ÉMILIE

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GROS CONTENT/TRIGGER WARNING  : 

Cette histoire comporte des thèmes pouvant affecter certains lecteurs et lectrices. Elle traite de diverses TCAs : anorexie/boulimie/orthorexie.

J'ai conscience de l'impact de ce genre de lecture sur les plus fragiles, j'ai conscience aussi que ces histoires sont utilisées pour nourrir les troubles, voire les aggraver. Pour éviter l'effet thinspo, aucun chiffre ne sera mentionné. Néanmoins, pour contexte, ce texte a été écrit alors que je me battais moi-même contre une relation troublée avec la nourriture, il peut en rester des maladresses. Je n'ai pas envie de me replonger dans une réécriture pour ces raisons-là. Si vous êtes affecté.e.s et que vous savez que lire sur ces thèmes engendre des comportements troublés, ne lisez pas. 

Sur ce, passez un bon moment.

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« Je ne suis pas malade. »

Étrangement, ce sont les mots qui m'ont permis de connaître l'existence du club des jolies filles. Des mots au pouvoir dénigrant, faciles à dire, encore plus à penser. Je ne suis pas malade, et c'est bien pour ça qu'elles m'en ont parlé. À quoi bon rentrer dans le groupe secret si l'on est en mauvaise santé ? Comment pourrait-on alors s'assurer de la pérennité de l'organisation ? Les gens malades ne peuvent décemment pas avoir leurs places dans le club des jolies filles. Du moins, c'est ce que je pensais. Les jolies filles ne tombent pas malades, c'est bien connu. Elles se réveillent avec le soleil, fraîches, pimpantes, et se couchent à la lueur de la Lune qui diffuse sur leur doux visage une clarté enchanteresse.

J'ai bien cru ne jamais pouvoir rentrer dans le club des jolies filles. Pourquoi aurais-je pu ? Moi qui me regardais tous les matins avec dégoût, qui attrapais ces hanches disgracieuses, et pinçais l'amas de graisse qu'y s'y formait un peu plus chaque jour. Et puis, ce n'était pas que ça, c'était un tout : du nez aux orteils, des ongles aux seins, les fesses, la peau d'orange, les vergetures dans l'intérieur de la cuisse. Sur quelle planète aurais-je fait partie des jolies filles ?

Les gens se retournaient peut-être dans la rue, mais après, ils chuchotaient. On ne chuchotait pas quand on croisait une jolie fille, on se contentait de sourire dix secondes tout au plus, le temps que l'image se fane dans notre esprit et que l'on passe à autre chose. Les murmures, en revanche, ils avaient une signification bien différente. Baisser la voix, élever un secret... l'objectif était de se moquer sans se faire entendre. Les gens se moquaient de moi. Dans le métro, au lycée. Je marchais, ils regardaient, aussi simple que ça. C'est dans ce regard que j'ai deviné que je ne pouvais pas être une jolie fille. Les personnes belles ne sont pas regardées, elles intimident, celles ignobles, par contre, il n'y a aucun souci. Sentiment de supériorité, dédain, on ne détourne pas les yeux de quelqu'un sur qui on pense avoir le dessus. Qu'on me regarde, c'est un affront.

Pourtant, malgré tous ces tracas de la vie quotidienne, j'avais été acceptée dans le club des jolies filles. Ça c'était passé assez rapidement, en réalité. D'abord, on m'avait montré ma chambre, puis j'avais déposé mes affaires, et il avait fallu que je rencontre la directrice de l'endroit où était géré le club. Je m'en souviens bien, elle m'avait posé la question que redoutaient toutes les jolies filles. Comme je l'avais appréhendée moi aussi, c'était une preuve de plus qu'au fond, j'y appartenais.

─ Est-ce que tu as mangé avant de venir ?

Timidement, j'ai secoué la tête. La directrice n'a rien dit, a pris des notes. De longues notes, pour un simple « non ». À sa place, j'aurais écris rapidement « Pas mangé ». Comme pendant les cours d'histoire. On nous apprend à synthétiser, à prendre le strict nécessaire. La directrice a peut-être eu des problèmes dans ses études parce qu'elle n'était pas assez rapide. Je ne sais pas. C'est sa vie, après tout.

Elle m'a posé quelques autres questions, sur la nourriture, principalement. La nourriture, c'était un truc de jolies filles par excellence. Prendre sa salade en photo, poser avec un milkshake hyperprotéiné au bord d'une piscine. Les jolies filles sont douées pour rendre un acte banal exceptionnel. Mon ancien statut (pas celui de jolie fille) ne me laissait pas la possibilité d'avoir ce talent pour la mise en scène d'un repas. Je mangeais quand j'avais faim, des fois je sautais des repas, des fois je ne mangeais pas. Une personne normale. Pas de photos.

