~Floch: dix-sept ans~

-Eren, c'est l'heure de partir. Sieg nous attend et tu sais qu'il peut avoir un mau-... OH! Pardon!

Dans la chambre de mon meilleur ami, ce dernier est allongé sur son lit, en compagnie d'une demoiselle au corps entièrement nue. Cette étrangère s'empresse de cacher sa poitrine volumineuse en me voyant entrer alors que Eren se contente de glousser, peu concerné par cette intrusion. C'est humiliant. Je m'empresse de refermer ce qui a été ouvert, puis j'attends sagement contre le mur. Qui est-elle et que fait-elle dans ma maison?

À peine une minute plus tard, l'intruse quitte la chambre de Eren, vêtue convenablement et la tête basse. Elle ne perd même pas de temps à me saluer, gênée que je l'ai vue en tenue d'Ève. Comment aurais-je pus savoir? Le brun lui enjambe le pas, un sourire amusé sur les lèvres. En me voyant, il tapote mon dos.

-J'ai voulu prendre un petit encas avant de partir au camp, avoue-t-il. Cette fille est totalement folle de moi.

-C'est ta petite amie?

-Petite amie? Es-tu fou, mon pauvre Floch? Nan, cette fille n'est qu'une personne sexy qui accepte de me laisser jouer avec son corps sans rien demander en retour. C'est une de ses amies qui est venue m'avouer qu'elle a des sentiments pour moi. Pitié, elle ne me connait même pas! Rien ne me fâche plus que les allumeuses qui confondent désir et amour.

Je pince les lèvres, n'osant pas répondre à son discours de macho. Depuis quelque temps, Eren a changé. Celui qui était autrefois un garçon droit s'est laissé tenter par le fruit défendu qu'il cultive désormais en grande quantité. En un an, il a cueilli plus de roses que la majorité des gens dans toute une vie. Il est devenu vulgaire, grande gueule et surtout, il agit comme si le monde lui était dû. J'ignore quoi en penser. Au fond, j'aime penser qu'il est toujours mon Eren, celui avec qui j'ai grandi.

Nous allons au hall où nous attend Sieg, chacun tirant à notre suite une lourde valise. En quatre ans, notre « frère » a beaucoup changé physiquement. Si autrefois il se rasait quotidiennement, une large barbe domine désormais le bas de son visage angélique. C'est dommage qu'un homme aux traits si avantageux se laisse ainsi aller. Du haut de ses 23 ans, il est encore à l'université où il semble plus heureux que pendant son secondaire.

-Vous en avez mis, du temps, remarque-t-il. Vous êtes prêts à entamer votre avant-dernière année au camp?

-Ne dit pas ça, ça me met le cafard, grogne Eren. Pourquoi c'est toi qui dois être animateur, cette année, hein?

-J'ai vu l'annonce et j'ai postulé. Ce camp me manque plus que ce que je croyais... Puis m'occuper de vous, ça semble amusant, non?

Sieg sourit en ébouriffant les cheveux de son frère qui marmonne des insultes, trop « cool » pour de telles marques affectives. Moi, je n'ai jamais refusé les gestes tendres des gens que j'aime. Le blond rit et cesse d'attaquer son pauvre cadet pour poser ses yeux bleus sur moi. Il penche la tête avec curiosité :

-Où est Petite Pomme?

-Cette année, j'ai décidé de m'en passer, expliqué-je. Ce ne sera pas simple, mais je veux m'en départir tranquillement. Un garçon de mon âge avec une peluche, aussi importante soit-elle, ce n'est pas bien vu.

-Si c'est Eren qui t'a rentré ça dans le crâne, tu n'as pas à le croire. Tout le monde sait qu'il est en pleine crise de puberté.

-EN PLEINE CRISE DE QUOI? s'offusque Eren.

Eren s'apprête à défendre son nouveau mode de vie, comme il l'a souvent fait dernièrement, mais Sieg ne le laisse pas commencer. Dans un soupir exaspéré, le blond plaque une main sur sa bouche, ce qui ne fait qu'attiser la colère du brun. Malheureusement pour lui, le plus jeune est encore trop petit pour fuir la prise de cet adulte d'un mètre quatre-vingt. Il n'a pas encore eu sa poussée de croissance qu'il rêve de voir débarquer du jour au lendemain, ce qui fait de moi le plus grand de notre duo.

-Ne t'en fais pas, je prends mes propres décisions, affirmé-je. C'est gentil de t'inquiéter, mais je suis prêt.

-Si tu le dis, je vais te faire confiance. Au moindre problème, n'hésite pas à venir me voir. Je serai toujours là.

Sieg lâche enfin son otage qui lui lance des couteaux avec les yeux, puis nous embarquons dans le véhicule du blond. Comme il n'a pas beaucoup d'argent et qu'il hait les modèles récents, le garçon s'est acheté une vieille voiture usagée à faible coutant. Selon lui, tant que ça roule, c'est tout ce qui compte. Je suis d'accord avec son opinion, bien que je n'aurais personnellement pas opté pour une carrosserie orange.

