Chapitre 1 - La Lettre

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               Le soleil, haut dans le ciel, diffusait une agréable chaleur. Le mois de la Terre touchait à son terme et le mois du Feu prendrait bientôt sa suite, apportant l'étouffant vent du Sud et, avec lui, son lot de sécheresses.

Sur la route de terre battue qui reliait la ville aux fermes et habitations environnantes, un garde en armure légère allait d'un bon pas. Il avait laissé son cheval en ville et savourait la douceur de ce début de soirée, entouré par les champs de blé presque dorés de la campagne. Comparé aux écrasantes journées du Sud, cela constituait une fraîcheur bienvenue.

À mesure qu'il approchait de sa destination, la terre se métamorphosait en un chemin de cailloux roses. Tirés des parures des dalles utilisées pour paver la capitale, puis acheminés jusque dans les différents villages, ils recouvraient nombre des routes du pays.

La maison où le garde se rendait était la plus éloignée de la ville. Les champs, qui s'arrêtaient près d'une demie lieue en amont de la route, ne l'encerclaient pas encore et l'orée d'un bois dressait autour d'elle comme une enceinte végétale.

La demeure se profila au loin. Ses épais murs de pierres blondes soutenaient un toit de chaume, percé d'une cheminée. Une petite cour herbeuse aménagée sur l'avant accueillait un puits, et une étable se dressait un peu plus loin. Les cailloux s'arrêtaient au pas de la porte, un grand panneau de bois clair.

Arrivé à son seuil, le garde frappa trois coups.

— Bonsoir, accueillit une voix charmante, que nous vaut l'honneur ?

Une femme d'un peu moins d'une quarantaine d'années avait ouvert et se tenait sur le palier. Ses yeux d'un vert extraordinaire ne manquèrent pas de déstabiliser l'homme, qui retrouva presque aussitôt son professionnalisme.

— Une missive de la part de l'Académie, déclara-t-il en lui tendant une enveloppe de papier épais, cachetée du sceau de cire écarlate de la doyenne de l'établissement.

La femme s'en saisit et s'effaça sur le côté, dévoilant une pièce à vivre de taille modeste. Un parquet de couleur sombre recouvrait le sol et une solide table de chêne y prenait pied, décorée d'un vase rempli de fleurs des champs. Un buffet du même bois, surplombé par l'une des trois fenêtres de la pièce, habillait le mur du fond. Une cheminée, éteinte et ornée d'un portrait, gardait l'entrée de la cuisine.

— Puis-je vous offrir un verre d'eau ? s'enquit poliment la femme.

— Ne vous en faites pas, madame, j'ai ce qu'il faut, dit l'homme en tapotant la besace de cuir qu'il portait à l'épaule.

Il la salua d'un signe de tête et, sur un sourire, tira de son bagage une outre bien remplie. Comprenant que le garde ne voulait pas s'attarder, la belle paysanne lui rendit son sourire, accompagné d'un au revoir chaleureux. Elle referma la porte quand il fut reparti en direction de la ville.

Après s'être assise à la table, elle examina le pli et goûta le velouté du papier du bout des doigts. Le cachet de cire représentait un "A" en caractère d'imprimerie, niché au cœur de huit cercles entrelacés en une fine rosace. Cela faisait des années qu'elle n'avait pas vu ce symbole. Une lettre semblable lui avait été remise, près de seize ans auparavant, juste après la naissance de sa fille. Une boule se forma au creux de son estomac. Quand le garde s'était présenté au pas de sa porte, elle n'avait pas tout à fait voulu y croire. Pourtant, elle devait se rendre à l'évidence.

— Ellah, appela-t-elle, vient me voir, s'il te plaît.

Une jeune fille émergea d'une pièce voisine. Sa peau claire, plus claire que celle du commun des mortels, épousait un corps et un visage harmonieux, où brillaient les mêmes magnifiques yeux verts que sa mère. Ses cheveux, d'un blond cendré inhabituel pour la région, descendaient dans son dos en une longue tresse.

Ellah avança jusqu'à la table.

— Qu'y a-t-il ? J'étais en train de revoir mes runes...

— C'est pour toi.

D'un geste tranquille, la femme désigna l'enveloppe posée sur la table. L'ombre qui voilait le fond de son regard démentait sa sérénité extérieure.

Ellah attrapa la lettre d'une main tremblante d'émotion, reconnaissant tout de suite le symbole de cire, rencontré à maintes occasions dans les livres. Elle attendait la nouvelle depuis des semaines !

Le plus délicatement possible, elle brisa le sceau et sortit la feuille de sa gangue de papier. Un son étrange s'échappa de sa gorge pendant sa lecture, qui s'acheva par un rire étranglé.

— Après toutes ces années, dit-elle d'une voix vacillante, c'est à mon tour d'emprunter le Convoi !

— Et oui, mais nous le savions bien... Tu te rends compte ! La première élémentale de la famille depuis des générations. Quelle fierté pour nous !

Malgré le ton enjoué de ces paroles, la peine que ressentait sa mère, Maril, était perceptible.

