31. L'art du conte-joué

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28/02/2022  Hello tout le monde ! C'est l'heure de la pause annuelle ! Je vais être en stage pendant tout le mois de mars, et comme je bosse également le week-end, je n'aurai plus AUCUN moment pour écrire -_- C'est juste horrible

Je suis donc désolée de devoir mettre la publication en pause. Je recommencerai à écrire normalement vers avril, et dès que j'ai assez avancé, je reprends les publi. Donc retour en mai si tout se passe bien ! Sinon, je reprendrai la publication mais au ralenti (un chapitre de temps en temps quand je peux)

Pour me faire pardonner, voici un LONG chapitre ! J'espère qu'il vous plaira ! Bonne lecture et vous allez me manquer T-T

**

Ses compagnons préfèrent continuer de discuter sur les bancs, sauf Vilkura qui nous rejoint aussitôt, comme une évidence. Dès qu'il est assez près, Semjinkin en profite pour le désigner avec affection :

- Je ne vous ai pas présenté mon vieil ami d'école, Vilkura Tamokinnan.

L'homme incline la tête poliment, et je fais de même tout en répondant selon l'usage :

- Suirei Fannan.

Nous connaissions chacun déjà nos noms, c'est uniquement une histoire d'étiquette. Nous nous mettons ensuite en chemin, Vilkura préférant rester à quelques pas derrière nous.

Est-il vraiment juste l'ami d'école de Semjinkin... ou son garde du corps ? 

Il a plutôt l'allure du premier, avec sa silhouette peu musclée, son visage aux traits arrondis et ses grands yeux de biche brillant de curiosité. Mais je me rappelle de ce que Xemtei m'a dit : c'est aussi un combattant redoutable.

Quant à Semjinkin, que penser de lui ? Au final, tout ce que Xemtei a réellement à lui reprocher, c'est de ne s'être jamais fait prendre, et de ne pas être favorable à Kianshei. 

Pour ce dernier point, j'émets des réserves après l'avoir écouté. Et pour le premier... il faudrait que Xemtei m'en dise plus. Dans quels types d'affaires est-ce qu'on le soupçonne d'avoir agi ? Cela m'aiderait à mieux cerner le personnage. Car pour l'instant, il a plus l'étoffe lui aussi d'un érudit, passionné de littérature, d'histoire, de culture, et plus encore, de l'art du conte-joué, que d'un dangereux intrigant.

Nous repartons du stand en grignotant nos beignets salés, quand je remarque que de petits attroupements se sont formés derrière les pavillons, espacés les uns des autres. Au milieu de chacun, un conteur-acteur captive l'attention de son public.

- Ah ! sourit Semjinkin en suivant mon regard. Les conteurs amateurs. On peut passer les voir, ça vous donnera un aperçu... cela vous tente ?

J'opine du chef et nous nous promenons donc entre les groupes, écoutant quelques instants chacune des différentes histoires. Je reconnais ce dont Semjinkin m'a parlé : les longs dialogues joués où les conteurs changent de voix comme d'attitude, et un langage qui sonne naturel tout en faisant preuve d'une certaine poésie.

Puis nous nous arrêtons tout naturellement devant une conteuse en particulier. C'est la seule femme. 

Ses longs cheveux, entre le blond et le châtain clair, sont à demi ramenés en une coiffure simple peu raffinée, comme si elle s'était coiffée rapidement avant de venir, sans se regarder. Son chignon tombant ne possède pour toute décoration qu'un pic à cheveux en bois gravé, planté là grossièrement, d'où pendent des perles de verre.

 D'une manière générale, sa mise est humble et sa tenue, bien que soignée, n'a rien d'élégant. D'un orange rouille, elle n'est pas en soie mais en ramie, maintenue en place par une ceinture en coton brodé. Enfin, elle n'a pas la même coupe que les autres tenues féminines.

