Chapitre 42 - Sans Visage

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— Mon nom est Érenn.

Thilste saisit maladroitement la main que lui présentait le sang-mêlé. Milanne la serra avec aussi peu d'assurance que lui. Érenn lui envoya un sourire éclatant avant de cracher quelques insultes à leurs agresseurs qui tambourinaient toujours à la porte.

— Vous avez trente secondes avant qu'on ne sorte avec nos armes, vociféra le vigile.

Les coups cessèrent soudain, et un bruit de cavalcade résonna dans l'impasse. Thilste jeta un regard inquiet vers Milanne.

— Tu vas bien ?

— Juste un peu secouée, bredouilla-t-elle.

— Merci de m'avoir sauvé de ces lâches, reprit Érenn en se tournant vers elle. J'ai peut-être perdu mon salaire du jour, mais pas de membres grâce à toi.

— N'importe qui aurait fait la même chose.

Thilste toussota discrètement. Elle lui jeta un regard noir. Érenn fronça soudain les sourcils avant de porter les doigts au sang qui coulait sur la tempe de la jeune fille.

— Viens, notre soigneur va s'occuper de cette blessure de guerre. Comment se prénomment mes sauveurs, au fait ? Je ne crois pas vous avoir jamais vu.

— Thilste, répondit l'étudiant avant que Milanne ne puisse ouvrir la bouche. Et elle, Haleia.

La jeune fille se retint de pouffer. Il lui avait donné le nom d'une guerrière qui avait aidé à asseoir l'autorité de la dynastie actuelle du Dalren. Une femme qui ne faisait qu'une bouchée de ses rivaux avec sa hache. Le portrait craché de Milanne. Thilste lui envoya une œillade amusée. Sa manœuvre ne visait pas qu'à la taquiner, songea-t-elle, mais aussi à protéger son identité. Si les Thilste courraient les rues, son prénom était, lui, beaucoup plus rare. Même si les Abandonnés n'avaient probablement jamais entendu parler d'elle, séparés du Dalren depuis presque trente ans, il n'y avait pas d'excès de prudence.

— Par ici, les invita le sang-mêlé en pointant l'un des côtés du cloître.

Milanne s'avança le long des arcades de grès sable, le regard attiré par la statue à l'extrémité. Une silhouette de femme se tenait droite sur son trône, qui devait être Kya au vu des étoiles sculptées en bas de sa robe. Mais sa tête avait été martelée, ne laissant qu'un cou qui se fondait avec le reste du mur. Par-dessus les astres, on avait gravé des soleils dont on avait oublié les rayons.

Quel est cet endroit ? songea-t-elle. Avec son potager et son vigile, l'endroit ne ressemblait pas à un simple foyer, mais à un quartier général. Les Abandonnés semblaient s'être divisés en plusieurs factions au vu de l'altercation entre Érenn et ses attaquants. Milanne rangea avec soin l'observation dans un coin de son Esprit, sans pouvoir réprimer un pincement de culpabilité.

— C'est la deuxième porte à droite.

Érenn leur fit signe de s'enfoncer dans l'ouverture d'un couloir près de la statue. Thilste se raidit mais ne dit rien. Si la perspective de s'éloigner de l'entrée n'était guère rassurante, ce pouvait aussi être l'occasion de se rapprocher de ces Abandonnés. Et, s'ils avaient de la chance, trouver un moyen d'aller au sud de l'Askan.

Le sang-mêlé leur ouvrit la porte et les laissa passer devant. La pièce était de taille moyenne, avec une table et des étagères remplies de bandages et de pots d'où s'échappaient un concert écœurant de senteurs. Assis sur une paillasse au sol, un homme épluchait une plante inconnue pour en mettre les fibres dans un bol. À leur approche, il redressa la tête.

Milanne se retint d'ouvrir grand la bouche en découvrant son visage. Il avait l'air plus jeune que ce qu'elle imaginait – probablement vingt-cinq ans. Mais surtout, elle ne s'attendait pas à deux iris d'un bleu-vert, similaires à l'eau de la rivière au zénith. Son regard dévia sur la blancheur de sa peau. Un Askanien. Ou peut-être un sang-mêlé aussi.

