XVI. C'EST DE TA FAUTE

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Michaël sortit du secrétariat du lycée en pressant le pas, à la fois agacé que Barbara, telle une mère poule, ait tenu à appeler l'établissement pour savoir si le rendez-vous avec Mme Déliat s'était bien passé et en un sens touché par l'obstination qu'avait cette femme de se frayer un chemin vers son cœur au fil des années. Il remonta l'escalier en gravissant deux marches par deux en espérant ne pas arriver en retard au cours d'anglais, car le professeur avait prévu de leur faire regarder un film en voix originale et l'idée l'enthousiasmait énormément.

La première chose qu'il vit fut elle. Aela était debout contre le mur, ses longs cheveux clairs en bataille s'étendaient jusqu'à sa poitrine et, dans le reflet de la lumière des escaliers, deux traînées humides de larmes luisaient sur ses joues. Une trace rouge embrassait la courbe de son cou. A côté d'elle se dressait le type exécrable contre lequel il s'était battu en septembre, et il avait le même air suffisant que la dernière fois. Il la regardait et ses yeux bouffis semblaient indiquer qu'il avait également pleuré. Le tableau était étrange, c'était comme voir un agneau et un loup habillés de la même manière.

Il s'avança d'un pas et les deux têtes se tournèrent vers lui.

— Voilà qui j'attendais.

Michaël ne chercha même pas à comprendre car le regard qu'Aela lui lançait électrisait ses membres. C'étaient les yeux de quelqu'un qui a abandonné, de ce regard opaque et pourtant terriblement lisible qui naissait dans les yeux de ceux qui reviennent de la guerre l'âme radicalement changée. Sa mère miroitait encore dans ses pupilles et cela le torturait.

— Dommage que tu sois arrivé trop tard, poursuivit Pierre.

Aela le fixait toujours, comme si elle était au cinéma, regardant les actions des personnages se dérouler passivement devant ses yeux. Il avait beau lui rendre des regards interrogateurs, rien ne se produisait. Elle se contentait de contempler ce qui se déroulait devant elle avec l'apathie d'un somnambule totalement soumis aux hallucinations que généraient son cerveau. Alors il enfonça ses prunelles dans celles du brun arrogant qui croisait maintenant ses bras sur le torse avec nonchalance. Sa vieille amante nommée Colère commençait à l'enlacer dans une étreinte invisible et pourtant si pesante.

— Je compte sur toi pour me dire ce que j'ai raté, alors, grogna Michaël.

Pierre le défiait et il avait horreur de ça. La vie semblait toujours insister pour qu'il fasse ses preuves, surtout maintenant que l'enfer de son enfance était terminé. Une sorte de purgatoire postérieur à la descente dans le feu de la géhenne, sans qu'il ne puisse en réchapper.

— J'ai réussi, dit-il simplement.

— Réussi quoi ?

— Elle est à moi.

Michaël était perplexe, presque ennuyé d'être retardé par cette personne incompréhensible, perdue dans le jeu de ses propres drames. Aela ne réagissait toujours pas et il savait que ce n'était pas normal ; ce matin déjà, le déclin de sa témérité l'avait étonné. Elle avait caché ses cheveux dans sa capuche comme pour disparaître dans la foule, mais actuellement ils étaient libres autour de son visage et elle ne s'en souciait pas. C'était son signe de reddition.

Il sentit un frisson parcourir sa colonne vertébrale, un tressaillement dans son dos qui lui demandait de ne pas accepter sa capitulation, de ne pas chuter, pas comme sa mère l'avait fait, pas maintenant qu'il était grand, qu'il savait se défendre et, surtout qu'il avait appris de ses erreurs. Un regard vers la classe adjacente au corridor dans lequel ils se trouvaient, à la porte de laquelle des élèves observaient avidement la scène sans honte aucune, acheva de le convaincre de prendre la situation en main. Sans réfléchir, il saisit sèchement Pierre par le col et le traîna jusqu'à la salle de classe sous le flot d'injures de ce dernier qui se débattait inutilement. Arrivé à destination, Michaël le jeta à l'intérieur tandis que le professeur d'anglais accourrait. Il lança à tout le monde un regard d'acier, aussi gris et solide que la couleur de ses yeux pendant que Pierre reculait plus profondément dans la pièce.

— Amenez ce mec chez le directeur. J'accompagne Aela dehors.