La veste du haut est ample, tandis que les manches sont près du corps. La jupe arbore de gros plis plats, volontairement visibles, et elle a très peu de volume. Elle tombe presque droite après la ceinture et ne s'évase finalement qu'après les genoux. 

Est-ce que c'est une mode régionale ? L'état général du vêtement, qui a été très discrètement rapiécé à divers endroit me ferait penser qu'ils s'agit plutôt d'une tenue démodée.

Toutefois, personne ne se préoccupe de ça. Tout le monde est captivé par la voix de cette femme, à la fois grave et vive. Son histoire est très amusante, pleine de surprises, d'émotions, d'humour, et de finesse. Son jeu est naturel, subtil.

Bien vite, je remarque que Semjinkin et Vilkura rient ou sourient discrètement à certains moments, sans que je ne comprenne pourquoi. Et plusieurs autres homme du public ont la même réaction, dont un professeur des Pruniers. À certains moments, ils sont plusieurs à réagir, mais à d'autres il n'y a plus que Semjinkin et Vilkura.

Je devine que c'est dû aux différents niveaux de compréhension dont Semjinkin m'a parlé.

Ce qui est bizarre, c'est que je comprends tout ce que la conteuse raconte. Alors qu'est-ce que je peux bien rater ? Je décide de redoubler d'attention, mais rien à faire, à chaque fois que Vilkura, Semjinkin, et quelques hommes du public pouffent ou font un "oh" admiratif, je suis incapable de trouver pourquoi.

À la fin de l'histoire tout le monde applaudit unanimement la conteuse. Souriante, quoique exténuée, elle salue son public avant de s'asseoir pour reprendre son souffle.

Remarquant que je suis mi-figue, mi-raisin, Semjinkin me demande :

- Qu'est-ce qu'il y a ? Ça ne vous a pas plu ?

- Si ! C'était très bien ! Mais... je vois bien qu'il y a des choses dans le spectacle qui m'échappent.

Mon ton est légèrement boudeur. Il se montre chaleureux quand il répond simplement :

- Ah, oui ! Mais rassurez-vous, c'est le cas de la majorité de l'auditoire.

- Peut-être, mais je préférerais tout comprendre.

Il contient difficilement son expression dubitative, avant de proposer :

- Eh bien... peut-être pourrez-vous convaincre votre famille plus tard de vous laisser faire des études de Culture du Langage ? C'est la base pour le conte-joué. Vous ne comprendrez toujours pas tout, certes, mais au moins vous comprendrez un peu mieux.

Oui, je ne comprendrai pas tout. Parce qu'ici la grande majorité des études qui touchent aux domaines de la science ou de l'intellect offrent toujours un enseignement plus poussé aux hommes qu'aux femmes. Surtout lorsqu'il s'agit d'études supérieures. La seule exception étant la poésie, et encore !

Comme si ça ne suffisait pas de ne pas enseigner certaines matières aux femmes, il faut en plus qu'on les leur apprenne de manière plus lacunaire quand elles y ont accès !

Quand j'ai demandé à mes amies pourquoi c'était comme ça, Huismei m'a expliqué que comme chez les nobles ce sont chez les hommes qui sont les plus actifs dans de nombreux domaines de la société, c'est bien normal que leurs études à eux soient plus variées, plus fines et plus complètes. Les femmes n'en ont pas besoin.

Quand je rétorque que les femmes nobles elles aussi pourraient être plus actives dans des tas de domaines de la société, si on le voulait seulement, on me répond que pour l'instant ça fonctionne bien comme ça, alors pourquoi changer ? Seule Kumlei concède que c'est injuste, sans vouloir cependant tout chambouler à ce système.

Les autres utilisent l'éternel "c'est comme ça", et le fameux joker "si elle veut être l'égale de l'homme, une femme n'a qu'à devenir militaire". Comme si cette option limitante réparait soudain tout le déséquilibre.

C'est incroyable comme l'empire peut à la fois offrir tellement plus de choses à son peuple que le mien... tout en lui offrant en même temps tellement moins ! Je me demande si ce contraste absurde cessera de me choquer un jour.

