Une muse artistique

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« — Je peux savoir pourquoi tu as acheté autant de baies Mangou? »

Effectivement, le sac en toile d'Aya était plein à craquer de ces fruits roses, bien ronds et dégageant une odeur sucrée. La dresseuse d'une vingtaine d'années resserra son sac contre elle en lâchant un rire nerveux.

« — C'est pour le Pokémon qui vient manger derrière la maison, répondit Aya. Malgré tout ce que j'ai offert, il semblerait qu'il préfère les baies Mangou. »

Le soleil était encore timide après cette averse qui rappelait le début imminent de l'automne. Un vent frais, parfois plus fort, parfois moins fort, se frayait un chemin entre les brins d'herbe de la route 9, où Aya et son amie revenaient du centre commercial d'Unys. Les deux jeunes adultes se dirigeaient en périphérie de Janusia où vivait Aya.

« — Tu sais c'est quel Pokémon? demanda son amie, Sierra.

— Aucune idée.

— Tu devrais l'attraper!

— Je t'ai dit que je ne savais même pas de quel Pokémon il s'agit, souffla Aya. Je suis déjà occupée avec le projet de fin d'année, j'ai pas le temps de jouer les chasseurs de Pokémon. »

Sierra se tut, boudeuse, et les deux amies continuèrent leur route en silence. Arrivées à la maison d'Aya, le duo s'arrêta.

« — Ce projet te prend trop de ton temps, Aya.

— Et alors?

— Tu dois... faire autre chose. Prendre plus de temps pour toi.

— Je n'en ai pas besoin, je m'amuse déjà avec ce que je fais!

— C'est pas amusant d'écrire des poèmes... commença Sierra avec un air moralisateur.

— ...des haïkus, coupa Aya.

— Peu importe.

— C'est très important!

— Rah! Tu m'énerve! pesta Sierra en frappant son pied contre le sol. »

Aya fixa son amie d'un œil interrogateur, puis sourit et l'embrassa vivement sur la joue.

« — Merci de m'avoir accompagnée, Sierra. Et merci de t'inquiéter pour moi, mais je te jure que ça va aller. »

Elle revint sur ses pas, salua une dernière fois son amie qui avait arrêté de vociférer comme le ferait un Darumacho et rentra en un coup de vent chez elle. Elle resta à sa fenêtre et attendit jusqu'à ce que son amie soit partie avant de soupirer de soulagement et de s'abandonner à un fauteuil. Des papiers rebondirent  en même temps, presque entièrement noircis d'une écriture vive et pressée, et vinrent se déposer sur le plancher, avec des dizaines d'autres feuilles semblables. La plupart avaient été retravaillés, hachurés, gribouillés, puis complètement abandonnés.

« Deux humains et un Pokémon.

Un accident.

Un humain et un Pokémon. »

Du coin du salon, un vieux Shaofouine observait la jeune adulte depuis un perchoir usé construit pour lui. La dresseuse remarqua après un moment le Pokémon.

« — Quoi? »

Aucune réponse. Aya soupira et se leva.

« — Tu as mangé, j'espère? demanda-t-elle. »

Le Pokémon répondit par un grognement sourd, sans bouger. Aya s'approcha du Shaofouine âgé  et caressa délicatement son visage. Le Pokémon sourit en frottant ses joues dans la paume des mains de sa colocataire. En caressant ainsi le Shaofouine, Aya espérait trouver inspiration à ses textes, mais ne revit qu'un visage familier sourire avec le même air maternel que le Pokémon. La dresseuse soupira.

« — Je serai au jardin. Appelle-moi si tu as besoin de quoi que ce soit. »

« Un jardin secret

Arrosé d'une chaude pluie d'automne.

Mélancolie. »

Sans attendre quelque réponse du Pokémon, Aya se rendit vers l'arrière de sa maison en veillant à prendre avec elle le sac de baies acheté plus tôt. Elle les déposa toutes dans une mangeoire à Pokémon isolée du reste des installations de la cour et recouverte d'une pellicule d'eau de pluie; vers le fond, dans le coin gauche, à la lisière de la haie de cèdre qui séparait la maison d'un bosquet grouillant de Pokémon sauvages. Une fois toutes les baies versées dans la mangeoire, Aya s'installa sur son bureau de plein air, qui n'était rien d'autre qu'une chaise, un bureau et la corde à linge qui servait de tableau où l'écrivaine sans inspiration accrochait des papiers semblables à ceux qui jonchaient le sol du salon. Elle prit un moment pour sécher l'eau qui recouvrait son matériel et tira une toile pour protéger son bureau et les papiers qu'il contenait d'une autre potentielle averse.