— Qu'est-ce que tu m'amène là ? bougonna-t-il en numarien. Et je vois que tu t'es encore retrouvé pris à parti. Tu vas finir par te faire tuer un jour.

— Ce ne sont pas tes affaires, répliqua Érenn dans le même dialecte. Je te demande juste de la soigner, elle. Je lui dois de ne pas être plus amoché.

— Ne me fait pas dire ce que je n'ai pas dit, soupira-t-il. Je ne vais pas te laisser sortir sans te traiter.

Thilste, qui n'avait pas saisi un mot de la conversation, jeta un regard perdu à Milanne. Celle-ci lui fit un signe discret pour l'apaiser. Alors qu'elle allait prendre la parole en numarien, Érenn reprit la parole dans leur dialecte maternel :

— Ne faites pas attention à son air grincheux, il m'a dit qu'il va te soigner Haleia, pas d'inquiétudes.

La plupart des Abandonnés ne parlaient donc pas numarien. Logique, nota Milanne, s'ils vivaient enfermés dans ce quartier. Quoi que, la présence du sang-mêlé démontrait qu'il y avait bien des contacts entre Askaniens et Abandonnés. Elle et Thilste feraient aussi mieux de ne pas trop parler la langue classique, dont la maîtrise avancée était souvent synonyme d'appartenance aux classes supérieures.

Érenn lui sourit, l'invitant à prendre place à ses côtés sur la paillasse. Elle s'exécuta après s'être déchargée de sa sacoche. Le soigneur s'était levé pour prendre un linge trempé dans de l'eau et un pot, un cataplasme composé à base de menthe au vu de son parfum. Milanne tourna légèrement la tête pour permettre à l'homme d'inspecter sa blessure.

— C'est superficiel, annonça-t-il à Érenn, un coup d'eau et ça ira normalement.

— Sûr ? Et si ça s'infectait ?

— Pas besoin de gaspiller le peu de remèdes qu'on a.

— Je peux aller en voler hors du ghetto au besoin.

— Pour que tu reviennes avec encore plus de coups ? Je ne pense pas que la Prophétesse apprécie que tu prennes encore plus de risques.

La Prophétesse ? s'interrogea Milanne. Le nom semblait tout droit sorti d'un conte pour enfants ou du Livre du jour. À sa mention, le sang-mêlé baissa la tête avec un air coupable.

Le soigneur nettoya la plaie sur la tempe de Milanne avec méticulosité, lui donnant dans les mains un bout de bandage.

— Plaque ça sur la plaie le temps que je m'occupe de l'autre idiot.

Érenn lui traduisit fidèlement l'instruction – l'insulte en moins. Elle les remercia tout deux d'un sourire. Adossé maladroitement contre le mur, Thilste cachait mal son malaise, détaillant le soigneur de la tête aux pieds. Il veut cramer notre couverture ou quoi ? s'agaça Milanne, avant de se radoucir devant la peur sincère dans son regard. C'était sans doute la première fois qu'il voyait un Askanien.

— Ne t'en fais pas, il est de notre côté, le rassura Érenn en larunien. Tous ne sont pas foncièrement mauvais, contrairement à ce que certains ici veulent nous croire. Il n'est pas le seul au monastère d'ailleurs, ne soyez pas étonnés d'en croiser d'autres.

Milanne n'en croyait pas ses oreilles. Un endroit où Dalreniens et Askaniens pouvaient cohabiter ensemble ? Voilà qui continuait à relever du conte. Sauf que le quartier des Abandonnés avait l'air d'être tout sauf merveilleux.

Thilste hocha la tête, honteux d'avoir été pris sur le fait mais les épaules plus détendues.

— Ils ne t'ont pas loupé dis-moi, siffla le soigneur lorsqu'Érenn retira sa tunique.

Plusieurs ecchymoses constellaient son torse, certaines plus anciennes que d'autres. Au milieu de ce triste firmament aux couleurs inversés, une lune d'argent reposait au-dessus de son cœur, relié par une chaîne à son cou. À la faible lumière de l'extérieur, le pendentif semblait presque bleu. Malgré le regard noir d'Érenn, le soigneur l'écarta pour appliquer le cataplasme sur ses contusions. Il pesta quand la mixture tacha ses mitaines en tissu grossier.