Puis elle m'a congédié, et c'est quand je suis sortie que j'ai rencontré pour la première fois les membres du club des jolies filles. Une grande brune et une petite autre brune. Les jolies filles ne sont pas nécessaires blondes... ou blanches. Elles n'étaient pas blanches. J'étais la seule blanche. Il se dégageaient d'elles une aura extraordinaire, un éclat vif, elles resplendissaient. Leur sourire, leurs cheveux, leur corps. Elles avaient le corps dont j'avais toujours rêvé. Elles n'avaient pas ce morceau de peau qui retombait sur les hanches, j'étais prête à le parier. L'une d'elles avait la clavicule bien saillante. J'adore les clavicules saillantes, il est tellement beau d'admirer la physionomie d'un corps humain sans devoir chercher les différentes parties du corps sous un bourrelet.

─ T'es Émilie ? m'a-t-on demandé.

J'ai acquiescé. Elles ont souri. Pas de ce rictus moqueur ou snob, pas comme on pourrait le penser des jolies filles. Le geste m'a réchauffé le cœur, j'avais tellement peur d'être mal accueillie, qu'on me voit comme un monstre parce que j'étais tellement différente des autres personnes présentes. Plus petite, plus terne, plus grosse, plus tout. J'ai fini par demander, car la chose m'intriguait.

─ Comment vous connaissez mon prénom ?

─ On nous a prévenues de ton arrivée, a dit l'une d'entre elles. On est un peu les mentors des nouvelles.

─ Les mentors ? ai-je répété, par certaine d'avoir tout compris.

Après un regard, elles ont échangé un nouveau sourire. Mon Dieu qu'elles rayonnaient ! Je les enviais sur tous les points, je voulais tellement être à leur place, savoir ce que ça pouvait bien faire d'avoir confiance, d'être belle, de savoir qu'on plaisait. Les gens ne chuchotaient pas sur leur passage, ils ne les regardaient pas avec insistance.

─ Si jamais tu veux parler sans t'adresser directement à un adulte, tu peux venir nous voir. Moi c'est Claire, elle, Béa.

Béa a levé la main en guise de salut, et je n'ai pas eu la force de lui répondre par plus qu'une esquisse de sourire. Je devais être cramoisie. Une main s'est posée sur mon épaule, comme pour me rassurer, et j'ai frissonné.

─ Eh, m'a dit Claire d'une voix douce, t'es entre de bonnes mains ici. Tu sortiras guérie, je te le promets.

C'est à ce moment que j'ai froncé les sourcils. Guérie de quoi ? D'être un mouton noir dans la société, d'être incapable de me regarder dans un miroir sans avoir envie de changer de peau, de dézipper la fermeture éclair dans mon dos et de me débarrasser du cœur de mon problème ? Ça semblait bien peu probable. J'ai donc pensé qu'elles devaient croire que j'étais malade, parce que l'environnement se prêtait à la confusion. Avec ses murs bleu pâle, les lits à roulettes et les quelques machines drainantes qu'on apercevait ci-et-là. J'ai compris qu'un quiproquo énorme s'était glissé dans la conversation.

─ Oh, non, je ne suis pas malade.

Béa a eu un regard tendre à mon attention.

─ Ouais... personne ne l'est à son arrivée.


**


Au club des jolies filles, on suivait un régime très strict. Enfin, je dis au club des jolies filles, mais à ce moment-là, je n'y étais pas encore entrée, je frappais tout juste aux portes. Le club était encadré par les dames blanches, elles patrouillaient et s'assuraient qu'on faisait de notre mieux pour suivre le règlement. Les membres avaient le droit de manger ensemble dans la même pièce, mais en tant que novice, je restais dans ma chambre pour le moment. On m'apportait un repas, et je devais le terminer avant le prochain passage de la dame blanche.

Un jour, le repas est arrivé, et je l'ai longuement fixé de mon lit. Il n'avait pas l'air très appétissant, à croire que les jolies filles n'avaient pas le droit à de bons repas. C'était un prix à payer pour en faire partie. La dame blanche, qui partait normalement, est restée dans ma chambre, les bras croisés.

─ Vous ne partez pas ? l'ai-je questionnée.

─ Je m'assure que tu vas manger.

─ Je mange, lui affirme-t-elle.

─ Je ne crois pas. Tu as oublié ce qu'il s'est passé hier ?

J'ai levé les yeux au ciel avant de hausser les épaules. Depuis le début de mon arrivée, j'étais parvenue à me débarrasser de la nourriture du club en la jetant dans les toilettes, me croyant maline. Mais il n'avait fallu que trois jours pour qu'on découvre le pot-aux-roses. Les dames blanches étaient plus intelligentes que moi.

─ Je n'ai pas faim, ai-je dit.

