Chapitre 18 - La fête d'Aryna

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Incommodée par l'odeur d'encens, Karis laissa échapper une quinte de toux. Des prêtres et des prêtresses, drapés dans des tissus brodés d'étoiles, en répandaient aux quatre coins de la grande place de Numarie. En son cœur s'élevait le temple de Kya, d'où la jeune fille venait de sortir.

— Tout ce monde, pesta-t-elle.

À la sortie de la cérémonie pour commémorer la mort d'Aryna, la place grouillait. Des marchands ambulants vendaient des dragées et des lampions aux passants qui riaient et chantaient. Certains avaient visiblement préféré aller à la taverne plutôt qu'au temple, dont les hautes colonnes zébraient le sol de leur ombre. Le ciel était déjà orangé, et d'innombrables bougies avait été installées aux fenêtres.

Karis devait s'accrocher au bras de Calizo pour ne pas être séparée d'elle. Elle avait perdu de vue depuis longtemps Lumi et Jil, emportés par la foule. En temps normal, ils auraient été facilement repérables grâce à leur uniforme, mais tous les Gardiens avaient revêtu une tenue de fête pour la soirée, les fondant dans la masse de civils.

L'Ashkani elle-même aurait pu passer pour n'importe quelle jeune Numarienne, avec les breloques sur les manches de sa robe et le voile azur fixé sur ses cheveux. Seuls ses tatouages trahissaient son identité de Gardienne, mais personne ne semblait les remarquer dans une telle cohue.

— Droit devant ! s'écria Limbe, cramponné à l'autre bras de Calizo.

Un groupe d'Apprentis de la Citadelle se trouvait à quelques mètres. Les trois amis jouèrent des coudes pour les rejoindre, puis les suivirent jusqu'à une large rue voisine.

— Ouf, je respire, s'exclama Calizo, leur lâchant le bras pour s'éventer.

L'animation était tout aussi présente que sur la place, mais au moins, Karis n'avait plus à être collée contre des inconnus.

— Oh regardez ! s'exclama un des Apprentis.

Il pointait du doigt un avaleur de sabre, qui retira de sa gorge sa lame pour saluer les passants. Mais les yeux de l'Ashkani furent attirés par un autre attroupement, composé d'elfes de tous âges, assis devant un couple. L'homme portait un masque à la couleur cuivrée, et avait pris les mains de la femme dans les siennes.

— Même si le ciel s'effondre, tu seras ce qu'il y a de plus précieux dans mon Cœur, déclama-t-il avec une passion frisant le ridicule.

— Même si le ciel s'effondre, répéta la femme en prenant son visage dans ses mains.

Le public applaudit et poussa des sifflements ravis. Karis trouvait amusant le fait que son peuple chérisse l'histoire des amants de la rivière, alors même que Thilste était un Dalrenien. Il était un ennemi, faisait partie de ceux qui les terrorisaient et les haïssaient. Et pourtant, les Askaniens ne se lassaient pas de son histoire tragique. Les Dalreniens avaient-il, de l'autre côté de la frontière, cette même fascination pour Karis, sa bien-aimée ?

— Oh mais voilà qui est intéressant, s'exclama Limbe en apercevant un étal à proximité de l'Ashkani.

Son propriétaire ne leur jeta qu'un bref coup d'œil, occupé avec un groupe de dames aux boucles d'oreilles scintillantes. Elles paraissaient alléchées par des beignets frits qui faisaient tout autant saliver Karis.

Calizo, elle, plongea sa main dans des bols remplis de cannelle qui se trouvaient à l'autre bout de l'étal, sous les yeux effarés de son amie. Elle mit un doigt sur ses lèvres avant que Karis ne puisse formuler le moindre reproche.

Sans attendre plus longtemps, Calizo jeta la poignée d'épice au visage de Limbe. Pris par surprise, il poussa un cri qui attira l'attention du marchand.

— Fripons ! s'époumona ce dernier. Restez ici sales gamins !

Calizo avait déjà pris ses jambes à son cou avec un éclat de rire, son voile parme ondulant derrière elle. Karis hésita à la suivre un instant, mais Limbe était resté près de l'étal. Il fouilla dans ses poches avec une grimace penaude, puis donna une pièce au marchant, qui la lui arracha presque des mains. Il fronça les sourcils en remarquant les trois losanges noirs sur la peau du jeune homme.

— Ce n'est pas parce que vous êtes des Gardiens que vous pouvez voler comme bon vous semble, grommela-t-il.

— Pardon, pardon, grimaça le coupable.

Karis esquissa un sourire taquin et lui donna un coup de coude.

Lorsqu'un peu plus loin ils rattrapèrent Calizo, toujours hilare, il passa sans vergogne ses doigts salis par la cannelle dans la chevelure flavescente de la jeune fille.

— Bas les pattes, protesta-t-elle en bondissant sur le côté. Tu vas en mettre partout sur mon voile.

— Allons, allons, je suis sûr que les cheveux roux ça t'irait très bien, répliqua Limbe.