En tout cas, tout est fait pour que les femmes n'aient pas le même savoir que les hommes. Et les études supérieures sont même si coûteuses qu'il est extrêmement rare qu'une femme se retrouve à en faire, puisqu'on juge ça inutile.

Je suppose, j'espère même, qu'il y a quelques exceptions. Certaines doivent arriver à tricher. Elles arrivent peut-être à se former en autodidactes, ou à avoir des professeurs particuliers compréhensifs, ou bien à bénéficier de l'aide d'un homme pour compléter leur enseignement... mais elles doivent être extrêmement rares, tant tout est fait pour les dissuader d'agir ainsi.

Toutefois, je devine que la conteuse devant nous fait partie de ces rares femmes.

- Cette conteuse aussi est trop vieille pour vous, s'amuse Semjinkin en voyant le regard à la fois nostalgique et admiratif que je pose sur elle alors que nous repartons.

La femme doit avoir le même âge que Semjinkin, peut-être un peu moins. Je sais que c'est une plaisanterie, je souris donc avant de faire claquer ma langue contre mes dents. Puis je souffle, mélancolique :

- J'étais en train de penser à tous les efforts qu'elle a dû faire pour en arriver là.

- Comment cela ?

- Ça a dû être très dur pour elle d'arriver à créer cette histoire.

- Oh, mais l'histoire n'était pas d'elle ! s'exclame-t-il.

Surprise, j'écarquille les yeux en répondant :

- Mais ! Vous m'avez dit que chaque histoire était la création de son conteur !

- Oui, la plupart du temps, mais surtout pour les conteurs professionnels. Pour les conteurs amateurs, généralement, ils racontent des histoires qu'un autre conteur leur a cédées.

À nouveau, j'exprime mon étonnement :

- Je croyais que chaque conteur avait la propriété exclusive de ses histoires, avec un certificat à présenter à chaque fois qu'il exerçait ? Et que si quelqu'un d'autre les racontait, il pouvait être sévèrement puni !

- Oh ! Je suis heureux de voir que vous avez prêté attention à tout ce que je vous ai raconté ! s'émerveille-t-il, à la fois surpris et ravi. Le conte-joué est un sujet qui me passionne, mais j'avais craint de vous ennuyer...

Croisant les mains dans son dos, il m'explique alors avec animation :

- Il existe une exception à cette règle : quand le conteur de l'histoire n'est plus de ce monde, et qu'il a cédé ses histoires à un héritier. De nombreux conteurs ne veulent pas que leurs histoires se perdent après leur mort. Aussi, ils les enseignent à un héritier qui obtient alors un certificat spécial pour les utiliser. Un conteur professionnel ne peut être payé que s'il raconte ses propres créations. Bien sûr, il peut toujours raconter l'histoire d'un autre lors d'une représentation bénévole, généralement pour un hommage, mais ça reste anecdotique. C'est donc la spécialité des amateurs que de raconter les histoires d'un autre.

- Mais rien n'empêche un conteur amateur de raconter ses propres histoires, si ?

- Non ! Bien sûr ! Mais la majorité des amateurs le sont précisément parce qu'ils n'ont pas pu recevoir l'apprentissage requis pour rivaliser avec les professionnels. Les histoires qu'ils créent peuvent peut-être convenir à un public peu exigeant, mais elles ne seront jamais tolérées à la cour impériale ! Chaque histoire que vous entendrez ici a d'ailleurs été soigneusement validée en amont, aussi bien pour répondre à des exigences en matière de qualité, que pour s'assurer qu'elle soit convenable. Un conteur qui s'aventurerait à raconter autre chose serait sévèrement puni.

- Oh... et donc, d'après vous, il n'y a vraiment aucun de ces amateurs qui ait pu créer une histoire digne des exigences de la cour ?