─ Mange quand même.

J'ai fait la moue, et ai fini par rapprocher le plateau à roulettes de mon lit. Dans un geste colérique, j'ai attrapé la fourchette, et l'ai plantée avec férocité dans le brocoli flasque et bouilli, pour lui faire plaisir, parce qu'elle m'énervait. Elle n'était pas une jolie fille, pourquoi aurais-je dû l'écouter ? Au moment de porter l'aliment à ma bouche, l'odeur chaude du brocoli mal cuit m'est monté aux narines, et j'ai eu un haut-le-cœur. J'ai fermé les yeux, pour ne pas qu'elle se moque de moi qui avait peur d'un brocoli de rien du tout, et ai ouvert la bouche.

J'ai pleuré. La fourchette est tombée, les larmes aussi. J'ai poussé le plateau, et bientôt mon corps n'a plus été qu'un tressaillement continu de sanglots. La dame blanche s'est aussitôt assis à côté de moi, et a voulu me calmer avec des phrases réconfortantes que je n'ai pas réussi à comprendre.

On a frappé à la porte de ma chambre, c'était les deux mentors du club des jolies filles. Toujours aussi belles. Claire portait un long gilet coloré, et un jean qui mettait sa silhouette longiligne en valeur. Elle avait le corps d'une déesse, c'était presque gênant d'être dans la même pièce qu'elle.

─ Salut, m'a-t-elle lancé, on vient voir si tout va bien.

J'ai rapidement essuyé mes larmes, et la dame blanche leur a glissé quelques mots avant de disparaître. Béa s'est installé à ma gauche, Claire à ma droite, et d'un coup, je me suis sentie submergée d'un sentiment de sûreté. En même temps, j'avais l'air toute petite faces à ces deux grandes femmes, tant par la taille que par la présence.

─ C'est quoi le problème ? m'a interrogée Béa en passant son doigt sur ma joue pour la sécher.

Ma réponse s'est perdue dans ma gorge, et elles ont attendu patiemment que le tremblement de ma voix s'arrête. Claire a passé sa main dans mes cheveux.

─ Je n'aime pas la nourriture ici, ai-je fini par articuler.

─ Juste ici ?

─ Je... oui.

─ Alors tu peux manger quelque chose qui vient de l'extérieur. Disons... ça ?

Claire a sorti de la poche de son gilet une barre chocolatée. L'emballage brillait, l'image était alléchante, j'ai quand même fait la grimace quand elle a essayé de la tendre. Ma réaction lui a fait lever un sourcil, et j'ai cherché désespérément à me justifier, pour pas qu'elle ne se vexe à mon refus, ou qu'elle pense que j'étais malpolie.

─ Pas ça, non... C'est... c'est gras, et sucré. Ça fait grossir.

─ Tu ne veux pas grossir ? s'est étonné Béa.

Sa question m'a paru stupide sur le coup. Qui voulait grossir ? Et puis, je l'étais déjà assez, je pouvais attraper n'importe quelle partie de mon corps, et la peau me restait facilement entre les doigts tellement elle était pleine de graisse stockée depuis de nombreuses années. J'avais bien tout tenté pour l'éliminer, le sport, les régimes, rien ne fonctionnait.

─ Non ! Non, je veux pas grossir, je veux être... je sais pas... jolie.

Claire et Béa se sont regardées. La barre chocolatée me pendait toujours au nez, alors je baissais les yeux et tournais la tête pour ne pas la croiser des yeux.

─ Tu penses que les jolies filles ne mangent pas de chocolat ? m'a demandé Claire.

J'ai acquiescé, ça me paraissait évident.

─ Tu me considères comme jolie ? a-t-elle continué.

Nouveau hochement de tête, plus timide cette fois-ci. C'était gênant à avouer.

─ Regarde-moi, Émilie.

J'ai levé la tête, et sous mes yeux, elle a déballé la barre, l'odeur est parvenue jusqu'à moi, causant des sentiments mitigés face à l'envie de croquer dedans et la conviction que rien ne pouvait me faire plus de mal. Puis, Claire a cassé le chocolat en deux, et donnant une partie à Béa, l'a mangé. Aussi simplement que ça. Je suis restée bouche bée.

─ Les jolies filles mangent, c'est la première règle ici. Tu as déjà entendu parler du club des jolies filles ?

J'ai secoué la tête frénétiquement.

─ C'est un club secret entre ses murs, a expliqué Béa. Et pour en faire partie, c'est simple. Il faut manger, et manger jusqu'à ne plus être malade.

─ Je ne suis pas malade.

─ C'est la seconde règle. Pour entrer dans le club, il faut être malade.

