Chapitre 12 - Le Dévoreur de visages

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Un cri d'effroi sortit des lèvres de Karis quand un éclair de ténèbres sortit de la brume et emporta la Dalrenienne. Elle aurait dû être soulagée d'en être débarrassée, mais pourtant, un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale. Que signifiait cette irruption soudaine ?

À côté d'elle, les créatures de lumière s'étaient enfuies en courant, avant de retrouver leur forme d'origine. Même en frottant la surface des galets colorés, Karis ne parvint pas à les faire réapparaître. Elle soupira, puis haussa les épaules.

Un hurlement déchirant emplit soudain l'air, faisant tressaillir l'Ashkani. Elle fit volte-face. Cela venait de la brume.

Karis hésita une seconde. Mais le hurlement reprit de plus belle, et lui déchira le Cœur. Elle courut sans plus attendre vers la source du son, grimaçant à cause de l'élancement de sa cheville. La pénombre grise ne tarda pas à l'envelopper, jusqu'à ce qu'elle perde ses repères.

Par où aller ? Le silence était revenu, si bien que Karis commençait à imaginer la Dalrenienne gisant dans son propre sang, quelque part dans un coin sombre. Dès que cette image s'installa dans son Esprit, elle sentit une force invisible la tirer vers l'avant.

La brume s'écarta. Si elle s'imaginait de la noirceur, elle était servie : l'endroit dans lequel elle avait atterri était parfaitement lugubre et stérile. Aucune fenêtre, aucune plante, rien.

Rien sauf des visages accrochés sur les murs. Déglutissant avec difficulté, Karis sut immédiatement où elle se trouvait. Chray, jura-t-elle en son for intérieur. En d'autres circonstances, elle aurait été curieuse de rencontrer la silhouette squelettique penchée au-dessus de la Dalrenienne.

Le visage de celle-ci était devenu presque transparent, ses traits déformés, comme aspirés peu à peu par la bouche du Dymon. Ses yeux étaient sortis de leurs orbites, ne laissant qu'une couche de peau lisse. Il en serait de même pour le reste de son visage dans les minutes à venir.

Des étincelles dorées apparurent au bout de ses doigts de Karis. Venir ici était une erreur. Mais le cri que son ennemie avait poussé résonnait encore dans ses oreilles.

Elle aurait dû laisser le Dymon l'achever. Au lieu de quoi, elle lança une Clef d'immobilisation. Mais lorsqu'elle remua les doigts pour ordonner à la créature de s'éloigner de la Dalrenienne, rien ne se passa. Il se contenta de se tourner vers elle. Ses trois yeux la regardaient sans la voir, tandis que le bas nébuleux de sa cape s'agitait, telles des tentacules.

— Tu ne crois quand même pas pouvoir retourner mes propres pouvoirs contre moi tout de même ? ricana-t-il.

Karis se raidit. Sa maîtrise animique ne lui serait d'aucun secours.

Pas quand l'être qui se tenait devant elle était celui qui en était à l'origine. Le Thalakan. Le Dévoreur de visages. Le Dymon qui était tombé amoureux d'une elfe. Et pas de n'importe laquelle : la fondatrice de la Citadelle.

— Arrêtez, ne dévorez pas son visage ! s'écria Karis. Monstre !

Le Thalakan inclina la tête, laissant échapper un sifflement amusé.

— Les elfes et leur notion de monstre. N'oublie pas que du sang dymonique coule en toi. Est-ce que cela fait de toi un monstre ?

Karis se retint de dire que certes, ses pouvoirs pouvaient être utilisés à mauvais escient, mais qu'au moins, elle n'avait pas des visages exposés dans sa chambre comme des trophées de chasse. La bonne nouvelle était qu'elle ne craignait a priori pas de perdre son propre visage. Les Gardiens de la Citadelle disaient que leur ancêtre ne s'attaquait jamais à la chair de sa chair. Toutefois, il restait un Dymon irascible et dangereux. Karis allait avoir du mal à lui faire face.

— Et puis si j'ai pris son visage, ajouta le Thalakan de sa voix déformée, c'est de ta faute.

Ledit visage en question se trouvait à mi-chemin entre la Dalrenienne et le Dymon. Karis pria pour qu'elle ne puisse pas les entendre, ses oreilles s'étant aussi détachées, laissant un trou à la lisière de ses cheveux. Si son ennemie avait encore la maîtrise de ses sens, Karis s'était trahie en utilisant sa maîtrise du Corps. Elle retint un grognement de frustration. Au moins, elle n'avait pas dévoilé sa nature d'Ashkani. Il ne manquerait plus que le Dalren apprenne qu'ils avaient échoué à éteindre leur lignée.

