Chapitre 1

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     Je me suis toujours demandé si, quand on mourait, on allait quelque part. Quand ma tante est morte, on a souvent dit à mon petit frère qu'elle était au ciel, mais qu'elle veillait sur nous depuis là-haut. Aujourd'hui, je me pose une question bien différente : si c'est vrai, si les morts peuvent toujours nous observer, est-ce qu'ils assistent à leurs propres funérailles ?

Ça me ferait me sentir moins seul, en tous cas.

Techniquement, le cercueil est vide, puisque je suis censé être déjà brûlé, réduit en cendre par les flammes. Si seulement c'était vraiment arrivé.

Je ne pensais pas qu'il y aurait autant de monde. Des gens, même inconnus, sont venus. Au moins, je pourrais passer inaperçu au milieu de la foule. Au premier rang, mon frère est blotti contre ma plus grande sœur. Je ne les vois que de dos, je ne sais pas s'ils pleurent, s'ils parlent, s'ils sont tristes, s'ils vont bien. Je ne peux pas m'approcher pour les voir de plus près.

Tu ne leur manqueras pas.

Je grimace et recule, soudain pris par l'envie de fuir. J'étouffe, ici. Si je reste, je vais me mettre à crier, à hurler à m'en briser la voix, jusqu'à ce que mes poumons me brûlent. Sans que je ne puisse l'arrêter, une larme dévale ma joue. Putain, je suis trop con. Quel idiot fait croire à sa propre mort et se rend à ses funérailles ?

Ma mère se lève, je m'immobilise. Elle ne peut pas me voir, je suis caché derrière les autres. Et, même si elle le pouvait, elle ne me reconnaîtrait pas : mes cheveux bruns qu'elle aimait tant sont maintenant colorés d'un rouge sombre, rappelant la teinte du sang, et mes yeux sont cachés derrière une paire de lunettes de soleil. Deux détails qui m'ont coûté la moitié de mon argent.

— Tyler était...

Le plus grand des connards. Le genre qui détruit une famille et meurt pour de faux.

Un nœud se forme dans ma gorge. Je déglutis difficilement en secouant la tête, comme si ça allait m'empêcher de pleurer. La silhouette de ma mère devient floue alors que ses mots semblent résonner en sourdine. J'entends les sirènes. Les pompiers, je crois, peut-être aussi la police ou autre chose, je ne sais pas trop. La chaleur m'oppresse et la fumée brûle mes poumons. J'ai mal. Un hoquet terrifié m'échappe, et j'aperçois quelques personnes qui se retournent vers moi. Je cligne des yeux. Je ne suis pas à la maison – elle n'existe plus d'ailleurs. Je suis dans une foutue église et ma mère parle de moi, près d'un cercueil qui est censé être le mien. Peut-être que je préfère être au milieu des flammes, finalement.

— ...un adolescent de seize ans ne méritait pas ça. Il ne le méritait pas. Ce n'est pas juste. Ce n'est pas...

Elle éclate en sanglots, ce qui ne fait que redoubler les miens. Soudain, je sens une main sur mon épaule. Mon premier réflexe est de me dérober sauvagement, à la façon d'un animal effrayé. Je ne supporte pas qu'on me touche ; quelqu'un qui me connaissait vraiment l'aurait su.

Mon regard se tourne vers l'homme qui m'a approché, mais je n'ose pas le regarder dans les yeux. Lui m'observe aussi. Après un temps, je le reconnais et manque d'éclater de rire. Mon prof de physique-chimie est venu à une cérémonie organisée en mon honneur. Le même qui m'a descendu à tous mes conseils de classe de quatrième et de troisième. Le même prof qui m'a dit très sérieusement que je n'étais qu'un imbécile, que je n'irais jamais loin.

Le pire, c'est qu'il avait raison. Aux yeux de tous, je suis mort sans jamais avoir été au-delà de la seconde, et encore.

— Tu connaissais Tyler, mon garçon ?

Un frisson de colère me parcourt. De tous les gens dans cette pièce, je connais Tyler mieux que personne. Moi, j'ai le droit d'être là. Pour lui, je ne peux pas en dire autant. Pourtant, je hoche la tête et laisse quelques larmes couler sur mes joues. 