Sur ces mots mystérieux, elles se sont levées avant de s'éclipser de ma chambre, me laissant seule face au plateau repas. La porte toujours ouverte, j'ai attendu longuement, pour voir si la dame blanche n'allait pas revenir. Au bout de dix minutes, j'ai compris qu'on allait me laisser tranquille. J'ai alors été tentée de recommencer, de mettre à nouveau ce déjeuner peu ragoûtant dans les toilettes. Mais les paroles des jolies filles me sont revenues en mémoire. Qui aurait pensé que je m'étais trompé depuis le début ? Moi qui croyais que pour être une jolie fille, il ne fallait pas manger n'importe quoi, qu'il ne fallait pas manger du tout, des fois. En réalité, c'était l'inverse.

J'ai attrapé mon plateau, ramassé ma fourchette, et pour la première fois depuis que j'étais arrivé à l'endroit où se tenait le club, j'ai avalé quelque chose.


**


Je mangeais, maintenant, mais Claire et Béa ne voulaient toujours pas me faire entrer dans le club, ce qui avait tendance à m'énerver. Quand je leur demandais pourquoi elles me refusaient l'accès comme ça, elles disaient :

─ Tu n'es pas malade, c'est la règle.

─ Mais je ne peux pas tomber malade comme ça !

─ Bien sûr que si.

J'ai soufflé, agacée, et me suis rendue dans la salle de la balance. La salle de la balance, c'était un passage obligé tous les matins avant le petit-déjeuner, pour s'assurer qu'en tant que jolie fille – ou apprentie jolie fille dans mon cas – notre poids était correct. Le poids est majeur dans la formation des jolies filles. Le nombre doit être parfait, dans mon cas, il était loin de l'être. Ce matin-là, la dame blanche qui s'occupait de la balance m'a reçue, et je suis monté sur l'objet de torture.

─ Huit cents grammes, c'est super Émilie ! Tu vois que ça fonctionne quand tu ne jettes pas tes aliments dans les toilettes.

Sauf que ce n'était pas du tout super, comment pouvait-on l'affirmer ? Je devenais une grosse vache et on me félicitait pour ça. J'ai éclaté en sanglots, encore une fois, car c'était trop difficile à encaisser. Le bourrelet sur ma hanche allait être encore plus imposant, comment allais-je pouvoir supporter cette idée ? La dame blanche m'a prise dans ses bras.

─ Ça va aller, a-t-elle chuchoté, je sais, c'est dur au début.

─ Je voulais même pas venir là, c'est mon père qui m'a faite entrer. Moi je voulais pas, j'étais bien chez moi.

─ Mais pourquoi tu penses qu'il t'a mise ici ?

J'ai haussé les épaules.

─ Pour que je grossisse.

─ Ça, mais pas que, a-t-elle affirmé. Émilie, quel est le poids moyen d'une femme en France ?

Je n'ai pas répondu, je n'en savais rien. De toute manière, la majorité des femmes que je croisais m'avait l'air plus fine, plus jolie, mieux formée que moi. Elles devaient probablement peser moins, c'était la conclusion que j'en tirais. Elle me l'a donné, je ne l'ai pas crue. Puis, elle m'a demandé :

─ Tiens, est-ce que tu peux remonter sur la balance ?

J'ai obtempéré, sans réelles pensées. Le chiffre me semblait astronomique, c'était beaucoup, non ? Je suis remontée, et j'ai attendu que mon poids se stabilise. Elle m'a demandé de le lire à haute voix, et comme à chaque fois que l'émotion me prenait, j'avais du mal à parler sans trembler.

─ Vas-y, m'a-t-elle encouragé, lis-le.

J'ai articulé avec peine le chiffre, et le lire à voix haute était étrange. L'écart entre les deux nombres m'a paru astronomique, et j'ai fixé un long moment le numéro indiqué par la balance. D'un coup, j'ai pris conscience de sa signification. J'ai préféré tout garder pour moi, en proie à une sorte de transe, un état de choc qui me paralysait sur place.

─ Tu penses toujours que tu n'as pas de raison d'être ici ?

Bientôt, le poids affiché n'a plus eu de sens à mes yeux, il me paraissait n'être qu'une suite de chiffres, sur un appareil de mesure, je n'avais plus le sentiment qu'il était rattaché à moi, et je me suis rendue compte que c'est exactement la manière dont je l'avais abordé depuis de nombreuses années. Jamais ces numéros ne me paraissaient réels, j'avais fini par me persuader qu'ils n'étaient qu'un mensonge, qu'on les trafiquait. Et plus ils baissaient, plus ils me semblaient moins vrais. C'était un long processus que celui de comprendre que ces chiffres ne se suffisaient pas à eux-mêmes, mais qu'ils étaient miens.

J'ai chuchoté.

─ Je suis malade.

Silence, avant que j'ajoute.

─ Je vais faire partie du club. 

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