29. Se faire sa propre idée

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Le petit groupe qui entourait Semjinkin se retire derrière nous, et nous nous mettons en chemin.

Tous, ils portent des tenues modestes, bien moins voyantes que celles des autres nobles. Celle de Semjinkin est même principalement noire, seules des broderies dorées et rouges y apportent de la couleur, l'accordant au thème de la fête. Je sais que ce n'est pas par manque de moyens, ça doit donc plutôt être parce qu'ils ne se sentent pas les bienvenus et préfèrent se faire discrets.

L'avantage de déambuler en leur compagnie c'est qu'on est sûr de ne pas se faire marcher sur les pieds ! La majorité des personnes que l'on croise n'osent pas s'approcher. Je constate toutefois que si les aristocrates ont de la méfiance dans le regard, chez leurs domestiques c'est plutôt de la crainte.

Bizarrement, Semjinkin n'a rien de particulier à me demander. Et il m'emmène réellement vers un autre coin de la fête, où j'aperçois bientôt plusieurs petits pavillons devant lesquels des gens font la queue.

Apparemment, les pavillons abritent des conteurs d'un genre un peu particulier. 

D'abord, ils mêlent presque équitablement narration et action, incarnant par moments leurs personnages sur scène. Ensuite, leur texte est très travaillé, il est empli de subtils jeux littéraires, références, images poétiques... qui m'échapperont très certainement. Semjinkin m'assure toutefois que ce n'est pas gênant.

Car si le conteur-acteur insuffle dans sa prestation son esprit et son érudition, il le fait de manière fine. De sorte que ceux qui n'ont pas reçu de grande éducation apprécieront autant que les lettrés, simplement pas forcément pour les mêmes raisons.

C'est là toute la difficulté d'ailleurs de cette pratique originaire de l'ouest de l'empire, et dont Semjinkin semble aussi fier que passionné. On ne peut plus l'arrêter sur le sujet ! Il m'explique qu'il existe même des concours entre ces conteurs-acteurs.

Plusieurs fois, il s'arrête pour attirer mon regard et celui de ses compagnons sur tel spectacle, telle bonne odeur d'épices ou telle pâtisserie. Ils échangent quelques mots, joyeux et insouciants. Sa compagnie n'a rien de désagréable, ni de terrifiant. Et il n'a vraiment rien à me demander...

Est-ce que je l'ai jugé trop vite à cause de mes à priori ? Il me semble normal de faire confiance à Xemtei. Mais en même temps, ça me paraît injuste de condamner cet homme uniquement sur des on-dits. Même Xemtei n'a que des soupçons envers lui.

La seule chose que j'aurais pu avoir à lui reprocher est de s'intéresser à l'adolescente que je suis censée être. En tant que Suirei, j'ai dix ans de moins que lui ! Mais même là, je ne peux rien dire : il n'est absolument pas dans un rapport de séduction. 

Au contraire ! Il s'adresse plutôt à moi comme à une petite sœur. Une petite sœur qu'il respecte assez pour la vouvoyer, certes, mais qu'il côtoie avec une forme de bienveillance paternelle.

À l'énième long coup d'œil que je lui lance, il s'arrête pour s'étonner :

- Vous m'observiez déjà comme ça l'autre jour, au temple !

Méfiante, je demande :

- Comme ça quoi ?

- Si seulement je savais ! rétorque-t-il, penaud. La plupart des gens ici me jettent de rapides coups d'œil mécontents, curieux, craintifs ou envieux... ou bien me toisent avec dureté et défiance, comme votre cousin. Mais vous, je n'arrive pas à déterminer ce que votre regard signifie...

- Euh, c'est juste que... je ne vous connais pas, alors je ne sais pas trop quoi penser de vous.

- Peu de personnes ici me connaissent vraiment, commente-t-il avec ironie. Mais ils n'en pensent pas moins.

- Ce que je veux dire, c'est que je n'avais jamais vraiment entendu parler de vous avant l'autre jour. Puis mon cousin m'a expliqué, mais...

Je ne sais pas comment terminer ma phrase. Je me contente donc de hausser simplement les épaules, ce qui le fait insister :

- Mais... ?

- Comme je vous dis : je ne sais pas quoi penser.

- Et qu'est-ce que votre cousin vous a expliqué pour que cela vous rende si perplexe ? s'enquiert-il en haussant un sourcil.

Hum. Mieux vaut ne pas trop rentrer dans les détails je suppose, alors succinctement comme prudemment je réponds :

- Oh... eh bien, vous savez, que vous êtes un ennemi de l'empereur...

