Chapitre 3

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     Accroche-toi à ce que tu connais.

J'ai peur d'ouvrir les yeux. Mon poing est serré sur mon crayon, fort. Mes ongles s'enfoncent dans ma paume et ça me fait mal, pourtant je n'arrête pas. Si je bouge, on va savoir que je suis réveillé. Je ne veux pas. Si on sait que je suis réveillé, on va vouloir me poser des questions. Je ne veux pas y répondre. Alors, je m'agrippe à mon crayon, parce que c'est la seule chose qui me rassure, que je connais.

— Je ne sais pas. Je lui parlais et il s'est évanoui comme ça, d'un coup. Non, je ne sais pas.

La fille est encore au téléphone. Comment elle fait ? Moi, parler au téléphone, je déteste ça. Généralement, je le regarde sonner sans jamais répondre, sauf si c'est maman, parce que maman panique très vite. Mais maman ne m'appellera plus jamais.

— Je pense qu'il va bientôt se réveiller. Oui, ça va aller.

Elle parle de moi. Sous la surprise, je manque d'ouvrir les yeux.

      Je ne sais pas où je suis.

Pas à l'hôpital, pas à l'hôpital, pas à l'hôpital.

Non, ce n'est pas l'hôpital. Là-bas, les lits ne sont pas si confortables et ce n'est pas si silencieux. Le soulagement m'envahit et je m'offre une seconde de répit, le temps de calmer ma panique. Mais ça n'efface pas mes problèmes. Je suis chez quelqu'un et je ne peux pas rester là.

— Eh, tu peux ouvrir les yeux. C'est bon, j'ai raccroché. Il n'y a que moi.

Je me redresse d'un coup, les yeux écarquillés. Comment savait-elle ? Mais très vite, le monde se met à tanguer autour de moi et je gémis de douleur, pris d'une soudaine nausée. Ça la fait rire doucement.

— Vas-y tranquille, sinon ton corps ne va pas suivre.
— Comment vous savez ?, je demande, même si mon ton n'est pas celui d'une question.
— Tu respirais beaucoup plus fort et tes paupières n'arrêtaient pas de bouger, c'était plutôt évident.

Je baisse le regard vers mon crayon, sans répondre. Elle me fixe un moment, puis frappe dans ses mains, me faisant sursauter, ce qu'elle ne remarque visiblement pas. Déjà, elle part dans une autre salle, tout en parlant fort pour que je l'entende.

— Tu veux à boire ? J'ai du café, chocolat, thé, jus d'orange... eau ? J'ai aussi à manger. Céréales, pain, brioche... Qu'est-ce que tu préfères ?

Je ne réponds pas et m'assois sur le lit. Je suis toujours habillé pareil, et l'appartement dans lequel je me trouve est loin d'être assez grand pour toute ma famille. Elle ne sait pas. Tout va bien. Lentement, pour ne pas avoir de nouveaux vertiges, je me lève et passe la porte pour la rejoindre dans ce que je pense être la cuisine. Ce n'est pas grand, mais confortable et chaleureux. Sur la table, la fille dispose déjà de quoi boire et manger. En voyant cela, je sens mon estomac se tordre. J'ai terriblement faim.

— Là, va t'asseoir. Fais pas attention au bazar.

Je lui obéis sans un mot. Pendant qu'elle prépare, je l'observe du coin de l'œil. Je ne la connais définitivement pas, ses cheveux roux bouclés ne sont pas de ceux que l'on pourrait oublier. Elle est tout de même grande, peut-être la même taille que moi, mais plus âgée. Peut-être qu'elle a terminé le lycée et qu'elle est étudiante, je ne sais pas trop.

Elle est comme une tornade : une seconde au bout de la cuisine, l'autre seconde près de la table, puis plus loin... Je peine à la suivre du regard. Finalement, j'abandonne, n'ayant pas l'énergie suffisante. Je me sens épuisé, mais aussi désespéré. Et affamé. Malgré mes efforts, je ne parviens pas à comprendre comment je me suis retrouvé ici. J'étais à l'arrêt de bus, elle me parlait, j'avais peur. La suite, je ne la connais que par bribes. Elle m'a aidé à me relever, m'a guidé jusqu'à son appartement. Je me souviens de l'ascenseur qui faisait beaucoup de bruit alors que je n'arrivais pas à réfléchir. Je me suis sûrement endormi dès notre arrivée.

— Dis-moi, ça fait combien de temps que tu n'as pas mangé ? Et dormi ?

Je hausse les épaules. Je ne sais pas. Plusieurs jours, sans doute. L'incendie a eu lieu il y a une semaine, peut-être un peu moins, ou un peu plus, je ne connais pas la date exacte.

— Un moment, j'imagine. Ça explique le malaise.

Elle pousse toute la nourriture vers moi, m'invitant à me servir. J'hésite un instant, puis la faim l'emporte. Alors que je mords dans un morceau de brioche, je me souviens de mon frère, qui ne voulait jamais manger à la cantine. Il disait que là-bas, la nourriture était empoisonnée. On devait lui faire des sandwiches qu'il vérifiait chaque fois, juste au cas où. Jambon-beurre. Et parfois, il rajoutait du ketchup. Le seul jour où il a accepté  de manger quelque chose venant de l'école, il est tombé malade et n'a rien pu avaler pendant deux jours. C'était de la brioche. Immédiatement, je repose mon morceau sur la table et n'y touche plus.

