Chapitre 39 - La risée de tous

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Karis ne tenait plus en place. Faisant les cent pas devant la porte de l'infirmerie, elle retint un grognement de frustration. Horrys accordait enfin à Limbe de courtes visites de ses proches. Mais lorsque l'Ashkani s'était présentée à la l'infirmerie, la Guérisseuse lui avait demandé d'attendre quelques minutes, car son ami venait de se réveiller d'une sieste.

Les quelques minutes s'étaient transformée en vingt. Son ami devait être épuisé par les événements. Peut-être n'aurait-il pas l'énergie de la voir. Karis mourrait pourtant d'envie de se précipiter dans l'annexe de l'infirmerie et de l'étreindre le plus fort possible.

Kya parut entendre ses prières, car la porte s'ouvrit. Horrys lui fit signe d'entrer, et l'Ashkani traversa avec empressement la pièce avant de pénétrer dans l'annexe. Limbe se trouvait sur le lit le plus à droite, assis, avec sa jambe intacte repliée. La blessée se dissimulait sous sa couverture, si bien qu'on distinguait à peine le creux où aurait dû se trouver son pied, et la moitié de son mollet.

Son visage était encore plus translucide que lorsqu'il avait attrapé une vilaine fièvre, deux ans auparavant. Son regard lui aussi livide parut se rallumer à l'approche de Karis. Elle ne tint pas en place, et enroula ses bras autour de ses épaules courbées. Il resta figé un instant, puis lui enserra son buste avec force.

— Par la Déesse, je suis si heureuse que tu sois en vie, murmura-t-elle.

Le Corps de son ami se crispa, avant qu'il ne lâche un sanglot.

— Moi aussi je me réjouis d'être en vie. Une vie raccourcie de trois dizaines de centimètres, mais une vie quand même.

Karis ne préférait pas imaginer ce qu'il devait se passer dans l'Esprit de son ami en ce moment même. Elle chassa de son pouce les larmes de son ami, et tenta d'enfiler son sourire le plus rassurant.

— Tu es là, c'est le plus important à nos yeux.

Limbe haussa les épaules, essuyant ses joues d'un revers de main.

— La seule chose qui mérite d'être retenue dans cette histoire, c'est qu'on, enfin toi plutôt, a réussi à faire un tour de passe-passe animique qui n'avait pas été réalisé depuis cent ans. Chapeau ma vieille !

Il ponctua sa phrase d'un applaudissement. Karis se redressa, oscillant d'un pied à l'autre. Était-ce sa manière de fermer les yeux face à sa réalité ? Elle força un rire.

— C'est sûr, première fois que je réussis une Clef à double maîtrise.

— Clef qui n'a pas été sans conséquences apparemment, d'après ce que m'a raconté ma mère, s'assombrit-il.

Karis retint un soupir. Tout ce que savait Lumi était connu de sa sœur, elle aurait dû se douter que son ami allait être rapidement mis au courant de l'étrange lien qui s'était tissé entre leurs Âmes.

— Je suis désolé pour les douleurs que tu as dû supporter à cause de moi, grimaça-t-il.

— Ce n'est pas toi qui devrais demander pardon.

Limbe parut pensif, puis balaya l'air de sa main.

— Peu importe. Je me demande à quel point on va ressentir les sensations de l'autre. Enfin bon, après avoir partagé ton Corps, j'imagine qu'on a dépassé un certain stade de pudeur de toutes les manières. Oh par Kya attends... Est-ce que ça veut dire que je vais ressentir tes douleurs de règles ? Il ne manquerait plus que ça, râla-t-il.

Mes maux de ventre ne seront rien par rapport à ta jambe, s'attrista-t-elle en son for intérieur. Elle fit de son mieux pour adopter un ton taquin :

— Prépare-toi pour dans trois semaines. Tu verras, les plantes que nous donne Horrys sont infectes.

Tandis qu'il poussa une exclamation de dépit, elle se figea soudain. Était-il capable d'avoir son don nocturne ? Elle ne l'avait pas vu dans l'Iracyl depuis leur séparation animique, mais mieux valait en avoir le cœur net.

— Et ta maîtrise animique ? demanda-t-elle.

