Ève

Aujourd'hui, j'ai rencontré quelqu'un. Je n'ai pas rencontré quelqu'un dans le sens où j'ai rencontré une personne que j'aime désormais, mais j'ai rencontré quelqu'un. C'est moi qui l'ai rencontré et non l'inverse. Parce qu'il n'a pas décroché un mot. C'est à peine s'il m'a regardée. Et pourtant, je suis restée là, debout devant son garage ouvert à le regarder jeter de la peinture sur une toile vierge. Je ne sais pas combien de temps je suis restée muette à le fixer. Tout ce que je sais, c'est que lorsque le soleil s'est couché et que ce garçon a dû allumer la lumière pour continuer à peindre, il s'est tourné vers moi. Il n'a rien dit, mais il m'a tendu sa bouteille d'eau. Je ne sais pas comment il a su que je crevais de soif. En fait, je crevais dans tous les sens du terme. Mais surtout, je crevais parce que toutes mes émotions m'étouffaient. Je regardais les couleurs se mélanger entre elles, se superposer pour en créer de nouvelles, se nuancer centimètre par centimètre. Des formes onduler sur la toile, danser sous la pulpe de ses doigts. Et alors, je me suis assise, j'ai sorti mon bloc-note et j'ai composé ce qu'il dessinait. Avec ardeur, je me suis efforcée de poser des sons sur les traits qu'il traçait. Et ce fut comme une renaissance.