Épuisée, je me laissai tomber sur le grand lit disposé dans la chambre d'Adam. J'étais plus fatiguée moralement que physiquement.

J'avais passé toute la soirée avec Tim et sa femme Olivia. Elle était adorable. Nous n'avions parlé que de sujets légers, jamais du passé. Enfin, pour l'instant. Étant donné qu'elle était la femme de Tim, elle savait la vérité et donc pouvait nous aider si besoin était. Mais je préférai mêler le moins possible la famille proche avec notre vengeance.

« Lulu, qu'est-ce que je dois faire maintenant ? soupirai-je.

– Repose-toi un peu. Je pourrais prendre le relais.

– Je parlai de la fête en notre honneur...

– Plus tard, Lucy. Tu réfléchis beaucoup trop, il faut que tu laisses les choses venir. Ça ne servirait à rien de forcer le destin, » me coupa-t-elle.

Ma louve m'avait toujours parlé du destin. Elle y croyait dur comme fer. Petite, je ne lui adressais pas la parole sachant qu'elle n'était qu'une bête partageant mon corps. Elle était discrète comme louve, mais après mes seize ans, elle était devenue plus proche de moi et me parlait plus souvent. Sa sagesse et ses réflexions m'avaient enfin sauté aux yeux. Plus mature que moi. Ne pas l'écouter serait une erreur.

« D'accord, » abandonnai-je dans un soupir.

Quand j'y repensai, une journée était passée depuis notre dernière discussion. Par conséquent, je ne lui avais pas donné contrôle de mon corps comme je le faisais chaque jour avant d'arriver dans ce nouveau territoire.

Mon esprit se reposa au fond de ma conscience tandis que je relâchai peu à peu le contrôle de mon corps pour le laisser à ma louve. Mes yeux d'un vert émeraude se changèrent brutalement en une couleur dorée.

Le ciel obscurci par un manteau sombre était néanmoins sublime grâce aux nombreuses étoiles l'illuminant gracieusement et par la timide lune qui osait nous éclaircir.

Roulée en boule sur mon côté du lit, je sentis une odeur musquée reconnaissable entre mille. Adam venait d'entrer dans la chambre. Dos à lui, je me retournai toujours en boule.

Son regard surpris me fixa alors que je lui souris. Un sourire appartenant à ma louve. Peut-être était-ce une mauvaise idée d'avoir laissé ma louve prendre le contrôle ? Un sentiment d'appréhension me tenaillait en pensant à ce qu'elle pourrait faire. Je voulus lui parler, mais elle me coupa.

« Je ne ferais rien que tu ne veuilles pas, Lucy, » me rassura-t-elle d'une voix douce qui me soulagea.

« Tu vas bien ? demanda Adam tout en me regardant inquiet. Je lui souris.

– Tu as mangé ? demanda Lulu.

– Oui, répondit-il toujours en me dévisageant.

– Je m'appelle Lulu, diminutif de Lucy, se présenta-t-elle en s'asseyant sur le bord du lit.

– Tu es sa louve, annonça-t-il d'un air songeur.

– Exact ! »

Un immense sourire fendit mon visage. Elle était tellement heureuse. Je pouvais sentir cette joie par notre lien intime. Soudain, la culpabilité me submergea parce que le seul obstacle pour un avenir entre moi et Adam était moi-même, la partie humaine. Même nos loups étaient proches l'un de l'autre.

« Lucy, je t'avais dit de te reposer, c'est-à-dire, au cas où tu ne l'aurais pas compris, pas de réflexions inutiles, » réprimanda Lulu d'un ton las. Je soupirai doucement, mais obéis.

« Tu n'es pas en colère ? Lucy va bien ? » demanda-t-il, l'inquiétude dévorant ses traits.

Il s'approcha de moi et s'agenouilla pour que nos visages ne se retrouvent plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. Sourcils froncés, mes doigts fins touchèrent ses rides creusées par le doute qui ornaient son front.

« Ai-je l'air en colère ? dis-je en éclatant de rire. Lucy va bien, elle se repose un peu.Tu voudrais que ce soit elle aux commandes ? Sache que je suis de bien meilleure compagnie qu'elle. »

Elle lui envoya un clin d'œil qui me mit dans l'embarras. Je restai cloitrée au fin fond de ma conscience pour éviter d'assassiner ma louve. Ce qui serait embêtant étant donné que si je la tuai, je mourrai aussi. Nous étions deux esprits distincts liés à un même corps, mais nous ne partagions qu'une seule âme. Impossible de nous séparer.

