j'irai à l'enterrement.

Louis manqua de s'étrangler. Là, il allait vraiment l'engueuler...

― T'es sérieuse ?

― Louis, tu réalises pas à quel point ma mère a été la pire des mères du monde. Et je le réalisais pas non plus jusqu'au moment où j'ai rencontré la tienne. J'ai toujours tout fait pour ma mère, je lui ai tout donné et ça m'a bousillée. C'est à cause d'elle que... que j'ai tout ça, tous ces trucs de merde. Les TOCs, l'anxiété, la peur de l'engagement, ma relation foireuse avec mon corps... J'ai passé mon adolescence à chercher à lui plaire. Aujourd'hui, elle est partie et j'ai pas envie qu'on croit que je la regrette. C'était une sale personne, elle ne mérite pas que j'aille lui dire au revoir.

La peau de Louis se hérissa à ses mots acerbes. Il n'avait jamais pensé que Ninon avait de la haine en elle. De la colère, de la tristesse, du cynisme, oui, Ninon était loin d'être la personne la plus joyeuse de l'univers. Mais il s'en accommodait, il l'aimait ainsi, car il savait que derrière la carapace, se trouvait un trésor de gentillesse, qui ne demandait qu'à être aimé et aimer en retour.

Jamais, jamais, n'avait-il cru en sa méchanceté. Jamais jusqu'à maintenant.

― Ninon, tu peux pas dire ça. C'est... c'est ta maman. C'est la famille, c'est... elle t'a mis au monde.

De nouveau, Ninon haussa les épaules. Son geste indolent avait des relents d'insolence.

― La famille, ce sont les liens que l'on choisit.

Louis restait bouche bée. Les mots ne lui venaient plus. Il n'était pas d'accord, il était plus que pas d'accord, il était parfaitement outrée. Ninon lui faisait un affront moral. Comme ça elle s'en fichait de ses proches ? Et si lui mourait demain, allait-elle sauter son enterrement aussi ? Voyant son air interloqué, Ninon tenta de la rassurer. Elle attrapa son tee-shirt pour l'attirer à elle.

― C'est bon, Louis, répéta-t-elle. T'en occupe pas. J'aurais jamais dû te le dire.

― T-T'aurais... bégaya-t-il. Quoi ? Mais bien sûr que si, t'aurais dû me le dire. Merde, Ninon, qu'est-ce qui tourne pas rond chez toi ?

Il se défit de son emprise et eut un mouvement de recul, les mains en l'air.

― Ne me touche pas.

Là, il planta Ninon dans la chambre. Il avait besoin d'être seul, puis, ce n'était pas comme si elle avait besoin de soutien. Sa mère avait clamsé et elle n'avait pas lâché une larme ! Mais quelle femme cruelle ! Louis avait besoin de prendre l'air.


Dans le salon, son père n'était pas couché. Assis à la table à manger, il surfait sur sa tablette, ses lunettes sur le bout du nez. Quand Louis apparut, son père le regarda par-dessus ses verres.

― Ah, Louis, tu tombes bien.

Il ne l'appelait Louis que dans les affaires d'une haute importance. Louis s'avança, posa ses mains sur le verre de la table pour mieux écouter. Il faisait semblant, son esprit turbinait à mille tours par secondes. Ninon, Ninon, Ninon... Connaissait-il vraiment Ninon ? Six mois de colocation, six mois de relation. Entre les deux, elle l'avait déjà laissé tomber une fois et déçu de nombreuses autres.

― J'ai regardé pour les études de psychologie.

Cette fille était une envoûteuse. Il s'en doutait depuis le début. Elle était calculatrice, elle ne servait que son propre intérêt et suivait la seule petite voix dans sa tête. Elle s'en moquait des autres, de sa mère, de son père, de son frère. Elle n'avait pas d'amis, merde, elle se payait peut-être sa tête à lui aussi !