Tristement, il fait non de la tête en répondant :

- C'est quasiment impossible. Pour maîtriser la composition du conte-joué, il ne suffit pas d'étudier, il faut également avoir d'excellentes capacités intellectuelles, ainsi le plus souvent qu'une famille très aisée mais qui peut se passer de vous, et  qui tolère que vous vous lanciez dans cette voie ! ajoute Semjinkin avec une moue dépitée. Quand ça arrive, ce n'est pas pour que vous restiez un obscur amateur ! Surtout quand on connaît le coût de cet apprentissage ! Les amateurs le sont donc car ils n'ont pas eu de quoi financer leurs études. Le plus souvent, aucun d'eux ne comprend totalement l'histoire qu'il raconte.

- Ah... mais alors comment font-ils pour aussi bien conter ?!

- Le conteur qui leur a appris l'histoire leur a enseigné les gestes, l'intonation, les regards... tout de sa prestation, en somme.

- Oh..., fais-je un peu déçue.

- Ça reste un sacré travail, nuance Semjinkin.

- Oui, c'est vrai...

Me voyant dépitée, il balaye les lieux du regard avant de suggérer :

- Éventuellement, pour avoir écrit son histoire, il faudrait que l'un de ces amateurs soit en réalité un futur professionnel qui s'entraînerait provisoirement ici... Ou sinon, un riche excentrique issu d'une famille elle-même excentrique. C'est possible... mais très peu probable.

- Et j'imagine que c'est encore moins probable qu'il puisse s'agir d'une femme ?

- En effet ! Il y a eu quelques conteuses-actrices professionnelles dans l'histoire, mais c'était il y a au moins... quatre cents ans ? Depuis, cet art s'est encore complexifié et il est devenu un domaine d'hommes, si bien qu'on ne verrait pas d'un très bon œil qu'une femme l'exerce et y rivalise avec eux. On ne trouve donc des conteuses que chez les amateurs, et encore, même là c'est extrêmement rare ! Il faut avoir une famille bien conciliante.

- Aucune femme ne peut donc être conteuse professionnelle ?

- Je vois mal comment ! Si une non noble trouvait par miracle les fonds nécessaires à son apprentissage, et un maître assez original pour lui enseigner sa matière de manière exhaustive, elle devrait tellement lutter pour se faire une place ensuite, et serait tellement dénigrée quel que soit son talent, que je doute qu'elle choisisse cette voie. Il faudrait vraiment une exception à la règle, mais je n'en ai pas qui me vienne en tête.

Et une femme noble civile n'est pas censée travailler, à moins de ne pas avoir le choix... ce qui signifie qu'elle sera désargentée. Et riche ou non, du fait de son statut elle n'aura jamais reçu l'éducation complète d'un conteur professionnel. Je conclus d'un ton sombre :

- C'est triste.

D'une voix lasse, il souffle :

- Croyez-le ou non, mais je partage cet avis. Je suis persuadé qu'on passe à côté de  très nombreux contes-joués de qualité à cause de ça.  Mais les traditions sont si bien ancrées que je vois mal comment les faire changer.

Avec chaleur, je m'exclame :

- Vous ne pourriez pas, vous, faire quelque chose justement? C'est un art qui vient de chez vous, et vous serez un jour dirigeant de l'ouest ! Vous pouvez donner l'exemple !

Il sourit de ma naïveté avant de répondre posément :

- Ce n'est pas si simple. D'abord, ça prendrait plusieurs années, décades, même ! Car quand bien même je trouverais une conteuse talentueuse que je protégerais et financerais, elle serait forcément décriée. Même si ses histoires étaient excellentes, les gens sont si biaisés et aveuglés par leur éducation qu'ils les jugeraient médiocres. Elle aurait du mal à trouver un public, de la reconnaissance... et au lieu d'aider à faire changer les choses, cela renforcerait l'idée qu'une femme ne doit pas devenir conteuse professionnelle. Et même si les mœurs finissaient par changer un jour, en attendant, je risque ma tête. Car en bouleversant les règles et en ouvrant ce domaine aux femmes, je pourrais être accusé de chercher à déséquilibrer la société rhakane dans son ensemble. Je serais alors accusé de trahison et... vous connaissez la suite.