À défaut de pouvoir l'interroger sur ses pouvoirs venant de sa mère, elle pouvait sans soupçons le faire à propos de son héritage paternel. Pour toute réponse, Limbe leva la main et fit jaillir des étincelles écarlates de ses doigts. Lorsqu'elles s'évanouirent, sa main resta en suspens. Malgré sa moue de concentration, pas d'étincelles dorées ou azur.

— Et toi tu n'es pas affectée de ton côté ? s'enquit-il. Le Conseil va m'en vouloir à mort si tu devenais par ma faute une simple Synkani.

— Ne t'en fais pas, mes pouvoirs sont intacts.

Jil pouvait témoigner de ses capacités catastrophiques à maîtriser l'Esprit.

— D'après Lumi, reprit-elle, il n'y a pas grand-chose dans les archives au sujet des liens animiques. Ce n'est pas comme si ça arrivait tous les jours. J'imagine qu'on découvrira au fur et à mesure ce qu'il nous réserve. Enfin, s'il ne s'étiole pas sous peu...

Limbe hocha la tête, avant que la lueur d'amusement sur son visage ne s'envole.

— Bon, ce n'est pas tout, mais on va tourner combien de temps autour du pot ?

Karis cilla, ce qui arracha au jeune homme un soupir.

— Je sais pour l'Abandonné, tu sais. Qu'il a assassiné ton père. Et qu'il essayait de s'en prendre à toi aussi quand il s'est jeté sur Léka.

Le Cœur de la jeune fille se comprima.

— Tu m'en veux ?

— Quoi ? s'écria-t-il. Bien sûr que non, tu n'as absolument rien fait de mal, ça serait absurde. Lui en revanche...

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase. La porte venait de s'ouvrir à nouveau, révélant Lumi sur le seuil. Elle afficha un sourire contrit.

— Navrée de vous interrompre, s'excusa-t-elle avant de se tourner vers son Apprentie. Il faut que je te parle.

Au vu de son ton sec sur la fin, Karis n'avait pas trop de doute quant au sujet qu'elle voulait aborder. Si une part d'elle s'agaçait qu'on lui ordonne de quitter ton ami alors qu'elle venait à peine de le retrouver, l'autre comprenait aussi l'empressement de la Maîtresse.

— J'arrive, répondit-elle.

Après avoir hoché la tête, Lumi disparut à l'extérieur. Karis se retourna vers Limbe.

— Ça ira ? s'inquiéta-t-elle. J'espère que tu ne te sens pas trop seul ici.

— Ne t'inquiète pas, je vais probablement dormir maintenant. Et Calizo m'a promis ce matin qu'elle repasserait dans la journée. Et Léka, ma mère et ma Maîtresse aussi. Bref, je ne vais pas manquer de visites.

Rassurée, Karis quitta le chevet de son ami après l'avoir étreint brièvement. Une fois hors de l'infirmerie, Lumi lui fit signe de se retirer à l'écart de l'agitation des couloirs. Elle la mena jusqu'à une grande pièce vide, au sol couvert de poussière. Une fenêtre solitaire laissait entrer un triangle de lumière, quadrillé par les barreaux en fer. Qui sait à quoi cet endroit servait du temps où la Citadelle était au sommet de sa gloire ?

— La Tour Est ? s'étonna Karis. Pourquoi tant de précautions ?

— Pour éviter les oreilles qui traînent.

Lumi ferma la porte derrière elle, puis s'appuya sur le mur à côté, les mains dans le dos. Son regard voilé de rancune fit frémir Karis, qui commença à se dandiner sur place. Elle s'attendait à tout comme réaction de la part de sa belle-mère : déni, tristesse, incompréhension. Pas ça.

— Je peux savoir ce qui te prend en ce moment ?

Les muscles de sa joue se contractèrent nerveusement. Devant le silence ébahi de Karis, la Maîtresse lâcha un soupir pincé.

— D'abord, l'incident à Numarie, où tu t'es exposée inutilement, siffla-t-elle. Ensuite, une utilisation totalement idiote de ta maîtrise de l'Esprit, alors que tu sais à quel point c'est dangereux d'user de ses pouvoirs sur soi-même. Et maintenant, ça ? C'est quoi la prochaine étape ? Sauter du haut de la muraille pour voir si tu voles ?

Ça serait au moins la fin des ennuis de l'Ashkani. La fin tout court.