— Au fait, tu veux bien me dire ton nom ? Moi, c'est Azelle.

Comme je me tais toujours, elle continue, d'une voix qui se veut rassurante.

— Personne ne sait que tu es ici. Seulement ma mère, parce qu'elle connaît plusieurs trucs en médecine. C'est tout, d'accord ?

Est-ce que je dois dire mon vrai prénom ? Je pourrais juste changer le nom. Et puis, je n'ai pas besoin de dire mon nom, ça ne la concerne pas. Je prends une inspiration, hésite, puis me lance, dans un souffle presque inaudible :

— Tyler.

Je regrette immédiatement. Je n'aurais pas dû dire ça. Il ne fallait pas dire ça. Pourquoi je n'ai pas trouvé un autre prénom ? Je me mords la lèvre avec angoisse, puis me reprends. Je fais n'importe quoi, je pense n'importe quoi, je dis n'importe quoi. Devenir paranoïaque ne m'aidera pas. Je n'ai pas de quoi m'inquiéter, personne ne sait que je suis vivant. Personne ne me connaît, ici. C'est comme une nouvelle vie.

— Ok, Tyler. Tu as fugué ?

Après un moment, je hausse les épaules. Oui, ce que je fais peut s'apparenter à une fugue, après tout, même si ce n'est pas aussi simple qu'une envie de liberté. Un rire sarcastique m'échappe. Si, finalement, c'est ça : je voulais la liberté. Je voulais fuir et me délivrer de tout ce qu'on m'impose, et je me retrouve encore plus prisonnier qu'avant : captif de mes peurs, de mes doutes, de ma culpabilité et de ma douleur. Et les sentiments sont des ennemis bien plus puissants que les gens.

Je désirais vivre pour de bon et me voilà mort. Un nouveau ricanement épuisé m'échappe, alors qu'Azelle m'observe avec stupeur. Peut-être que je deviens vraiment fou, encore plus qu'avant. Peut-être que je devrais juste rentrer à la maison, laisser mes parents appeler d'autres dizaines de thérapeutes, affronter les regards de mes sœurs et mon frère, me cacher dans une chambre qui ne sera jamais vraiment la mienne, hurler de toutes mes forces dans mon oreiller, sourire pour ne pas trop inquiéter les autres, et puis mentir toute la journée en disant que, oui, ça va, je vais bien.

— Je ne peux pas t'aider si tu ne me parles pas.

Comme je ne dis toujours rien, Azelle soupire exagérément et se lève. Elle se penche vers moi, les deux mains appuyées sur la table. Je me recroqueville sur ma chaise, par réflexe, sans oser la regarder. Mon cœur se met à battre plus fort et, encore une fois, une colère envers moi-même et mes réactions sauvages monte dans mon ventre. À tâtons, je cherche mon crayon que j'avais glissé dans ma poche et le serre, fort.

— Je vois bien que tu ne veux pas rentrer chez toi. Je peux te garder ici, d'accord ? Mais pour ça, je préférerais que tu me dises ce qui t'arrive, tu comprends ?

Elle se redresse et je me détends immédiatement. Lentement, elle pousse une nouvelle fois la nourriture vers moi. Son regard paraît plus calme, peut-être compatissant, je ne sais pas exactement.

— On en reparlera plus tard, je dois aller travailler. Mange un peu, d'accord ? Et va te reposer, aussi. Tu peux prendre le lit. Si tu as besoin de quoi que ce soit, appelle-moi. Tu as un téléphone ?

Je secoue la tête en me mordant la lèvre. Rester seul dans un endroit inconnu ne m'enchante pas. J'envisage une seconde de m'enfuir dès qu'elle sera sortie, puis chasse cette idée. À partir de maintenant, je vais essayer de prendre des décisions intelligentes, ce qui implique d'accepter l'aide que l'on me propose, surtout quand je suis épuisé et affamé. En plus, si je pars, elle pourrait appeler la police pour me retrouver et ce serait le début des vrais problèmes.

— Tiens. Mon numéro est déjà enregistré dedans. Fais pas de bêtises avec, hein ? Je te fais confiance.

Au vu de l'écran fissuré de tous les côtés, ça doit être un ancien téléphone. Je le prends avec précautions, comme s'il risquait d'exploser entre mes mains. Elle m'offre un clin d'œil, puis attrape une veste abandonnée sur une chaise.

— J'y vais. Je reviens à midi, pour le repas. À plus, Tyler.

Et, pareille à une tornade, elle se précipite vers la porte, la claque quand elle sort. Je m'approche de la fenêtre, pour la voir s'échapper de l'immeuble et courir pour ne pas rater le bus qui arrive déjà. Elle n'habite vraiment pas loin de l'endroit où nous sommes descendus hier, ce qui me rassure : au moins, j'ai un point de repère dans cette ville.

Je ne sais pas si son départ me laisse un peu plus détendu ou, au contraire, m'angoisse davantage. Être seul me calme et m'effraie à la fois, comme toujours.

Je me frotte les yeux. Azelle ne voudra pas me garder longtemps ici. Il faudra que je parte. Mais pour l'instant, je vais rester un peu, juste un moment.

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