Il fit ensuite volte-face et retourna auprès d'elle malgré les questions de M. Bergson qui tentait de se figurer ce qui se produisait. Il saisit le poignet droit d'Aela et l'emmena avec lui en bas des marches, la poussant dans la fraîcheur automnale qui planait dans la cour de récréation et l'entraînant à un banc sous le préau. Elle ne disait toujours rien, et il haïssait cela. L'énergie qui parcourait ses membres et la violence qui s'était lue dans ses mouvements à l'étage en était exacerbée, il aurait voulu la secouer, l'empêcher de sombrer, faire en sorte qu'elle se réveille du coma dans lequel elle était immergée. Il y avait trop de sa mère en elle, encore et toujours, et il refusait d'échouer de nouveau, incapable de voir les événements qui avaient morcelé sa vie comme un triste kaléidoscope se répéter.

Mais il savait que pour cela, il fallait d'abord se calmer et faire taire la détresse qui coulait à flot dans ses tempes et les invectives qu'il avait donné un peu plus tôt.

— On peut parler ? demanda-t-il après avoir laissé voler quelques secondes de silence.

— Oui, finit-elle par articuler.

Le tout petit son qui venait de s'échapper de sa bouche le rasséréna. Il était en train de se jeter dans l'inconnu : cette proximité étrange qu'il y avait entre elle et lui – comme une entente tacite, comme s'ils avaient déjà vécu ça dans une autre vie – le poussait à essayer de la percer à jour et, si d'ordinaire c'était leurs deux orgueils qui empêchaient l'échange, maintenant c'était la peur de faire une faute qui primait dans son crâne. Il n'avait jamais réconforté quelqu'un, jamais réellement fait de gestes doux. Son destin l'en avait empêché. Il lui était déjà arrivé par le passé d'intervenir dans une bagarre, mais c'était avec violence, par la force de ses poings et quelques mots jetés à la volée pour signifier au protégé qu'il était libéré. Avec Aela, c'était différent. Une sorte de chaleur vertigineuse naissait dans sa poitrine quand il était près d'elle et elle créait en lui un tas d'émotions différentes. Le trouble souvent, l'agressivité parfois, mais aussi cette volonté singulière de l'approcher avec prudence, à tâtons, cette volonté qu'il ne comprenait pas, tant il tenait à oublier les chimères de son passé qu'Aela faisait irrémédiablement revivre.

Michaël passa une main gênée sur sa nuque, incertain de ce qu'il devait faire. Un professeur allait forcément débarquer et briser leur parenthèse. Il jeta un coup d'œil en sa direction pour essayer de croiser son regard, mais ses cheveux retombaient sur son visage. Il prit son courage à deux mains et s'éclaircit la voix.

— Tu permets si..., dit-il en approchant ses doigts de sa chevelure blonde pour écarter les mèches qui les empêchaient de se regarder.

Elle s'écarta vivement, comme un animal blessé remue lorsque le chasseur s'approche pour l'achever. Michaël se blâma d'avoir été aussi téméraire, il aurait dû savoir qu'elle ne supportait pas d'être touchée. Elle était un diamant brut, brillant mais acéré, qu'il convenait de manier avec précaution sous peine de se couper, alors il ramena sa main à lui avec une extrême diligence tandis qu'elle écartait elle-même les mèches de cheveux qui pendaient devant son nez. La rougeur autour de sa gorge qu'il avait aperçue plus tôt commençait à s'estomper.

— Il t'a fait du mal ?

— Oui.

La réponse avait volé rapidement, avec simplicité. C'était bien-sûr une évidence, mais il essayait de se mettre dans la peau de Mme Déliat, bien qu'il ne pût se retenir de serrer les poings.

— Il t'a frappée ?

— Non.

— Cette marque sur ton cou, qu'est-ce que c'est ?

Elle détourna le regard, comme si elle avait honte.

— Il m'a tenue par la gorge.

— Pour quoi faire ?

Elle enfouit son visage dans ses mains comme les enfants le font en imaginant qu'ils deviennent invisibles. Cette attitude l'ébranlait et l'appel vengeur qu'il connaissait bien résonnait dans les battements rapides de son cœur. Il estima, selon sa réaction, qu'il ne devait pas insister. Il essayait de relâcher les muscles qui se tendaient dans ses bras quand elle murmura avec une fragilité incisive :

— Il m'a embrassée.

Michaël était sur le point de répondre mais elle continua dans la foulée.