— Vous êtes des enfants, les interrompit Karis sans pouvoir dissimuler une pointe d'amusement. Comment ça se fait qu'à chaque fois que vous êtes là, on manque de se retrouver dans le pétrin ?

— Il faut bien rajouter un peu d'animation, que veux-tu ? Avoue que tu t'ennuierais sans nous sinon, pouffa Calizo.

— Alors comme ça on salit notre réputation ? ricana une autre Apprentie.

Le reste du groupe avait assisté à la scène, et semblait avoir apprécié le spectacle. Après un toussotement gêné, Limbe épousseta sa tunique indigo pour se redonner contenance. Ils remontèrent la rue, jusqu'à déboucher à un carrefour. Des statues se dressaient en son centre : deux femmes. La première était d'une grande beauté, à genoux, les mains levées vers le ciel. L'autre créait de ses mains des flammes qui venaient la dévorer. Ses quatre tresses finement sculptées permettaient de l'identifier comme Liha, la Déesse du jour et du feu.

Le groupe tourna à droite, dans l'espoir de trouver une place convenable pour observer le défilé. Personne ne voulait rater une miette de l'apparition de Léka en Aryna. Karis les suivit à la trace, avant de réaliser que Limbe et Calizo avaient disparu de son champ de vision.

— Hé les amis, où est-ce que vous...

L'Ashkani ne termina pas. Ses épaules s'abaissèrent et un soupir resta coincé dans sa gorge.

Ils s'étaient approchés de la statue d'Aryna, dont on disait qu'elle protégeait les couples. Pour s'attirer ses faveurs, rien de plus simple : il suffisait de s'embrasser près de sa représentation. Soit ce que les deux Apprentis étaient en train de faire. Limbe était de dos, mais Karis pouvait distinguer sans peine l'expression radieuse de Calizo. Ses yeux maquillés de khôl se plissèrent, prolongeant son sourire quand elle s'éloigna du visage du jeune homme.

Ils ont l'air si heureux ensemble, songea Karis. Elle se mordit la joue. Un sentiment chaud, acide et collant, qui commençait à lui être familier, la saisit. Depuis qu'elle avait commencé à se douter de quelque chose entre ses deux amis, il agissait tel un petit monstre lâché dans l'arène de sa cage thoracique, qu'elle ne parvenait pas à dompter malgré ses efforts.

Ce doux sentiment avait pour nom « jalousie ».

— Allez on avance là-bas, faut rester grouper ! les héla une Apprentie à la tresse auburn.

— T'inquiète pas qu'ils auront déjà disparu dans dix minutes. Probablement au fond d'une chambre dans un auberge mal famée, ricana un autre.

Si les deux tourtereaux avaient entendu la pique, ils ne la relevèrent pas. Ils rejoignirent le restant du groupe bras dessus, bras dessus, avec un léger embarras. Karis prit le soin de ne pas les regarder. La situation serait de moins en moins tenable. Elle était condamnée à regarder le bonheur de ses amis et dépérir à petit feu. Ou alors, elle pourrait avouer ses sentiments pour Limbe, et ainsi les enjoindre à l'éviter. Elle n'aurait plus à faire bonne figure devant eux.

Oh par Kya, ce sont des enfantillages, s'irrita Karis. Avec un peu de chance, si la Déesse voulait bien exaucer ses prières, son béguin se tarirait dans quelques semaines.

Le groupe s'installa entre deux magasins, à l'ouverture d'une ruelle où étaient entreposées des tas de marchandises encore emballées. Les trois amis s'y appuyèrent pour se hisser sur le mur, et monter sur les toits de ce qui semblait être un marchand de viande – au vu de l'odeur forte de chair et de sang. L'odeur donna un haut-le-cœur à l'Ashkani, qui hésita à changer d'endroit mais se ravisa.

Elle fut soulagée lorsque Limbe et Calizo se séparèrent pour prendre place, l'un à sa droite et l'autre à sa gauche. Mais le répit fut de courte durée. Même en étant entre eux, l'Ashkani sentait leurs regards qui se cherchaient.

Fort heureusement, une clameur s'éleva et chassa le malaise de la jeune fille. Un immense char, tiré par quatre chevaux, venait d'apparaître à l'angle.

— Elle est magnifique, souffla Limbe.

Assise sur un petit trône, jetant des pétales de fleur violacés sur la foule qui l'applaudissait, Léka souriait de toutes ses dents. Ses boucles châtain s'échappaient de son voile, retombant sur le col bateau de la robe de Calizo. Elle lui allait à merveille, sa couleur cobalt contrastant avec des petits losanges de peau le long des manches. Le soulagement envahit Karis lorsqu'elle aperçut l'éclat bleuté du médaillon de son père. Calizo avait eu une bonne idée, le bijou ajoutait quelque chose à son air triomphal.

Léka se tortilla de joie à la vue de ses camarades, et leur jeta deux fois plus de pétales dessus. Puis, le char poursuivit sa route.


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