Depuis plus de mille cinq-cents ans, la vaste et puissante contrée d'Amanthia abritait en son sein des êtres hors du commun, doués du pouvoir de se servir des éléments comme ils leur plaisaient : les élémentals. Comme toute forme de magie, ce pouvoir apporta aussi son comptant d'inconvénients, et il fut décidé que chacun possédant le Don devait aller s'instruire auprès de maîtres. Il leur fallait apprendre à canaliser leurs capacités et trouver leur place dans la grande roue du monde. Un lieu fut bâti en cet honneur, sur les ruines de l'ancienne cité légendaire de Faelonn : l'Académie. Autour d'elle, la florissante capitale d'Amanthia se développa.

Cinq branches distinctes cohabitaient au sein des élémentals, chacune vouée à un élément : le Feu, l'Air, l'Eau, la Terre et, le plus rare de tous, l'Esprit. Quelques puissantes familles d'élémentals voyaient chaque génération fournir ses dignes héritiers à l'Académie, le Don se transmettant par le sang. Ils jouaient la plupart du temps un rôle essentiel au sein de la politique d'Amanthia.

D'autres familles, plus rares, mettaient au monde, de temps à autres, un enfant porteur du Don. Ellah appartenait à l'une d'elle. L'arrière-grand-père de sa grand-mère maternelle était le dernier élémental à l'avoir précédée. Le Don avait sauté quatre générations...

Tout cela, Ellah le savait par cœur. Elle pouvait se réciter des pages entières des livres lus à la lueur des bougies ou du petit matin, dans l'espoir d'être un jour la plus brillante élémentale de sa génération. Aussi, l'histoire de sa propre famille ne lui cachait aucun secret. Elle savait d'où elle venait et où elle voulait aller.

Devenue muette, Maril s'efforçait d'apaiser les battements de son cœur. Posés sur ses genoux, ses doigts tremblaient. Elle était fière, mais aussi remplie de mélancolie et de peur à l'idée de voir sa fille partir.

— Tu sais, maman, entama Ellah, qui avait perçu son trouble, papa et toi me préparez à cela depuis toujours. Tu ne dois pas t'en faire pour moi ! Vous avez fait de votre mieux.

La tentative de réconfort ne tira qu'un sourire songeur à la femme. Elle s'inquiétait pour sa fille, énormément. Elle posa la question qui la tourmentait le plus :

— Quand dois-tu t'en aller ?

— Il est écrit que l'Appel aura lieu sur la place dans une semaine, confessa Ellah en tendant la lettre à Maril.

En effet Calma, entrée il y avait une dizaine d'années dans la liste des points névralgiques du Nord-Est d'Amanthia, accueillait pour une journée l'une des deux caravanes qui amenaient les novices jusqu'à l'Académie, et ainsi la rituelle cérémonie de l'Appel.

Les jeunes élus du Don qui habitaient les alentours allaient très certainement venir loger bientôt à l'auberge de la ville, en prévision du fameux jour. En général, une fois les lettres reçues, la nouvelle se répandait comme une traînée de poudre et les décorations fleurissaient sur les toits, les balcons et les terrasses.

— Huit jours... Comme c'est court.

— Maman... soupira Ellah, tu sais bien que je ne peux pas y échapper. Et puis, j'ai attendu ça toute ma vie ! Toutes ces années à étudier l'histoire, les légendes, les runes, le protocole... ce n'est pas en vain ! Moi non plus je ne veux pas vous quitter, mais c'est si excitant ! Ma vie ne ressemblera à aucune autre. Et peut-être permettrai-je à notre famille de bénéficier enfin d'une certaine reconnaissance...

À ces paroles, la langue de la mère d'Ellah se délia. Même habitée de sentiments contradictoires, Maril voulait trouver la force de dire à sa fille les mots que bientôt elle ne pourrait plus lui adresser :

— Ellah, dit-elle en se levant pour poser les mains sur les épaules de sa fille, tu es si insouciante. La vie d'élémentale n'est pas si facile, et pas toujours pavée de gloire et d'honneur. Mais je suis fière de tes ambitions et de ton courage. Bien sot serait celui qui refuserait de reconnaître ta valeur, même si tu n'étais ni puissante ni talentueuse. Je suis persuadée, non, je sais, que tu accompliras de grandes choses. La force de ta volonté et ta générosité font de toi une femme exceptionnelle.

— Une femme ? murmura la jeune fille, qui ne s'attendait pas à une telle déclaration.

— Oui, une femme. Tu quittes la maison et commences ta vie, et tu as déjà presque seize ans... Tu ne seras ni mariée ni mère, mais tu seras maîtresse de tes actes, de tes paroles, de tes pensées. Le mot me semble juste.

Maril connaissait bien le caractère flamboyant de sa fille. Elle se laissait rarement dicter sa conduite, avait horreur qu'on s'inquiète pour elle et l'envahisse de conseils tout aussi inutiles qu'indécents. Qui d'autre qu'elle-même et ses parents pouvait bien savoir ce qui lui convenait ? Elle était intelligente, curieuse et piquante. Le genre de femme qui manquait cruellement dans les rangs de la haute société. L'Académie comme l'armée étaient composées en majorité d'hommes, bien que la personne à la tête de tout cela fût une femme.

