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Soudain, le visage d'Andrew a changé. J'en étais maintenant certain : ça n'allait pas. Il serrait la mâchoire, fixait le sol d'un regard sombre.

— Putain, a-t-il lâché.

Les yeux de Mary se sont alors illuminés. Elle a répété « putain ! » en hurlant avant de se faire taire brusquement par la main de Karen qui est venue se plaquer sur sa bouche minuscule.

D'un coup, le blond s'est levé de son siège sous le regard interrogateur du monde à bord, pour se diriger d'un pas rapide vers la cabine des WC du bateau. L'air était doux, et le cœur lourd. J'ai presque fait un bond pour le rattraper. Je voulais qu'il me parle. A mon tour, j'ai zigzagué entre les touristes, sous le soleil tapant. Je ne prêtais même plus attention au paysage qui m'entourait.

J'ai vu Andrew ouvrir la porte en bois. Il ne devait pas s'enfermer sans moi. Alors je me suis précipité ; j'ai saisi le battant avant qu'il n'ait le temps de se rabattre. Je me suis glissé derrière, et l'adolescent a achevé son geste.

J'ai allumé la lumière ; il fallait qu'on se voit.

— Merde ! Mais Léonard ! a-t-il crié en se serrant le crâne entre les mains.

Son regard était d'un désespoir sans fin.

Je me suis approché de lui, sans hésiter. J'ai englobé sa nuque brûlante de mes doigts fins.

— Calme-toi, ai-je murmuré une première fois.

J'ai alors vu les larmes lui monter aux yeux, sa bouche se tordre, ses cheveux s'emmêler sous l'emprise de ses doigts. Mon cœur s'est sûrement calé sur le sien car je me suis mis à trembler.

Andrew a reculé de deux pas avant que son dos rencontre la surface dure du mur. L'endroit était minuscule.

— Calme-toi, ai-je répété sans lâcher son visage.

Il s'enflammait.

Puis l'anglais s'est écroulé, glissant le long de la cloison, finissant assis sur le sol en bois.

— Non, a-t-il bégayé.

Agenouillé face à lui, j'ai plongé mes yeux dans les siens comme pour y trouver les mots à dire.

— Tout va bien, Andrew, ai-je murmuré.

J'ai caressé sa peau du bout des doigts.

— Non, tout ne va pas bien, bordel ! Mon père va rentrer et je suis amoureux.

Un frisson m'a parcouru l'échine.

— Il va me tuer, Léonard.

— Il le fait déjà, ai-je rétorqué sans réfléchir.

Son regard s'est figé sur le sol ; ses yeux étaient vides.

— Tu ne te rends pas compte, ai-je poursuivi. Il tue ton bonheur à petit feu en t'empêchant de le vivre. Et sans bonheur, Andrew, on se sent fantôme. Est-ce que tu n'es pas plus heureux, ne te sens-tu pas plus libre, depuis qu'il est parti ?

J'ai saisi sa mâchoire en douceur avant de lâcher un « hum ? » insistant. L'adolescent a relevé la tête.

— Evidemment que si, a-t-il murmuré. Comment ne pas se réjouir de l'absence de ceux qu'on hait...

J'ai souri.

— Tu as dix-neuf ans, tu peux partir.

— Ah oui ? Et qui est-ce qui paierait le logement ? a-t-il répliqué en haussant un peu le ton.

J'ai baissé les yeux sur son torse. Il portait ce jour-là une simple chemise fine, bleu pâle. J'en ai observé les plis, pensif. Il avait raison. Seul, il ne pouvait pas faire grand-chose.

— Tu pourrais travailler pour être indépendant ?

— Je suis étudiant, je n'ai pas le temps.

Cela m'a fait étrange. Les vacances m'avaient complètement coupé du monde scolaire.

— Qu'est-ce que tu étudies ? lui ai-je demandé e retrouvant ses yeux pers.

— La littérature. Pour être critique littéraire.

Les coins de mes lèvres se sont étirés.

— Et toi ? a-t-il fini.

— Et moi ? Traducteur littéraire.

Il a souri. Pour de vrai. Avant de me mettre une petite tape dans l'épaule. Nous ne nous sommes rien dit de plus à ce sujet ; ça n'était pas la peine. Nous savions que tout en nous s'attirait comme des aimants.

Puis doucement, je me suis penché en avant, cherchant ses lèvres fiévreuses. Nous étions déjà proches alors il n'a pas fallu longtemps aux miennes pour s'y mêler. Andrew s'est joint à la valse au bout de quelques secondes d'inaction. Un instant seulement, je me suis écarté pour dire que tout irait bien. Un baiser a remplacé toute réponse et ça m'allait quand même. Bien que ce problème à résoudre n'était pas prêt de quitter ma tête.

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