« Un dresseur

Qui meurt

Continue de vivre dans le regard de son Pokémon. »

Aya fixa le bol de fruits au fond du jardin, son esprit divaguant à la recherche d'un coup de génie qui lui ferait écrire le haïku du siècle et qui lui ferait décrocher la note tant espérée pour s'assurer son diplôme de littérature. Elle qui, d'habitude, ne manquait jamais d'inspiration et était facilement capable d'écrire 500 mots sur n'importe quel sujet imposé, la voilà confuse, désorganisée, incapable d'aligner plus d'une phrase sans détester ce qu'elle vient d'écrire et de s'y désintéresser complètement, et ce, depuis...

« Papa m'a promis de m'acheter des bonbons; le soleil se levait.

Le soleil se couche.

J'attends mes bonbons. »

Aya écrasa dans le creu de sa main le papier sur lequel elle venait d'écrire ces trois lignes. De fines perles salées roulaient le long de ses joues et la dresseuse se sentait honteuse de les laisser couler ainsi. La jeune femme s'essuya les joues du revers de la main en marmonnant quelques insultes envers elle-même et souffla.

« — Bravo Aya... pensa-t-elle. Même pas capable de rester concentrée sur ton travail pour plus qu'une seconde. »

Un bruissement de feuille soudain la tira de ses rêveries. Un Pokémon, trop petit pour être distingué derrière la pile de fruits, réduisait goulûment la quantité de baies dans la mangeoire. Aya sourit et, pour se distraire, quitta son poste d'écriture et s'avança doucement pour observer de plus près le Pokémon gourmand. Elle s'approchait de la créature et allait se placer suffisamment proche pour pouvoir le voir quand une bourrasque plus forte que d'habitude balaya le jardin et fit s'envoler la ribambelle de brouillons d'haïkus. Le Pokémon prit peur et recula dans le bosquet. Aya soupira et fixa plusieurs minutes la haie de cèdre par laquelle s'était enfui le mystérieux Pokémon en se demandant à quelle sorte de monstres de poche celui-ci pouvait appartenir. La dresseuse finit par hocher les épaules et se retourna vers son bureau pour découvrir en un halètement tout son travail éparpillé dans l'herbe mouillé et, au milieu, un Pokémon bipède jouant avec les papiers humides.

« — U-Un Meloetta? »

Le Pokémon se retourna, interpellé, et Aya pu ainsi confirmer ses soupçons: petit, au corps blanc caché par une espèce de robe noire, aux mains rondes et à la coiffe semblable à une portée musicale verte qu'une clef de sol semblait décorer et servir de micro. Sous le choc, la dresseuse fixa le Pokémon fabuleux et le Pokémon fabuleux fixait curieusement la dresseuse. Le premier réflexe de cette dernière fut de porter sa main à sa bouche pour éviter d'effrayer le Pokémon Mélodie. Les jambes tremblantes, elle tenta de s'approcher de Meloetta qui recula aussitôt. Aya s'arrêta. En voyant que le Pokémon en face d'elle continuait de reculer, méfiant, la jeune femme s'accroupît pour paraître moins imposante.

« — Salut... dit-elle à mi-voix. N'aie pas peur... »

Meloetta s'arrêta mais paru tout aussi craintif mais cessa de reculer. Aya soupira de soulagement et lança de vifs regards autour d'elle à la recherche d'un moyen de rassurer le Pokémon. La question fut rapidement résolue lorsque son regard croisa la mangeoire aux baies Mangou. Sans faire de mouvements brusques, Aya recula, alla chercher une baie, revint à sa position initiale et tendit le fruit rose au Meloetta en essayant de faire le moins de mouvements possibles; son cœur battait cependant jusqu'à la pointe de ses doigts, faisant trembloter la baie.