— Comment tu t'appelles ?

Tyler. Quelle belle blague.

Je ne peux pas rester ici. Je préfère éviter d'imaginer ce qui va arriver si on se rend compte que je suis vivant et même pas blessé. Le pire ne serait pas de faire face aux questions, du genre « pourquoi tu as fait ça ? », mais de voir les réactions de ma famille. Ils seraient furieux, déçus, choqués. Déjà qu'ils pensaient que je perdais la tête, là ils m'enverraient en hôpital psychiatrique.

Je ne peux pas parler, on pourrait reconnaître ma voix. Et puis, je ne sais même pas si je pourrais articuler quoi que ce soit : je n'ai pas parlé depuis l'incendie, ma gorge est aussi asséchée que le sable d'un désert et les sanglots me font déjà mal, alors je n'imagine même pas la douleur des mots.

Après un temps de flottement, je choisis de ne pas répondre, pose un doigt sur mes lèvres en signe de silence et désigne l'espace devant moi, pour lui signifier de la fermer et écouter les gens qui parlent. Je leur dois bien ça, ils font tous ces discours pour moi, après tout.

Cette fois, c'est mon voisin qui monte sur la petite scène improvisée. Il est âgé d'un an de moins que moi, mais on a passé une bonne partie de notre enfance ensemble : même maternelle, même école primaire, même collège, même lycée... Petits, on jouait ensemble dans le jardin, on se tabassait avec des bâtons qui pour nous brillaient comme des sabres lasers, on se poursuivait dans la rue, on courait comme des fous pour pas rater le bus le matin... Avec lui, j'en ai un bon paquet, de souvenirs.

Jusqu'à ce qu'il trouve de meilleurs amis, me souffle une voix intérieure, moqueuse.

— Tyler, c'était un gars génial. Un peu bizarre et toujours à côté de la plaque, mais vraiment trop cool. Il avait toujours des idées géniales. Genre fabriquer un pont entre nos fenêtres pour qu'on puisse se voir en cachette. Ça a bien marché au début, puis après on s'est tous les deux retrouvés à l'hôpital.

Tout le monde l'accompagne dans son rire enveloppé de larmes. Moi aussi. Et mon prof aussi. Du revers de ma manche trop longue et noircie par le feu, j'essuie quelques larmes. Je me souviens de ce jour là, où on avait tendu des draps entre nos chambres, en nous aidant de l'arbre qui poussait pile au bon endroit. Heureusement pour nous, on n'avait rien eu de grave, même si j'avais été obligé de me balader en béquilles pendant un bout de temps.

— Quand j'ai vu le feu à côté de chez moi... Je... On a appelé les pompiers aussi vite que possible. J'arrivais pas à parler, alors c'est ma sœur qui a tout expliqué au téléphone. Je pouvais pas aller dans ma chambre parce qu'ils avaient peur que le feu s'étende jusqu'à nous. C'était... J'ai jamais eu aussi peur de toute ma vie et quand j'ai appris pour Tyler, je... je...

Quelqu'un dont je ne vois pas le visage le fait descendre et le ramène s'assoir. J'entends un petit « ça va aller » étouffé, sans savoir de qui il vient. Je n'arrive pas à ravaler mes larmes, qui coulent tant que je n'arrive plus vraiment à voir ce qu'il y a autour de moi. Chaque pensée me ramène au même regret : avoir fui en connaissant les conséquences. C'était logique qu'on allait me déclarer mort. Personne ne m'a vu sortir de la maison et depuis je ne suis pas revenu. Tout s'est écroulé.

Un élan de colère monte en moi. Je serre les poings, observe longuement les silhouettes de la famille, puis me dirige vers la sortie. Le prof de physique m'observe d'un air curieux, mais je n'y prête pas attention. Je pousse la grande porte et la laisse se fermer derrière moi dans un claquement sonore, qui résonne sûrement à l'intérieur. Je m'en fiche. Personne ne fera attention à un garçon aux cheveux rouges et aux joues inondées de larmes.