Ma remarque, pourtant évidente, le fait se figer sur place. Son visage a perdu toute expression. Après une courte inspiration, il déclare :

- Je peux demander à ce qu'on vous coupe la tête pour une telle accusation.

C'est à mon tour de rester bouche bée, sous le choc. Je balbutierais si des mots daignaient parvenir à sortir de ma bouche. Et moi qui me suis crue prudente !

Après m'avoir longuement scrutée, comme pour s'assurer de mon honnêteté, il se détend et reprend sa marche.

- Vous ne vous rendez pas compte de la gravité de ce que vous venez de dire..., souffle-t-il en secouant la tête. Je vais faire comme si je n'avais pas entendu. Vous n'êtes pas à blâmer, vos tuteurs n'ont manifestement pas fini de vous éduquer. Je comprends mieux maintenant pourquoi Xemtei s'opposait à ce que nous nous voyions ! s'exclame-t-il comme si un curieux mystère trouvait enfin sons sens.

Soigneusement, j'essaye de m'expliquer :

- Je ne voulais pas dire du mal de vous, je pensais... je croyais...

- Vous pensiez qu'on pouvait dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas ? finit-il pour moi dans un pauvre sourire. Non, certainement pas.

Après un soupir, il ajoute :

- La cour est un endroit bien plus dangereux qu'il n'y paraît ! Votre famille n'aurait jamais dû vous y faire entrer si tôt, vous n'y êtes pas préparée. 

Il a raison : jusqu'à présent je faisais illusion car j'étais chanceuse et bien entourée. Mais je savais que ça ne pouvait pas durer éternellement, il y a trop de choses encore que j'ignore, ou qui me sont inhabituelles. J'acquiesce donc gravement :

- Je suis bien d'accord avec vous.

- Heureusement, on m'a expliqué votre parcours ! Mais je ne m'attendais pas à ce que vous vous exprimiez de façon aussi franche sur des sujets aussi délicats.

Ma spécialité, hélas ! Déglutissant, je demande :

- Est-ce que... on aurait vraiment pu me couper la tête, juste pour ce que je vous ai dit ?

- Une accusation de trahison infondée, qui plus est envers une personne d'importance, demande réparation, explique-t-il patiemment. Et j'aurais pu en effet exiger une peine aussi élevée que votre vie. Mon père l'aurait fait, il n'aurait pas laissé passer une telle occasion de défier votre cousin ! Pour autant, cette peine n'aurait jamais été appliquée. Vous êtes mineure, et ce n'est qu'une phrase... je suppose qu'on vous aurait condamnée à de simples coups de fouet.

De simples coups de fouet.

Interdite, j'ai l'impression de découvrir un nouveau monde. Le seul vrai danger ici, selon moi, c'était les fantômes. Mais comme d'habitude, plus j'en apprends sur l'empire, et plus je tombe de haut.

Les fêtes vont prendre une nouvelle saveur maintenant que je sais combien je dois surveiller mes paroles ! Anxieuse, je demande :

- Est-ce que votre père compte revenir bientôt à la cour ? 

Voilà qui lui donne un rapide rictus :

- Mon père ? Certainement pas ! Il ne reviendra à la cour que lorsque sa rancune envers l'ancien empereur sera apaisée, et il lui faut très longtemps pour pardonner. Croyez-moi, pour être aux premières loges de ses humeurs, j'en sais quelque chose, ajoute-t-il sombrement.

Son regard redevient un court instant celui mélancolique qu'il avait au temple. Avant qu'il ne secoue la tête pour retrouver une attitude plus posée.

- Vous m'avez dit qu'il n'aurait pas laissé passer l'occasion de défier Xemtei. Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il a contre lui ?

- Rien, bien sûr ! lâche-t-il avec ironie. Certains toutefois..., ajoute-t-il après un silence, vous diront qu'il déteste tellement l'empereur qu'il ne manquerait jamais une occasion de causer du tort à l'un de ses proches.

- Oh...

- C'est ainsi qu'il faut s'exprimer, m'explique-t-il ensuite avec un sourire dépité. Certains disent que... On raconte que... Vous ne risquez alors rien, à part vexer ou énerver votre interlocuteur. Ce qui peut se révéler toutefois dangereux si vous êtes en face d'une personne puissante et susceptible.

- C'est votre cas ?

Ma question le fait rire.

- Décidément, vous êtes du genre directe ! s'esclaffe-t-il.

- Je ne peux même pas poser une question comme ça ?!

