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Je referme mon carnet en soupirant avant d'aller me jeter dans mon lit. Avoir tout raconté, tout revécu, m'a fait un bien fou. Ecrire est le meilleur moyen de se souvenir. Et il n'y a rien de mieux que de se rappeler une belle histoire, même si c'est des années plus tard. Je veux que, lorsque je serai adulte, que j'aie trente ou soixante ans, je me souvienne de tout dans les moindres détails. C'est ma plus belle aventure.

Nous sommes rentrés cette nuit. C'était un long trajet mais il m'a fait du bien. J'ai laissé filer les larmes qui devaient forcément sortir, parlé à mon père de tout ce que je ne lui avais jamais dit sur Andrew et moi, écouté de la musique, dormi, et crié par la fenêtre. Actuellement, Andrew doit être à Brighton. J'espère que tout se passe bien là-bas. J'attends de ses nouvelles avec impatience. Je sais que j'en aurai aujourd'hui ou demain au plus tard. Je sais aussi qu'il pense à moi comme je pense à lui. C'est le ciel de ce matin qui me le dit.

Ma grand-mère ne va pas tarder à arriver pour le déjeuner. Elle me manque, j'ai hâte de la retrouver. J'en ai le cœur enflammé.

Je me retourne sur le dos pour contempler le plafond de ma chambre qui semble tellement impersonnelle maintenant. C'est comme si j'étais parti dans la peau de quelqu'un d'autre et revenu en étant simplement moi. Tel un papillon émergeant de sa chrysalide, en quelques sortes.

Je me sens bien. Vivant. Moi.

Soudain, maman m'appelle.

— Viens saluer ta grand-mère, mon Léo !

Je souris et fais un bond. Enfin. Je vais pouvoir tout lui raconter.

Je ne sais pas prédire sa réaction, mais j'ai foi en elle. Elle a toujours été là pour moi, comme je l'ai été pour elle. Pourtant, je tremble un peu. Je sais qu'un nombre de bons chrétiens – surtout ceux de l'ancien temps – ne sont pas forcément à l'aise avec l'homosexualité. Ils se basent généralement sur la création ; Adam et Ève, et tout ce qui s'en suit.

Je descends quatre à quatre les escaliers. Elle est dos à moi, discutant avec mon père qui m'a vu arriver mais demeure silencieux. Je suis bien trop heureux pour que mes doutes prennent le dessus, en fin de compte. Je la surprends en posant mes mains sur ses épaules. Elle se retourne.

Elle n'a jamais été aussi magnifique. J'ai l'impression d'être parti des années et pourtant, mon voyage n'a duré qu'un mois. Et encore, il a été écourté.

J'évite d'y penser. Ce n'est pas l'essentiel.

Ses beaux yeux bleus brillent tant que j'y vois mon reflet. Elle sourit, presque au bord des larmes. Je ne m'attendais pas à une telle réaction ! Cela me touche beaucoup.

Elle se rapproche de moi pour me serrer dans ses bras. Elle sent bon la violette. Tout me rappelle ce jour de juillet où j'ai appris la grande nouvelle. C'était incroyable. Aujourd'hui l'est peut-être encore plus.

Nous nous sommes installés au jardin. Ma grand-mère et moi sommes un peu à l'écart, et c'est volontaire. Nous nous faisons face, installés dans notre bulle imaginaire. Plus personne n'a le droit de venir nous déranger, c'est la règle depuis toujours. C'est elle qui l'a inventée lorsque je suis né et qu'elle m'a pris pour la première fois dans ses bras.

— Tu dois tout me raconter, mon poussin, murmure-t-elle d'un ton malicieux.

— Qu'est-ce qu'on t'a déjà dit ?

Elle fronce les sourcils.

— Oh non, je t'en prie ! chevrote-t-elle. Je ne veux pas de ça avec toi. Chacun a sa propre version d'une histoire. Et la tienne ne peut qu'être la meilleure puisque c'est ton expérience.

Je ris puis inspire un grand coup. Elle a raison. Je dois tout lui raconter.

Alors, c'est ce que je fais. Je dis tout ce qu'il s'est passé, de ma montée dans l'avion à maintenant. Elle me regarde avec attention, ne perdant pas une miette de ce que je raconte. Elle fronce parfois les sourcils, s'étonne aussi. Souris, de temps à autre. Elle est concentrée, et ça me touche.

J'ai ri nerveusement lorsque j'ai dû parler de notre premier baiser, avec Andrew.

C'était étrange de dire tout cela à voix haute.

Je ne sais pas combien de temps ça m'a pris mais peu importe. Je la regarde, à présent, muet. J'attends qu'elle me dise quelque chose. Ses yeux brillent. Je ne sais pas quoi en penser, c'est affreux. Puis elle baisse ses paupières. Ma grand-mère est comme ça, elle a son monde. Elle pense beaucoup de choses et n'en dit pas la moitié. Or, j'aimerais qu'elle me dise.

Soudain, elle se retourne vers moi. Elle a encore cet air très sérieux qui m'effraie et me rend heureux à la fois. Je ne sais pas. Elle entrouvre lentement ses lèvres.

— Tu sais, murmure-t-elle en se rapprochant un peu, je donnerais tout pour être avec l'amour de ma vie, Léonard.

Je souris, me sentant tout-à-coup idiot. J'ai cette pointe à l'estomac qui me perturbe doucement. Elle finit :

— Alors, si tu en as la possibilité... donne tout ce qu'il y a en toi pour grandir en paix avec celui que tu aimes. J'ai foi en toi, mon poussin.

Je me rends compte lorsqu'elle a fini qu'elle a son indexe pointé sur mon cœur.

Personne n'avait jamais encore visé aussi juste. 

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