— De ma faute ? s'interrogea-t-elle après un silence.

— Oui, tu t'es sentie menacée, d'où mon intervention. Mais en avalant son visage, le problème est réglé, et j'aurais fait ce que j'avais à faire.

Karis écarquilla les yeux. C'était la chose la plus stupide qu'elle ait jamais entendu. Heureusement que les membres de la Citadelle n'avaient pas hérité de son sens de la logique.

— Elle n'est pas dangereuse, finit-elle par déclarer.

La Dalrenienne avait eu plusieurs occasions de lui faire un sale coup. Quand Karis l'avait laissée filer, elle aurait pu tourner la situation à son avantage. Lorsque l'Ashkani avait tenté de fuir, elle n'avait pas cherché à la blesser, mais à la retenir. Sans doute s'agissait-il d'une simple civile.

Une simple civile avec des cheveux violets, lui glissa une voix intérieure. Elle en savait probablement plus que Karis sur l'Iracyl et cet étrange don nocturne. Rien que pour ça, il fallait qu'elle lui parle. L'Ashkani se mordit la joue. Tout aurait été plus simple si elle n'avait pas eu peur de la Dalrenienne – peur de sa peau hâlée qui n'était que synonyme de malheurs – et qu'elle n'avait pas cherché à s'enfuir comme une imbécile.

Karis se baissa et attrapa un caillou tranchant sur le sol. Décidément, quel dommage que ses izus ne soient pas accessibles dans ce monde. Elle allait devoir se débrouiller sans.

— Je vous défie, lui lança-t-elle d'une voix qu'elle espérait assurée. Si je vous bats, vous devez arrêter d'aspirer ce visage.

Le Thalakan resta silencieux un instant. Personne de sensé n'oserait s'attaquer à une créature capable de maîtriser les Âmes et de dévorer les visages. Toutefois, on racontait que des aventuriers audacieux relevaient le défi. La récompense était trop belle : le Thalakan offrait un vœu à chaque elfe qui parvenait à le vaincre. Karis ricana dans sa barbe, certaine à présent que n'était qu'une ruse pour attirer plus de malheureux dans un piège. Mais elle n'avait pas d'autre choix pour tirer son ennemie de sa mort certaine. Combien de temps pouvait-on vivre sans nez pour respirer ?

— Ne me dites pas que vous avez peur de m'affronter ? le provoqua-t-elle devant son silence.

— C'est toi qui devrais être effrayée, rugit-il. J'accepte, petite mortelle sans cervelle.

Une Clef bleue apparut dans les airs, que Karis eut à peine le temps de parer. Heureusement que Garlia lui avait appris des Clefs de protection dans les trois maîtrises de l'Âme ! Quelle ironie d'avoir à les utiliser contre le détenteur originel de la maîtrise animique.

Elle bondit pour arracher au Thalakan ce qui allait sans doute constituer son casse-croute de minuit, ignorant la douleur dans sa cheville. Il se décala aussi vite qu'une ombre, empêchant l'accès à sa prise, et la jeune fille tomba à la renverse. Elle atterrit brutalement sur les mains mais se releva.

— Pitoyable, railla-t-il. Mes descendants sont de plus en plus faibles, et leurs pouvoirs se diluent de plus en plus. Et crois-moi, il y a pourtant eu des elfes qui sont parvenu à me vaincre.

Karis serra les dents.

— Je suis une Ashkani, gronda-t-elle. S'il y a quelqu'un qui a le plus de sang dymonique dans ses veines, c'est bien moi. Rendez-moi ce visage, cette elfe ne mérite pas une fin pareille. Que dirait mon ancêtre, celle que vous avez aimé ?

Karis doutait que prendre par les sentiments un Dymon presque aussi vieux que les Déesses elles-mêmes fonctionne. Pourtant, le Thalakan se figea un instant.

— C'est elle qui t'inspire ces mots. Elle n'aimait pas que je me nourrisse des visages de ses semblables.

Sans blague, s'agaça Karis, bien que secrètement touchée par l'air affligé du Dymon à la mention de sa bien-aimée. Mais il reprit rapidement du poil de la bête, lui assénant un coup dans le ventre quand elle essaya de s'approcher. Elle grogna, et roula sur le côté pour éviter sa main griffue.