***

Adam se coucha de son côté du lit tandis que j'étais allongée du mien. Dos à lui, je repris pendant quelques secondes le contrôle de mon corps qui s'était tendu à sa proximité. Mon cerveau restait en alerte jusqu'à ce que j'entende sa respiration devenir longue et posée. Même si je le voulais, je ne pouvais pas effacer les réflexes de mon corps. Des mois de tortures ineffaçables de ma mémoire. Même l'année passée dans la meute de Jake ne m'avait pas permis de supprimer ces stupides réflexes. Je me tournai doucement vers Adam pour admirer son visage endormi.

Ma louve, de nouveau aux commandes de mon corps, effleura doucement sa mâchoire. Une douce chaleur me parcourut avec plaisir. Je souris et laissai mes paupières se refermer jusqu'au lendemain.

Réveillée par les rayons de soleil qui passait à travers la fenêtre, je me retournai et m'étirai allègrement sur le lit. Mon bras cogna un torse robuste, ce qui me surprit. En alerte, je me rassis d'un coup pour enfin me rendre compte que c'était mon âme-sœur. Il me fixa d'un air étonné et amusé. Je soupirai de soulagement tout en passant ma main dans mes cheveux ébouriffés afin d'y mettre un peu d'ordre.

« Adam, où est la femme que tu as capturée ? demandai-je en le fixant de mes yeux verts. Tu sais la blonde qui poursuivait Alex ?

– En prison, répondit-il en se redressant pour se retrouver à mon niveau. Pourquoi ?

– Je dois lui parler.

– Tu ne t'approcheras pas d'elle ! Elle est dangereuse, Lucy, » gronda-t-il.

Ces yeux s'assombrirent subitement. Il était protecteur. Un peu trop même. Inévitable pour un Alpha.

« Je sais bien, mais... Tim pourrait m'accompagner, » suggérai-je afin de le calmer.

Affronter sa colère dès le matin alors que j'étais seule avec lui était dangereux. Il pourrait en profiter pour me faire du mal sous le coup de cette émotion néfaste et destructrice. La colère pouvait vous faire dire et vous obliger à faire bien des choses qu'on ne souhaitait pas. Mais c'était aussi à ce moment précis que les secrets s'étalaient à qui pouvait l'entendre.

Peut-être devrai-je le provoquer pour qu'il me révèle sa véritable personnalité ?

« Arrête de penser comme ça, veux-tu ? » souffla bruyamment ma louve, agacée par mes réflexions.

Il prit une longue respiration et me demanda pourquoi je voulais la voir. Afin de contourner la question, je me retournai vers la fenêtre pour m'apercevoir que le soleil venait à peine de se lever.

« Il est encore tôt, tu devrais te recoucher, » dis-je en rejoignant la salle de bain.

Avant de refermer la porte, je l'entendis soupirer.

***

Finalement, j'avais réussi à le faire changer d'avis avec tout de même un problème. Ce n'était pas Tim qui m'accompagnerait, mais Adam lui-même. Il aurait été préférable que ce soit Tim ou même Alex qui m'accompagne. Mais je n'allais pas me plaindre maintenant.

Moi et Adam marchâmes côte à côte en direction des geôles où étaient gardés les prisonniers. Au fur et à mesure de notre avancée dans les dédales au sous-sol, mes mains devinrent moites. Ma respiration était presque inexistante tellement je suffoquai en sentant les odeurs trop familières. Chaque pas vers les cellules accentuait l'odeur du sang s'insinuant à travers mes narines. Les poings fermés et dents serrés, je luttai contre les souvenirs qui menaçaient de refaire surface.

Je ne voulais surtout pas vomir devant Adam, cela montrerait ma faiblesse et il pourrait peut-être prendre avantage de ces moments-là.

Lugubre. Les murs en pierre donnaient du relief à cette grande pièce constituée d'une multitude de portes ouvrant chacun sur un intrus qui avait eu la malchance de s'aventurer sur ce territoire. À la lueur des torches, nos ombres dansaient sur les murs rugueux.

L'ambiance devenait de plus en plus pesante. On ne pouvait pas entendre les cris des personnes torturées, les prisons dans lesquelles elles étaient enfermées devaient être insonorisées.

Adam s'arrêta devant une porte qu'un guerrier ouvrit avec sa clé. Il se retourna vers moi et avait dû voir à quel point j'étais tendue.

« Tu es sûre ? » demanda-t-il inquiet.

Je le regardai, déterminée, en hochant la tête.