- Ah... oui, effectivement. Je n'avais pas du tout pensé à ça !

Tout est vraiment si compliqué ici... Mais je me retiens bien de faire à voix haute ce commentaire.

Lorsque nous arrivons devant les pavillons, les panneaux de bois ont été retirés pour laisser sortir le public. Les compagnons de Semjinkin ont déjà quitté leur banc pour se placer dans la nouvelle file d'attente qui a commencé à se faire au bas des marches. Devant eux, comme derrière, les courtisans ont laissé un peu trop d'espace. Et bien sûr, les autres courtisans qui attendent ne cessent de leur jeter des regards tout en chuchotant d'un air mauvais.

Qu'est-ce que ça doit être pénible à vivre ! Je ne comprends pas comment ils parviennent non seulement à garder leur calme, mais également leur sourire. Ils sont là, à plaisanter comme si de rien était. Et dès qu'ils nous aperçoivent, ils nous font de grands signes amicaux.

Évidemment, le reste de la foule découvre alors que c'est Semjinkin qu'ils saluent ainsi. Les yeux s'écarquillent avec surprise ou effroi, et certaines personnes hésitent à sortir de la queue en faisant un pas vers l'extérieur quand nous arrivons au niveau du groupe.

Je lève les yeux au ciel, laissant s'échapper un soupir consterné.

- Qu'est-ce qu'il y a  ? demande Semjinkin.

- Non, rien, c'est l'attitude des gens...

- Quels gens ? fait-il en cherchant du regard quelle anomalie a bien pu se produire.

- Mais eux, tous ! je m'exclame. Ou presque ! On croirait que vous avez la peste !

- Oh ! Ne vous en faites pas pour moi. J'ai ma façon pour ne pas me laisser atteindre.

Je l'observe d'une manière si intriguée qu'il rit avant de me confier tout bas :

- Il suffit que je me rappelle que j'ai le pouvoir de demander à ce qu'on leur coupe la tête au moindre faux pas... Ce n'est pas très gentil, je le concède, mais ça fonctionne très bien pour remonter le moral. Et je ne plaisante qu'à moitié !

- Hum ! Oui, c'est un moyen comme un autre...

- Je n'en ai malheureusement pas encore trouvé de meilleur... j'aimerais pouvoir faire comme Tenjusam et Jaikuni, chuchote-t-il en désignant du menton un homme parmi ses compagnons, et à ses côtés, la seule femme du groupe. 

Le couple est souriant et, effectivement, il semble totalement inconscient de ce qui se passe autour d'eux. Semjinkin commente alors en posant à nouveau les yeux sur moi.

- Ils sont si épris l'un de l'autre que ça suffit à leur faire oublier tout le reste ! Mais je commence à douter que ce genre de situation m'arrive un jour... je suis trop difficile. Malheureusement, on ne choisit pas ce qui nous attire, encore moins ce qu'on aime !

- En effet..., fais-je dans un murmure pensif.

Se rembrunissant un peu, il me confie plus bas :

- Mais je pourrais tout aussi bien accuser plutôt notre société, et ma malchance. Ce qui me séduit ce sont les intellectuels, les érudits cultivés... les esprits semblables au mien, en somme ! Or, comme nous le disions tout à l'heure, on ne peut pas dire qu'on encourage les femmes à développer ce genre de qualités. Le choix qui s'offre à moi est donc plutôt restreint et, hélas,  je n'ai pas encore trouvé dedans une femme qui me plaise autrement qu'amicalement. Quant aux hommes, pour mon plus grand malheur, ils ne m'attirent pas, et je suis incapable de tomber amoureux d'eux. Sinon, ça ferait bien longtemps que Vilkura et moi formerions le couple le plus heureux au monde ! s'exclame-t-il plus fort, en se tournant vers son ami.