La directrice de l'Académie, élémentale du feu de huitième cercle, s'appelait Daerah Almeda. Elle avait rendu célèbre le nom de sa famille, d'origine modeste, et donné un nouveau souffle à Amanthia toute entière. Elle faisait partie des personnes qu'Ellah admirait le plus, vivants et morts confondus. Mais la première femme dans son cœur restait sa mère.

— Merci, maman.

La jeune fille ne sut que dire de plus. L'instant se suffisait à lui-même.

Maril finit par pousser un soupir, serra sa fille contre elle et se recula. Elle avait le repas du soir à préparer et des larmes à cacher.

— Vas maintenant, je t'appellerai s'il y a besoin.

Sans faire de remarque sur les yeux de sa mère qui commençaient à rougir, Ellah s'en retourna dans sa chambre. Elle avait interrompu sa leçon de runes en plein milieu et comptait bien la terminer. Les sentiments de sa tendre maman étaient contagieux, mais elle voulait profiter au mieux des derniers jours qu'il leur restait ensemble. Pour conserver sa lucidité et ne pas se laisser aller à la tristesse, elle ne connaissait rien de mieux que l'apprentissage : les runes, dans leur prononciation comme dans leur écriture, constituaient une discipline difficile et exigeante.

Au bout de deux éprouvantes heures à écorcher tant et plus le nom des runes les plus complexes, Ellah referma son livre. Elle se savait en avance sur la plupart des novices de la contrée et ne souhaitait pas perdre cet avantage, mais elle savait aussi que de nombreux fils et filles de puissants élémentals intégreraient l'Académie à ses côtés, avec bien plus de bagage. Elle avait entendu dire que certains avaient déjà trouvé leur élément et savaient même lancer quelques sorts. De quoi passer l'examen du premier cercle avant même d'avoir commencé les cours... Cela lui faisait froid dans le dos.

Avec langueur, elle remit l'épais manuel sur la vieille étagère de bois qui se trouvait contre le mur. Le vieux meuble croulait sous les volumes anciens. Ellah avait eu la chance de découvrir que le propriétaire de la grande bibliothèque la plus proche n'était pas un vrai amoureux des livres, et qu'il préférait les exemplaires neufs et propres aux « reliques poussiéreuses ». Chaque fois qu'une occasion de passer par là-bas lui était offerte, à savoir assez rarement, elle courait lui réclamer les volumes dont il ne voulait plus, et il les lui cédait sans plus de forme. Elle avait de tout, même des romans dont l'intrigue ne l'intéressait pas. Elle avait cependant lu chaque ouvrage, sans exception.

Elle caressa la reliure abimée d'un vieux manuel de géographie, redressa un livre de contes et souffla la poussière sur le dessus d'un autre. Elle eut un pincement au cœur quand elle songea que, lorsqu'elle serait partie, ce ne serait plus elle qui les débarrasserait de leurs moutons.

Le soleil commençait à décliner à l'horizon, le ciel s'était couvert et l'air sentait l'orage. L'estomac d'Ellah poussa un gargouillis, lui confirmant que l'heure était aussi avancée qu'elle le paraissait.

Quelques dizaines de minutes plus tard, son père rentra du travail, la tignasse engluée par la pluie qui s'était soudainement abattue sur ses cultures. Après qu'il se soit séché, ils se mirent à table et dinèrent du savoureux poulet aux choux qu'avait cuisiné Maril. La question du prochain départ de leur fille fut abordée, assombrissant un peu plus cette fin de journée. Enfin, lorsque la nuit fut bien installée, chacun alla rejoindre son lit.

Quand le jour fut là, Ellah se leva pour aider aux tâches quotidiennes, comme à son habitude. Elle étudia, fit une balade avec sa mère, prit soin de sa jument, alla rendre visite à son père pendant son travail, se lava et se coucha. Les sept jours suivants se ressemblèrent en presque tout point. Rien ne donnait l'impression que le quotidien de cette famille soudée allait changer brutalement. À l'exception du dernier soir.

Les criquets chantaient, le noir au dehors était profond et pourtant, Ellah ne parvenait pas à dormir. Elle savait également que ses parents n'avaient pas trouvé le sommeil, car elle entendait leurs chuchotements. Elle eut une pensée pour le sac de toile au pieds de son lit, rempli par ses soins seulement quelques heures plus tôt. Quand le jour se lèverait, elle le mettrait sur son dos, saluerait son père et sa mère et s'en irait pour une nouvelle vie.

L'angoisse quelle ressentait lui nouait le ventre, éclipsant presque l'excitation qui faisait elle aussi fuir le sommeil. C'était la sensation la plus étrange que la jeune fille eut jamais éprouvé.

Elle finit par s'endormir de fatigue, les rêves peuplés de rencontres et de magie. Quelques heures plus tard, l'aube était là. 

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