Chapitre 16

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     Je suis rentré trempé à l'appartement, pour faire face à une Azelle affolée qui me croyait parti.

Je suis rentré avec un sourire et l'impression d'être plus heureux que jamais.

Azelle s'est précipitée vers moi, oscillant entre colère et soulagement. Elle m'a pris par les épaules, m'a fixé dans les yeux. Elle m'a observé longuement, à la manière de sa mère : c'est là que j'ai identifié certaines similarités, comme cette façon de froncer les sourcils si fort qu'on se demande si leurs yeux sont vraiment ouverts. J'étais un peu gêné, donc j'ai gloussé doucement et reculé d'un pas. C'est alors que son regard s'est adouci et qu'elle a soupiré.

— T'es trop con, tu m'as fait peur ! J'ai cru que tu t'étais barré. Tu pouvais pas laisser un mot, quelque chose ?

Elle s'est éloignée pour aller chercher une serviette. Je grelottais un peu et si je me souviens bien, j'ai soufflé un petit « désolé ».

Elle n'a rien répondu et a préparé des pâtes. Intérieurement, je l'ai remerciée pour ne pas poser de questions.

— Je vais manger chez une amie, demain soir. Tu seras tout seul. Ça ira ?

Je relève la tête de mon assiette de spaghettis, les yeux ronds. Quelques gouttes tombent de mes cheveux encore mouillés ; ils mettent toujours des heures à sécher.

— Sinon, je peux annuler, hein.
— Non, ça ira. Annule pas ça pour moi. J'ai dix-sept ans.
— Sûr ?

J'acquiesce vivement. Je reste bien tout seul toute la journée, ce n'est pas une soirée qui va m'effrayer.

Je repense à Ana. Il lui arrivait de s'énerver contre moi, parce que je refusais de rester tout seul le soir et que quand les parents sortaient et que Lily était loin pour ses études, elle était obligée de rester à la maison, juste car j'avais peur des ombres du soir. Je ne veux pas que quelqu'un d'autre se retrouve dans la même situation, je ne veux plus qu'on sacrifie quoi que ce soit pour moi. C'est une nouvelle vie, ici. Je dois bâtir une existence différente que celle que je menais avant. Je dépends déjà trop d'Azelle, je lui dois déjà beaucoup, je n'ai pas le droit de lui voler sa liberté quand j'essaye de trouver la mienne.

— Génial, Tyler. Merci.

Une nouvelle fois, je l'observe avec mon air perplexe. Lily disait que je ressemblait à un poisson rouge, avec cette expression. Elle ne devait pas avoir complètement tort vu qu'Azelle esquisse un sourire qui veut ravaler un gloussement.

— Me regarde pas comme ça !

Je secoue la tête et laisse mon regard s'échouer sur les pâtes enroulées autour de ma fourchette. J'hésite un long moment, passe ma langue sur mes dents, réfléchis à ce que je vais dire, me demande si je pourrai articuler tous les mots qui se bloquent déjà dans ma gorge. Finalement, je me lance, pour Azelle, parce qu'elle mérite au moins ça.

— C'est moi qui doit te dire merci. Tu partages ta nourriture avec moi, ton appartement. Tu m'as pas emmené à la police et tu m'a aidé à l'arrêt de bus. Tu fais plein de trucs pour moi depuis le début, alors que j'en vaux même pas la peine. Je te regarde comme ça parce que toi tu me remercies pour te laisser le droit de vivre ta vie. Je veux dire... c'est pas normal ! Je veux pas que tu t'inquiètes pour moi, je veux pas que tu mettes de côté tes activités pour moi.

J'ai parlé si vite que je me demande ce que je viens de dire. La révolte dans ma voix est perceptible, accompagnée par l'indignation et la culpabilité, aussi. Je baisse la tête, secoue un peu ma fourchette pour regarder les pâtes retomber dans l'assiette, une par une. C'est ridicule, mais je n'ai plus faim.

— Je devrais partir, je murmure.

Azelle reste silencieuse. Elle aussi a arrêté de manger. Son regard gris se voile un moment, elle se mord l'intérieur de la joue. Je me dis que c'est ce qu'elle veut. Je dois partir. Je suis déjà resté trop longtemps ici.

— Eh, écoute moi, Tyler. Tu es le bienvenu ici. C'est important pour moi, d'aider ceux qui sont perdus comme toi. Jamais je te chasserais de la maison.

Autre moment de flottement. Je sens le regard d'Azelle sur moi. Moi, je continue de fixer ces pâtes que je ne mangerai pas. Une goutte tombe sur la table. Je passe ma main dans mes cheveux ; ils sont encore humides.

— Pourquoi tu fais ça ? 

C'est la seule phrase que j'arrive à prononcer. Elle entraîne avec elle beaucoup d'autres questions. Je ne comprends pas. Azelle a sûrement juste pitié de moi, elle veut simplement épargner sa conscience. Je ne comprends pas. Je ne comprends. Pourquoi m'aider autant ? Pourquoi partager son toit avec un inconnu ? Pourquoi s'obliger à  supporter un gamin perdu et dépressif ?