« — Tiens, mange, chuchota Aya. »

Un sourire éclaira le Meloetta, qui remplaça aussitôt sa timidité par sa gourmandise et fusa vers la baie tendue pour la dévorer avec plaisir. Aya aussi sourit, quoiqu'étonnée d'un tel taux de de réussite de ce plan imaginé à la va-vite. Puis, une ampoule s'alluma en elle.

« — C'était toi qui mangeait les baies Mangou! cria-t-elle sous l'effet de la surprise. »

Le Pokémon sauvage sursauta et recula se cacher derrière un pied de la table.

« — Non, non, ne t'en va pas! se reprit Aya en baissant la voix. Excuse-moi... »

Meloetta revint sur ses pas, de nouveau rassuré, termina sa baie et commença une petite excursion dans le jardin. Aya, toujours à genoux dans l'herbe, observait le Pokémon avec admiration en essayant de contrôler ses mouvements. Après quelques tours, Meloetta revint vers Aya, tenant dans ses mains un des nombreux morceaux de papier toujours au sol. Celui-ci était maintenant gondolé par l'eau mais toujours lisible. Meloetta, curieuse et démontrant un certain intérêt, le tendit à la jeune femme.

« La nuit tombe

Pour la première fois sans toi.

Quand pourrais-je me réveiller? »

« — Ah, fit-Aya en détournant les yeux... Ouais, j'écris ça des fois. »

L'aspirante écrivaine attrapa le papier et le fourra dans sa poche avec un manque de délicatesse tel que le Pokémon fabuleux poussa un petit cri de surprise. Il courut aller chercher un autre papier et le rendit de nouveau à son interlocutrice, cette fois avec un peu plus de fermeté.

« Tous ces mots

Sans toi

Ne veulent rien dire. »

Aya le lu en diagonale avant de l'écraser avec le premier dans le fond de sa poche comme elle essayait d'écraser la boule qui se formait dans sa gorge. Meloetta recommença son manège avec insistance.

« Un humain et un Pokémon

Qui attendent

Aveuglés d'un espoir noir. »

Aya toujours répondit de la même manière, sentant monter en elle un certain émoi qu'elle refusait d'admettre. Lorsque ses poches furent pleines de mots barbouillés et chiffonnés, la dresseuse explosa.

« Papa est mort.

Mort.

Mort. »

« — Ça suffit! Il est parti, il ne reviendra pas! Qu'essayes-tu de me dire?! »

Aya geignit en abandonnant son visage entre ses mains. Ses plaintes se transformèrent doucement en pleurs que la dresseuse ne put retenir malgré toute sa volonté. Meloetta, lui, observait Aya avec compassion et caressa le genou de la jeune femme pour la calmer. Cette dernière réussit à sourire faiblement, les larmes coulant toujours le long de ses joues et se mélangeant avec la rosée dans l'herbe.

« — Merci... chuchota Aya. Et désolé d'avoir tout chiffonné comme ça, tu avais l'air de bien les aimer. »

Le Pokémon fabuleux répondit par un cri mélodieux et tourna sur elle-même. Son interlocutrice humaine sorti tous les papiers de ses poches et les amoncela en une pile peu glorieuse.

« — Hélas, continua la dresseuse, je ne pense pas pouvoir faire quoi que ce soit avec ces morceaux-là... Ils ont été fait à la va-vite, sans efforts ou motivation particulière, et parlent tous de mon père... »

Meloetta afficha une mine triste alors qu'elle attrapa quelques papiers déchirés qu'elle déplia et réorganisa.

« La nuit tombe

Sans toi

Un humain et un Pokémon. »

Aya resta silencieuse, les yeux baissés vers l'amalgame de mots. Après quelques instants de silence, elle laissa passer un léger rire.

« — C'est... pas mal. Pas mal du tout, mais... »

Elle observa le poème en se mordillant la lèvre pour éviter de faire couleur d'autres larmes. Le sourire de son père lui revenait en mémoire comme un couteau planté en plein cœur et le trou créé par la perte de l'homme agissait comme un trou noir que la dresseuse ignorait malgré toute la destruction qu'il créait. En fredonnant, Meloetta sortit Aya de ses pensées. Le Pokémon offrit à son interlocutrice un sourire compatissant sans arrêter de jouer un air rassurant, et c'est comme si la jeune femme était capable de placer des paroles à cette musique chaleureuse.