Dehors, le soleil m'accueille. Sa chaleur m'effraie, alors je me dirige rapidement vers l'ombre du bâtiment que je viens de quitter, et m'appuie sur le mur. J'essaie de respirer, mon souffle se perd de plus en plus rapidement. Je voudrais me cacher dans mon lit, comme je le faisais si souvent avant, en rêvant de ne plus jamais avoir à affronter le monde extérieur. Mais c'est impossible, premièrement parce que ma chambre ne ressemble plus à rien, puis parce que je me suis condamné à vivre tout seul.

Quelques minutes passent, paisibles, insensibles à la détresse. Je ravale mes larmes. Je pourrais me laisser abattre plus tard. Là, je dois partir avant que tout le monde ne sorte, sinon mes proches vont me reconnaître, et ma couverture est loin d'être extraordinaire. Encore un moment, je regarde les gens passer devant moi. Tout a l'air d'aller bien pour eux. Il fait beau, c'est bientôt l'été, tout inspire les vacances. Sans réfléchir, je m'approche d'une femme qui porte une longue jupe et semble se promener en profitant des rayons du soleil. Je m'arrête devant elle, ouvre la bouche, mais aucun son n'en sort. Soudain, je suis tétanisé.

Allez, Tyler, c'est juste quelques mots. Elle se souviendra même pas de toi ce soir. Vas-y, reste pas planté là comme un idiot.

Elle m'observe, curieuse, attendant patiemment. Je ne vois aucune once de méchanceté dans son regard, et pourtant, je suis terrifié. La communication, c'est compliqué. Pas compliqué dans le sens que je suis timide. C'est plus que ça. Ça me terrifie. Mais je dois le faire. Je prends alors une grande inspiration et me lance :

— Excusez-moi... je... est-ce que vous avez un papier et un crayon ?

Je sais à peine ce que je dis. Ma voix est toute rocailleuse et enrouée. Par simple précaution, je cache dans mon dos la manche de mon pull qui a été abîmée par l'incendie. Ce geste ne sert pas à grand chose, je dois encore sentir l'odeur du feu parce qu'elle fronce le nez. Il faudra que je trouve un meilleur moyen de me laver que juste un peu de pluie.

— Oui. Tiens.

Elle me tend ce que j'ai demandé. Son crayon semble tout neuf, à voir la façon dont il est taillé. Une feuille de carnet qu'elle vient d'arracher l'accompagne. D'une main tremblante, je m'empare de ce qu'elle m'offre, en bredouillant un petit merci. Après avoir griffonné quelques mots, je lui rends son crayon. Elle sourit, incline légèrement la tête et je remarque ses cheveux noirs qui tombent sur sa nuque. Ils brillent avec les reflets du soleil et paraissent si doux que je suis tenté de les effleurer du bout des doigts.

— Tu peux le garder. Et d'ailleurs, j'aime bien ton style, c'est cool.

Je rougis brusquement et secoue la tête en me perdant dans de nouveaux remerciements. Quand je relève le regard vers elle, je vois sa silhouette qui s'éloigne déjà. Alors, j'observe le morceau de papier déchiré et, décidé, je me dirige de nouveau vers l'église. Je reste immobile un moment devant la porte, avant de glisser ma feuille dans une rainure du bois, de manière à le fixer tant bien que mal. Mon poing se serre sur mon nouveau crayon, j'entends mon cœur battre à un rythme irrégulier, dirigé par les sentiments qui m'habitent, perdu entre l'hésitation, la peur et la colère, Puis, je m'élance en courant, et les larmes débordent encore une fois de mes yeux, alors tout en moi me pousse à aller loin, à m'enfuir n'importe où, tant que je peux être seul, éloigné de tous.

Alors que je disparais dans une autre rue, j'aperçois mon petit papier qui tombe au sol, puis se laisse bercer par le vent un peu plus loin, à quelques pas de la porte, à l'ombre, là où je m'étais réfugié un peu plus tôt. Je frissonne en me rappelant son message tremblant, écrit en lettres majuscules maladroites.

TYLER NE VOUS MÉRITAIT PAS.

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