Vilkura répond par un triste sourire en coin, comme s'il regrettait autant que lui cet état de faits. Alors c'est ça plutôt, qui les lie ? Un amour malheureusement à sens unique pour l'un, une profonde estime et affection pour l'autre ?

Toutefois, je suis bien contente de constater qu'encore une fois, Semjinkin trouve lui aussi regrettable que les femmes soient ainsi défavorisées, même si ses raisons d'être amer sont plutôt égoïstes. Depuis mon arrivée au palais, j'avais l'impression que personne ne voyait les choses comme moi, à part éventuellement Kumlei !

Bon, évidemment, il ne faut pas oublier que Semjinkin est également souvent critique envers la culture rhakane, et que ça doit jouer dans sa capacité à la remettre en question. Mais ça reste encourageant de voir que même au sein de l'empire, certains individus pointent ses soucis.

- Peut-être un jour finirez-vous par être plus chanceux ? dis-je en souriant.

- Nous verrons. Heureusement, ce n'est pas une préoccupation essentielle pour moi, ma vie tourne autour d'autres choses et cela me va très bien ainsi, conclut-il avec un sourire serein avant d'élever la voix. Mais en attendant, laissez-moi vous présenter mes compagnons !

Immédiatement, les membres du groupe s'interrompent pour se tourner vers moi, et Semjinkin annonce en les désignant un à un :

- Jaikuni Sulramin, Tenjusam Lamenkin, Rajunsen Jenkarai, et Seljunai, Brasejin.

- Suirei Fannan, dis-je tout en baissant la tête.

- Votre tenue est superbe, me fait la femme, les yeux bienveillants.

- Merci, je le dirai à mes cousins, ce sont eux qui l'ont choisie.

Elle perd un instant son sourire, à la fois choquée et blessée, mais elle finit par se composer une expression aimable, tout en répondant :

- Ils ont eu bon goût.

Immédiatement ensuite, elle et tous les autres se mettent à plutôt converser entre eux, sans plus s'occuper de moi.

- Qu'est-ce que j'ai fait de mal ? Je ne voulais pas froisser votre amie...

- Ce n'est rien. Elle est trop habituée à la façon qu'ont les membres de la cour d'utiliser les sous-entendus pour défier ou mettre mal à l'aise leurs interlocuteurs. Elle a dû croire que vous mentionnez vos cousins dans ce but. Ils nous détestent, je vous rappelle.

- Ce n'était pas du tout mon intention ! je m'affole.

- Je sais, je lui dirai, ne vous tracassez pas.

Gênée, je pince les lèvres en regardant ailleurs. C'est alors que je découvre que la conteuse a rejoint la file d'attente. Elle est cependant extrêmement loin derrière nous. Suivant mon regard, Semjinkin est pris d'un sourire :

- Ah ! Si elle vient bien pour voir Rinmei Tanaran, alors c'est qu'elle a bon goût. Mais peut-être qu'elle n'est là que parce qu'il n'y avait plus de place pour Xanrei Merutem...

-  Xanrei Merutem ?

- Oui, le conteur-acteur le plus célèbre de l'empire, et de loin ! Mais ce n'est pas mon préféré. C'est vrai que c'est un excellent conteur, mais je trouve qu'il est trop classique. Son côté peu original est masqué par la virtuosité de son langage, très au-dessus des autres. C'est pour ça qu'il est tant loué et apprécié par l'élite. Pourtant, si vous voulez mon avis, Rinmei est plus talentueux.

- Pourquoi il n'est pas le plus célèbre, alors ?

- On le trouve justement trop original, lui. Et il l'est, mais pas dans le mauvais sens du terme. Son originalité ne gêne que ceux qui sont trop fermés pour apprécier le changement. En vérité, si on l'analyse, on remarque qu'il suit tous les codes traditionnels du conte-joué, simplement... en les détournant parfois, ou en les combinant, il parvient à aller un peu plus loin. C'est ce qui donne cette impression de changement, alors que selon moi, c'est plutôt une continuité, un aboutissement...

