PDV Eren

La réaction de Livai est un mystère à mes yeux. Faire la fête est quelque chose de normal pour les adolescents de mon âge et je croyais qu'il appréciait cette activité autant que moi. C'est ce que j'ai cru comprendre en recevant son aide, mais il semblerait que j'ai eu tort. Que dois-je penser de lui? Le petit rebelle m'avoue avoir des sentiments à mon égard avant de se contredire en m'ordonnant de l'oublier. Qu'ai-je fait de mal pour qu'il change brusquement d'idée? Je n'arrive toujours pas à savoir ce que je ressens.

Pendant toute la semaine, nous nous croisons dans les couloirs de l'école sans nous adresser le moindre regard. Livai semble m'ignorer, agissant comme si j'étais redevenu le minable d'avant la fête. Si le garçon n'a plus envie de m'avoir dans sa vie, alors tant pis. Mon orgueil m'empêche de faire le premier pas alors que je n'ai rien à me reprocher.

Mes nombreux nouveaux amis m'encouragent à organiser une nouvelle fête comme celle de samedi. Je pourrais le faire, mais quelque chose m'en empêche. Sans Livai pour m'aider à tout préparer, je manque de confiance. C'est grâce à lui si notre dernière soirée a eu un tel succès. D'ailleurs, quelque chose commence à me chiffonner avec cette nouvelle popularité. Est-ce possible que les gens m'aiment uniquement parce que je fournis un bon endroit où boire?

Assis à une table de la cafétéria, j'essaie de trouver à quel moment j'ai blessé Livai. Il me manque terriblement, pourtant j'ignore s'il s'agit d'amour ou d'un simple sentiment de forte amitié. Je n'ai jamais désiré un garçon avant lui. Serait-ce étrange pour moi de sortir avec une personne de mon sexe? Jean semble heureux depuis qu'il est avec Marco et personne ne le juge ouvertement. De toute façon, même si des gens essayaient de se moquer de lui, mon ami équidé est trop occupé à avoir la langue dans la bouche de son amoureux pour y faire attention.

Marco est vraiment quelqu'un de bien. Toujours poli et très souriant, Jean a eu raison de tomber sous le charme de ses joues couvertes de taches rousses. Il passe tout son temps avec nous, tout comme Annie qui est officiellement la petite amie de Armin, ainsi que son couple d'amis inséparables, Reiner et Bertholdt. Mon adorable cheval a d'ailleurs dû me donner un joli billet de 50 dollars lorsque le blond musclé a confirmé être en couple avec l'échalote brune.

-Eren, pourquoi tu ne parles plus avec Livai? s'enquiert soudainement Armin, vous aviez l'air de bons amis.

-On l'était, soupirai-je, pour être franc, je ne comprends pas plus que toi. Il m'évite depuis quelques jours. J'imagine qu'il n'a plus de raison de passer du temps avec moi?

-Tu as été le voir pour savoir ce qu'il a?

Une grimace d'agacement s'étend sur mes lèvres. Je n'ai aucune envie d'aller le voir en premier et pourtant, j'ai vraiment envie de comprendre pourquoi il agit de cette façon. Jamais je n'aurais cru que Livai me manquerait à ce point...

-Tu crois vraiment que je devrais aller le voir? répondis-je en baissant la tête.

-Si tu tiens à lui, tu devrais le faire. Livai a l'air d'être une personne têtue et si tu l'es aussi, alors votre amitié ne redeviendra jamais ce qu'elle était. L'un de vous deux doit céder.

Il n'est pas fou le champignon. Cependant, foncer semble être une épreuve insurmontable. Que vais-je lui dire alors que j'ignore ce qu'il me reproche? Si ça se trouve, Livai a seulement réalisé que je ne vaux pas son attention et c'est pourquoi il coupe les ponts.

Le reste de la journée, je jongle à une façon de l'aborder. Chaque fois que je croise le petit ténébreux, j'essaie de convaincre mon corps d'aller vers lui, mais mon courage me fait défaut. C'est pathétique de craindre à ce point une discussion. Nous partageons la même classe d'histoire et je passe la période à le fixer, mon crayon de plomb dans la bouche. Mordiller le bois m'aide à réfléchir, même si parfois des petits morceaux restent sur mes dents. C'est infect, mais je me sens incapable d'arrêter. Cette activité m'aide à libérer mon stress.

Lorsque la cloche sonne pour annoncer la fin du cours, je prends une grande inspiration et je fonce vers le garçon de petite taille. Ma main s'enroule autour de son poignet afin de l'empêcher de fuir.

-Je dois te parler, affirmai-je.

Le garçon soupire avant de chuchoter quelque chose à Hansi qui l'accompagne. La fille continue son chemin avec un large sourire, puis je force Livai à me suivre dans un couloir plus discret où nous pourrons parler sans être dérangés. Une fois seul, le ténébreux retire brusquement son poignet de mon emprise.