Notre quatrième année au camp...

L'an prochain sera notre dernier été, puisqu'après cela, nous serons considérés comme étant trop vieux pour être de simples campeurs. Cette pensée me fend le cœur. Au fil du temps, ce lieu est devenu mon échappatoire, mon petit Paradis. Contrairement aux cours que je suis sans but, ce camp est devenu l'endroit où je peux rêver sans me soucier des conséquences. Je m'y suis fait des amis.

Sieg laisse sa voiture dans le grand stationnement réservé aux visiteurs, puis nous sortons de la voiture qui nous y attendra patiemment. Cette année, la météo annonce une forte canicule. Le soleil de plomb qui trône dans le ciel dégagé ne peut que leur donner raison, réveillant en moi l'envie de me jeter dans l'eau froide du lac pour chasser la sueur qui nait sur mon corps.

Nos valises à notre suite, nous marchons dans le sentier qui traverse le terrain réservé aux plus jeunes, puis nous continuons jusqu'à la plaine où les plus âgés sont maitres. Cette partie du camp est ma favorite, car la liberté y est la priorité. Même le chalet réservé aux garçons parait plus accueillant.

Sieg nous abandonne pour aller porter ses affaires dans le cabanon où dorment les animateurs et nous pénétrons dans ce qui sera notre maison pour les 36 prochains jours. Comme chaque année, d'autres garçons sont déjà arrivés et nous choisissons un lit superposé. Plus le temps passe, moins nous sommes nombreux à venir. Seuls les vrais n'abandonnent pas ce lieu paradisiaque.

-Bonjour tout le monde! s'exclame la voix énergique de Reiner. Les mecs, j'aimerais que vous accueilliez comme il se doit un homme nouveau, j'ai nommé le séduisant et mince Jean Kirstein.

Curieux de voir la raison de cette présentation, je me tourne vers la porte où se trouve un garçon grand et au corps svelte. C'est vraiment Jean ?! L'an dernier encore, son ventre rebondi et ses joues rondes faisaient de lui quelqu'un de peu attirant. Comment a-t-il pu devenir un prince charmant en un an? Le châtain est rouge à cause de l'annonce de son meilleur ami.

-J'ai eu une poussée de croissance, avoue-t-il timidement. Et Reiner m'a forcé à l'accompagner au gym trois soirs par semaine depuis qu'il y travaille. Du coup, voilà le résultat.

-C'est vraiment toi? s'étonne Eren. Tu es certain que tu n'es pas un androïde qui aurait remplacé le véritable Jean? Ça me semble impossible que tu sois passé de crapaud à ça.

-Je t'emmerde.

Jean fait un doigt d'honneur à mon meilleur ami, ce qui le fait rire. Si un jour on m'avait dit que Jean Kirstein deviendrait un bel homme, jamais je n'y aurais cru. C'est impressionnant de voir ce que quelques centimètres en plus et plusieurs kilos en moins peuvent avoir comme résultat. Quant à Reiner, il est beaucoup plus musclé que l'an dernier. Ancien chicot, ses bras ont doublé de volume. Je ne peux le voir, mais je suis convaincu que sous son chandail se cachent de beaux abdominaux.

-Tu travailles dans un gym? m'enquis-je.

-Yep, je suis devenu un coach privé, explique-t-il. Les petites dames en raffolent. Ça ne parait pas, mais c'est l'endroit parfait pour charmer de beaux mecs.

-Charmer des mecs? répète Eren avec incompréhension.

-Ouais, j'ai fait mon coming out cette année... Ne fais pas cette tête, Eren. On dirait que je viens juste d'avouer être un extraterrestre. Je suis gay, et alors?

Eren ne dit rien, se contentant de se tourner pour placer son sac de couchage sur son lit. Je sens le jugement dans ses yeux, le dégout sur le rictus que forment ses lèvres. Qu'est-ce qui l'énerve à ce point? Reiner est le premier garçon ouvertement homosexuel que je rencontre. J'aimerais lui poser quelques questions, mais la réaction de Eren me force à les refouler. Comment réagirait-il s'il savait que dernièrement, j'ai moi-même des doutes sur ma sexualité?

À l'école, Eren tente inlassablement de me présenter des filles. Chaque fois qu'il a une nouvelle conquête, je me retrouve forcé d'assister à un rendez-vous pour lequel je n'éprouve aucun intérêt. Ces filles sont pourtant jolies. Même lorsqu'elles tentent de me coller, je reprends rapidement mes distances, mal à l'aise. Pour elles, je ne ressens pas de désir hormis celui de devenir leur ami, contrairement à ce que je peux sentir pour les garçons. En classe, il m'arrive d'admirer certaines personnes de mon sexe, de les trouver fort attirants. J'aimerais en parler à Eren pour obtenir son opinion, mais les mots restent coincés dans ma gorge. C'est gênant.

-Pardonnez-moi, c'est ici le cabanon des garçons...?