― Bon, c'est sûr, tu repars pour au moins deux ans de Master. Je sais que tu en as marre des cours, mais il y a la possibilité de faire des stages. J'ai plein de contacts, je peux leur parler de toi.

Mais non, c'était le choc qui parlait. Ninon n'était pas cette fille que ses pensées affolées dépeignaient. C'était une personne douce et perdue. C'était avant tout une personne malchanceuse. Quand il repensait à toutes les merdes qu'elle avait traversées ! La culpabilité le saisissait par moments, quand il comparait sa vie à celle de sa petite amie. Ninon en chiait chaque jour de sa vie, tandis que lui, on lui offrait tout sur un plateau. Il fallait la comprendre, sa mère et son enfance était la source de la plupart de ses problèmes. Normal qu'elle lui en veuille.

― Ta fac a même un programme d'échange avec l'étranger, et devine quoi ? Ils ont des partenaires en Pologne. Ça te dirait pas ? D'aller chez ta babtia pendant six mois ?

La mère de Ninon était morte pendant la nuit. Ninon commençait à peine son deuil. Quelles en étaient les étapes, déjà ? Ils l'avaient vu et revu. Le choc, bien sûr, puis le déni. Bien sûr, Ninon n'encaissait pas cette mort abrupte. Louis avait manqué de compréhension et d'écoute. Le comble pour un étudiant en psychologie.

― Louis ?

― Mmh ? revint le garçon sur Terre.

― T'en dis quoi ?

Il n'avait rien écouté.

― Super, on fait comme ça.

― Parfait.

Content, son père le laissa tranquille, et même si Louis avait pu réfléchir pendant l'échange, il avait encore besoin de se vider la tête. Il s'installa sur la terrasse et épousa le jardin des yeux, bercé par les bruits blancs de la nuit.

Quand même... Ne pas vouloir se rendre à l'enterrement de sa mère, c'était fort. On ne pouvait pas détester quelqu'un au point de le déshonorer de la sorte. Sa mère qui l'avait fait naître de ses entrailles... Louis en mourrait si, une fois père, son enfant se montrait aussi ingrat. La minuscule part de chrétien en lui s'effarait.

Puis au milieu des ses outrages, persistait la trahison du secret. Ninon l'agaçait franchement à taire ses soucis. Qu'elle ne s'épanche pas sur ses séances avec la psy, il comprenait. Il imaginait ces heures éprouvantes et ne voulait pas lui faire revivre ces émotions intenses. Mais qu'elle lui cache l'hospitalisation de sa mère... Pourquoi Ninon ne lui parlait pas ? Ne lui faisait-elle pas confiance ? Ou bien, croyait-elle qu'il n'était pas assez mature pour la soutenir ? À tous les coups, c'était la raison tacite. Leurs différences d'âge, si minime, ne lui avait jamais paru un obstacle à leur relation, mais il voyait bien que Ninon ne l'envisageait pas pareil. Elle le prenait pour un gamin. Elle se disait que Louis n'avait pas les épaules pour les problèmes d'adultes.

Louis jouait avec son téléphone dans les mains. La colère grimpait de nouveau en lui. Il fallait l'évacuer, se distraire. Farfouillant dans ses contacts, il comptait à la base appeler Malik pour se changer les idées. Une mauvaise manipulation, et il se retrouva à la fin de son répertoire par erreur. Son cœur eut un raté quand il lut le prénom de Zia. Ça faisait une éternité qu'il n'avait pas eu de ses nouvelles. Ninon lui parlait, mais par respect pour leur ancienne relation, elle n'en disait rien à Louis.

Ce serait bien d'entendre Zia, elle saurait quoi dire et comment le dire pour l'apaiser. Le pouce de Louis flirta avec son numéro un peu trop longtemps pour quelqu'un qui aurait dû ne pas s'en faire. Il manqua d'appeler son ex-petite-amie, par rage et amertume. 

Au dernier moment, il verrouilla son téléphone. 

Non.

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