— Et je l'ai laissé faire. Je n'ai rien fait alors que j'aurais pu résister. Enfin, je crois. Maintenant, je suis plus grande que je l'étais quand... (Elle laissa cette phrase en suspens.) Mais j'étais juste fatiguée, tellement fatiguée que... Que je me suis trahie. Et à cause de moi, ma meilleure amie est trahie aussi. Je pensais que si je ne me débattais pas, cette fois le résultat différerait. Mais il a été pire. J'ai trahi tout le monde, en commençant par moi-même. Tout est de ma faute. Je ne mérite pas de...

— Ecoute-moi bien, la coupa-t-il.

L'autorité naturelle dans son ton ne se matérialisa cependant pas. Il savait qu'elle n'aurait pas l'effet souhaité, et il ne se sentait pas capable de l'utiliser. La dureté, la fermeté, la maîtrise... Il les réservait aux autres. Il se promit de ne plus l'utiliser contre elle. Parce qu'au moment où elle avait déballé la pelote emmêlée de ses pensées, il avait compris une chose particulièrement poignante : elle n'était pas comme sa mère. Elle était plus forte qu'elle. Elle était bien plus.

Là où sa mère avait cédé d'un coup sans se remettre en cause, Aela, le cou marqué des paumes d'un adolescent qui avait violé une part de son intimité, avait le courage de ne pas sombrer sans se poser des questions. Elle avait l'audace de regarder sa faiblesse dans les yeux. La bravoure de parler, et aussi de lui faire confiance, lui, un inconnu de sa classe qu'elle n'avait vu que se battre. Cette révélation était éminemment douloureuse, mais il devait continuer.

— C'est de ta faute.

Les yeux d'Aela qui le dévisageaient s'écarquillèrent. Michaël était anxieux, mais il poursuivit.

— Oui, c'est de ta faute. Je ne suis pas là pour balancer des trucs bien emballés de psychologue, je n'en suis pas un. C'est de ta faute, donc, mais est-ce que c'est la fin pour autant ? En t'entendant, je viens de réaliser que, comme toi, j'ai déjà répété « C'est de ma faute », mais pas pour les bonnes raisons. Tu vois, au fond on dit ça pour qu'on nous contredise. Pour fuir nos responsabilités. Pour être une victime de soi-même, et pas son propre bourreau.

Assis côte à côte sur le banc, ils ne se touchaient pas mais les mots de Michaël tissaient une corde, un pont, un passage entre leurs mondes avec une authenticité et une exactitude saisissante.

— Mais je te préviens, moi je vais pas te contredire. C'est carrément de ta faute, mais tu sais quoi ? Le bon côté, c'est que maintenant que tu le sais, tu sais aussi quoi changer pour ne plus faire les mêmes erreurs. (Il se massa le front avec gêne, presque par timidité.) Toi. Parce que quoi qu'il se passe, quoi qu'il arrive, le bon, le mauvais, le branlant, le génial... La seule chose que tu aies vraiment dans la vie, c'est toi.

Il ne savait pas qui parlait à travers lui avec des mots qui lui correspondaient tout autant, mais la douleur qu'il ressentait dans sa poitrine était vive et faisait monter des larmes à ses yeux.

Tu pourras jamais changer ton passé ou contrôler ton futur.

C'était vrai, et cela le peinait ardemment. Mais il était plus facile de se mentir à soi-même que de mentir à Aela. Il fit une courte pause, déglutit et regarda le ciel.

— Quand j'étais gamin, ma mère me lisait un vieux bouquin, La Petite Maison dans la Prairie. Et un moment, il y a ce passage qui dit... « Parce que maintenant, c'est maintenant. Ça ne pourra jamais être il y a longtemps ». L'instant présent est infini. Le passé et le futur n'existent pas, ou plutôt ils existent en même temps que cet instant. Ils se confondent.

Michaël sentait qu'il s'emmêlait et craignait d'avoir l'air ridicule, mais il tint bon.

— Tu vois, ce connard là-haut t'as fait du mal. Mais c'est fini maintenant, t'es là sur un banc et on discute. T'as l'impression que ça a duré une éternité, et c'est sans doute vrai, mais voilà, aussi inéluctable que ça puisse sonner, ce n'est pas une fatalité.

Il baissa les yeux et il vit qu'Aela le regardait étrangement.

— Alors c'est de ma faute ? finit-elle par demander.

Il était sur le point de sourire lorsque le professeur d'anglais, accompagné du directeur, fit irruption dans la cour d'un pas furieux, faisant éclater la bulle qui les entouraient jusqu'à lors.

— Tous les deux, dans mon bureau, intima le M. Khoury, le directeur.

Il n'avait pas vraiment l'air énervé, simplement pressé de tirer la situation au clair.

— J'ai quelques questions à vous poser. 

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