3. La fugue

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Aileen n'avait peur de rien. Du moins, c'était ce que pensaient ses camarades, ses amis, sa famille.

La famille Coloris ne se permettait jamais aucune erreur.

Ce jour-là, debout devant l'horizon, elle se sentait incapable d'oublier sa terreur.

Aileen avait toujours été le petit canard de la maison. Trop garçon manqué, pas assez idiote, pas intéressée par ce qu'il fallait, passionnée par des détails immatures. Jamais assez bien, jamais assez parfaite.

Claire était parfaite. Magnifique, gentille, docile et efficace. Intelligente, en plus, comme s'il lui manquait des qualités, elle était la première de la classe, voire la meilleure de tout son lycée.

Elena était une fierté de la famille, aussi. Talentueuse, naïve, enfermée dans le monde du maquillage, mignonne. On avait envie de la protéger, de la câliner. Tout le monde l'adorait.

Ülys, pareil. Le garçon de la famille, juste, doux. Plus gentil que lui, ça n'existait pas. C'était l'aîné, celui qui protégeait, qui donnait l'exemple. Et quel bel exemple !

Aileen, non. Aileen, on lui refusait les sourires, les soirées, les compliments. Aileen, on la gardait enfermée dans la chambre et on lui disait de se taire. Parce qu'elle n'était ni belle, ni forte, ni gentille. Elle paraissait décalée, trop tout et jamais assez quelque chose.

Déjà, elle avait un nom bizarre. Ça ressemblait à « alien ». Alors on lui disait qu'elle n'était pas normale, qu'elle était une sorte d'extraterrestre.

Tout ça lui faisait mal. Parce que contrairement à ce que les autres affirmaient, elle avait un cœur. Elle était humaine.

Deux gouttes salées glissèrent sur ses joues rouges. Elle effaça les autres en clignant des yeux.

Malgré les années, les remarques restaient trop dures, elle ne les supportait plus. Elle n'en pouvait plus et personne ne daignait s'en soucier. Parce qu'après tout, Aileen Coloris, avec une famille pareille, elle était riche. Elle n'avait pas le droit de se plaindre. Être heureuse, cela devenait un devoir. Toute la famille Coloris se devait d'avoir le sourire. Elle se devait d'être parfaite.

Aileen remonta son sac à dos sur ses épaules, accompagna ce geste d'un long soupir. Derrière elle, la grande maison où elle avait vécu se dressait. Elle refusait d'y retourner encore une fois.

Peu importait la richesse, l'argent et toutes ces conneries. Peu importait si elle se retrouvait à mendier pour survivre. Peu importait si on s'inquiétait pour elle.

Elle voulait juste trouver ce souffle de liberté qui lui manquait. Un endroit où elle avait le droit d'être différente.

Sans trop réfléchir, elle avait griffonné un message, qu'elle avait ensuite abandonné sur son lit. Elle se demandait qui le verrait en premier. Sûrement la femme de ménage, c'était bien la seule à entrer dans sa chambre.

Ce serait donc Delphine, la gentille Delphine, qui sera mise au courant de sa fugue.

Tout doucement, Aileen murmura, si bas que cela se confondit au souffle du vent :

— Je suis partie. Je vais bien.

Ces six petits mots qu'elle avait  gribouillé sur une feuille arrachée de son agenda. Personne n'allait s'inquiéter avant un moment. On croirait qu'elle reviendrait, parce qu'elle revenait toujours. La police en avait marre de chercher cette adolescente capricieuse toutes les deux semaines. Plus personne ne s'inquiétait.

Aileen aurait aimé dire sincèrement qu'elle s'en fichait. Ce n'était pas le cas, mais c'était ce qu'elle faisait croire.

Le monde était naïf, de croire ses bêtises.

— Je vais bien, répéta-t-elle.

Parce qu'Elena disait tout le temps qu'elle était folle. Aileen avait peur que ça devienne vrai. Elena ne mentait jamais.

Mais, pourtant, elle allait bien. Enfin, elle était équilibrée, dans sa tête. Pas folle. Seulement abîmée. Abîmée par les remarques incessantes, par les regards scrutateurs, par les jugements rapides, par les chuchotements dans son dos.

Elle n'osa pas se retourner, par peur de changer d'avis. Ça faisait peur, de se jeter dans l'inconnu ainsi. Parce que cette fois, Aileen savait qu'elle ne reviendrait pas.

Elle fit un pas en avant et ne se laissa pas le temps d'hésiter plus longtemps. Ses foulées s'agrandirent, puis elle se mit à courir. Ses lèvres s'étirèrent en un sourire naissant. Son souffle s'accéléra.

Plus jamais.

Plus jamais elle ne reverrait sa famille, ses camarades, sa maison, sa chambre. Tant pis si ça lui serrait le cœur. Partir la brisait beaucoup moins que rester subir sa différence.

Aileen se dit que, parfois, c'était mieux de lâcher prise, de partir chercher le bonheur plus loin. Le bonheur ne demandait pas tant de douleur.

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