— Tu as intérêt à ne pas avoir gâché de remèdes en te fourrant à nouveau dans les ennuis, grommela-t-il.

— On sait tous les deux que tu n'as pas besoin de remèdes pour soigner, grinça l'autre.

Le soigneur lui jeta un regard courroucé.

— Du calme vieille chouette, ils ne comprennent rien.

— Il vaudrait mieux pour toi, Sans Visage.

Milanne fit de son mieux pour empêcher son Corps de se raidir. Avait-elle mal compris l'échange ? Aucun médecin ne pouvait guérir ses patients avec simplement de l'amour et de l'eau fraiche. Et puis « Sans Visage » ? Était-ce une insulte envers le sang-mêlé ? Celui-ci n'avait pourtant pas l'air offensé par l'appellation.

Le soigneur inspecta une dernière fois la plaie de Milanne, avant de les autoriser à quitter la pièce. Érenn les entraîna vers le cloître, mais à l'opposé de l'entrée.

— Le soleil est couché, déclara-t-il, ce n'est pas sûr de rentrer chez vous à cette heure-ci. Je vous en prie, restez au monastère cette nuit.

Milanne et Thilste échangèrent un regard. Ils ne gagneraient rien à retourner à la maison des espions, à part perdre de précieuses heures dans leur quête vers le sud. Ils devaient gagner la confiance d'un Abandonné pour obtenir les informations nécessaires.

— Merci pour cette proposition très généreuse, ce n'est pas de refus, répondit Thilste.

Il avait modulé quelque peu sa voix pour camoufler son accent de la capitale. Érenn brandit sa tunique en signe de victoire.

— Vous m'en voyez ravis ! Venez, on doit bien avoir une chambre de disponible.

Ils se laissèrent entraîner dans un dédale de couloirs sombres, dans lequel il les fit zigzaguer au gré des portes et des embranchements. Ils croisèrent sur le chemin d'autres Abandonnés, quelques Askaniens qui semblaient parfaitement dans leur élément, ainsi que des dizaines de statues de Kya décapitée. Un frisson parcourut Milanne.

Ils s'arrêtèrent devant une porte de bois qui grinça lorsqu'Érenn l'ouvrit. La cellule ne comportait rien à part deux nattes au sol, perpendiculaire l'une à l'autre, et un soupirail – trop petit pour se glisser à l'extérieur au besoin. Il y faisait terriblement chaud, signe que l'endroit devait être surchauffé par le soleil en journée. Malgré le nœud dans sa gorge, Milanne remercia le sang-mêlé et déposa sa sacoche sur la natte du fond.

— Le dîner est dans une heure, je reviendrai à ce moment-là pour vous emmener à la salle commune, les informa-t-il.

Il s'éclipsa après un bref sourire. Thilste ferma la porte derrière lui.

— Je ne vais pas cracher sur un vrai repas, mais est-ce toi aussi tu trouves cet endroit vraiment...

— Étrange ? compléta Milanne. Il me fout les jetons, oui.

Avec un soupir, l'étudiant plaça son propre sac à ses pieds avant de s'installer sur sa natte. Ils firent l'inventaire des maigres vivres qui leur restaient. Il n'y avait pas l'air d'y avoir de vendeurs dans le quartier : s'ils voulaient obtenir de quoi subsister dans le désert, ils allaient devoir voler. La perspective ne réjouit guère Milanne.

Soudain, Thilste redressa la tête avant de pousser une expression de stupeur. La jeune fille fit volte-face, mais ne vit rien.

— Tu as vu un Dymon ? ricana-t-elle.

— Pire, répliqua-t-il.

Il pointa le mur en face de lui. Milanne ne distingua d'abord rien. Puis, elle remarqua des graffitis sur le mur. Deux silhouettes féminines dessinées au charbon se trouvaient au sol, sans têtes, terrassées par un homme dont le visage se résumait à un simple ovale. Sous le corps des vaincues se trouvait d'un côté une lune, et de l'autre, un soleil. Thilste balbutia :

— On est tombés sur des hérétiques.



 On va dire oups O.o

J'espère que vous avez apprécié ce chapitre :3 (en tout cas j'ai adoré l'écrire)

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