À l'intérieur de la petite pièce, deux guerriers étaient placés de part et d'autre de la femme enchaînée au mur. Tête baissée, ses longs cheveux blonds retombaient sur son visage. Ses jambes étaient repliées sous ses fesses. Comme à son arrivée, elle était vêtue d'une simple robe devenue couleur sang et terre.

« Pourquoi vous l'avez enchaînée ? demandai-je.

– Elle a essayé de s'échapper à plusieurs reprises dès qu'on ouvrait la cellule, » répondit Adam.

Quand j'y repensai, il n'y avait que des hommes autour de moi ce qui n'arrangeait pas mon état. En fait, être près de cette femme me donnait confiance en moi et m'aidait à oublier certaines craintes. Je me concentrai donc sur elle.

Je n'avais pas besoin de voir ses yeux pour savoir son état. Son aura était d'un rouge foncé se mêlant à du noir qui allait jusqu'à me répugner. Il m'était difficile d'approcher d'elle sans éprouver du dégoût. Je pris sur moi et avançai dans sa direction. Les hommes se tendirent et se mirent sur leurs gardes au cas où elle tenterait de m'attaquer. Ce qui me surprendrait vu que ces deux bras étaient bien attachés au mur. Seules ses jambes pouvaient se mouvoir et donc me mettre à terre.

Je soulevai ses cheveux poisseux et sales et les balançai en arrière pour voir son visage. Plus aussi blanc qu'avant, elle possédait des yeux vides comme si elle était perdue dans son propre monde, mais ils s'illuminèrent dès qu'elle croisa mon regard faussement compatissant.

Elle poursuivait Alex donc peut-être qu'une personne l'avait envoyée pour nous éliminer ou sinon elle n'avait tout simplement pas de lien avec les chasseurs. Auquel cas, Alex avait vraiment dû lui faire quelque chose de déplaisant pour qu'elle le poursuive ainsi, jusque dans le territoire d'un des plus puissants Alpha. Ce que je ne pensais pas connaissant Alex.

« Ou alors elle l'a fait exprès. Elle voulait venir sur ce territoire et elle a pensé qu'Alex était un bon moyen pour y arriver, dit ma louve, qui sentait le danger en la présence de cette femme.

– Une manipulatrice alors ?

– ça ne m'étonnerait pas, » cracha-t-elle d'un air dédaigneux.

Elle ne me dirait rien ici et je supposai que les guerriers avaient déjà essayé de la faire craquer. Il fallait que je lui parle seule à seule. Lulu pourrait la tuer si elle tentait une attaque à mon encontre.

« Quel est ton nom ? chuchotai-je en lui faisant un sourire rassurant, mais faux.

– Alice, répondit-elle d'une voix grasse et fatiguée.

– D'accord Alice, ne t'en fais pas, je vais m'occuper de toi. »

Des larmes lui montèrent aux yeux et elle éclata en sanglots quand je la pris dans mes bras. Elle était répugnante. La belle blonde jouait bien la comédie, mais ce qu'elle ne savait pas, c'était que j'étais aussi douée à ce jeu-là.

Peut-être qu'elle était sincèrement soulagée que je lui aie mis fin à sa torture, mais pour moi la souffrance qu'elle avait pu subir était amplement méritée.

Cette idiote n'était sûrement qu'un pion envoyé pour nous atteindre et j'allai maintenant me servir de cette pièce de jeu à mon avantage. Si elle avait bien un rapport avec les chasseurs, elle pourrait bien me mener à son commanditaire.

Mais avant cela, il fallait que je convainque Adam de la laisser sortir d'ici. Puis, il fallait absolument que je parle à Alex pour avoir sa version de l'histoire.

***

- Je me demande si je devrais mettre un peu plus de discussion entre Adam et Lucy au début de ce chapitre ? Qu'est-ce que tu en penses Lucy ?

- Je suis contre, dit-elle en croisant les bras.

- Je suis pour, souffla Lulu d'une voix séductrice. Si Lucy ne veut pas passer plus de temps avec lui, je me ferais un plaisir de la remplacer.

- Ne l'écoute pas, Shasha. Pas de contacts physiques. Déjà tu abuses en lui touchant le visage.

- Moi, j'abuse ? s'indigna la louve. C'est notre âme-soeur. On peut le toucher quand on le veut et où on veut.

- Peut-être, mais c'est mon corps que tu utilises je te signale ! cria Lucy.

- Bon ça suffit ! ça sera aux lectrices de me dire qui de vous deux aura plus de dialogues avec Adam ! dis-je pour mettre fin aux cris incessants de leurs indécisions.

J'attends votre verdict :)