— Je suis vraiment désolée, j'ai laissé mes émotions me dominer, parvint-elle à articuler d'une voix à peine audible.

— Parce que c'est ton Cœur qui t'a dicté de me mentir sur la mort de ton père ? s'embrasa Lumi.

Karis esquissa un pas de recul malgré elle.

— N... non, non... bafouilla-t-elle. Ce n'est pas ce que je voulais dire. Ça, c'était différent.

— J'espère pour toi que tu as une bonne explication pour m'avoir menti pendant toutes ces années.

— Je... je ne sais pas.

Tout ce qui lui venait à l'Esprit, c'était la poisse du sang, le fil tranchant d'une lame sur sa peau. Le sol commença à tanguer autour d'elle. Mais rien où son Corps ne puisse se rattraper. Ni le reste de son Âme. Lumi arqua un sourcil.

— Comment ça tu ne sais pas ?

— Pourquoi ça vous importe autant ? cracha Karis. Qu'est-ce que ça change pour vous qu'il se soit tué ou qu'un autre s'en soit chargé pour lui ? Il a eu son châtiment pour son crime, vous devriez remercier Kya de sa justice.

La colère s'évanouit un instant des traits de la femme.

— Pourquoi me réjouirais-je de la mort de mon propre mari ?

— Celui-là même qui a visité le lit d'une autre ? répliqua-t-elle, acerbe.

— Merci pour ce rappel si délicat.

Tout le Corps de la jeune fille se crispa à la vue du dégoût manifeste de sa Maîtresse. Tout le monde avait – tout le monde devrait – avoir cette réaction en entendant cette histoire.

— Vous voyez, ce n'est pas une si mauvaise chose qu'il ne soit plus de ce monde.

Lumi se rapprocha d'elle, agrippant ses épaules. Karis manqua de trébucher sous la force de sa poigne.

— Tu n'as aucune idée de ce que ça fait, gronda-t-elle. De devoir me réveiller chaque matin sans personne à mes côtés. D'aller à la fête d'Aryna seule. D'entendre en permanence que je devrais depuis le temps avoir trouvé quelqu'un d'autre, quelqu'un de mieux.

Karis se figea. Une larme coula sur la joue de Lumi, avant qu'elle ne se détourne. Même de dos, on pouvait deviner ses efforts pour se contenir à la contraction de ses épaules.

— J... je ne comprends pas, murmura l'Ashkani. Après tout ce qu'il vous a fait...

— Tu n'as pas besoin de comprendre. De toutes les manières, depuis ton arrivée ici, je suis déjà la risée de tous. Une personne de plus à railler mes choix ne changera rien. Mais j'avoue que ça me déçoit venant de toi.

Karis retint son envie de hurler. Sa cage thoracique se resserra d'un coup, vidant ses poumons.

— Pourquoi tu ne m'as rien dit ? répéta Lumi d'une voix brisée. Qu'est-ce qui t'en empêchais ? Tu ne me faisais pas confiance ?

La confiance n'a rien à voir là-dedans ! aurait voulu lui répondre, mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. La vérité, c'est qu'elle avait voulu tout enterrer, de peur que tout ne vole en éclats. À présent, le mal était fait. Elle avait enfin réussi à décevoir sa belle-mère. Combien de temps avant qu'elle ne la renie ? Mieux valait le faire à sa place et lui épargner cette peine, avant que Karis n'ait à prendre le coup en pleine figure.

— Réponds-moi ! s'écria la femme en saisissant ses mains. Je t'en prie, tu me dois au moins ça...

— Je ne vous dois rien du tout ! s'époumona-t-elle. Vous n'êtes pas ma mère !

Les traits froncés de Lumi se relâchèrent soudain, dégoulinant d'horreur. Une vague de froid traversa Karis lorsque la femme retira ses mains, comme si elle l'avait brûlée. Lorsque la jeune fille tendit faiblement le bras pour la retenir, Lumi s'était déjà échappée de la pièce, claquant la porte derrière elle. Le hurlement de désespoir qu'elle poussa à l'extérieur fendit en deux le Cœur de Karis.

Par Kya, qu'est-ce que j'ai fait ?



Je me dédouane de toute responsabilité pour ce que font mes personnages ^^'

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