Elle ne faisait pas le poids face à lui. Il fallait le prendre par surprise.

Karis battit en retraite et sauta pour s'accrocher à un mur. Ses pieds prient appui sur des fronts, qui se brisèrent aussitôt. Elle laissa échapper un juron mais tint bon, se rattrapant dans les cavités du mur. Elle escalada un peu plus, puis se laissa tomber sur le Dymon, qui l'observait d'un air intrigué.

Elle atterrit lourdement sur ses épaules et plaqua ses mains sur ses yeux – couvrant maladroitement son troisième œil. La créature n'eut qu'à s'ébrouer pour qu'elle soit éjectée. Karis gémit en percutant le sol, où des cailloux lui rentrèrent dans le dos et les jambes.

— Courageux, mais pas très sage, se moqua-t-il.

Sonnée, Karis mit quelques secondes avant de se relever. Si elle n'avait pas été sa descendante, sans doute le Thalakan aurait-il aspiré son visage depuis longtemps. Mais il semblait retenir ses coups, ou du moins, éviter de blesser la jeune fille. Karis n'aurait pas su dire si cela la soulageait ou l'agaçait.

Un regard attira alors son attention. Un visage de femme l'observait – ou était-ce son imagination ? –, au milieu de la troisième rangée du mur d'en face. Ses cheveux gris retombaient sur ses joues pâles et ridées. Le sourire sincère qu'elle arborait faisait d'elle un des rares visages à ne pas être figée dans une expression de terreur.

Karis avait déjà vu ce visage, en plus jeune, dans les fresques qui ornaient l'escalier de la salle du Conseil. Elle sourit, raflant deux cailloux. Elle jeta le premier sur le Thalakan puis plongea sur le côté quand il tenta de l'attraper.

Sans se retourner, ni s'arrêter, elle courut de toutes ses forces vers le mur puis s'élança sur la paroi. Le choc ébranla tous ses os. En se propulsant vers le haut, elle attrapa le visage de son illustre ancêtre, qui se décrocha en douceur. Son contact, froid et éthéré, lui donnait l'impression de toucher un nuage.

Le Thalakan poussa un rugissement de fureur qui la fit sursauter. Elle rejoignit la terre ferme avec précipitation. Le visage calé dans son bras gauche, Karis plaça le deuxième caillou à sa hauteur.

— Si vous bougez d'un seul pouce, je lui crève les yeux, menaça-t-elle.

— Perfide, siffla-t-il. Tu n'as pas de Cœur, t'en prendre à son visage si précieux !

— Un visage contre un autre, l'ignora Karis, pointant la Dalrenienne.

Celle-ci était toujours dans cet étrange état intermédiaire, son visage déformé, mais présent.

— Tu triches, le but est de me vaincre, pas de faire du chantage ! Misérable mortelle !

— Ce n'était pas interdit pourtant. Mais très bien, dans ce cas j'imagine que ce n'est pas très grave si ma chère ancêtre se retrouve avec une balafre. Qui sait, ça lui donnera un air encore plus guerrier, déclara-t-elle d'une voix suave.

Le Thalakan n'hésita pas plus longtemps : il remit en place le visage de la Dalrenienne, en expirant longuement. Yeux, nez, bouche et oreilles reprirent leur place. La jeune elfe se redressa vivement, avec une grande inspiration. Karis croisa pendant une fraction de seconde son regard humide, avant que la force invisible ne l'attire hors de l'antre du Thalakan. Elle eut tout juste le temps de voir le Dymon lui arracher le visage de sa bien-aimée.

En un clin d'œil, elle se retrouva à nouveau dans la cuvette des créatures de lumière. Un cri de surprise lui indiqua que la Dalrenienne avait aussi été transportée.

— Je déteste ce monde, maugréa cette dernière, palpant son visage avec inquiétude.

— Qu'est-ce que tu as vu et entendu ? s'enquit immédiatement Karis.

Elle massa sa cheville douloureuse pour s'empêcher de triturer ses mains par nervosité. Par Kya, si la Dalrenienne avait vu ses pouvoirs...

— Pas grand-chose, balbutia-t-elle, encore sous le choc. Où est passé le Dymon ?

Karis masqua le soulagement qui traversa son Corps entier. Son secret était sauf.

— Finalement, ton visage ne devait pas avoir l'air appétissant, répondit-elle.

L'autre s'esclaffa de sa voix chantante avant de reprendre un air sérieux. Malgré la disparition de son sourire, son visage conservait une impression de douceur, accentuée par l'ovale de son visage et ses yeux en amande.