Azelle passe une main sur son front. Elle pince ses lèvres, secoue légèrement la tête. Elle ne sait pas, c'est sûr. C'est de la pitié, de la gentillesse. Elle ne sait même pas pourquoi elle m'aide comme ça.

— Je fais ça parce que parfois on a besoin d'un moment pour s'éloigner de tout et savoir où on en est. Et ça arrive de vouloir être loin de sa famille, loin de tout. Dans ces moments-là, je pense que c'est important d'avoir quelqu'un sur qui se reposer, parce que tout seul, on s'en sort pas.

Je ne dis rien. Je me contente de l'entendre, de l'écouter avec attention. Sa voix paraît plus assurée. Elle sait ce qu'elle dit. Elle sait ce qu'elle fait. Elle veut m'aider, vraiment. Ce n'est pas de la pitié, pas de la gentillesse hypocrite, c'est de la bienveillance.

— Quand j'avais quinze ans, je suis partie de chez moi. Je supportais plus ma mère. Mon père venait de partir sans même dire au-revoir. J'étais perdue, en colère, triste... tu vois le truc, quoi. J'allais pas bien et la seule chose que j'ai pensé à faire, c'est m'échapper. Fuir tout ce bordel. Au départ, je voulais pas revenir, jamais. Je suis restée longtemps dehors, dans la rue, à crever de froid la nuit sur le banc d'un parc, ou à monter et descendre de bus que je prenais au hasard. Puis un jour, quelqu'un s'est approché de moi. J'étais recherchée, ma mère était complètement paniquée, on voyait des photos de moi dans les journaux. La dame qui m'a vue m'a reconnue. Pourtant, elle a pas appelé la police, elle m'a emmenée chez elle. Elle m'a laissé le temps de choisir quand est-ce que je voudrais revenir. Elle m'a encouragée à appeler ma mère pour la rassurer, lui dire que j'allais bien. J'ai passé un peu plus d'un mois loin de chez moi. Chaque fois que je l'avais au téléphone, ma mère me suppliait de rentrer. Un jour, j'ai décidé que c'était le moment.

Je ne dis toujours rien. Azelle ne semble pas avoir terminé, mais le silence s'éternise. Je lui lance un regard hésitant. Est-ce qu'elle attend que je dise quelque chose ? Qu'est-ce que je suis censé dire ?

Elle cligne des yeux, m'observe, inspire. Je comprends qu'elle n'aime pas vraiment raconter ça. Je comprends. Nous avons tous des passages de nos vies que nous n'aimons pas dévoiler aux autres. Je lui laisse le temps de rassembler ses pensées et ses mots.

— Sans cette dame ; Louise, sans elle, je sais pas ce que j'aurais fait. Peut-être que je serais morte de froid, parce que c'était en plein hiver. Peut-être que je serais jamais rentrée chez moi. Peut-être que je me serais jamais réconciliée avec ma mère. Elle m'a sauvée parce qu'elle m'a laissé le temps de décider de ma vie, pour la première fois. Elle m'a accueillie chez elle et m'a conseillée, m'a parlé, m'a emmené dans des librairies... Si elle m'avait emmené à la police et que j'étais rentrée chez moi sans l'avoir décidé moi-même, rien ne serait pareil, tu comprends ? Elle m'a sauvée.

Je crois que ses yeux sont légèrement humides. Je crois qu'elle ne sait pas non plus comment je vais réagir, parce qu'elle se mordille encore l'intérieur de la joue nerveusement. Tout doucement, je murmure :

— Et elle est où, maintenant, Louise ?

Ma question la fait sourire. Elle se penche un peu en avant, réfléchit à peine deux secondes. Je retrouve la fille que je connais, celle aux gestes toujours si expressifs.

— Chez elle. Elle habite pas très loin. On pourra aller la voir, un jour, si tu veux. Elle est adorable.

Je hausse les épaules. Ça ferait plaisir à Azelle, de montrer à cette dame qu'elle suit son exemple. Je peux peut-être le faire pour elle. Je marmonne un petit « oui » anxieux. Très vite, Azelle reprend un air très sérieux. Elle cherche mon regard et, quand elle le trouve, ne le lâche plus. Mon souffle se bloque, les doutes reviennent. Je chasse ma peur en secouant rapidement la tête et me concentre sur Azelle, pour l'écouter. À en voir son attitude, ce qu'elle a à dire est important.

— Je prétends pas pouvoir te sauver aussi, Tyler. Mais je veux essayer, et je t'assure que tu peux rester aussi longtemps que tu le souhaites dans cet appartement. Ici, tu peux prendre tout le temps dont tu as besoin pour te retrouver, d'accord ? Je te le promets.

Je déglutis péniblement. L'émotion monte en moi, déborde un peu de mes yeux. Rapidement, je passe une main sur mon visage pour effacer les quelques larmes. Comment j'ai fait pour tomber sur une personne aussi incroyable qu'Azelle ? C'est un ange, elle est extraordinaire. Je renifle et ose enfin relever les yeux vers les siens, qui reflètent bienveillance et souvenirs du passé.

— Merci, je souffle, la voix pleine de sanglots.

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