-Je t'ai déjà dit que je ne voulais plus t'aider à organiser des fêtes, crache Livai, tu as besoin d'un dessin ou quoi?

-Je veux savoir ce que j'ai fait pour que tu commences à m'éviter, répliquai-je, on s'embrasse, tu me dis que tu as de l'intérêt et que veut apprendre à mieux me connaitre, mais tu ne le montres absolument pas! Explique-moi le problème plutôt que fuir.

Livai grimace en baissant ses yeux nuageux vers le sol. Il semble hésiter à me répondre, mais il est hors de question que je m'éloigne avant d'avoir compris ce qu'il me reproche. Dans un soupir, il décide de répondre :

-Tu te souviens de Farlan, le type étrange qui était accompagné de plein de gens et qui a amené le DJ?

-Oui?

-C'est mon ex.

-Ça, j'avais cru le deviner, même si je ne comprends pas pourquoi tu l'as invité.

-Cesse de me couper si tu veux que je parle! Bon, c'est mon ex et nous sommes restés ensemble pendant deux ans avant qu'Erwin, Hansi et Mike arrivent à m'ouvrir les yeux pour que je le laisse enfin... Disons que ce n'était pas un bon gars et qu'il s'amusait beaucoup avec d'autres mecs et des filles... Avant d'arriver ici, j'étais dans une autre école et j'ai redoublé ma dernière année. C'est à cause de lui. Il y a une partie de ma vie qui n'est pas très heureuse et c'est celle-là. Dans mon ancienne école, Farlan et moi nous pensions être les rois du monde. On organisait des fêtes chaque week-end, toujours plus débauchés les unes aux autres. J'ai commencé à fumer du pot, puis je me suis mis à essayer tout ce qu'on m'offrait... Ma mère s'en est rendu compte et nous avons déménagé. Ici, j'ai rencontré mes amis et Erwin et Hansi m'ont forcé à me sevrer. J'étais trop fier pour aller en cure de désintoxication, donc ils se partageaient ma garde. Tu n'aurais pas aimé me rencontrer à ce moment-là... Une fois, j'étais tellement en manque que j'ai mis mon poing dans le visage de Erwin. C'est Mike qui m'a calmé, mais j'en ai encore honte.

Je l'écoute attentivement me raconter cette histoire à voix basse, surpris que Livai trouve le courage de se confier à moi sur son passé. Toutes les rumeurs qui circulent à son sujet sont probablement parties de là.

-Pourquoi tu me racontes tout ça? soufflai-je.

-Parce que, je veux que tu comprennes pourquoi je ne veux plus t'aider. J'ai quitté le monde de la débauche il y a plus d'un an grâce à de bons amis, mais Farlan est toujours dedans jusqu'au cou. Je ne me souviens même pas de la dernière fois où je l'ai vu sobre. Sa vie est totalement gâchée parce qu'un jour, il a décidé qu'il serait « cool ». Tu me plais vraiment, Eren, mais si tu commences à rentrer dans ce monde, alors tu peux être certain que je te supprime de ma vie. J'ai trop souffert pour à nouveau fréquenter quelqu'un qui m'entrainerait vers le fond.

Livai enfouit ses mains dans ses poches en fixant le sol. S'il m'ignore depuis le début de la semaine, c'est parce qu'il croit que je vais devenir comme son idiot d'ex? Bien que je sois triste de découvrir cette noirceur dans le passé de mon ami, je suis soulagé de voir qu'il ne me déteste pas. Ce garçon est très important à mes yeux.

-Tu sais, mes parents ont été très choqués de retrouver la maison après la fête, lui appris-je, tout nettoyer a été long et ça m'a un peu arrêté dans ma lancée... Une fois, c'est amusant, mais je crois que ce sera tout.

Livai relève avec surprise les yeux en ma direction. Il est très beau, beaucoup plus désirable que n'importe quelle fille que je connais. La réponse à tous mes doutes de la semaine se dessine sous mes yeux. Avec un sourire, j'avance vers le séduisant garçon et je glisse doucement mes doigts sous son menton afin de relever son visage. Sans lui laisser le temps de réagir, mes lèvres se posent tendrement contre les siennes dans un faible baiser. Oui, j'ai aussi des sentiments pour lui qui dépassent l'amitié.

En m'éloignant, Livai me fixe sans comprendre le but de mon geste.

-Si tu le veux toujours, je suis prêt à être en couple avec un merveilleux garçon, avouai-je.

Le garçon hoche rapidement la tête, les joues légèrement rougies. Le trouvant adorable ainsi, je me penche afin de reprendre le baiser avec affection, puis il entoure ses bras autour de mon corps pour me tenir contre lui. Finalement, je préfère de loin choisir Livai plutôt que la popularité.

L'amour sincère d'une seule personne vaut bien plus que la fausse affection d'une centaine d'autres.