— Tu ne veux plus t'enfuir ?

— L'envie m'est passée, admit Karis.

— Est-ce que ça veut dire que tu reconnais que je ne suis pas ton ennemie ? sourit-elle.

— Dans tes rêves.

— Ça tombe bien, on est dans un rêve.

Karis leva les yeux au ciel.

— Comment se fait-il d'ailleurs que tu sois venue seulement cette nuit ? l'interrogea-t-elle. Je viens tous les jours ici depuis quelques années, et je ne t'y ai jamais vue.

La Dalrenienne joua avec une ses mèches, visiblement embarrassée.

— J'ai oublié de prendre mes somnifères.

Un autre parent pas franchement ravi à l'idée que sa progéniture ait un étrange don ? se demanda Karis. La question faillit franchir ses lèvres, mais elle se retint. Quelque chose lui disait que c'était une question trop familière pour la poser à une ennemie.

En tout cas, elles s'étaient croisées sans se rencontrer jusque-là.

À côté d'elles, les petites créatures de lumière commençaient à réapparaître, et les entouraient en battant joyeusement des mains.

Les deux jeunes filles avaient cependant gardé deux mètres de distance entre elles. La Dalrenienne fixait ses mains. Karis déglutit : son tatouage de Gardienne ! Mais la jeune fille balaya sans le savoir ses craintes :

— Tu vas encore m'attaquer avec une lame ou je peux rester tranquille ?

— C'était un caillou, la corrigea l'Ashkani, mais non. Pas si tu me dis comment est-ce que tu as toi aussi ce don. Et ton nom, aussi.

Elle se força à ne pas se couvrir les mains. Le geste ne ferait qu'attiser la curiosité de son ennemie, qui ne semblait pas connaître la signification des trois losanges d'encre.

La Dalrenienne s'assit en tailleur, après avoir lissé les pans de sa chemise de nuit, maintenant salie aux ourlets.

— Je m'appelle Milanne, répondit-elle. Quant à ce don, je n'en sais trop rien. Mes souvenirs sont plutôt flous, mais je crois que ma mère était capable de se rendre aussi dans l'Iracyl.

— Ça a un rapport avec la couleur de tes cheveux ?

— Peut-être, admit-elle après un haussement d'épaules.

La Dalrenienne baissa les yeux, l'air soudain plus sombre. Était-elle orpheline elle aussi ? Karis maudit le pincement de Cœur qui la saisit soudainement.

— Tu ne m'as pas dit comment tu t'appelais, poursuivit toutefois Milanne.

Lorsqu'elle lui répondit, la jeune fille laissa échapper un rire. L'Ashkani sentit le rouge lui monter aux joues puis grommela un juron tout bas.

— Pardon, s'excusa-t-elle. C'est juste que c'est assez ironique pour quelqu'un qui déteste mon peuple de porter ce nom-là. Tu sais que l'Askanienne d'après laquelle tu as été nommée était follement amoureuse d'un Dalrenien ?

— Je suis au courant, merci, marmonna Karis. On m'a rabâché cette histoire un certain nombre de fois.

Sa réaction ne fit que prolonger le fou rire de Milanne. Les petits Dymons se réjouirent aussi, même s'ils ne comprenaient pas ce qu'elles disaient.

— C'est fou comme les Dymons sont différents les uns des autres, fit remarquer la Dalrenienne en câlinant l'une des créatures. J'espère qu'on ne recroisera jamais l'autre monstre.

Elle parut hésiter un instant. Au même moment, son visage et les Dymons devinrent flous aux yeux de Karis. La réalité l'appelait à nouveau. L'Ashkani soupira, elle n'avait aucune envie de retourner dans le dortoir.

— Merci, lâcha finalement la Dalrenienne. Je ne sais pas très bien ce qui s'est passé, mais je sais que tu y es pour quelque chose.

Karis laissa échapper un maigre sourire. Tout était trouble, mais elle sentait encore la caresse du vent sur ses joues.

— Tu es mon ennemie, murmura-t-elle, mais je ne pouvais pas te laisser mourir sans rien faire. 



Eyoo :3 Merci pour votre lecture !

J'espère que ce chapitre vous aura plu. Il est un peu modifié pour le rendre plus crédible par rapport à l'ancienne version, n'hésitez pas à me dire si vous avez trouvé ça vraisemblable <3

A la semaine prochaine !

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