Si, si ! C'est juste inhabituel, mais vous pouvez, il n'y a pas de mal. Est-ce que je suis une personne puissante ? répète-t-il, songeur. D'une certaine manière, oui, même si je ne suis pas de cet avis. Et est-ce que je suis susceptible ? Non ! Je ne pense pas être susceptible... il ne vaut mieux pas, dans ma situation, quand on voit comment je suis traité ici ! Ni avec tout ce qu'on raconte sur moi !

Il y a de l'amertume dans sa voix, comme s'il ne comprenait pas qu'on s'en prenne à lui.

- Oui, fais-je en hochant la tête. Puisqu'on raconte que vous êtes l'ennemi de l'empereur.

Je guette sa réaction et il me sourit, acquiesçant à son tour :

- En effet, c'est ce qu'on raconte sur tous les membres de ma famille.

Levant des yeux intrigués sur lui, je poursuis :

- Mais sur vous, on raconte... on raconte qu'il y a beaucoup de coïncidences troublantes qui vous entourent.

- Je ne peux pas le nier, fait-il en grimaçant, et j'en suis le premier désolé. Cela envenime un peu plus mes rapports avec l'empereur et ses proches. Alors que pour ça, l'attitude de mon père et de ma sœur suffisaient amplement ! Mais sachez que quoi qu'on raconte sur moi, ma volonté de soutenir Kianshei est sincère.

- Hum...

- Vous êtes dubitative ?

Louchant sur le côté, je marmonne :

- C'est à dire que... on raconte qu'au début de son règne, vous avez envoyé des assassins pour l'éliminer.

- Eh bien ! s'étouffe-t-il presque. Je vous ai donné un outil efficace pour éviter de commettre trop d'impairs, certes, mais même lui a ses limites ! Si vous en abusez pour dire beaucoup de choses aussi graves que vexantes, même le moins susceptible des nobles pourrait le prendre mal.

Ah ! Oui ! Évidemment !

- Oh... je vous demande pardon.

- Toutefois, je vois que c'est un sujet qui vous tracasse alors : libre à vous de me croire ou non, mais...

Il vient planter sur moi son regard clair, poursuivant d'un ton incisif :

- ... je n'ai jamais envoyé d'assassin éliminer qui que ce soit. Jamais.

Sur le coup, il n'est pas que franc, il est également légèrement vexé, même s'il vient chasser ensuite cette émotion en retrouvant un sourire cordial.

- Je ne pensais pas que nous aurions ce genre de discussion. Votre cousin a rudement dû vous mettre en garde contre moi !

Je hausse les épaules, ne lui donnant ni tort ni raison, répétant simplement :

- Je vous ai dit, je ne sais pas quoi penser de vous.

- À partir du moment où vous vous méfiez de moi, de toute manière, il n'y a pas de raison pour que croyiez mes paroles... cela ne sert donc à rien de continuer, conclut-il.

Une fois encore, son ton est un mélange de dépit et de sarcasme. Mais il dit vrai. Je ne trouve qu'à murmurer :

- Je suis désolée.

- Ce n'est rien, c'est mon lot à chaque fois que je viens ici, je suis habitué. J'ai fini par très vite comprendre que ce n'était même pas la peine d'interagir avec les partisans et les amis de l'empereur !

Oui, en effet, Xemtei m'avait dit que Semjinkin normalement gardait toujours ses distances avec les proches de Kianshei. C'est pour ça qu'il trouvait étrange qu'il vienne vers moi.

- Mais moi, vous êtes venu me parler..., dis-je donc avec méfiance.

- Oui. Je vous l'ai dit : votre regard m'a intrigué, il n'était justement pas celui que m'adressent d'habitude ceux qui évoluent dans l'entourage de l'empereur. Mais je comprends que ce n'était que parce qu'on ne vous avait pas encore parlé de moi ! Je ne vais donc pas vous ennuyer plus que nécessaire. Après le conte, vous pourrez rejoindre vos amies si vous préférez. Ou même dès maintenant...

Nous étions là, à nous inquiéter avec Xemtei que cet homme s'intéresse soudain à moi sans raison... alors qu'en réalité, c'est moi qui l'ai incité à venir vers moi !

Autant tout à l'heure, j'aurais accepté sa suggestion. Autant à présent, je suis trop curieuse d'en apprendre plus pour avoir envie de repartir. Et puis, même si j'adore mes amies, j'apprécie toujours d'échanger avec un adulte. Je réponds donc :

- Non, je... j'aimerais me faire ma propre idée sur vous.

- Même si tout ce que je raconte n'est peut-être qu'un mensonge ? s'étonne-t-il.

Je grimace, songeuse, avant de trancher :

- Oui. Après tout, ça ne me coûte rien de vous laisser le bénéfice du doute.