« — Honorer... Par les mots..? »

Le Pokémon se tut. Dans le silence du soleil qui commençait maintenant à se coucher, le Pokémon et la dresseuse se fixèrent des longues minutes. Les yeux verts de Meloetta. Les yeux embrumés de larmes d'Aya. Tant de mots venaient à l'esprit de cette dernière, tant de façons de décrire une peine ignorée si longtemps... Aya fouilla dans d'autres papiers laissés au sol et découpa quelques mots supplémentaires.

« La nuit tombe Sans toi

Arrosé d'une chaude pluie

Un humain et un Pokémon. »

Meloetta lança un cri léger, en approbation au nouveau haïku créé. Aya gloussa, gênée, puis courut à son bureau chercher un crayon, une gomme à effacer et une surface dure sur laquelle travailler. Elle revint s'assoir en face du Pokémon fabuleux et commença à écrire d'autres mots.

« — Il faut que ça rime... expliqua l'aspirante auteure en écrivant ce qui lui passait par la tête. 5 pieds, 7 pieds, 5 pieds; et deux des trois vers doivent rimer. »

Sans comprendre le français, Meloetta acquiesça et observa la dresseuse écrire et effacer, soudainement en proie à une inspiration fulgurante et inespérée. Une fois le poème terminé, Aya afficha un triste sourire en le lisant, encore incertaine, mais se convaincu rapidement avec les encouragements de Meloetta.

« — Ça devrait aller... »

Le Pokémon fabuleux hocha la tête d'un air satisfait et lança un regard en biais vers l'avant de la cour juste avant que le bruit de la porte fenêtre suivit d'un cri aigu brisèrent le silence.

« — AYAAAAAA! »

Cette dernière sursauta et lança un regard interloqué vers la porte qui venait de s'ouvrir. Sierra se tenait sur la véranda arrière, le souffle haletant et les cheveux défaits par une course effrénée.

« — Où étais-tu? J'ai essayé de te joindre par tous les moyens possibles sans succès! »

En voyant les yeux rougis de son amie, l'allure impressionnée de cette dernière et les papiers mouillés trainant au sol, Sierra se tut et fronça les sourcils.

« — Ça va? »

Aya se tourna vers l'endroit où était Meloetta pour se rendre compte que le Pokémon n'était plus là. Avait-il pris peur? Est-ce que Sierra l'avait vu? Les questions sur l'étrange apparition du début de l'après-midi se bousculèrent tant et si bien bien qu'Aya commença à douter de sa vision et se demandait sérieusement si Meloetta avait vraiment était là dès le départ. La dresseuse se rendit ensuite compte de ses genoux mouillés par l'eau et salis par la boue, de tout son travail accumulé, pour la plupart déchiré, devant elle et, finalement, du haïku recomposé qu'elle venait d'écrire. La jeune femme fixa le morceau de papier, pensive, avant de se retourner vers la mangeoire. Complètement vide. Aya ferma les yeux et sourit.

« — Oui, ça va aller. »

Elle se leva tranquillement et rangea son nouveau haïku dans une des poches de sa veste. Sierra avança, tendant un sac plastique.

« — J'ai paniqué quand j'ai vu que tu n'avais pas répondu, donc je t'ai acheté à manger... confia-t-elle en détournant le regard comme un enfant qu'on allait punir.

— Tu en a acheté pour deux, n'est-ce pas? demanda Aya en plaçant ses mains sur ses hanches.

— Peut-être bien... sourit Sierra. »

Aya gloussa et s'avança vers Sierra.

« — On rentre? La nuit est déjà tombée.

— Avec plaisir! »

Le duo rentra donc sous le regard d'un certain Pokémon Mélodie.

« — Dit, Aya?

— Oui?

— Qu'est-ce que tu faisais dans la boue comme ça?

— Je trouvais l'inspiration. »

« La nuit tombe sans toi

Arrosée d'une chaude pluie.

Les étoiles brillent toutefois. »

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