Son regard s'anime soudain, quand il s'écrie :

- Il pourrait même être l'avenir de cet art ! Son travail est bien plus dense, bien plus difficile que celui de Xanrei, mais justement, on ne le voit pas. C'est un exploit en soit ! On ne voit que le résultat, léger, agréable, qui paraît simple alors qu'il recèle d'émotions et d'effets. Là où on assiste à une prestation avec Xanrei, on la vit avec Rinmei. C'est regrettable qu'il ne soit pas plus reconnu, même s'il a sa petite notoriété. La preuve, tout le monde se rabat sur lui depuis qu'ils ont mis que le spectacle était complet pour Xanrei ! rit-il en désignant la foule derrière nous qui ne cesse de croître.

- Vous pensez que la conteuse pourra y accéder ? je m'inquiète alors. Tout à l'heure, ceux qui étaient en fin de queue n'ont pas pu rentrer...

- Je lui proposerais volontiers de se joindre à nous, mais je crains qu'elle ne refuse, vous vous en doutez. Quel dommage que l'empereur soit pour l'instant à l'écart de la fête. En me saluant, il nous aurait aidés à être mieux acceptés.

- Il vous a salué l'autre jour au temple, je ne comprends pas pourquoi ce n'est pas suffisant.

- Par rapport à tout ce qu'on me reproche, ce n'est clairement pas assez ! Il faut que sa faveur se fasse constante pour qu'on daigne un peu plus m'accepter.

Je me rends compte que j'ai techniquement le moyen d'arranger la situation pour Semjinkin et ses amis. Il suffirait que je m'isole et utilise la boîte à éther. Mais je ne suis pas sûre que Kianshei réponde s'il est occupé... et je crains bien évidemment que ma requête ne l'inquiète. Surtout s'il est du même avis que Xemtei sur les Bralizem.

Se méprenant sur les raisons de ma triste mine, Semjinkin lance :

- Mais vous pouvez toujours aller lui proposer. Elle pourrait accepter. Après tout, elle semble être seule, et comme elle n'est pas noble, elle aura peut-être moins de ressentiment envers moi que les membres de la cour...

J'accepte donc aussitôt et m'éloigne d'un pas rapide pour rejoindre la conteuse. Ses yeux s'écarquillent quand je m'arrête devant elle. J'énonce alors poliment :

- Bonjour, grande sœur. Excusez-moi de vous ennuyer, on a vu avec mon ami votre prestation tout à l'heure, on l'a beaucoup aimée et on aimerait vous proposer de nous rejoindre plus haut dans la file...

Je lui indique le groupe de Semjinkin, qu'elle observe d'un air un peu perdu, sans paraître reconnaître ses membres.

- Bonjour, mademoiselle..., bredouille-t-elle. Euh, eh bien, c'est vraiment très gentil à vous ! J'aimerais beaucoup accepter, mais mon père et mon petit frère doivent me rejoindre alors...

Elle balaye du regard les alentours, ennuyée, avant d'ajouter :

- Enfin, s'ils n'ont pas changé d'avis. Je ne vois pas où ils peuvent être... Mais je n'ose pas vous les imposer s'ils finissent par arriver...

Je la vois qui hésite, anxieuse. Je ne sais pas trop si j'ai le droit de prendre cette initiative, mais tant pis, je réponds tout de même :

- Oh, je ne pense pas que ça dérangera mes compagnons que votre père et votre frère viennent également.

Hem. On verra bien !

- Vraiment ?! s'exclame-t-elle étonnée. Eh bien... dans ce cas... d'accord !

Elle me sourit, rougissante. Bon ! Voilà au moins une personne ici qui n'évite pas Semjinkin et ses amis comme s'ils étaient contagieux ! Ça va les changer ! 

Avec gaieté elle m'emboîte le pas et nous remontons la longue file, jusqu'aux autres.

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