Son regard d'abord surpris, puis joyeux, fait plaisir à voir.

- Eh bien ! Ce sera une première ! rit-il. Mais il faut une première fois à tout. Je tiens à œuvrer pour que vous ayez une bonne opinion de moi, alors dites-moi : est-ce qu'il y a quelque chose de concret que vous auriez à me reprocher ? Ou qui tendrait à vous faire penser que je suis un affreux personnage ?

Dans un sourire ironique, je siffle :

- En dehors des curieuses coïncidences qui vous entourent ?

Souriant tout autant, il répond :

- Oui, j'ai dit quelque chose de concret.

Je réfléchis, puis souffle avec hésitation :

- On m'a parlé d'une affaire ayant entraîné la disgrâce d'un secrétaire d'État...

- Ah ! L'affaire Meyari. Oui, une affaire extrêmement grave et sérieuse, affirme Semjinkin. Et qui n'a officiellement aucun lien concret avec ma famille. C'est en tout cas ce qui a été conclu par les enquêteurs impériaux.

Il m'adresse un regard difficile à interpréter. J'ai presque l'impression qu'il sous-entend que les Bralizem était bel et bien impliqués...

- Ce qui est certain toutefois, c'est qu'elle n'a aucun lien avec moi, finit-il d'un ton plus acéré.

Ce ton identique à celui qu'il a eu quand j'ai évoqué les rumeurs sur les assassins, comme s'il ne trouvait pas seulement détestable mais déshonorant d'être associé à ça. Toutefois, je demeure réservée, aussi il ajoute :

- Il y a bien des choses qu'on peut me reprocher, c'est vrai. Je ne suis pas exempt de nombreux mauvais côtés, et je reconnais ne pas faire preuve de beaucoup de compassion envers mes ennemis. Surtout quand ces derniers n'en ont aucune pour moi. Toutefois, Kianshei n'est pas un ennemi. Je n'aurais aucun intérêt à agir contre lui, au contraire.

Je m'exclame alors :

- Mais si votre neveu devenait empereur, ça bénéficierait à votre famille, comme à vous-même !

- Et pourtant ! Ce n'est pas une situation que je souhaite voir se réaliser, et encore moins que je chercherai à favoriser.

- Admettez que c'est difficile à croire...

- Pour quelqu'un qui ne me connaît pas, oui. Ce qui est bien mon problème ici ! À la cour, personne ne me connaît vraiment !

Hum... toujours un peu sceptique, je demande :

- Mais je ne comprends pas... vous n'aimez pas votre neveu ? Vous pensez qu'il ferait un mauvais dirigeant ?

Il rit, avant de me répondre :

- J'adore mon neveu ! Et je crois qu'il ferait un excellent empereur. Après tout, comme l'empereur actuel, il a été formé toute sa vie pour ça.

J'écarquille les yeux, consternée et il fronce donc les sourcils en demandant :

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Eh bien... former toute sa vie quelqu'un à un avenir qu'il n'aura à priori jamais, c'est étrange.

Son regard se tourne vers les pavillons desquels nous ne sommes plus très loin. Des panneaux de bois vernis ont été placés devant leurs portes. Je n'arrive pas à lire d'ici ce qu'ils affichent, mais apparemment Semjinkin sait de quoi il s'agit.

- Ah. Le spectacle a déjà commencé..., soupire-t-il. Il va falloir attendre le prochain si on veut écouter l'un de ces conteurs. On peut repartir et aller en voir d'autres plus classiques si vous préférez ?

- Ça ne me dérange pas d'attendre et de continuer notre discussion.

Elle m'intéresse bien plus qu'un spectacle !

Semjinkin explique donc la situation à ses compagnons. Ils sont à demi déçus. Nous décidons de nous installer sur des bancs non loin. Encore une fois, la foule s'écarte de nous comme si nous avions la peste.

Je trouve ça vraiment désagréable et ne peux m'empêcher de jeter des regards durs à ceux qui agissent ainsi. Cependant, Semjinkin et les siens paraissent habitués, ils conservent leur calme, ignorant cette attitude dédaigneuse.

Semjinkin et moi nous asseyons sur un premier banc, et ses compagnons sur un autre plus loin. Se tournant vers moi, soudain très sérieux, il affirme :

- Vous trouvez ça étrange, la façon dont ma sœur et mon père ont élevé mon neveu. Mais c'est parce que vous n'avez qu'une version de l'histoire. Celle qu'on raconte ici. Voulez-vous entendre celle qu'on raconte dans l'ouest ?

Évidemment, j'opine vivement du chef, suspendue à ses lèvres.

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